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23/10/2023

Les aspects contemporains de la question sociale (1)

 

La réforme des retraites est faite, en attendant la prochaine (2027 ?) si l’on en croit les économistes et l’ancien premier ministre Edouard Philippe, et sa contestation, pourtant nécessaire, est restée vaine : la République a eu le dernier mot, mais ce n’est pas forcément le bon… En cette rentrée, c’est l’inflation qui occupe et surtout préoccupe tous les esprits, et qui déprécie le porte-monnaie des Français, particulièrement des classes moyennes et populaires, et l’inquiétude du gouvernement comme des entrepreneurs porte aussi sur une possible conséquence sur les salaires, entraînant ceux-ci à la hausse, pourtant considérée comme le « meilleur » moyen de compenser celle des prix à la consommation mais aussi de répondre aux demandes de certains secteurs en tension (restauration, bâtiment, agriculture… qui ne trouvent pas assez de bras aujourd’hui) ; les salariés, eux, souhaitent cette amélioration salariale, souhaitable à bien des égards. L’enjeu des prochains mois va être de trouver la nécessaire conciliation entre les parties, considérant que l’économique et le social doivent s’accorder si l’on veut éviter la faillite de l’une et la colère de l’autre. Mais il n’est pas certain que la République soit en mesure de relever ce défi particulier et sensible, prisonnière de son allégeance à des règles « européennes » parfois kafkaïennes et désarmantes face aux puissances extra-européennes et toujours coincée entre deux élections, la France se retrouvant désormais en présidentielle permanente, ce qui ne peut qu’entraver toute stratégie politique, économique et sociale de long terme. De plus, les tensions géopolitiques, dans lesquelles la France se trouve parfois partie prenante, n’arrange guère la situation des prix, mais c’est toujours la mondialisation qui domine en économie, et cela même si elle tend aujourd’hui, dans cette nouvelle fragmentation du monde, à se « déglobaliser » : comme le dit Pierre-André de Chalendar (1), « les entreprises sont désormais confrontées à la géopolitique et doivent s’y adapter, ce qui est plus ou moins facile. Elles vont devoir raisonner multilocal plutôt que global. » Mais l’État n’a-t-il pas aussi son mot à dire et ses arbitrages à mener en ce domaine, sans tomber dans l’étatisme néfaste ? Il nous faudra y revenir dans les prochains mois.

 

Néanmoins, cette nouvelle donne internationale qui a des répercussions économiques et sociales jusqu’au tréfonds de notre pays change-t-elle fondamentalement le système socio-économique dominant ? C’est peu probable, en définitive : la société de consommation, le libre-échangisme mondialisé et l’idéologie de la croissance restent les fondements apparemment indestructibles du système qualifié, le plus souvent et sans beaucoup d’explications ni de nuances, de « libéral » ou, plutôt, de « néolibéral ». Or, ce système, dont la morale première est résumée par la terrible formule de Benjamin Franklin « Time is money » (c’est-à-dire « le temps c’est de l’argent »), néglige autant la nature que les hommes, le souci environnemental que la justice sociale et, au regard des archives royalistes disponibles, il est assez frappant et révélateur que parmi les premiers à s’en inquiéter vraiment en France, l’historien politique trouve rapidement les royalistes d’Action française… Une page tirée de l’Almanach de l’Action française pour 1929 évoquant le système socio-économique des États-Unis (pas encore complètement triomphant en Europe alors) mérite la citation et la lecture, mais aussi le commentaire : « Aux États-Unis, on a essayé de résoudre le problème social par l’octroi des hauts salaires en échange d’un rendement fortement amélioré, grâce à la taylorisation du travail et à la standardisation des fabrications. L’ouvrier qui accepte de produire son maximum reçoit une paye suffisamment élevée pour qu’il puisse se procurer non seulement le nécessaire mais un large superflu. Il lui est donc possible en principe d’économiser. Mais (…) les hauts salaires n’ont pas été accordés aux travailleurs par pure philanthropie ; on a exigé et obtenu d’eux un rendement inconnu dans la vieille Europe mais, en outre, on a cherché à en faire de nouveaux consommateurs afin que les usines puissent, grâce à l’augmentation de clientèle ainsi obtenue, travailler en grande série et par conséquent avec des prix de revient meilleurs. Tous les moyens : publicité, vente à crédit… ont donc été mis en œuvre pour éloigner l’ouvrier de la thésaurisation et le pousser au contraire à dépenser, non seulement au fur et à mesure de son gain, mais encore en spéculant d’avance sur ce gain. (2) » C’est bien le système même de la société de consommation qui est ainsi décrit et que résumera, pour mieux l’analyser et le critiquer, le maurrassien Pierre Debray : selon lui, Ford et ses imitateurs autant que ses successeurs (3) ont mis en pratique la logique même de la société de consommation, « Consommer pour produire » et, par la tentation valorisée (la publicité) et financée (le crédit, c’est-à-dire l’endettement organisé et contrôlé par les banques), ouvrent le temps du superflu et du gaspillage dénoncé dans la littérature dès 1931 par Aldous Huxley dans son fameux ouvrage « Le meilleur des mondes ».

 

S’il semble assurer, au moins un temps, une certaine prospérité matérielle aux pays qui l’adoptent et aux travailleurs qui y participent, ce système est-il, pour autant, juste et équilibré ? Rien n’est moins sûr. « Le travailleur qui tombe malade ou s’estropie par accident se trouve fortement endetté par des achats à crédit et n’a pour ainsi dire rien mis de côté. (4) » Ce qui est vrai, un siècle après, aux États-Unis, l’est-il de la même manière en France ? Les moyens d’épargne comme le livret d’épargne (5), aujourd’hui renommé livret A, peuvent permettre d’amortir le choc du chômage ou du malheur social lié aux maladies ou aux accidents du travail, tout comme l’État-providence français, souvent plus proche de l’assistanat que de l’assistance juste et légitime, ce qui en amoindrit sans doute à terme l’efficacité et la crédibilité sans satisfaire toutes les nécessités de la justice sociale. « La dure loi américaine n’estime les hommes que d’après leur seule valeur productive ; si celle-ci vient à diminuer momentanément ou définitivement, les services antérieurement rendus ne comptent guère », et cela, écrit pour les États-Unis des années 1920, définit aussi l’une des caractéristiques du système franklinien mondialisé contemporain, même si l’on peut y rajouter que c’est sans doute la valeur consommatoire (l’Avoir) qui compte encore plus que la valeur liée à la création de richesses matérielles, elle-même aujourd’hui dépassée par celle de richesses immatérielles, parfois complètement virtuelles et purement spéculatives. Or, ce système a fortement tendance à dévaloriser le travail et les travailleurs, les producteurs de base eux-mêmes, au seul profit de l’argent et de ses jeux parfois immoraux. La survalorisation de la possession financière dans le monde contemporain au détriment des valeurs de la justice, de la solidarité et du partage équitable des profits, n’est pas, en définitive, acceptable parce qu’elle néglige le sens et l’unité de ce qui fait société en préférant l’individualisme et la division permanente selon les seuls éléments matériels (et immatériels) de richesse : la formule « On ne prête qu’aux riches » n’a jamais été aussi si actuelle et si inappropriée à l’équilibre social ! L’exemple de l’accès à la propriété immobilière (et de son entretien pour les propriétaires à faibles revenus) est aujourd’hui le plus caractéristique et éminemment scandaleux : les jeunes couples des classes moyennes (entre autres) désireux de faire un premier achat immobilier se retrouvent déboutés par les banques qui prêtent de moins en moins, ou à des taux peu attractifs, au risque de geler toute possibilité de devenir propriétaire alors même que c’est un souhait manifesté très largement par les familles et citoyens français, et que c’est même, pour beaucoup, à la fois un idéal et une assurance contre les revers de fortune possibles… Voilà ainsi une situation malheureuse pour nombre de nos compatriotes qu’une politique de justice sociale réfléchie et appropriée doit chercher, absolument et le plus rapidement possible, à résoudre.

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) Entretien publié dans Le Figaro, samedi 16-dimanche 17 septembre 2023. Pierre-André de Chalendar est le président de Saint-Gobain et s’affiche comme libéral, peu favorable au colbertisme d’État…

 

(2) : Pierre Chaboche, « La sécurité du travail », article publié dans l’Almanach de l’Action française pour 1929. M. Chaboche était le président de l’Union des Corporations Françaises (U.C.F.) de 1925 à 1930 et directeur de son journal La Production Française. Industriel royaliste, il poursuivit ensuite son combat corporatiste et social auprès du jeune comte de Paris, dans les années 1930.

 

(3) : Parmi les imitateurs et successeurs du tayloro-fordisme, il n’est pas inutile de citer son propre concurrent Alfred Pritchard Sloan, président de General Motors, qui « perfectionnera » le système initié par Ford en remplaçant l’unicité (de la voiture produite : la Ford T était fabriquée en une seule couleur – noire - et égalisait ainsi tous ses acheteurs, de l’ouvrier au banquier) par la diversité des équipements et de couleurs (mais sur le même châssis de base), les gammes réintroduisant ainsi la notion de hiérarchie sociale et créant de nouveaux désirs dont celui de s’approprier la voiture correspondant à l’échelon social supérieur à sa propre condition… La voiture redevient alors un marqueur social de première importance et, en tout cas, un élément de sa visibilité. La société de consommation devient alors une société de la séduction sociale et du désir de revendiquer un rang supérieur pour nombre de ses acheteurs, au risque de l’endettement (fatal, parfois) pour certains. Un excellent moyen, en somme, d’enraciner la société de consommation et d’en détourner la possible contestation par la tentation et l’illusion de monter, non dans l’échelle sociale, mais dans celle de la représentation sociale…

 

 

 

(4) : Pierre Chaboche, article cité plus haut.

 

(5) : C’est un héritage du règne du roi Louis XVIII, qui a suscité la création du livret d’épargne en 1818, justement pour permettre à tous les sujets du royaume de disposer d’un moyen sûr et garanti par l’Etat de pouvoir faire des économies en prévision, soit des jours moins heureux soit de futurs achats…

 

 

 

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