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20/03/2012

Face au crime, sauver la raison politique.

Comme à chaque fois qu’il y a une catastrophe ou un attentat, il y eut, dans la société comme dans mon for intérieur, un moment de sidération...

 

Les mêmes images qui tournent en boucle, les témoignages plus ou moins directs, les yeux qui se voilent...

 

C’est aussi l’impossibilité alors de parler, de réfléchir, de « penser l’événement »...

 

Cela dure quelques instants, quelques heures : l’émotion domine, elle envahit tout l’espace médiatique, tout le champ social. L’Etat s’en mêle, le Président est dans son rôle ; il parle, grave et souverain : il est, à ce moment-là, la voix que l’on veut entendre, qui rassure, qui apprivoise et surplombe l’instant. Il est l’Etat.

 

Au-delà du drame qui est épouvantable en lui-même et qui nous choque d’autant plus que ce sont des enfants qui en sont les victimes principales, « innocentes », rajoutons-nous souvent comme pour nous rassurer, en oubliant que, dans les guerres ou pour les terroristes, « il n’y a pas de victimes innocentes » selon le triste et révélateur mot de Carlos ; au-delà des tentatives pour cerner la psychologie du tueur, ses motivations et ses projets inquiétants ; au-delà des déclarations martiales et des suspensions de campagne qui sont, peut-être, un signal maladroit envoyé aux extrémistes de causes qui ne peuvent être les nôtres, peut-on désormais penser plus avant la séquence qui vient de s’ouvrir et qui se déroule en ce moment sans savoir exactement quand elle prendra fin ou s’effacera devant la prochaine ?

 

Il me semble que nous vivons de plus en plus dans une « démocratie émotionnelle » qui, en fait, a pour effet de désarmer le politique au sens fort du terme tandis qu’elle conforte les préjugés et installe une forme assez déplaisante de « politiquement correct » qui remplace toute réflexion et qui est surtout une « négation du politique » et de ses fondements : dans ce cas, l’émotion, par ailleurs tout à fait légitime, a tendance à recouvrir la raison, et non à la recouvrer...

 

De plus, en amplifiant le drame par la mobilisation médiatique et institutionnelle, n’a-t-on pas accordé une victoire au tueur ? Victoire pour son ego, s’il s’agit d’un « loup solitaire » animé de quelque délire paranoïaque, en constatant qu’il inquiète, à lui seul, tout le pays ; victoire médiatique pour sa cause, s’il s’avère qu’il en sert une, dont nous ne savons rien pour l’heure ; victoire pour la peur qui, souvent, n’est pas la meilleure conseillère des peuples et des nations...

 

Je ne sais quel est le profil de ce tueur et j’éviterai de faire des « pronostics » sur le moment de sa chute ou de son prochain forfait, comme je l’entends trop souvent faire dans la rue et dans les médias avec cette espèce de gourmandise malsaine qui n’est guère plaisante et me semble insultante pour la mémoire de ceux qui ont été, déjà, ses victimes...

 

En tout cas, il n’est pas bon de laisser croire à cet assassin ou à ses possibles zélateurs ou imitateurs que ce sont ses actes barbares qui fixent le calendrier politique ou les thèmes de campagne qui peuvent, ou non, être discutés ! Là encore, l’émotion légitime ne doit pas être le gouvernail de l’action et des institutions politiques, au risque de ne plus être maître de son propre destin et de la direction de l’Etat.

 

La minute de silence de ce mardi matin était un hommage fort et plutôt consensuel, et qui faisait sens, du fait du caractère scolaire des victimes, enfants et adulte, et de la provocation à l’égard de toute la Communauté française frappée à travers l’une de ses composantes : « Qui touche ma famille me blesse », pourrait-on dire pour signifier cette naturelle (et si éminemment politique) solidarité nationale française.

 

Mais cet acte sanglant de lundi (qui semble n’être que la sinistre suite des meurtres de militaires de la semaine dernière) ne doit pas devenir l’alibi facile pour éviter de discuter des conditions et des formulations du « vivre ensemble » français, ou pour imposer une fermeture de l’espace public à des courants politiques qui, pour critiquables qu’ils soient, doivent pouvoir s’exprimer et pouvoir être critiqués sans être forcément ostracisés.

 

Il faut souhaiter que les férocités d’un tueur qui n’est peut-être pas si fou que cela (ce qui fait qu’il n’en est que plus dangereux et difficile à combattre…) ne nous fassent pas perdre la raison politique qui est un bien précieux, souvent mal apprécié par des hommes politiques qui, en ces temps d’élections, en appellent souvent plus aux passions qu’à la recherche de la vérité…