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22/02/2018

La contestation au coeur de la forêt de Bure.

Ainsi, le bois de Bure a été évacué de ses occupants, qui étaient à 6 heures du matin au nombre d'une quinzaine quand les forces de l'ordre, des gendarmes en l'occurrence, étaient... cinq cents ! La surprise pour les habitants sylvestres a été totale, semble-t-il, et leur résistance de faible intensité : il est vrai que le déséquilibre des forces en présence était trop flagrant pour laisser le moindre doute sur l'issue de l'opération d'évacuation. « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », affirme Corneille, et cette citation s'applique évidemment à une République qui est plus forte pour déloger quinze dormeurs au petit matin que pour faire respecter la loi dans ses nombreux « territoires perdus » qui, selon certaines enquêtes de terrain, dépasseraient le nombre de 900, nombre qui mériterait sans doute une plus grande précision et formule qui appellerait quelques définitions complémentaires. Mais le ministre de l'Intérieur est ravi de son effet et engrange une victoire pour l’État qui est, pour l'heure, presque totale : « Force reste à la loi », peuvent claironner ceux qui la font, et l'appliquent, parfois plus aux autres qu'à eux-mêmes...

 

En fait, le message du gouvernement est clair : il s'agit de ne plus laisser s'enraciner de points de fixation ou de nouveaux territoires de « résistance aux grands travaux », et de briser dans l’œuf toute velléité de cristallisation d'oppositions pour éviter de nouveaux « Notre-Dame-des-Landes », ce dernier nom étant devenu le cauchemar de la République dont elle ne s'est éveillé que par l'intelligente (et controversée) renonciation à ce projet d'aéroport prévu, à l'origine, pour… le Concorde ! Cela suffira-t-il à décourager de nouvelles contestations ? J'en doute, certes, et cela démontre aussi que, dans ces débats autour de l'aménagement du territoire par de grandes structures d'équipement ou de loisirs, c'est le rapport de forces qui compte, plus en tout cas que la raison ou la seule discussion argumentée : on peut s'en désoler, mais c'est ainsi ! C'est l'opposition musclée des paysans de Notre-Dame-des-Landes et de ceux qui les ont rejoints, leur résistance sur le site comme les manifestations, parfois violentes et souvent destructrices, dans les villes voisines (Nantes et Rennes), mais aussi la crainte de probables débordements de la part des « zadistes » (et de leurs alliés conjoncturels) en cas d'obstination à vouloir « faire » l'aéroport, et le risque d'un drame humain, qui ont poussé le gouvernement à susciter une nouvelle réflexion à partir d'une commission « indépendante » d'experts et à enterrer un projet désormais trop coûteux, au moins politiquement parlant. Mais, en renonçant au projet d'installations aéroportuaires, le gouvernement, s'il s'ôtait une épine dans le pied, savait qu'il ne fallait plus laisser « pourrir une situation » et qu'il fallait faire preuve d'autorité, voire d'autoritarisme, dans les autres dossiers en cours ou à venir : une stratégie à laquelle, logiquement et sans aucune surprise, il se tient, et veut se tenir dans le futur.

 

La victoire de la République à Bure n'est pourtant pas totale, et une image, similaire sans être identique, m'est revenue quand j'ai entendu les réactions ministérielles : celle d'un Georges W. Bush qui, sur un porte-avions des États-Unis, annonçait la victoire de sa coalition contre Saddam Hussein et la fin de la guerre en Irak... C'était en 2003, et la guerre n'a plus jamais cessé dans cette malheureuse contrée qui ne voit pas, à échelle humaine, la possibilité de la paix et de l'entente entre les communautés. La Fontaine nous en a bien prévenus : « il ne faut jamais vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre », et le gouvernement ferait bien de se garder de tout triomphalisme. Si la situation à Bure, Dieu merci, n'a pas grand-chose à voir avec la tragédie irakienne, elle a en commun avec elle de ne pas être achevée parce que le gouvernement l'aurait décrétée telle et, réactivée par une intervention un peu démesurée au regard du nombre d'opposants dormant dans le bois, l'opposition à l'implantation d'une décharge nucléaire souterraine sous le bois de Bure pourrait bien jouer le rôle d'un nouveau « Notre-Dame-des-Landes », d'une nouvelle contestation fédératrice de toutes les contestations environnementales, plus vives et motivées aujourd'hui que les contestations sociales urbaines, dont l'automne dernier a montré la vanité désespérante pour qui y voyait un « troisième tour social ».

 

Ainsi, le prochain champ de bataille pourrait bien être, à nouveau, « rural », rejouant une sorte de chouannerie comme cela s'est fait jadis à Plogoff et, plus près de nous, dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, celui-là même qui, en 1793, s'était soulevé contre la République aux cris de « Vive le Roi ! »... Après tout, ne s'agit-il pas, là aussi, d'une défense de « notre terre », comme le disait ce jeudi sur les ondes un habitant de Bure, inquiet (légitimement) de ce que l'on voulait y enterrer ? Le royaliste enraciné que je suis n'est pas indifférent à ce langage, ni à ce combat...

 

 

 

 

 

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