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07/03/2013

La République démunie face à la mondialisation.

 

Face à la mondialisation présente, cette mondialisation trop souvent sans frein ni morale, et si bien représentée par ce dirigeant états-unien cynique et brutal de Titan, M. Taylor, qui insultait dernièrement les ouvriers français dans un courrier au ministre Arnaud Montebourg et prône le servage brutal des travailleurs, que fait, que peut faire la République ? En fait, il semble qu’elle soit bien démunie et que, dans la plupart des cas et au sein même de ses élites, la mondialisation apparaisse comme une fatalité, hier satisfaisante et aujourd’hui tragique mais « nécessaire » : il n’y a plus de réflexion ni d’action politique qui puisse l’arrêter, si l’on en croit leurs dires. Il faut juste s’y adapter et en faire, malgré tout, « une chance », entend-on dans les cénacles économiques et politiques…

 

Mais cette fameuse « adaptation », autre nom du fatalisme et non pas du pragmatisme, se fait d’abord au détriment du « social » et des plus faibles ou fragiles dans la sphère économique, mais aussi des règles qui, jusque là, permettaient de partager les fruits de la croissance ou de les redistribuer de façon plus ou moins équitable. Bien sûr, il ne s’agit pas de tomber dans l’angélisme d’un péremptoire « c’était mieux avant » ou d’un modèle social français qui aurait été l’idéal absolu, mais de reconnaître les acquis d’une histoire sociale qui, en France, sont nés en réaction et surtout en réparation de notre « 1791 », ce « 1791 » si néfaste sur le plan de l’organisation et de la défense sociales. C’est d’ailleurs ce combat social incessant, long, fastidieux, parfois violent, qui a permis aux travailleurs de ce pays de retrouver une dignité que la Révolution libérale de 1791 leur avait volée ou interdite, mais aussi de profiter des fruits des « Trente glorieuses », parfois, d’ailleurs, au détriment de leur propre identité de producteur et à l’avantage de leur seule qualité de consommateur. Tout était-il juste dans cette lutte ? Sans doute pas, et les erreurs furent nombreuses, parce que les guides de celle que l’on nommait alors la classe ouvrière étaient souvent des idéologues plus que des syndicalistes au sens noble du terme, et qu’ils ont méconnu les risques d’une société de consommation qui, basée sur une croissance considérée comme éternelle et infinie, est plus destructrice et déracinante que ses publicités ne le laissent entendre et comprendre… La séduction de la marchandise, symbolisée par la voiture, la télé et le réfrigérateur, et autorisée par le crédit à la consommation, a permis à la mondialisation de s’imposer comme une « nécessité » pour mieux préparer et pérenniser la dépendance des populations à la consommation permanente et toujours renouvelée : un moyen d’étouffer les révoltes politiques et de dévaluer le politique au profit de l’économique et de son symbole et maître absolu, l’Argent, celui qui désormais anime les sociétés et, même, les nourrit plus encore que la production agricole elle-même, cette dernière étant ainsi prisonnière des jeux du Marché agroalimentaire, parfois au risque même de la santé publique…

 

La République est, depuis sa création et malgré quelques exceptions d’autant plus remarquables qu’elles furent rares, liée aux oligarchies d’argent et à leurs intérêts : de Danton à nos jours, elle n’a cessé d’entretenir des relations douteuses avec le monde des puissances industrielles et financières, au risque de mélanger les genres et les comptes, et elle a souvent oublié ses devoirs sociaux ou elle n’y a répondu que par une démagogie méprisable… C’est souvent contre son propre gré qu’elle a fait ou accepté des réformes sociales qui ont permis d’améliorer le sort des travailleurs, entrepreneurs, ouvriers ou paysans, mais elle n’a pas oublié, par contre, de se faire toujours plus gourmande en taxes et impôts pour contenter ses clientèles vassalisées.

 

Aujourd’hui, les caisses de l’Etat sont désespérément vides, et les dettes, accumulées par une gestion maladroite et parfois malsaine, se font de plus en plus lourdes, à l’heure où les créanciers de la mondialisation se font, eux, de plus en plus pressants, et que l’Union européenne, d’inspiration libérale et si peu sociale malgré ses fondateurs démocrates-chrétiens, en appelle aux « nécessaires réformes de structures » qui ne sont rien d’autre que le démantèlement de celles des Etats au profit des grandes entreprises, des établissements financiers et des grands actionnaires, et au détriment des équilibres sociaux déjà fragilisés par la fin des « Trente glorieuses ». Le transfert des richesses des pays d’Europe et de la France vers les nouvelles puissances émergées et vers les pays pétroliers ou gaziers (comme le petit Qatar aux grandes ambitions sportives…) se traduit par un appauvrissement réel et parfois inquiétant, voire dramatique pour certaines catégories de nos concitoyens, de notre pays et de sa population en général. Il faut évidemment tenir compte de ses données lorsqu’il s’agit de réfléchir à ce que pourrait faire un « autre régime » que l’actuelle oligarchie, baptisée République, aujourd’hui au pouvoir.

 

 

 

02/12/2008

Classe ouvrière.

Je suis toujours plongé dans les corrections de copies et, justement, celles-ci peuvent être fort révélatrices, au-delà même des connaissances et des réponses des élèves : ainsi, les sujets donnés aux classes de Première sur les questions sociales à l’époque des industrialisations du XIXe-XXe siècles (condition ouvrière, progrès social, urbanisation). A les corriger, je me rends compte combien la réalité ouvrière, largement évoquée dans mes cours et rappelée par les textes proposés pour le traitement des sujets, est devenue « artificielle », si lointaine que les élèves l’abordent de façon parfois trop « scolaire » au risque même de ne pas saisir le sens des textes et d’en oublier de larges éléments, pourtant importants pour la bonne qualité des réponses demandées. « La condition ouvrière » est devenue aussi lointaine que la guerre de 1870 ou, même, que celle de 14-18 malgré les nombreux témoignages valorisés lors de la récente commémoration du 11 novembre. Il faut avouer que les manuels scolaires eux-mêmes participent à cet éloignement en accordant une place de plus en plus minime à cet aspect-là de l’histoire dite contemporaine (qui commence, en France, à 1789), tout comme ils ont purement et simplement éliminé les campagnes et leurs mutations du XIXe dans les documents de Première…

Ce n’est pas la faute des élèves mais cet effacement, pas exactement justifié ni en histoire ni en actualité, est révélateur de la disparition, désormais avérée, de la « classe ouvrière », non pas comme catégorie sociale, mais comme sentiment d’appartenance et d’identité sociales : alors qu’il reste 23 % d’ouvriers (au sein de la population active) dans notre pays, ceux-ci se déterminent plutôt par leurs capacités de consommation que par leur activité professionnelle, à part quelques exceptions notables, en particulier dans les secteurs encore artisanaux ou lorsque leur entreprise et leur emploi sont directement menacés par des licenciements, un « plan social » (si mal nommé…) ou une délocalisation, cela revenant souvent au même, d’ailleurs. Le vieux rêve marxiste de la disparition des classes (« la société sans classes ») se réalise ainsi, non par le communisme final qui devait finir l’histoire humaine, mais par la société de consommation qui ne reconnaît plus que des consommateurs et rapporte tout à cela, comme elle se veut mondiale et insensible (ou presque) aux différences nationales et politiques : plus de classes, plus d’Etats…

En fait, les réalités sociales comme politiques ne cessent d’exister mais c’est souvent la manière de les signifier ou de les valoriser qui leur donne, ou non, une visibilité et une lisibilité. Or, la société de consommation, dont les maîtres mots sont « croissance », « pouvoir d’achat » et « consommation », ne veut voir ces réalités qu’à travers son prisme réducteur, au risque de s’aveugler elle-même sur ce qui l’entoure et la compose, la traverse… Attention à bien me lire : je ne dis pas que la société de consommation ne connaît pas les différences puisque, souvent, il lui arrive d’en jouer pour « vendre plus » (cf les produits qualifiés, parfois à tort, de « traditionnels »…), mais qu’elle ne les reconnaît pas, c’est-à-dire qu’elle leur dénie tout rôle véritable de décision et, éventuellement, d’obstruction dans son cadre propre… En somme, tout ce qui est sur cette terre doit rentrer dans son cadre, dans son mode de vie, ses exigences et ses critères, au point de phagocyter toute contestation et d’en faire, rapidement, un élément de sa propre stratégie, de sa publicité, de sa « mode » : il suffit de constater comment les symboles de la « rébellion » sont souvent devenus des produits de consommation, voire des « icônes » consuméristes, et pas seulement le portrait de Che Guevara…

La crise actuelle va-t-elle remettre en cause ce modèle, cette idéologie du tout-consommation, qui gomme si rapidement, en quelques lignes de communiqué, des centaines d’ouvriers de leur entreprise, considérés comme une « simple variable d’ajustement » ? Et va-t-elle redonner une certaine actualité au concept de « classe ouvrière » compris, là, comme l’idée d’une solidarité, d’une entraide de ceux qui participent, par leurs activités manuelles, à la vie et à la prospérité d’une nation, et qui, au sein et au-delà de leurs professions, s’organisent pour assumer leurs responsabilités politiques ?

Il y a là un nouveau « champ des possibles » qui s’ouvre et que ceux qui s’intéressent à la politique ne peuvent négliger…