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15/01/2018

Pour le droit de grève, malgré tout.

Je n'ai jamais beaucoup aimé les grèves, je l'avoue, même s'il m'est arrivé, à deux reprises dans ma carrière de professeur (carrière débutée en 1991), de la pratiquer, la première fois pour protester contre l'agression d'une collègue au collège Jean-Vilar des Mureaux, en juin 1996, et la deuxième fois pour manifester contre le ministre socialiste Claude Allègre, sous le gouvernement Jospin. A chaque fois, la grève me semblait justifiée et, au-delà de sa légitimité, utile. Mais, depuis une quinzaine d'années, je n'ai plus jamais réutilisé ce moyen d'action, même si les raisons de mécontentement n'ont pas manqué depuis le début des années 2000. En fait, l'attitude trop souvent hypocrite des syndicats et la très nette et forte impression que la grève était devenue pour eux une facilité plutôt qu'une stratégie mûrement réfléchie m'ont préservé de cette tentation.

 

Pour autant, je suis attaché à l'existence et à la possibilité d'exercer ce droit, restauré dans le Droit français sous Napoléon III, même s'il me semble qu'il devrait être un « dernier recours » après un temps de discussion et de négociation entre partenaires sociaux : le droit de grève serait d'autant plus légitime s'il s'accompagnait d'un devoir de responsabilité. J'ai d'ailleurs pu constater que c'est son usage mesuré et presque solennel quand elle est rare qui fait sa reconnaissance dans l'opinion publique et son efficacité face à l'adversité, qu'elle soit gouvernementale ou patronale. L'exemple qui me vient à l'esprit est celui des professeurs de classes préparatoires, généralement peu enclins à de telles « extrémités », qui, par le déclenchement d'un vaste mouvement de grève contre les projets néfastes de M. Peillon, en 2013, ont fait reculer le gouvernement Ayrault en quelques jours... Tandis, qu'à l'inverse, la répétition presque rituelle de grèves de fonctionnaires ces dernières années (voire décennies), n'ont abouti qu'à desservir la cause de ceux-ci et accroître leur impopularité parmi les contribuables-électeurs.

 

Or, si le droit de grève n'est pas remis en cause en France, du moins pas explicitement, Le Figaro économie du samedi 13-dimanche 14 janvier 2018 nous apprend que le gouvernement grec s'apprête à franchir le pas, ce qui peut paraître surprenant pour des ministres qui se réclamaient (ou étaient présentés par les médias européens), il y a peu encore (du moins avant juillet 2015), de la « gauche radicale » et qui sont soutenus par... L'Humanité ! Ainsi, « la Vouli, le Parlement, s'apprête à adopter une réforme du droit de grève, imposée explicitement par les bailleurs de fonds du pays. » Mais qui sont ces bailleurs de fonds de la Grèce, si ce ne sont les États de l'Union européenne et leurs institutions financières et bancaires ? Les mêmes qui, depuis plusieurs années, ont épuisé les Grecs de leurs oukases et de ce libéralisme qui oublie les hommes pour ne penser qu'en termes d'économies et de compétitivité... Ceux qui ont pris en otage un pays entier au nom de dettes que, jamais, les générations grecques contemporaines ne pourront rembourser malgré tous leurs efforts et sacrifices. Des bailleurs qui exigent cette réforme avant d'accepter le versement de quelques milliards à la Grèce, non pour les Grecs eux-mêmes, mais pour leurs créanciers... Ah, que n'y a-t-il eu un « Solon » pour appliquer une nouvelle Seisachtheia (littéralement la remise du fardeau, c'est-à-dire l'abolition des dettes) et permettre la remise à flot du pays sur de nouvelles bases, moins « consommatoristes » et plus solidaires ! Le courage a manqué à M. Tsipras, devenu désormais, selon ses adversaires, le « valet des créanciers » et le « commis de Bruxelles », celui qui, désormais, doit faire « le sale boulot », sans que l'histoire lui en soit, demain, redevable : il est Créon alors qu'il aurait pu être Antigone, et il est le meilleur argument des libéraux et des européistes qui reprennent en chœur la sinistre formule de Margaret Thatcher : « There is no alternative » (Il n'y a pas d'alternative, sous entendu : à la politique libérale et à ses conséquences sociales...).

 

« Désormais, une grève, pour pouvoir se tenir, devra être votée par 50 % de personnes membres d'un syndicat et à jour de leurs cotisations, contre 20 % actuellement. « C'est une atteinte à la liberté d'expression, à un droit acquis pour lequel nos parents se sont battus », protestent les manifestants en colère. (…) « C'est un droit inaliénable, c'est la seule arme de l'employé face à l'injustice », avance Théodore Fortsakis, député conservateur de Nouvelle Démocratie. » Il est bien certain que si de telles conditions étaient édictées en France, il n'y aurait plus aucune grève qui puisse être considérée comme légale, ni aucune grève possible, tout simplement... C'est sans doute le rêve de certains libéraux qui regrettent, sans le savoir, la loi révolutionnaire du député rennais (hélas !) Isaac Le Chapelier, loi de juin 1791 qui, au nom de « la Liberté du travail », interdisait toute association ouvrière et toute grève, criminalisées l'une et l'autre par principe : triomphe des « capitalistes » (le terme existait-il à l'époque ?) contre lequel les royalistes sociaux du XIXe siècle ne cessèrent de combattre, souvent et longtemps en vain.

 

Ce qui peut paraître surprenant aussi dans cette affaire, c'est le lourd silence des sociaux-démocrates européens qui, ainsi, semblent approuver cette limitation du droit de grève. Mais, est-ce si étonnant, en définitive ? Ce sont souvent les progressistes, ou déclarés tels, qui ont détruit les traditions et les protections corporatives et ouvrières, au nom même, disaient-ils, de « l'intérêt bien compris » des classes populaires.

 

Bien sûr, les grèves sont parfois, en Grèce comme ailleurs, un moyen pour les partis d'agitation de faire parler d'eux, au risque de desservir l'économie du pays et d'affaiblir ses forces vives, et il ne s'agit pas, encore une fois, de vanter les mérites de la grève, ce dont je serai bien incapable et qui ne me semble pas forcément souhaitable comme je l'ai dit plus haut, sauf en des cas de nécessité sociale et de dénonciation d'une injustice flagrante dont la définition et la délimitation peuvent varier selon les circonstances. Mais ôter aux salariés la possibilité de cesser temporairement et librement le travail, ce moyen de faire entendre leur désarroi ou leur colère, ne me semble ni juste ni souhaitable, que cela soit en Grèce ou ailleurs.