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11/08/2014

La France face à la tragédie des minorités en Irak.

Depuis le mois de juin, la République commémore, non sans quelques bonnes raisons, des événements guerriers, du débarquement allié en Normandie de juin 1944 à la déclaration de guerre d’août 1914 en passant par l’assassinat de Jaurès à Paris le 31 juillet d’il y a un siècle, et c’est l’occasion pour le président Hollande d’en appeler au devoir de mémoire, à la paix éternelle et aux grands principes démocratiques, parfois sans beaucoup de respect pour l’histoire elle-même, beaucoup plus complexe que ne le laissent supposer les discours officiels. Il n’est pas inutile de se rappeler l’histoire mais cela ne doit pas être dans le même temps l’alibi ou la couverture pour ne rien voir ou ne rien faire au présent : l’histoire n’est pas un champ de ruines ou de gloire, elle est aussi ce vaste champ d’expériences qui devraient nous inciter à la prudence ou, au contraire, à l’audace ; elle est ce livre des hommes et de leurs combats, de leurs passions et de leurs injustices, du pire comme du meilleur ; elle est aussi cette vie des espaces politiques, des sociétés et des hommes qui les composent, cette vie qui peut s’avérer mortelle pour les uns comme pour les autres… L’histoire est cruelle et elle se joue souvent des bons sentiments et de la justice !

 

Au début des années 1990, certains néoconservateurs états-uniens annonçaient la fin de l’histoire : après la chute du communisme, le monde, pris dans le grand mouvement d’une globalisation désormais sans limites, accédait au stade final de son évolution qui ne pouvait être que la démocratie sur le modèle anglosaxon, les Droits de l’homme étendus à la planète bientôt « une et indivisible » et le libre-marché obligatoire avec son corollaire, le libéralisme mâtiné d’un esprit libertaire et consumériste dans lequel on pouvait « jouir sans entraves »… Le 11 septembre 2001 mit un terme à cette illusion millénariste, et pourrait être évoqué comme la naissance d’une guerre de cent ans, même s’il me semble que c’est l’invasion occidentale de l’Irak baassiste de 2003 (alors refusée avec panache par la France de MM. Chirac et Villepin, dans une posture capétienne et gaullienne…) qui ouvre véritablement une boîte de Pandore apparemment impossible à refermer aujourd’hui.

 

L’invasion menée par les Etats-Unis de M. Bush et ses alliés au début de 2003 a détruit une dictature laïque qui, malgré ses aspects terribles (la politique de terreur à l’égard des opposants politiques et des Kurdes indépendantistes) et ses injustices flagrantes, avait au moins le mérite de maintenir une certaine paix civile entre des communautés fort différentes (musulmanes sunnites et chiites, chrétiennes, etc.), obligées de s’entendre dans le cadre politique d’un nationalisme d’Etat qui sublimait les différences en un seul corps national. La logique démocratique a permis aux diverses communautés d’exercer une forme de « principes des nationalités » qui s’avère destructrice de la nature de l’Etat, le « vote ethno-religieux » prenant le pas sur le « vote politique » et assurant la « revanche » de la majorité chiite sur la minorité sunnite, provoquant en retour une radicalisation extra-électorale des perdants, celle-là même qui va favoriser, aujourd’hui, le ralliement d’une part importante de la population sunnite locale à l’Etat islamique nouveau qui se proclame califat… Dans cette affaire, les Etats-Unis ont commis les mêmes erreurs qu’en 1917-1919 en Europe, au nom des mêmes principes que la Révolution française et ses années républicaines comme impériales avaient mis en avant… avec les mêmes et sanglants résultats, comme sur notre continent quelques années seulement après les traités de paix de Versailles et des environs ! L’histoire oubliée ou négligée se venge durement de ceux qui ont cru pouvoir la modeler ou la contourner sans la respecter ou, du moins, l’écouter et en tirer les leçons…

 

Mais le drame des minorités chrétiennes, des yézidis ou des Chabaks en Irak ne doit pas être regardé de loin, avec quelques larmes de crocodile versées par ceux-là mêmes qui sont responsables de cette situation tragique, ou avec la bonne conscience de « ceux qui savent mais ne font rien pour ne pas aggraver les choses »… : au-delà de la bienvenue aide alimentaire et de l’accueil des plus faibles, la France peut agir aussi par une aide militaire appropriée qu’elle apporterait aux combattants kurdes et aux chrétiens désireux de protéger leurs terres et leurs familles, mais surtout en armant et entraînant les armées libanaise et jordanienne avant que les choses n’empirent et que les « califistes » ne déstabilisent toute la région par leurs violences et leurs offensives. Encore faudrait-il que la France ait une stratégie claire et sur le long terme, et une véritable politique étrangère qui ne soit pas dépendante des seuls choix états-uniens ou « européens » (l’Union européenne, d’ailleurs, brillant par son absence totale d’engagement sur ces questions orientales alors même que le Califat compte de nombreux combattants venant de celle-ci et, donc, « de citoyenneté européenne »…) : mais, au regard des hésitations et des revirements fréquents de la diplomatie hexagonale ces dernières années, on peut s’inquiéter de l’actualité tragique de la formule d’Anatole France qui, il y a un siècle déjà, expliquait en quelques mots que la République, par principe, n’avait pas et, surtout, ne pouvait pas avoir de politique étrangère digne de ce nom et inscrite dans la durée et dans l’histoire…

 

Sans doute serait-il utile d’engager quelques Rafales dans la bataille pour desserrer l’étreinte des troupes du Califat et protéger les minorités persécutées désormais réfugiées dans les montagnes du Sinjar ou dans la capitale du Kurdistan irakien : après tout, M. Hollande n’a pas hésité à lancer les troupes françaises contre les islamistes au Mali ou en Centrafrique, ce qui a évité au premier de ces pays et à ses voisins de connaître le sort que connaît aujourd’hui l’Irak ! De plus, la France, dans son histoire, a toujours été la protectrice des chrétiens d’Orient : en cette période de commémorations, comment pourrait-elle l’oublier ?

 

Pour l’heure, la France apparaît bien timide dans sa réaction à ce que de nombreux observateurs signalent comme un génocide des minorités chrétiennes, yézides, chabakes ou chiites turcomanes, et à la disparition programmée, après deux millénaires d’existence, de la présence et du patrimoine chrétiens, destinés à finir en gravats et cadavres par les califistes. Sans doute faut-il y voir aussi une des conséquences du « désarmement français » initié il y a déjà quelques années pour des raisons budgétaires mais aussi au nom de principes généreux mais bien imprudents, des raisons et des principes qui risquent bien, si l’on y prend garde, de mener à de nouveaux « Mai 1940 »…