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15/10/2020

Quand la mondialisation numérique menace les télétravailleurs français.

 

« La mondialisation est un fait, elle n’est pas forcément un bienfait », ai-je pris l’habitude de dire depuis quelques années, et ce n’est pas l’article publié mardi par le quotidien L’Opinion qui va me rassurer ou me démentir sur ce point : son titre, en lui-même, annonce bien la suite : « Télétravail : pyjamas délocalisables ». Car la Covid 19, en imposant le confinement (mais ne sont-ce pas plutôt les gouvernements qui ont joué cette carte, faute d’autre stratégie sanitaire et médicale dans nombre de pays ?), a changé les formes les plus marquantes de la mondialisation sans la remettre en question, contrairement à ce que certains espéraient ou prédisaient. Quand Michel Houellebecq annonçait un monde d’après qui serait juste « le même, en un peu pire », avait-il tort ? Nous l’espérions, nous en rêvions, même, mais il semble bien que le « sire triste »de la littérature française ait vu plutôt juste, même si les jeux ne sont pas totalement faits ni défaits.

 

Ce que Maxime Sbaihi (l’auteur de l’article) écrit a le mérite de la clarté, rompant avec un certain irénisme mondialiste aujourd’hui plus discret mais toujours actif, au moins dans les hauteurs des sociétés mondialisées, et il nous montre comment la mondialisation, désormais moins « aéroportée » que numérique, a changé, non de paradigme mais de forme et de vecteur dominants : exit les grands voyages physiques, du moins pour l’instant, et voici le virtuel qui « délocalise » et « dépayse » plus sûrement, au risque de déstabiliser un peu plus nos propres sociétés et leurs réalités sociales comme… physiques ! L’écran remplace la présence réelle, le clic la poignée de main, la connexion la transmission (au sens fort du terme, enracinée et intergénérationnelle). Du coup, tout devient possible, y compris « le pire » pour les cadres en France et dans les pays occidentaux : ainsi, dans ce cadre du télétravail, « la mondialisation pourrait (…) devenir une menace nouvelle et bien réelle pour les cols blancs des cadres et professions intellectuelles supérieures. (…) Beaucoup d’entreprises forcées de jouer le jeu du télétravail ont rapidement réalisé qu’elles pouvaient opérer, parfois mieux, sans présence physique au bureau. Or qu’est-ce que le télétravail sinon une première forme de délocalisation ? » Quand il suffit d’un ordinateur pour remplir certaines fonctions et que le bureau fixe devient inutile, pourquoi, pour les entreprises en recherche d’économies et de meilleurs profits (souvent maquillés sous le terme de « compétitivité », en fait), conserver des salariés coûteux en France quand le même service peut être assuré ailleurs à moindre frais et sans risque de contestation sociale ? Ainsi, « en actant le divorce entre activité et bureau, le télétravail ne risque-t-il pas d’étendre leur séparation géographique au-delà des frontières ? Dans The Globotics Upheaval, paru en 2019, Richard Baldwin met en garde contre une « armée mondiale de télémigrants » vouée à concurrencer les emplois qualifiés occidentaux. » La mondialisation numérique qui s’accélère au fil de l’épidémie peut effectivement nous inquiéter sur ce point comme sur d’autres, avec ce risque d’appauvrir un peu plus les classes moyennes françaises sans profiter intégralement aux salariés de l’autre bout du monde, mais bien plutôt en priorité aux transnationales et à leurs actionnaires, peu regardants sur les moyens de valoriser leurs avoirs : « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse »…

 

Nous ne pouvons en être étonnés, la mondialisation considérant le monde comme un « seul village », aujourd’hui couvert d’écrans et peuplé d’individus interchangeables et d’opinions téléchargeables ! Cette réduction des personnes à de simples agents économiques, « producteurs-consommateurs », dont le pouvoir d’achat potentiel déterminerait la valeur et le poids en cette mondialisation-là, est évidemment une « dépersonnalisation » inquiétante des habitants de notre planète plurielle et une « déshumanisation » qui explique sans doute les dérives transhumanistes contemporaines, au moins annoncées par Huxley dans « Le meilleur des mondes », ce livre désormais considéré comme « réactionnaire » par les nouvelles pythies de la bien-pensance… Et, si les personnes ne sont plus que des individus « à valeur économique mesurable », pourquoi ne pas chercher ceux qui coûtent le moins pour rapporter le plus ? La logique des « avantages comparatifs » est trop souvent mortifère pour nos salariés nationaux, comme elle l’est pour les productions françaises, forcément plus chères que celles de pays dits « en développement » (ce processus théorisé par Rostow et Truman comme le mode d’accès privilégié et obligatoire à la société de consommation et de loisirs « idéale »), simplement parce que, au-delà des charges fiscales trop lourdes, les lois sociales françaises préservent mieux les intérêts des travailleurs que dans nombre de pays émergents… C’est d’ailleurs cet « amortisseur social » français qui a, sans doute, évité l’effondrement social des classes productives sans, pour autant, réussir à empêcher le désœuvrement organisé d’une part non négligeable de celles-ci, condamnées au chômage par la désindustrialisation, fille naturelle de la mondialisation libérale...

 

Or, justement et de façon forcément inquiétante, « en banalisant le télétravail, le virus a peut-être donné le coup de fouet que la mondialisation numérique attendait pour redistribuer les cartes des emplois qualifiés. Les écrans effacent les distances et mettent en concurrence les compétences avec les coûts salariaux. La fameuse « troisième ligne » d’Emmanuel Macron, celle qui a pu continuer à travailler en pyjama à la maison, risque cette fois de se retrouver en première ligne ». Et, comme le souligne l’auteur, « les consultants, experts-comptables et responsables commerciaux peuvent se faire du souci » ! Mais ce constat qui semble rude peut aussi permettre une prise de conscience et une stratégie française, dont l’État aurait tout intérêt à se faire le promoteur, fondée sur une véritable valorisation de la matière grise, « nos vraies mines d’or du Pérou », pour paraphraser Sully. Pour cela, il peut paraître nécessaire d’alléger, au moins temporairement, les charges des entreprises françaises ou investissant en France, mais aussi et surtout d’améliorer les capacités de nos universités, grandes écoles, centres de recherche (publics comme privés), pour former les cadres de demain, ceux qui, derrière leur écran, auront de bonnes raisons de rester attachés à la France et qui pourront, par leurs qualités et savoir-faire d’excellence, empêcher les transnationales de céder à la tentation de la « délocalisation des pyjamas ».

 

Bien sûr, cela nécessite des efforts et de la rigueur (et une vision à long terme de l’État, fut-il républicain et en attendant mieux, c’est-à-dire royal), mais, en ces temps particuliers, il n’est pas inutile de faire confiance à ce « cher et vieux pays » qui, par le passé, a montré bien des ressources de motivation et de fierté pour assurer sa liberté de parole et d’action. Qu’il puisse sembler endormi en cet automne covidien ne doit pas nous empêcher de penser qu’il est capable d’un beau et grand réveil, celui qu’espérait Bernanos et qu’envisageait de Gaulle !

 

 

 

 

06/03/2008

Matière grise.

L’actuel débat sur les paradis fiscaux et sur ces sommes d’argent qui échapperaient ainsi au fisc français me semble être un leurre et l’arbre qui cache la forêt. Bien sûr, je suis choqué que des citoyens français, qui profitent de cette citoyenneté qui est la leur de droit, préfèrent placer leurs sous à l’étranger plutôt que d’en faire profiter, par le système de la solidarité et de l’impôt, notre pays. Je veux bien croire que les charges fiscales qui reposent sur certains d’entre eux soient lourdes et dissuasives mais pas au point de déserter notre nation, me semble-t-il, même si certains ont l’impression de ne plus travailler que pour le fisc…

 

Dans le cas du placement de fonds de riches contribuables dans les banques du Liechtenstein, cela aurait coûté à notre pays 1 milliard d’euros ces dernières années : ce n’est pas négligeable mais ce n’est pas non plus si considérable que cela, en particulier au regard des exploits du jeune Jérôme Kerviel… Et surtout, c’est une paille par rapport à ce que perd la France chaque année en « matière grise », notre principale richesse !

 

Je m’explique : dans nos grandes écoles sont formés chaque année des centaines de milliers de jeunes gens qui, leurs études terminées (études payées par leurs parents pour partie mais surtout par la nation pour la partie la plus importante, depuis la maternelle à la sortie des écoles susnommées), s’en vont, pour presque la moitié, dans des pays étrangers ou des entreprises multinationales états-uniennes (par exemple) : en a-t-on calculé le coût pour notre pays et ses caisses ? En a-t-on mesuré les conséquences et les pertes de revenus que cela entraîne ? Ce n’est pas un « misérable » milliard mais bien des centaines de milliards d’euros annuels qui sont ainsi perdus pour notre pays ! La « fuite des cerveaux », voilà la « vraie crise » !

 

Personnellement, je ne pense pas qu’il faille incriminer particulièrement ces jeunes qui sont recrutés pour leurs qualités et leurs compétences et parmi lesquels je compte nombre d’anciens élèves dont je suis content de voir la réussite. J’en veux beaucoup plus à un système qui se contente d’ « habitudes » et de faux-semblants, et préfère la routine à l’audace, au risque de faire fuir (ce qui se passe en définitive) de nombreuses jeunes intelligences vers des pays plus accueillants qui promettent des carrières plus profitables. Ainsi, notre administration parfois kafkaïenne, notre « fonctionnarisme » facile, notre fiscalité peu incitative pour qui veut « créer » en France, etc., tout cela dissuade parfois ceux qui veulent « respirer » au grand air de l’aventure industrielle ou technologique.

 

Et puis, il y a cette absence récurrente d’audace pour des projets trop novateurs ou trop « fous » qui fait perdre à notre pays des occasions extraordinaires dont d’autres, plus malins, profiteront : le dernier exemple emblématique c’est celui de la voiture à air comprimé, mise au point par un Français, en France, qui n’a trouvé aucun interlocuteur industriel dans notre pays (Renault et PSA aux abonnés absents…) et  qui, du coup, a signé un contrat avec le géant indien Tata pour la production de plusieurs milliers de véhicules utilisant cette technique qui est, peut-être, celle de demain…

 

Ce qui manque en France, ce n’est pas la matière grise, c’est une volonté politique qui sache, comme à l’époque de Colbert ou du président de Gaulle, utiliser intelligemment ses ressources dans le cadre d’un grand projet national : or, on a l’impression que les gouvernements de la République préfèrent, aujourd’hui, s’en remettre totalement à « l’Europe » ou au « Marché » pour faire ce qu’ils n’ont visiblement plus l’envie ni la force de faire.

 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la réponse n’est pas seulement économique, elle est d’abord et éminemment politique : « faîtes-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Louis sous la Monarchie restaurée du XIXème siècle ; en cela, il n’avait pas tort et sa formule reste d’une étonnante actualité.