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22/09/2008

Garde à vue.

Un prof s’est suicidé, la semaine dernière, après une garde à vue sans doute injustifiée, non par son motif (sur lequel je ne me prononce pas, faute de savoir la vérité) mais sur sa forme : effectivement, c’est à la suite d’un différend avec un élève et d’un coup de poing que l’enseignant aurait asséné à celui-ci que cette garde à vue a été décidée par le procureur. Maladresse sans doute de ce dernier qui aurait pu laisser le problème se régler au sein de l’établissement (comme cela devrait se faire ordinairement, ne serait-ce que par le fait qu’il existe un règlement intérieur et une administration normalement chargée de l’appliquer, fermement et souplement à la fois, en arbitre), mais qui peut arguer du Droit pour lui : en fait, judiciarisation croissante de la société qui fait des hommes de loi les maîtres d’un jeu qui, parfois, se termine mal, tragiquement, injustement

Qu’on me lise bien : je n’écris pas que c’est la garde à vue qui est la cause première de ce drame mais c’est bien elle qui a déclenché cet acte ultime d’un homme déjà désespéré par une situation familiale troublée. Je m’explique, en exploitant mon propre cas et ma propre mémoire : une garde à vue, pour quelque raison que ce soit (et sans remettre en cause son existence, nécessaire dans toute société policée), n’est pas anodine, en particulier pour des personnes fragiles (ce que je ne pense pas être, heureusement). On vient vous chercher, parfois au petit matin, quand vous sortez à peine du sommeil ; on vous met dans une cellule, parfois individuelle mais pas toujours (cela dépend des lieux et, aussi, du moment), après vous avoir fouillé (parfois sans aucun ménagement) et vous avoir retiré vos lacets, vos lunettes et tout ce qui est considéré comme dangereux pour vous comme pour autrui (y compris les insignes politiques comme la fleur de lys…) ; puis commence une attente, forcément longue, assez désespérante et ennuyeuse, pendant laquelle vous ruminez votre désarroi (surtout quand vous ne comprenez pas ce que vous faîtes là), sans autre occupation que dormir si vous y arrivez : pas de livre et pas de copies autorisés, évidemment pas de stylo, etc., juste l’attente ; enfin, on vous fait sortir pour quelques mesures désormais d’usage : prise de votre salive pour enregistrer votre ADN dans un grand fichier, déposition pendant laquelle vous apprenez, parfois avec une grande surprise (et un choc, pour les plus sensibles et ceux qui sont innocents, en particulier), pourquoi on vous a amené dans ce commissariat ou cette gendarmerie ; et puis, on vous ramène en cellule sans vous dire quand et si vous ressortirez : un grand moment de solitude…  Je passe sur quelques petites humiliations possibles, comme une fouille au corps un peu brutale (cela n’arrive pas toujours, Dieu merci !) ou des réflexions désobligeantes qui vous désignent comme coupable ou salaud, selon le cas (personnellement j’ai eu droit aux deux « options »…) : heureusement, là encore, il arrive que vous tombiez sur quelques fonctionnaires de police moins rigoristes, voire beaucoup plus sympathiques (il y en a beaucoup, heureusement, et je peux en témoigner !)… C’est d’ailleurs cette alternance d’attitudes qui peut être très déstabilisante.

Pendant les quelques heures de garde à vue, pour ceux qui n’ont pas l’habitude, on gamberge, on tressaille régulièrement quand on entend du bruit dans le couloir et on se demande quand on va enfin partir ; le midi, on vous offre parfois une sorte de mousse de légumes et de viande, sans que vous sachiez exactement ce qu’il y a dedans (ce n’est pas mauvais, au demeurant…) ; et puis, enfin, après plusieurs heures et fausses alertes, on vous ramène dans une petite pièce où l’on vous rend vos effets personnels et, en particulier, vos lunettes quand on en porte : retour à une vision normale… Et vous sortez : souvent, paradoxalement, c’est le moment le plus dur psychologiquement quand personne ne vous attend, ni dehors ni chez vous.

C’était la première fois, je crois, que ce jeune professeur était placé en garde à vue : pour une personne fragilisée par une séparation récente et la dispute autour de la garde d’un enfant, c’était, de toute façon, une fois de trop. Il a du rentrer chez lui, honteux de ce qui reste pour le commun des mortels une terrible humiliation, une sorte de déchéance à ses propres yeux ; s’effondrer dans la douleur et l’impression d’être totalement seul au monde ; vouloir laver son honneur ou avoir juste peur du regard des autres dans une société qui juge parfois trop vite ; seul au monde…

Ce matin, au soleil breton et alors que la rue bruisse des mille échos et éclats de la vie, je pense à ce jeune prof qui a craqué ; je ne sais pas s’il est coupable de ce geste de trop à l’égard d’un élève peu coopératif, mais je sais qu’il ne méritait pas ce qui lui est arrivé, et cela suffit à me peiner, tout simplement.