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05/12/2008

Les risques d'une consommation aveugle.

Il y a deux mois, je signalais sur ce blogue un article paru dans « Le Monde » sous la signature de Jean-Raphaël Chaponniere et intitulé « La crise renforcera l’Asie », article qui reste encore à mes yeux le plus intéressant et le plus instructif sur la crise que nous connaissons aujourd’hui. Mais d’autres articles et informations parus récemment semblent aussi confirmer cette annonce, tel icelui, fort bref mais tellement révélateur, publié dans « Le Parisien » du mercredi 3 décembre et titré : « Les produits « made in Asia », grands gagnants. »

Il mérite d’être intégralement cité, pour mesurer les enjeux de cette crise actuelle pour notre société :

« Une relance de la consommation par des aides aux ménages profiteraient surtout aux produits d’importation. Selon un sondage Ipsos/Tradexpo, ils sont 43 % de Français à fréquenter les magasins discount et 41 % à rechercher les produits les moins chers. Ils sont environ sept sur dix à penser que les produits en provenance d’Asie sont de moins bonne qualité que ceux « made in Europe ». Mais le sentiment d’appauvrissement est devenu tel pour une majorité de Français que « le prix devient dans de nombreux domaines le principal critère auquel ils font attention. Les objets fabriqués en Asie peuvent donc apparaître pour beaucoup de personnes comme un moyen de consommer à moindre coût ». »

En quelques lignes, tout (ou presque) est dit : dans une société de consommation où la quantité prime souvent la qualité, cette dernière considérée plus sélective et moins rentable, les consommateurs ont un réflexe plus « comptable » que raisonné et raisonnable. Mais, en fait, la crise nourrit la crise : en achetant à moindre coût les produits asiatiques, chinois ou autres, les consommateurs français serrent un peu plus la corde sur leur propre cou et risquent de mettre encore plus en difficulté les producteurs français déjà bien pressurés par les intermédiaires et les grandes chaînes (ce mot est si bien approprié, en fait…) de distribution qui, trop souvent, fixent « leurs » conditions, pour leur meilleur profit et sans beaucoup de scrupules…

Ainsi, les pays asiatiques à bas coûts salariaux qui, eux aussi, ralentissent leurs activités pour l’exportation ont néanmoins encore de meilleures chances de continuer à vendre aux pays occidentaux que nos producteurs locaux et proches. D’autre part, ces pays d’Asie ont encore la ressource d’écouler une grande partie de leurs stocks sur des marchés intérieurs dont les potentialités encore inexploitées sont importantes, voire très importantes ! Pour la seule Chine, il reste encore une masse de 800 millions de personnes qui pourraient accéder à leur tour à cette société de consommation et qui commencent, d’ailleurs, à s’impatienter… Idem pour l’Inde !

La fatalité est mauvaise conseillère : il serait confortable de se contenter d’être spectateurs et consommateurs sans conscience. Cependant, cela serait oublier nos devoirs de Français, en particulier à l’égard de nos compatriotes mais aussi de tous ceux qui, dans le monde, pensent que la France n’est pas simplement faite pour participer au « banquet des satisfaits ». Consommer autrement, sans doute moins mais mieux, n’est pas une simple foucade ou un slogan facile : cela doit être aussi une politique, et l’Etat, sans se mêler de ce qui ne le regarde pas en maints domaines,  peut donner l’impulsion d’une meilleure pratique consommatrice. Une pratique qui puisse garantir le présent et préserver l’avenir, pour les générations futures, autant de notre société que de notre art de vivre…

02/12/2008

Classe ouvrière.

Je suis toujours plongé dans les corrections de copies et, justement, celles-ci peuvent être fort révélatrices, au-delà même des connaissances et des réponses des élèves : ainsi, les sujets donnés aux classes de Première sur les questions sociales à l’époque des industrialisations du XIXe-XXe siècles (condition ouvrière, progrès social, urbanisation). A les corriger, je me rends compte combien la réalité ouvrière, largement évoquée dans mes cours et rappelée par les textes proposés pour le traitement des sujets, est devenue « artificielle », si lointaine que les élèves l’abordent de façon parfois trop « scolaire » au risque même de ne pas saisir le sens des textes et d’en oublier de larges éléments, pourtant importants pour la bonne qualité des réponses demandées. « La condition ouvrière » est devenue aussi lointaine que la guerre de 1870 ou, même, que celle de 14-18 malgré les nombreux témoignages valorisés lors de la récente commémoration du 11 novembre. Il faut avouer que les manuels scolaires eux-mêmes participent à cet éloignement en accordant une place de plus en plus minime à cet aspect-là de l’histoire dite contemporaine (qui commence, en France, à 1789), tout comme ils ont purement et simplement éliminé les campagnes et leurs mutations du XIXe dans les documents de Première…

Ce n’est pas la faute des élèves mais cet effacement, pas exactement justifié ni en histoire ni en actualité, est révélateur de la disparition, désormais avérée, de la « classe ouvrière », non pas comme catégorie sociale, mais comme sentiment d’appartenance et d’identité sociales : alors qu’il reste 23 % d’ouvriers (au sein de la population active) dans notre pays, ceux-ci se déterminent plutôt par leurs capacités de consommation que par leur activité professionnelle, à part quelques exceptions notables, en particulier dans les secteurs encore artisanaux ou lorsque leur entreprise et leur emploi sont directement menacés par des licenciements, un « plan social » (si mal nommé…) ou une délocalisation, cela revenant souvent au même, d’ailleurs. Le vieux rêve marxiste de la disparition des classes (« la société sans classes ») se réalise ainsi, non par le communisme final qui devait finir l’histoire humaine, mais par la société de consommation qui ne reconnaît plus que des consommateurs et rapporte tout à cela, comme elle se veut mondiale et insensible (ou presque) aux différences nationales et politiques : plus de classes, plus d’Etats…

En fait, les réalités sociales comme politiques ne cessent d’exister mais c’est souvent la manière de les signifier ou de les valoriser qui leur donne, ou non, une visibilité et une lisibilité. Or, la société de consommation, dont les maîtres mots sont « croissance », « pouvoir d’achat » et « consommation », ne veut voir ces réalités qu’à travers son prisme réducteur, au risque de s’aveugler elle-même sur ce qui l’entoure et la compose, la traverse… Attention à bien me lire : je ne dis pas que la société de consommation ne connaît pas les différences puisque, souvent, il lui arrive d’en jouer pour « vendre plus » (cf les produits qualifiés, parfois à tort, de « traditionnels »…), mais qu’elle ne les reconnaît pas, c’est-à-dire qu’elle leur dénie tout rôle véritable de décision et, éventuellement, d’obstruction dans son cadre propre… En somme, tout ce qui est sur cette terre doit rentrer dans son cadre, dans son mode de vie, ses exigences et ses critères, au point de phagocyter toute contestation et d’en faire, rapidement, un élément de sa propre stratégie, de sa publicité, de sa « mode » : il suffit de constater comment les symboles de la « rébellion » sont souvent devenus des produits de consommation, voire des « icônes » consuméristes, et pas seulement le portrait de Che Guevara…

La crise actuelle va-t-elle remettre en cause ce modèle, cette idéologie du tout-consommation, qui gomme si rapidement, en quelques lignes de communiqué, des centaines d’ouvriers de leur entreprise, considérés comme une « simple variable d’ajustement » ? Et va-t-elle redonner une certaine actualité au concept de « classe ouvrière » compris, là, comme l’idée d’une solidarité, d’une entraide de ceux qui participent, par leurs activités manuelles, à la vie et à la prospérité d’une nation, et qui, au sein et au-delà de leurs professions, s’organisent pour assumer leurs responsabilités politiques ?

Il y a là un nouveau « champ des possibles » qui s’ouvre et que ceux qui s’intéressent à la politique ne peuvent négliger…