10/07/2022
Le sort des ouvriers au Qatar aujourd'hui.
Dans quelques mois aura lieu la coupe du monde de balle-au-pied et elle se déroulera au… Qatar ! En fait, plus que les jeux de ballon, ce sont ceux d’argent et d’influence qui semblent compter d’abord, et peu importe les moyens pourvu que le grand public occidental connaisse son ivresse de sensations et de suspense. Le sport médiatique contemporain est un opium qui étourdit les masses et enrichit les puissants, et cette compétition à venir n’échappe pas à la règle : « panem et circenses » (1), disait-on à Rome, et l’oligarchie républicaine puis impériale en a largement et longtemps abusé. Désormais, ce sont quelques riches Etats émergents et des milliardaires (groupes ou personnalités) qui jouent les mécènes intéressés : mais, au-delà du spectacle des passes et des courses effrénées vers les filets adverses, il n’est pas inutile de considérer les hommes qui construisent les stades de ce que La Croix qualifie de « Mondial de la démesure » (2). Or, les ouvriers sont ceux que l’on ne voit jamais, sauf sur quelques photos lointaines ou mal éclairées, alors même que, sans eux, les paysages et les arènes de béton seraient restés à l’état de projets et de maquettes idéalisées… Comme le rappelle le quotidien chrétien, « Des milliers de travailleurs pauvres venus d’Asie et d’Afrique occupent une place centrale dans la réussite de l’Etat gazier » : n’est-ce pas l’occasion d’évoquer alors la question sociale qui, en fait, ne se limite pas aux seules frontières de l’émirat mais nous renvoie aussi indirectement à nos propres histoires et politiques sociales ?
Le grand article de La Croix mériterait d’être cité tout entier, et il est surprenant que les grands médias, si prompts à l’indignation et à l’ire vengeresse pour les plus « à gauche », ne l’aient pas repris, relayé, commenté : comme si les affaires qataries n’étaient pas parties intégrantes de la mondialisation dont, trop souvent, les seuls aspects sportifs ou positifs sont valorisés ! La coupe du monde de balle-au-pied est une formidable vitrine pour le pays organisateur mais aussi pour la mondialisation elle-même qui, sous les aspects festifs du ballon rond, reste l’idéologie de l’uniformisation, du « présent global » et du « Time is Money » de Benjamin Franklin. Même dans les pays qui refusent l’usure, l’argent est devenu « la » valeur majeure, et provoque les mêmes appétits, et (trop souvent) les mêmes comportements des féodalités financières comme économiques, au détriment des équilibres sociaux et environnementaux. Les producteurs de base que sont les ouvriers, sont trop souvent sacrifiés sur l’autel de la profitabilité et leur exploitation nourrit un système dont, pour l’heure, nous profitons aussi largement en tant que consommateurs et spectateurs occidentaux, mais beaucoup moins que ceux qui se trouvent au sommet des pyramides sociales et économiques des pays inscrits dans la « globalosphère » mondiale.
Les conditions de travail au Qatar sont celles d’une servitude ignoble, mais aussi consentie et sacrificielle pour les ouvriers, ce qui est terrible et, dans le même temps, difficilement compréhensible pour des Français du XXIe siècle : les travailleurs, quasi-exclusivement étrangers au pays, espèrent ainsi subvenir aux besoins de la famille restée dans leur patrie originelle, et, dans un second temps (à l’échelle d’une génération ou de deux, pensent-ils), atteindre le niveau de vie d’un « consommateur moyen », sur le modèle de la société de consommation initiée au XXe siècle par les Etats-Unis et étendue à la planète entière selon des calendriers différents. Cela explique que, malgré leur grand nombre (800.000 environ dans la zone de Doha), aucune révolte de masse, aucune grève ni même manifestation, ne soit signalée… La simple crainte de perdre son emploi (donc, ici, son gagne-pain au sens fort du terme) suffit à étouffer dans l’œuf toute velléité de protestation ou de revendication. Ce sont les organisations étrangères qui alertent sur cette situation sociale scandaleuse mais dans une indifférence qui, d’ailleurs, se teinte parfois d’hostilité, en particulier chez ceux qui ne veulent voir que le sport et le spectacle, selon la logique romaine antique évoquée plus haut…
Le témoignage d’un ouvrier népalais au Qatar montre toute la duplicité des entreprises qatariennes mais peut réveiller en nos contemporains français soucieux de l’histoire sociale (et de sa poursuite contemporaine) des souvenirs de l’industrialisation des XIXe et XXe siècles en France, rapportés par nombre d’études et de témoignages (de Villeneuve-Bargemont (3) et Villermé (4) aux travaux de Noiriel (5) ou de Geslin (6), sans oublier celui de la philosophe Simone Weil dans les années 1930 (7), entre autres). Car ce que connaissent aujourd’hui les travailleurs au Qatar, c’est la même situation d’exploitation abusive et de misère sociale que celle connue par leurs prédécesseurs français dans les temps de l’industrialisation triomphante et du triomphe du « capital sans frein » dénoncé par la Royale (8) en son deuxième couplet… « Le Qatar et les patrons nous utilisent pour construire les stades puis nous jettent lorsque notre corps ne suit plus. C’est dangereux de travailler ici, on le sait tous. Mais il faut bien envoyer de l’argent à la famille. J’ai une femme à nourrir et une fille à envoyer à l’école », assure le témoin qui ne peut que rester très discret pour éviter les représailles patronales et le renvoi, voire la prison comme cet « agent de sécurité kényan, incarcéré en 2021 pour avoir publié des billets anonymes sur ses conditions de vie et de travail. La peur a cousu les bouches d’une majorité des travailleurs toujours précaires. » Même un simple témoignage peut mener aux geôles qataries… Qui s’en émeut en France et ailleurs ? Le sport avant tout, dira-t-on… Et pourtant… L’intérêt pour le sport de ballon et le soutien à l’équipe nationale n’interdisent pas, ne doivent pas interdire le souci pour les ouvriers et leur sort !
Sur les chantiers des stades et des nouveaux quartiers bâtis pour l’occasion de la coupe du monde, les accidents du travail sont nombreux et souvent cachés avant que d’être oubliés ou niés, tout simplement : « Raja dit avoir été témoin d’un grave accident de travail de collègues dans les nouveaux quartiers de Lusail, où seront logés les milliers de supporteurs du Mondial. « L’échafaudage a craqué, précipitant dans le vide sept ouvriers. Tous sont morts. Cet accident n’a été rapporté nulle part à ma connaissance. Je ne sais pas comment les entreprises masquent les accidents de ce genre, mais je sais que les promesses de compensation faites aux familles ne sont que des mots. » ». Nous pourrions espérer que, en 2022, ce genre de situation et de scandale social appartienne au passé, celui des débuts rudes de l’industrialisation occidentale contemporaine, et que les puissances émergentes ou les pays rentiers riches, en recherche de respectabilité et de crédibilité, aient tiré des leçons des malheurs ouvriers des siècles passés pour assurer à ceux qui travaillent aujourd’hui sur leurs chantiers et dans leurs usines des conditions dignes et une reconnaissance sociale favorable : il faut bien reconnaître que, dans le cas des exploités des entreprises au Qatar, il n’en est rien ! Pourtant, c’est vers le Qatar que, dans quelques mois, tous les regards seront tournés et les stades flambants neufs ne diront rien, par les images retransmises sur tous les écrans du monde, de cette indignité de la condition ouvrière au Qatar… Il n’y aura plus, pour le spectateur sportif, que la balle qui virevolte, le score qui évolue quand les filets tremblent, les cris de joie et les larmes de désespoir, la victoire et la défaite.
La société du spectacle couvre de ses voiles de délices et délires le malheur des travailleurs qui souffrent en espérant, malgré tout, une vie meilleure pour bientôt. Si le spectacle de la Coupe du monde de balle-au-pied peut être beau (pourquoi méconnaître ce qui apparaît ainsi aux yeux de beaucoup de nos concitoyens, pour de bonnes ou de mauvaises raisons ?), il nous appartient de ne pas en être dupe et de ne pas oublier ce qui l’a permis ou le permet aujourd’hui comme demain : le sang et la sueur des travailleurs. Mais le plus important est, avant même le spectacle, de réfléchir aux moyens d’améliorer les conditions de travail des ouvriers, et pas seulement au Qatar… Si nous n’avons guère de poids sur la situation des classes laborieuses de cet émirat lointain, il n’est pas impossible de réfléchir au moins, là aussi, aux moyens de pression possibles pour inciter ce pays à améliorer, législativement et concrètement, les conditions de travail et de vie de ceux qu’il s’agit de ne pas oublier, même s’ils resteront invisibles aux yeux des spectateurs…
(à suivre)
Notes : (1) : « Du pain et des jeux ».
(2) : La Croix, jeudi 7 juillet 2022.
(3) : Préfet du département du Nord sous le roi Charles X, puis député royaliste légitimiste sous la Monarchie de Juillet, Alban Villeneuve-Bargemont fut l’un des premiers à évoquer et dénoncer la misère des ouvriers d’usines.
(4) : Médecin, Louis-René Villermé va rédiger un Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie en 1840, et sera le promoteur d’une médecine du travail pour les ouvriers que la Bourgeoisie capitaliste du moment verra souvent d’un mauvais œil, comme une « excuse à la paresse »…
(5) : Gérard Noiriel, historien contemporain anciennement communiste, a consacré de nombreux travaux aux ouvriers en France, comme Les Ouvriers dans la société française (XIXe-XXe siècle), qui méritent lecture… et critique, parfois !
(6) : Claude Geslin, historien ayant enseigné dans les universités de Bretagne, a publié en 1990 (et réédité en 2014 aux Presses Universitaires de Rennes) un ouvrage (devenu un classique incontournable) à l’histoire du syndicalisme ouvrier en Bretagne, qui est aussi une mine de renseignements sur les conditions de travail et de vie des ouvriers des XIXe et XXe siècles.
(7) : « La condition ouvrière », de Simone Weil, ouvrage composé après sa mort et regroupant les articles et les notes de la philosophe, jusqu’alors seulement publiés à l’origine dans des revues d’extrême-gauche, cette même mouvance politique l’ignorant largement désormais à cause de ses évolutions et engagements ultérieurs…
(8) : La Royale est l’hymne de l’Action française, et elle dénonce le côté antisocial de la République et rappelle le rôle de l’Etat royal dans la protection des classes ouvrières, dans son deuxième couplet… « Tu n’étais pas un prolétaire, libre artisan des métiers de jadis. A l’atelier comme à la terre, le Roi seul fort protégeait les petits. Abandonné, l’ouvrier peine, esclave hier, forçat demain, entre les dictateurs de haine et ceux du capital sans frein ».
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31/07/2018
Un scandale social : les maillots aux deux étoiles.
Le capitalisme mondial est-il moral ? En fait, la question ne se pose plus depuis longtemps pour ceux qui en tirent le plus grand profit et, particulièrement, par le moyen d'une indifférence marquée à la question sociale, désormais grande absente des réflexions néolibérales et peu évoquée dans nos sociétés de consommation : il est vrai que le principe même de celles-ci insiste plus sur la consommation et sa croissance, véritable aune et condition de la santé d'une économie quand elle ne devrait être, en une société humaine, qu'un élément d'appréciation et éventuellement d'amélioration des conditions de vie des personnes et des familles.
Ainsi, tout à la joie de la victoire sportive de l'équipe de France de balle-au-pied, peu de journalistes et d'économistes ont signalé l'indécence de l'équipementier de celui-ci, une multinationale états-unienne au patronyme grec signifiant la victoire. En effet, Nike va bientôt mettre en vente pour le grand public et au prix de 140 euros un maillot frappé des deux étoiles de champion de monde, maillot dont le coût de production, selon le Journal du Dimanche (22 juillet 2018), équivaut à... 3 euros ! Comme le souligne Le canard enchaîné, voici une belle « culbute en or », au seul bénéfice de la multinationale peu regardante, pourrait-on croire naïvement, sur les conditions sociales de la production de ces maillots.
Dans son édition du 25 juillet, le journal satirique précise un peu les choses et renseigne sur ce qui permet d'atteindre un si bas niveau de coût pour un si grand profit envisagé : « La fabrication en masse de la tunique bleue (…) ne sera pas vraiment made in France, mais... made in Thailand. » Rien que cette simple phrase nous indique que la victoire des Bleus n'est pas forcément une bonne affaire pour l'industrie textile française qui, pourtant, aurait bien besoin d'un bon bol d'air, et que cette importation d'un maillot fabriqué loin de la France sera plus coûteuse sur le plan environnemental et commercial que ce qu'il pourra rapporter à la France : coût environnemental en fonction des milliers de kilomètres qui sépareront le lieu de production de l'espace de consommation, et qui se traduit par une pollution atmosphérique loin d'être négligeable en fin de compte ; coût commercial car cela fera encore pencher un peu plus la balance du commerce extérieur du côté du déficit, déjà beaucoup trop lourd pour notre économie ; mais aussi coût social car, en privant nos industries textiles locales de cette commande, cette fabrication « mondialisée » en Thaïlande fragilise un peu plus l'emploi français dans cette branche d'activité... Et que l'on ne nous dise pas que cette fabrication lointaine est ce qui permet de vendre « à bas coût » (sic !) ces maillots aux deux étoiles si longtemps espérées : non, elle permet juste de dégager de plus grands profits pour la multinationale et ses actionnaires, un point c'est tout ! L'on touche là à « l'hubris », à la démesure du capitalisme (1) et de ses « élites », incapables de retrouver la juste mesure qui, tout compte fait, est la condition de l'équilibre et de la bonne santé de nos sociétés ordonnées.
Mais au-delà du coût social proprement français, il est juste aussi de s'intéresser à celui qui, plus lointain, ne peut néanmoins nous laisser indifférent : Le Canard enchaîné nous livre quelques informations supplémentaires qui devraient indigner tout homme soucieux de son prochain. Ainsi en Thaïlande, la production se fera « plus précisément dans le nord-est du pays, où les salaires dans les ateliers de production (180 euros par mois) sont inférieurs à ceux de la capitale (250 euros) ». Ces salaires sont évidemment à comparer au prix final de ce maillot à la vente en France et, aussi, aux salaires ouvriers des pays européens et de la France, considérés comme « trop élevés » par ceux qui touchent des millions d'euros annuels pour « diminuer les coûts » et qui, souvent, sont les mêmes, qui n'ont à la bouche que le mot de compétitivité pour mieux servir leur cupidité... Quand les profits de quelques uns se font sur le dos de beaucoup, et sans volonté d'un minimum de partage des richesses produites, il y a là quelque chose d'insupportable pour le cœur comme pour l'esprit, et qui devrait provoquer une juste et sainte colère dans toute société normalement et humainement constituée. Mais, la Société de consommation repose sur une sorte d'addiction à la consommation elle-même, sur cette tentation permanente et toujours renouvelée dans ses objets, sur la possession individualisée qui en fait oublier les autres et la mise en commun, sauf en quelques espaces dédiés et pour quelques services de plus en plus marchandisés et privatisés... Du coup, les consommateurs n'ont guère de pensée pour les producteurs, et le mécanisme de séparation,voire de complète ségrégation entre les deux catégories, fonctionne comme une véritable protection du Système en place. D'ailleurs, le mécanisme de la Société de consommation valorise, en tant que tels, les consommateurs, quand les producteurs eux-mêmes, à quelque échelle qu'ils se trouvent mais surtout quand ils sont au bas de celle-ci, sont de plus en plus la variable d'ajustement, celle qui est la plus pressurée et la moins médiatisée : les classes ouvrières et paysannes font les frais d'une telle société où la marchandise à vendre et le profit à en tirer l'emportent sur le travail qui a permis de la fabriquer et, éventuellement, de la qualifier. Le problème, dans les pays dits « en développement », c'est que l'on a réussi à convaincre ces classes laborieuses (et ce qualificatif me semble particulièrement approprié ici) que leur condition misérable d'aujourd'hui est le passage obligé vers le statut de consommateurs de plein droit... Ce sont des classes sacrifiées mais, surtout, des classes sacrificielles, persuadées que leur sacrifice du jour est l'annonce d'un sort meilleur pour leurs enfants, ce qui n'est pas entièrement faux (si l'on se place dans le temps de deux ou trois générations) sur le plan des conditions de travail et de vie, mais s'accompagne d'une aliénation à la consommation, à l'argent qui en fixe le degré quantitatif et sur lequel le sort de chacun semble désormais indexé...
Ce que signale aussi l'article du Canard enchaîné, c'est l'absence de droit syndical et la limitation effective du droit d'expression et de manifestation dans le cadre du travail dans les usines de Thaïlande, qui rappellent les entraves à la défense des droits du travail et des travailleurs mises en place, en France, par la Révolution française elle-même à travers ses lois antisociales de 1791, du décret d'Allarde à la loi Le Chapelier, interdisant toute association ouvrière et tout droit de grève ou de manifestation aux ouvriers... « La devise dans ces usines ? « Réduction des minutes passées par ouvrier sur chaque maillot, automatisation et films ultratendus », rapporte l'ONG Clean Clothes. En prime, interdiction pour tout employé de communiquer sur les conditions de travail et d'adhérer à un syndicat. » En somme, une forme d'esclavage salarié pour faciliter les profits de l'entreprise états-unienne, milliardaire en bénéfices...
Doit-on se contenter d'un tel constat et laisser prospérer une telle attitude d'entreprise ? Si les consommateurs seront malheureusement toujours pressés d'acquérir ce fameux maillot aux deux étoiles, il n'est pas obligatoire de l'acheter pour qui se soucie d'éthique sociale. Mais, au-delà, sans doute faudrait-il que l’État, pour inciter la multinationale à changer de pratiques et d'état d'esprit, introduise dans le Droit social quelques mesures propres à empêcher des marges trop importantes au détriment des conditions sociales des producteurs de base. Une forme de « taxe sociale sur la profitabilité et pour l'équilibre social » calculée en fonction des marges bénéficiaires dégagées par une entreprise multinationale étrangère (mais pourquoi pas française aussi ?) pourrait être envisagée, entre autres. Ou, pourquoi pas une obligation pour la multinationale d'installer dans le pays de vente une partie de la production destinée au marché local ? En fait, ce ne sont pas les propositions et les idées qui manquent, mais bien plutôt la volonté politique de les proposer, de les mettre en place et de les appliquer.
La République n'est pas, ne peut être sociale en France, comme l'histoire nous le prouve depuis ses origines révolutionnaires, et, si cela est évidemment regrettable, ce n'est pas une raison pour ne rien faire : le royalisme social n'est pas l'attente de la Monarchie pour agir, mais la volonté et l'action sociale pour changer les choses, « même en République », tout en rappelant que la Monarchie politique serait plus efficace pour imposer aux féodalités économiques, même étrangères, de respecter les principes de la nécessaire justice sociale, colonne vertébrale de la société ordonnée française. En cela, la Monarchie active « à la française »,ne peut se contenter de « gérer la crise » mais se doit d'incarner, dès le jour de son instauration, « le sceptre et la main de justice », la décision politique et l'équilibre social...
Notes : (1) : Une démesure structurelle ou conjoncturelle ? Je penche de plus en plus pour le premier qualificatif, au regard de l'histoire contemporaine et du cadre mental dans laquelle elle se déploie.
15:54 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sport, maillots, mondialisation, société de consommation.
16/07/2018
Une victoire de l'équipe de France, une victoire de la nation France ?
Le sport est éminemment politique même si la politique ne peut se résumer au sport ni le sport à la politique, et c'est tant mieux ! La dernière coupe du monde de balle-au-pied nous le démontre à l'envi, et il n'est pas inintéressant de s'y intéresser, sans pour autant bouder notre plaisir du spectacle et de la victoire finale, surtout pour ceux qui en sont passionnés ou qui, simplement, y recherchent des côtés festifs ou conviviaux. Peut-on dire que le sport est né de la politique, comme l'évoquent quelques historiens de l'Antiquité en évoquant celui-ci comme le moyen d'une confrontation pacifique entre cités grecques au moment des Jeux olympiques et comme instrument de la Cité pour se représenter à elle-même et aux autres, pour se distinguer et s'identifier ? Qui y a-t-il de vraiment nouveau sous le soleil, si ce n'est le glissement du caractère politique vers les enjeux économiques et la contemporaine prégnance de l'Argent dans le sport devenu industrie et symbole de la concurrence capitaliste parfois la plus violente et la moins noble ? En cela aussi et paradoxalement, le sport est politique, mais plus idéologique que proprement civique.
C'est aussi et plus particulièrement dans la victoire que le sport, et de prime abord celui de la balle-au-pied, très populaire dans nos contrées et nos quartiers, renoue avec ses racines les plus anciennes et politiques, au sens historiquement premier et civique de ce dernier terme, comme élément d'identification à la Cité et d'unification ou, plutôt, d'union des individus et des communautés autour d'une équipe qui porte les couleurs de la nation, forme contemporaine et « générale » de la Cité que, dans notre pays, l'on nomme parfois République, dans le sens de la « Res publica », c'est-à-dire la Chose publique-civique, plus que dans le sens d'un régime politique particulier et toujours discutable, voire contestable...
Ainsi, le soir de la finale victorieuse pour l'équipe de France, à Rennes comme ailleurs, la rue débordait et exultait, et, aux premières loges et au milieu des foules bruyantes et, parfois, enivrées de bien d'autres breuvages que celui du succès sportif, j'ai constaté et participé à ce grand moment d'unité nationale et de fraternisation, sans avoir regardé plus que quelques minutes de la rencontre elle-même entre les équipes de France et de Croatie... Bien sûr, c'était de l'excitation, de l'hystérie parfois, un désordre des êtres et un débordement festif et parfois excessif, en particulièrement au niveau sonore et démonstratif ! C'était une sorte d'immense carnaval qui oubliait, voire renversait, toutes les conventions sociales habituelles, mais aussi mêlait toutes les catégories et toutes les différences en une sorte de grande fusion et confusion, avec le drapeau tricolore comme signe de reconnaissance, parfois accompagné du Gwenn ha du de la Bretagne et de ceux d'anciennes provinces ou d'anciens protectorats français, pourtant depuis longtemps « décolonisés »... Vieux comme moins vieux et comme très jeunes, chevelures féminines au vent comme longues tenues couvrantes, cadres supérieurs comme ouvriers automobiles de La Janais, professeurs comme étudiants, communistes comme royalistes... : toute la pluralité française s'exprimait là, et se trouvait bien d'être là, dans cette sorte de communion autour d'une équipe qui s'appelait « de France », et qui symbolisait, mieux que le monde des politiciens, la fameuse définition de la France par Jacques Bainville : « Le peuple français est un composé. C'est mieux qu'une race. C'est une nation. »
Ce soir-là, c'était la reconnaissance du fait national ou, plus exactement, sa démonstration vitale : alors que l'individualisme semble triompher dans et par la mondialisation, que les communautarismes fleurissent comme une réaction vénéneuse aux solitudes contemporaines, que la convivialité concrète cède le pas aux amitiés numériques, que les personnalités s'effacent devant le conformisme et le « politiquement correct », le mouvement festif des foules du dimanche 15 juillet, cette grande vague qu'aucun politique et qu'aucune révolution ne peuvent désormais provoquer et orienter, marque la résilience de la nation comme élément fédérateur des peuples de France, non dans une négation de ceux-ci mais plutôt dans une sublimation dans le corps commun de la nation qui reste, qu'on le veuille ou non (même si cette volonté me semble justifiée et nécessaire) le plus vaste et le plus complet des cercles communautaires dans lequel les communautés constitutives et les personnes puissent se reconnaître sans renoncer à être eux-mêmes et à leur histoire.
Cette fête que l'on peut qualifier, au sens premier du terme, de « nationale », n'est évidemment qu'un moment, et l'équipe française de balle-au-pied n'est pas toute la France, car la France n'est pas qu'une équipe ni un simple moment : elle est une histoire, une fondation ancienne et toujours en construction, parfois en rénovation, elle est « une longue habitude de vie en commun », une « tradition critique ». Elle est le résultat d'une suite de siècles et de générations qui ne se sont pas toujours couverts de bleu-blanc-rouge, et elle est aussi, plus qu'une culture unique, une civilisation qui s'exprime sous des formes diverses et avec des accents particuliers.
N'oublions pas ce qu'est la France, et ne boudons pas notre plaisir quand, à travers ce qui peut sembler futile ou « distractionnaire », pour reprendre l'expression de Philippe Muray (et qui l'est aussi, mais qui n'est pas que cela comme je l'ai évoqué plus haut), elle retrouve, le temps d'une soirée victorieuse, le goût de la fête et le sens de la convivialité, la joie d'être une nation et de se reconnaître comme une « amitié » entre ses membres souvent fâchés les uns contre les autres en politique ou souvent en « dissociété », partagés entre « pays réel des contribuables » et « pays légal des experts » si l'on en croit certains discours ou affirmations, qu'ils soient libéraux/progressistes ou populistes/nationalistes... Cette euphorie n'aura qu'un temps, mais elle rendra le sourire à nombre de nos concitoyens, et c'est déjà cela !
Bien sûr, cet épisode aura aussi été l'occasion pour le Pouvoir politique de regagner quelques points de popularité et de profiter du grand moment de distraction sportive pour avancer quelques réformes dont l'impopularité est, elle, certaine de durer. Bien sûr, la vieille formule romaine « Du pain et des jeux » aura été une fois de plus vérifiée... Le savoir et ne pas l'oublier, et le royaliste que je suis le sait et ne l'oublie pas, n'empêche pas de profiter aussi de ce plaisir de voir flotter, aux yeux du monde et au grand dam des partisans de la désaffiliation nationale, les couleurs de la France, qu'il n'est pas interdit de conjuguer avec les lys royaux, en attendant qu'ils retrouvent leur place légitime au cœur des Français et sur les pavillons tricolores...
15:42 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : balle-au-pied, victoire, nation., sport