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13/07/2012

Peut-on vraiment célébrer le 14 juillet 1789 ?

 

La Révolution française est-elle finie ? Certes, les événements de celle-ci tiennent en une grosse décennie aujourd’hui lointaine, à la fois tourmentée et passionnante, et Napoléon a déclaré l'avoir terminée en mettant en place son régime qui s'appuyait sur les principes issus de 1789. Mais elle a toujours suscité des débats enflammés, et cette passion, si elle se fait moins prégnante parfois, revient régulièrement dans le discours politique ou l'actualité, y compris culturelle : la récente polémique autour du livre Métronome de Lorànt Deutsch le démontre encore au travers des propos des contradicteurs mêmes de l'auteur à qui il est reproché de ne pas aimer cette Révolution française et la République qui en est née...

 

 

Les historiens eux-mêmes ne l'ont pas enterrée, et la Vendée est souvent l'objet de violents débats entre les historiens « officiels », parés de multiples titres et postes universitaires et des historiens moins idéologues ou plus libres à l'égard des conventions et des habitudes de l'Education nationale... Les manuels scolaires, eux, ne laissent guère de doutes à ce sujet, valorisant les aspects bénéfiques de la dite Révolution et évoquant rarement, et parfois caricaturalement, les aspects moins glorieux et les résistances multiples à cette Révolution déjà si controversée de son temps...

 

 

Or, la fête nationale de notre pays évoque cette Révolution française comme une véritable nouveauté, la « naissance » d'un nouvel ordre des choses, ce qui peut expliquer l'erreur encore commise (pas forcément de bonne foi...) par certains qui voient en 1789 l'acte de naissance, sinon de baptême, de la France... En fait, d’ailleurs, si l’on en croit les textes officiels de la République, c’est plutôt pour célébrer la Fête de la Fédération de 1790 que le 14 juillet est devenu fête nationale, mais peu le savent, et cela apparaît surtout comme une habileté des républicains des années 1880 plus qu’autre chose…

 

 

Non, la France n'est pas née en 1789, un certain 14 juillet, sur les gravats d'une Bastille promise à la démolition... D'ailleurs, s'il y a « Révolution française », n'est-ce pas, justement, parce que la France existe depuis longtemps et qu’elle est devenue si naturelle que l'on en a oublié qu'elle n'avait pas toujours été aussi évidente ? En 1789, la France est « faite », territorialement, et la métropole, à quelques lieux près, a déjà cette forme d'hexagone que nous lui connaissons aujourd'hui. Elle apparaît même, à la veille du grand choc révolutionnaire, comme la première puissance européenne, et elle possède un Outre-mer appréciable et utile, elle démarre depuis quelques décennies une industrialisation qui vaut bien celle de la concurrente britannique, et les grands traités diplomatiques se signent à Versailles...

 

 

La Révolution sera, comme l'a si bien écrit l'historien Pierre Chaunu, « le grand déclassement » et la France en sortira affaiblie, politiquement comme économiquement, mais aussi, on l'oublie trop souvent, socialement.

 

 

Et ce 14 juillet 1789, que s'est-il vraiment passé, au-delà des mythes et des images d'Epinal ? Est-ce ce grand mouvement de ferveur qui aurait porté tout un peuple, « le peuple de Paris » comme l'écrivent sans sourciller les manuels scolaires de Quatrième et de Seconde, à « s'emparer d'une prison dans laquelle croupissaient les victimes de l'absolutisme royal » ? Les historiens ont depuis longtemps fait justice de cette vision idyllique et surréaliste de l'affaire de la Bastille, ne serait-ce que parce que cette vieille forteresse médiévale (dont le pouvoir royal envisageait régulièrement la destruction sans la mener à bien, faute d'argent disponible...) n'a pas été prise pour libérer des prisonniers (sept, au jour du 14 juillet 1789...) mais pour récupérer de la poudre destinée aux fusils et aux canons...

 

 

De plus, cette « prise de la Bastille » qui n'a été rendue possible que par la volonté d'apaisement de son propre gouverneur, De Launay (ce qui lui a coûté, en définitive, sa propre tête, promenée au bout d'une pique...), s'apparente beaucoup plus à une émeute puis à un pillage (ceux-là mêmes qui font frémir d'horreur nos concitoyens quand ils en voient à la télévision ou les vivent dans leurs quartiers...) qu'à un grand mouvement héroïque...

 

 

Quelques remarques : les premiers morts de cette affaire sont ces émeutiers écrasés par le pont-levis dont leurs propres comparses ont brisé les chaînes ce qui a entraîné sa (lourde) chute sur les premiers rangs de l'émeute... Il y a des morts plus glorieuses, tout de même !

 

 

De plus, alors que Paris, pas encore capitale mais déjà la ville la plus peuplée du royaume, compte environ 600.000 habitants, ce sont quelques milliers à peine qui parcourent les rues en manifestant bruyamment, ce qui nous rappelle, comme le disait Maurras, que « l'histoire est faite par des minorités énergiques » et, parfois, à leur insu... La plupart des Parisiens se terrent chez eux ou se tiennent sur les trottoirs, devant leurs échoppes ou leurs commerces pour les protéger des pillages possibles. De plus, quand un registre sera ouvert pour inscrire « les vainqueurs de la Bastille », ils seront moins d'un millier à s'y inscrire, ce qui réduit immanquablement la part même du « peuple de Paris » censé avoir envahi la vieille forteresse !

 

 

Une dernière remarque : le destin de ces émeutiers sera à l'image des déchirements qui ont suivi ce mois de juillet 1789 et se sont poursuivi jusqu'au début du XIXe siècle, c'est-à-dire fort contrasté... Certains deviendront républicains et se signaleront par leur sauvagerie comme le célèbre Fournier l'Américain ; d'autres, au contraire, se feront d'ardents défenseurs de Louis XVI en 1792 ; beaucoup disparaîtront dans un prudent anonymat au moment de la Terreur...

 

 

Cet événement que l'on nous présente comme majeur l'est devenu par le fait même, non des historiens, mais de ceux qui ont su en tirer profit, ou plutôt qui s'en sont servi pour asseoir leur propre pouvoir : puisque l'ordre avait été bousculé par quelques émeutiers, il était plus habile pour certains de le rétablir à leur profit (et non à celui de l'Etat en place, considéré comme trop mou...) tout en récupérant l'énergie de l'émeute pour avancer leur propre projet politique et social... En démolissant la Bastille après le 14 juillet, les bourgeois révolutionnaires (mais tous les bourgeois n'étaient pas révolutionnaires et tous les révolutionnaires n'étaient pas bourgeois...) revendiquaient le passage symbolique à un nouvel ordre qui, désormais, conjuguaient et confondaient pouvoir économique et pouvoir politique au sein même de l'Etat, début d'un vaste processus de dépossession du politique de ses prérogatives face à (et par) l'économique et dont nous voyons, aujourd'hui, les effets dans la crise française...

 

 

En cela, le 14 juillet 1789 est une date fondatrice, et l'on comprend mieux l'acharnement mis par certains à la vanter, au détriment de la vérité des faits et de la justice même due aux premières victimes d'une Révolution qui n'allait pas s'en tenir là, malheureusement...

 

 

Nous ne célébrerons pas le 14 juillet 1789, mais nous nous rappellerons de ce qu'il a été, pour ne pas oublier et en tirer des leçons...



 

06/05/2008

Aujourd'hui, en cette année 1788...

Hier lundi, j’évoquais à la classe de Quatrième à laquelle je donne quelques cours de remplacement les causes politiques de la Révolution française et, plus je parlais, questionnant ou répondant, plus je me posais intérieurement la question : sommes-nous en 1788 ? En effet, que se passait-il à la veille de cette Révolution qui a tant bouleversé notre pays ? L’Etat était affaibli par les multiples intrigues et manœuvres des ordres privilégiés et des parlements, qui bloquaient toute réforme politique, et l’Etat n’arrivait plus à se faire obéir : crise de l’autorité ; les bourgeois du Tiers-état revendiquaient plus de pouvoir politique, considérant que c’était aux détenteurs du pouvoir économique de faire (ou de défaire) la Loi et qu’il était temps, au nom de la Liberté, d’en finir avec les vieux règlements des corporations et maîtrises ; les grands principes valorisés par les contestataires étaient ceux d’une Liberté sans frein, posée comme absolu philosophique, et de la nécessité d’une Constitution écrite, contraignante pour les détenteurs anciens de l’autorité publique d’Etat et favorable à ceux qui voulaient décider du nouveau cours de l’Histoire, au détriment des longues traditions et au profit de l’immédiateté, du « temps démocratique »… J’avais évoqué, lors d’un cours précédent, la dette de l’Etat, son déficit budgétaire important, et le renchérissement des matières premières, en particulier alimentaires, depuis le début des années 1780…

 

En somme, peut-on dire que « toute ressemblance avec des événements ayant existé serait purement fortuite et involontaire » ?

 

Relisez bien ce qui précède, et fermez les yeux, ou plutôt ouvrez-les bien grand ! D’une certaine façon, nous sommes bien en 1788, si le calendrier annonce pourtant 2008… : Etat faible, sans la faveur de l’Opinion ; revendications et blocages de la société ; « libéralisation » voulue par les néolibéraux au détriment des services publics et des lois de l’Etat français ; Constitution européenne imposée par l’Union européenne et ses gouverneurs ; crises énergétique et alimentaire ; mécontentements des populations devant l’érosion du pouvoir d’achat ; etc.

 

Il est temps de se rappeler de la formule du comte de Chambord (que je cite de mémoire), cet Henri V qui a oublié de régner : « Ensemble et quand vous le voudrez, nous reprendrons le grand mouvement de 1789 », ce qui ne veut pas dire « détruire » mais « fonder », en évitant 1793. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, n’est-ce pas ?