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02/01/2010

De Mao à Maurras ? (partie 2)

« Mao ou Maurras ? » : cette interrogation, ce dilemme pourrait-on dire, donna lieu au début des années 70 à un livre-débat entre le maoïste Philippe Hamel et le royaliste Patrice Sicard, et l’on pouvait alors constater que, au-delà des oppositions visibles et des bagarres de rue (ou plutôt de campus…) entre étudiants d’AF et jeunes maos, le débat était effectivement possible et que quelques similitudes entre les diagnostics et les espérances des uns et des autres se faisaient jour… Il y eut d’ailleurs, dans ce même temps, des passages d’un camp à l’autre, et, quelques années après, des « retours » à la « maison mère » pour ceux qui avaient, un temps, préféré la lecture du « petit livre rouge » à « l’enquête sur la monarchie » : Jean Birnbaum, dans son livre « Les maoccidents », évoque le cas de Guy Lardreau qui, en 1961, demandait à ses camarades de lycée d’arborer une cravate noire à la date anniversaire de la mort de Louis XVI avant de devenir un des plus virulents militants maoïstes de la « Gauche Prolétarienne »…

 

C’est la rencontre avec le philosophe Maurice Clavel, catholique fervent et, selon Birnbaum, « ancien maurrassien et désormais ange gardien des maoïstes », qui semble déterminante pour expliquer l’évolution ou le retour (pour Lardreau, par exemple) vers Maurras et la « Contre-révolution » : « Jugeant que les uns et les autres étaient porteurs d’un même élan, il avait présenté les naufragés de la Gauche prolétarienne, qu’il qualifiait de « Chouans », à quelques jeunes royalistes qui lui apparaissaient comme des « gauchistes de droite ». ». Il est vrai que le refus de la société de consommation et de l’individualisme pouvait rapprocher les partisans de Mao et ceux du royalisme, encore fortement marqués par la figure tutélaire de Maurras, celui-là même qui avait fourni aux monarchistes du XXe siècle une véritable doctrine et fondé une école de pensée qui se voulait l’héritière critique et moderne des Joseph de Maistre et Louis de Bonald.

 

Maurice Clavel, célèbre pour son fameux cri « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » un soir de débat télévisuel, avait entamé, dès les années 60, un débat prometteur avec Pierre Boutang, « fils spirituel » (mais « dissident » ou « prodigue », selon les interprétations) de Maurras, débat qu’il avait poursuivi avec les jeunes monarchistes « post-maurrassiens » de la Nouvelle Action Française dans les années 70. C’est ce même Clavel qui demandait aux maoïstes de ne pas négliger l’œuvre de Maurras et qui leur conseillait de rencontrer Boutang !

 

Les conseils de Clavel ont sans doute permis de lancer des ponts entre Mao et Maurras, au point de voir certains anciens maoïstes regretter la place si minime laissée à ce dernier dans la réflexion contemporaine : ainsi, Christian Jambet, aujourd’hui spécialiste reconnu de l’islam, et le philosophe Jean-Claude Milner… Sans doute est-ce le fait que Maurras remette en cause les fondements mêmes de la société issue de la Révolution de 1789, son « droit-de-l’hommisme » négateur des diversités provinciales ou communautaires, la « mort du Père » qu’elle entraîne (concrétisée politiquement par l’exécution du roi en janvier 1793), etc. qui attire des maoïstes qui n’avaient épousé la cause de Mao que par la volonté de rompre avec une société figée dans son individualisme consumériste, oublieuse de l’histoire de ceux qui l’avaient précédée et devenue ce monde marchand où la pensée devient un « détail » presque superflu, ce monde « a-révolutionnaire » qui singe la révolution pour mieux la stériliser

 

Pierre Chaunu disait que Maurras en finissait, par sa doctrine et la pratique de sa polémique, avec les « salamalecs » à l’égard de « 1789 » et de la « politique de la table rase », et qu’il rompait  avec les fondements mêmes du « grand déclassement » : c’est sans doute cette rupture-là qui a pu attirer des maoïstes désireux de rompre, eux aussi, avec « L’Occident des Lumières » : « La cible ultime s’appelle Occident moderne. A cet Occident-là, issu des Lumières, qui prétend débarrasser l’individu des contraintes de la tradition, ils en opposent un autre, respectueux de son héritage, et qui affirme le primat de la communauté culturelle. Etre d’Occident, ici, ce n’est pas appartenir à une même ethnie, encore moins à une même « race », c’est partager des symboles, incarner une langue, reconnaître les événements spirituels par quoi cette civilisation s’est construite : miracle grec, droit romain, éthique biblique, révolution chrétienne, voire pensée libérale. (…)

C’est donc admettre qu’on n’échappe pas à son héritage, accepter la toute-puissance de l’origine, l’absolue suprématie du naître : « Notre société natale nous est imposée. […] Nous avons seulement la faculté de l’accepter, de nous révolter contre elle, peut-être de la fuir sans pouvoir nous en passer essentiellement », écrivait Maurras. « Vous aurez beau devenir sociologue, révolutionnaire, Juif réformé, vous ne changerez rien à ce fait foncier, fondamental, initialement et destinalement : vous êtes nés, du début jusqu’à la fin », prévenait de son côté Benny Lévy, dont les textes sont maintenant lus avec une bienveillante attention par certains héritiers de l’Action française, et en particulier par les élèves de Pierre Boutang. »

 

 

(à suivre)

 

 

29/12/2009

De Mao à Maurras ? (partie 1)

En 1975, quelque part dans Paris, un événement politique plutôt insolite eut lieu qui devait marquer les esprits de quelques uns de ses participants : une réunion publique favorable à l’indépendance nationale du pays fédéra gaullistes de gauche, royalistes néomaurrassiens de la Nouvelle Action Française et… maoïstes ! Cette rencontre n’eut pas de lendemain, mais elle avait aussi donné lieu à des retrouvailles entre des militants de la NAF et certains ex-monarchistes passés chez les « Chinois » comme on appelait parfois les « maos » : ainsi, l’animateur de la feuille « Lys rouge » des années 70-71, Christian M., qui, de la monarchie populaire et de la révolution royaliste avait abouti à la révolution prolétarienne et au culte du président Mao, côtoyait-il à nouveau, un peu confus, ses anciens camarades fleurdelysés…

 

Aujourd’hui, à part Alain Badiou, les maoïstes ont disparu, au moins politiquement, mais leurs parcours personnels continuent de passionner chercheurs et curieux de la chose politique. Ainsi est-ce le thème d’un petit livre fort intéressant écrit par Jean Birnbaum et intitulé « les Maoccidents » : il est d’autant plus intéressant qu’il évoque à maintes reprises les royalistes et surtout la figure majeure de l’Action Française, Charles Maurras ! Gérard Leclerc y a d’ailleurs déjà consacré deux articles dans « Royaliste », le bimensuel de la Nouvelle Action Royaliste, héritière critique de la Nouvelle Action Française. Et il faut bien constater que le véritable titre aurait pu être « Vers Israël et Maurras, le chemin de paradis des maoïstes français »…

 

Le parcours de Benny Lévy, dirigeant charismatique de la Gauche Prolétarienne (« le » mouvement maoïste des intellectuels des années 70), est bien connu : devenu secrétaire de Sartre, il va bientôt devenir un des plus grands penseurs contemporains (sinon le plus grand) du judaïsme. La redécouverte de l’héritage juif, de sa richesse, de sa profondeur, marque une rupture avec ce maoïsme propalestinien des débuts qui s’est figé d’horreur avec la tragédie des Jeux olympiques de Munich, en 1972, qui entraîne la mort de plusieurs athlètes israéliens. Elle marque un retour à la Tradition et aux racines d’un peuple, de nature à la fois religieuses et historiques : n’est-ce pas là, toutes proportions gardées, un parcours que Maurras a, lui aussi, entrepris, comme nombre de ses disciples, au point de faire écrire à André Malraux : « Aller de l’anarchie à l’ « Action française » n’est pas se contredire, mais se construire. » ?

 

 

(à suivre)