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04/09/2023

Quelle nécessaire politique scolaire française ?

 

Les écoliers de France rentrent ce lundi et demain mardi, après le retour des professeurs dès vendredi dernier dans la plupart des cas. Un nouveau ministre, aux ambitions politiques plus ostentatoires que le précédent, préside (mais est-ce le terme exact dans une République si « présidentielle » ?) aux destinées de l’Education nationale, et ses annonces tonitruantes et martiales, populaires dans le pays, laissent néanmoins sceptiques les enseignants. Sans doute parce que le ministre, tout à ses occupations de communication, n’évoque guère ce qui, aujourd’hui, peut être considéré comme des plus inquiétants : le déclin des connaissances générales des élèves ; leur difficulté à se concentrer et à travailler, réfléchir, écrire sur le long terme ; la concurrence des modes alternatifs de socialisation, d’éducation et d’instruction via les réseaux sociaux… La matière grise est l’une des principales richesses de notre nation et elle semble se dessécher dangereusement depuis quelques décennies, plus rapidement que nos nappes phréatiques pourtant déjà bien mal en point : c’est cela qui devrait, d’abord, inquiéter le gouvernement, ce qui n’empêche évidemment pas d’autres motifs d’inquiétude…

 

Il semble bien que la République ne s’intéresse plus que marginalement à l’école, laissant désormais (presque) ouvertement d’autres acteurs (privés et, parfois, communautaristes) se charger des fonctions d’instruction, d’éveil et de formation des intelligences. Cela, d’ailleurs, n’est pas toujours inutile ou néfaste, et je ne suis pas hostile, a priori, à une certaine séparation de l’Ecole et de l’Etat, voie ouverte à une régionalisation de l’enseignement en France, mieux adaptée aux enjeux sociaux et économiques des différents territoires de France : que les nécessités scolaires, au-delà d’un tronc commun national qu’il s’agit d’organiser principalement autour des matières scientifiques et techniques, soient diversement abordées selon l’endroit considéré serait plutôt une bonne chose, et cela existe déjà (un peu, au gré de quelques professeurs fort investis et souvent enracinés) dans la pratique, à défaut de s’inscrire dans les programmes parisiens de l’Education nationale.

 

Mais, ici et maintenant, ce qui me semble importer avant tout (dans un temps de l’urgence qui ne doit néanmoins rien céder à la précipitation toujours mauvaise conseillère), c’est, d’une part un véritable renforcement et valorisation des savoirs et connaissances des élèves, d’autre part un (ré)enracinement de ces derniers dans la nation plurielle française, à la fois pour intégrer les jeunes populations dans « l’être français » aujourd’hui négligé au profit de la mondialisation et du « consommatorisme » prônés par les féodalités financières et industrielles, et pour « faire de la force française » dans un monde de plus en plus ensauvagé et « décivilisé » : l’avenir de la France mérite ce double effort, cette double politique, surtout au moment où nombre de nations, en particulier celles des « peuples jeunes », se réveillent et se créent, parfois artificiellement ou seulement idéologiquement, une identité conquérante (et la religion retrouve là, souvent, son rôle premier d’unification des groupes humains constitués autour de quelques idées simples – voire simplistes – d’une forte attractivité dans un monde déboussolé) et parfois fort intolérante. La matière grise et l’unité française (et non l’uniformité, qui est la négation même de l’unité historique de la France et de sa pluralité) sont les deux jambes sur lesquelles l’école devrait s’appuyer pour aller de l’avant et reprendre le terrain qu’elle a pu laisser aux féodalités mondialisées ou communautaristes. La République, qui n’a comme ligne d’horizon que la prochaine élection présidentielle (« ils » ne pensent plus qu’à cela et, déjà, les médias ne parlent plus de politique que par rapport à « 2027 »…), a montré, concrètement, qu’elle n’avait ni le ressort ni la volonté et sans doute même pas les moyens de mener cette nécessaire politique scolaire dont l’ambition doit être, encore et toujours, le service de la France et des Français, pour mieux aborder le vaste monde mais aussi y porter la parole de la France, puissance qui doit retrouver sa vocation première de grande médiatrice géopolitique et de modèle de civilisation…

 

 

 

 

 

10/02/2018

La politique de M. Blanquer. Partie 1 : Quand des lycéens s'inquiètent.

Sous la neige, les pavés ? Les conditions climatiques de la semaine en cours d'achèvement ont, il est vrai, occulté nombre d'autres informations et quelques débats que, pourtant, il ne serait pas inutile d'ouvrir et de mener. Ainsi, celui sur le baccalauréat et sur les réformes en préparation, autant sur le lycée que sur l'entrée en université, en attendant ceux sur l'Université elle-même et sur le système et l'organisation de l’École au sens large du terme. Car si quelques entrées seulement de lycées ou d'amphithéâtres ont été bloquées ces jours derniers, il n'en est pas moins vrai qu'une partie des lycéens, peut-être pas si minime que cela, s'inquiète des conséquences d'un changement des « règles » du baccalauréat et d'une possible sélection à l'entrée de l'université : après tout, l'on peut entendre ces craintes sans céder à la facilité de hausser les épaules ou, au contraire, de hurler avec les loups d'une certaine extrémité politique, plus prompts à dénoncer qu'à proposer ou à fonder.

 

J'ai été longtemps étudiant et, en ces temps qui s'éloignent de plus en plus, j'ai pu observer de l'intérieur le fonctionnement de l'Université, non seulement en tant que simple auditeur mais aussi au sein de quelques Conseils (de gestion en Droit, d'administration à Rennes-2, d'UFR en département d'histoire), et il m'est arrivé de participer à nombre de débats, y compris dans des amphis surchauffés lors de mouvements estudiantins de contestation : j'en ai retiré l'impression que l'Université, petit monde passionnant et plein de contradictions, ne jouait pas forcément le rôle qui devrait être le sien, celui de « la recherche et la discussion », se contentant parfois du conformisme et de « l'émeute » dérisoire de quelques uns, brandissant le drapeau d'une révolution dont, pour la plupart, ils ne souhaitaient pas vraiment autre chose que l'apparence, bien plutôt que la réalisation... Bien sûr, il y avait des idéalistes, de vrais révolutionnaires, et nombre de jeunes, au moins pour quelques années, s'engageaient de bon cœur et de bonne foi (et ce dernier terme n'est pas de trop) dans des causes qui, parfois, peuvent faire sourire aujourd'hui. Il y eut des espérances certaines et le film-témoignage « Mourir à trente ans » nous le rappelle utilement, à travers l'histoire de Michel Recanati, ce militant d'une extrême-gauche qui voulait « faire la révolution » et, au-delà, la « vivre », passionnément. Je ne m'en moque pas, et je les prends même au sérieux, les ayant beaucoup combattues mais me reconnaissant une certaine nostalgie de ces confrontations de jeunesse...

 

Mais il y avait, et il y a toujours, beaucoup de naïveté chez les manifestants étudiants et de sournoiserie chez ceux qui, disons-le crûment, les manipulaient sans vergogne pour consolider leur propre carrière politique. Une naïveté qui ne peut tout excuser, néanmoins, et en particulier une certaine paresse intellectuelle pour nombre de ceux qui criaient fort dans les rues tout en se contentant de quelques arguments souvent trop peu réfléchis pour être crédibles, mais néanmoins écoutés parce que déclamés par une « jeunesse » dont tous les gouvernements (surtout de Droite, d'ailleurs), depuis les années 1970, craignent la « révolte ».

 

Qu'en est-il aujourd'hui ? Les projets encore incertains du gouvernement (tous les arbitrages ne semblent pas être encore rendus en haut lieu) sont-ils les marques d'une politique « réactionnaire » (« maurrassienne » peut-être, puisque c'est l'épouvantail du moment...) et de la nostalgie d'une « école du temps jadis » dans laquelle régnaient, dit-on, l'autorité et le mérite, forcément républicains, façon (Jules) Ferry ? Je n'en suis pas totalement sûr : s'il y a des velléités de remise en ordre de l’École qui peuvent m'être sympathiques, je crains que l'approche purement comptable de Bercy ne les remette rapidement en cause, au risque d'en ruiner tout le sens et la portée et, a contrario, de favoriser une logique libérale peu compatible avec la promotion d'une justice sociale scolaire pourtant éminemment nécessaire. Or, la politique de M. Blanquer, ministre de l'Education nationale, appelle des investissements financiers non négligeables et une confiance renouvelée des personnels éducatifs pour pouvoir réussir : sans l'une ou l'autre de ces conditions, il est à craindre que rien de bon ne pourra se faire et, surtout, s'inscrire dans la durée, cette dernière toujours nécessaire à toute politique digne de ce nom.

 

Pour l'heure, l'idée d'une « sélection » (1) à l'entrée de l'Université ne me semble pas choquante en soi, et elle est toujours préférable à l'injuste égalité du tirage au sort ! Si le mot de sélection a mauvaise presse près de quelques lycéens de Terminale, c'est sans doute parce que certains (2) en donnent un sens trop restrictif et purement « éliminatoire » quand elle doit se penser plutôt comme une juste orientation, l'ouverture vers des voies possibles plutôt que l'engagement en des impasses. Qu'y a-t-il de scandaleux à considérer que tout le monde ne peut pas être médecin ou professeur, et que les souhaits d'un lycéen doivent parfois être, sinon contrariés, du moins raisonnés en fonction de ses compétences et aptitudes, mais aussi de son investissement dans le travail et dans la réflexion ?

 

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

Notes : (1) : Le mot de « sélection » n'a pas, à ma connaissance, était prononcé par le ministre dont l'intention, néanmoins, est transparente et, sur ce point, tout à fait, louable.

 

(2) : Quelques syndicats, aussi bien d'usagers de l’École que de personnels de celle-ci, s'insurgent contre une sélection qu'ils définissent, à tort ou malhonnêtement, comme une forme de discrimination : abus de langage évident, et impossibilité à penser le processus d'éducation autrement qu'à travers une grille de lecture idéologique qui fait de l'éducation une matrice de l'égalité obligatoire, y compris par le discrédit de l'excellence, inégalitaire par essence...

 

 

 

24/07/2017

La question scolaire en France. Partie 1 : L'égalité des chances, un leurre contemporain.

Lors des émeutes de l'automne 2005, j'avais proposé au proviseur du lycée Hoche de Versailles d'échanger pour les mois suivants quelques heures de mon service avec des collègues de mon ancien collège des Mureaux, en zone défavorisée, pour soulager un peu ceux-ci et leur montrer un autre visage de l'enseignement tandis que j'espérais que mon expérience passée de « professeur de ZEP » (neuf ans au collège Jean-Vilar des Mureaux) servirait à dénouer temporairement quelques soucis. C'était aussi un moyen d'affirmer une solidarité active, tant avec les professeurs et les administrations des établissements considérés comme « difficiles » qu'avec des élèves souvent persuadés que la France les a rejetés parce qu'ils étaient nés là ou au loin, et qui se sentent, pas totalement à tort, marginalisés par l’Éducation nationale, plus injuste encore qu'inégalitaire...

 

Si l'idée d'un tel échange a tout de suite plu aux autorités du lycée et à quelques enseignants des deux établissements éloignés d'une poignée de kilomètres, le rectorat et l'inspection académique m'ont tout de suite fait savoir, oralement et assez sèchement, qu'une telle initiative était impossible, non seulement à mettre en place, mais aussi à proposer ! Les textes étaient clairs, les consignes étaient strictes : il m'a été ainsi répondu que si je voulais donner des heures de cours aux Mureaux, il fallait demander ma mutation là-bas, ce qui n'était pas mon intention puisque je ne souhaitais y donner que quelques heures (j'avais proposé six heures, soit un tiers de mon service), et que c'était la même perspective pour les quelques collègues du lycée qui avaient accepté de me suivre dans ce projet malheureusement administrativement et légalement impossible. Ainsi m'apparaissaient encore plus nettement l'un des nombreux blocages de l’Éducation nationale et la froide logique d'un système à la fois jacobin et kafkaïen, apparemment incapable de cette nécessaire souplesse qui, pourtant, pourrait résoudre moult problèmes sans défaire l'ensemble. J'en ai conçu une amertume et une colère encore plus fortes que d'ordinaire, et l'hypocrisie d'un système qui ne cesse de parler de justice sociale, d'égalité des chances ou de bien-être scolaire pour éviter d'avoir à les pratiquer, m'a poussé à reprendre, pour ce qui était de cette École-là, deux formules, l'une d'origine familiale, l'autre d'origine plus politique : « L’Éducation nationale, c'est « grands principes, petite vertu » » et « Delenda Schola » (« Il faut détruire l’École », si l'on en suit le sens général, en tant qu'institution centralisée, une proposition du royaliste Pierre Debray, jadis étalée en couverture du mensuel monarchiste Je Suis Français...). Bien sûr, ces formules un peu abruptes nécessitent explication et nuance, mais elles méritent tout autant attention et réflexion et, au-delà, fortes propositions !

 

Contrairement aux belles pages de l'éducation civique et morale qui emplissent les manuels de cette matière plus justificatrice du « Système » en place que de la réflexion libre et argumentée, l’École ne garantit, malheureusement, aucune des promesses qu'elle continue de vanter année après année, échec après échec. Cela serait sans doute pire si elle n'existait pas, mais certains de mes collègues en sont de moins en moins sûrs, preuve d'une perte de confiance indéniable et, peut-être, d'un fatalisme qui ne cesse de s'étendre ces dernières décennies, au détriment de l'esprit d'initiative et de justice réelle.

 

Ainsi, l'égalité des chances (qui ne doit en aucun cas être confondue avec l'égalitarisme qui en est, en réalité, la négation) est devenue un leurre : selon que vous serez scolarisé dans un collège de banlieue défavorisée ou dans un établissement de centre-ville plus huppé, les conditions d'étude ne seront évidemment pas les mêmes et les motivations des enseignants, comme leur travail, ne seront pas semblables. Cela a d'ailleurs toujours été le cas, au moins contextuellement parlant, mais il y avait jadis l'idée que les moyens mis en œuvre par les autorités scolaires pour les écoles dites publiques permettaient un certain rééquilibrage et une forme d'équité scolaires, et aucune zone éducative ne semblait « abandonnée », ne serait-ce aussi que parce que la motivation des « hussards noirs de la République » était de type missionnaire comme celle des religieux qui tenaient les écoles privées avant que la République ne leur fasse une guerre qui, en certains lieux, n'est pas totalement achevée... Aujourd'hui, les enseignants nommés dans les établissements de ZEP ne pensent, à quelques exceptions près, qu'à en partir, malgré des dispositions financières parfois avantageuses. Souvent, ce ne sont pas les élèves en eux-mêmes qui découragent les collègues, mais c'est bien plutôt l'impression d'impuissance devant une situation de plus en plus compliquée qui motive le départ des professeurs vers d'autres zones moins conflictuelles : l'usure des bonnes volontés est une triste réalité qui ne trouve pas de réponse ni de réconfort dans les politiques des rectorats et du ministère central...

 

 

 

 

 

(à suivre)