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25/06/2023

Critique de la monocratie républicaine...

 

Au lendemain de la large réélection de M. Macron à la présidence de la République, mais à cause de l’élection d’une sorte de Chambre introuvable qui a suivi, la Cinquième République semble avoir du mal à reprendre son souffle, et la forte contestation de la réforme des retraites a paru fragiliser un temps le régime, sans pourtant réussir à le faire douter ni choir : est-ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et que se poser la question des institutions n’aurait plus guère de sens ? Bien au contraire ! Il n’est pas possible, au regard des soubresauts sociaux et politiques de ces dernières années, de se désintéresser de cette question qui commande nombre de réponses sur tous les domaines de la vie publique nationale, voire européenne et mondiale : « politique d’abord » en somme, non « politique partout » ou « politique en tout », mais juste la reconnaissance que les institutions sont la condition même d’une vie en société et de la nécessaire cohésion de l’ensemble civique, sans lesquels il n’est pas de justice possible, en particulier sociale. Aussi, connaître et comprendre la République actuelle, qui est un fait sans être un bienfait, permet aussi de saisir les insuffisances de la République elle-même et de (pro)poser les moyens institutionnels d’un meilleur service de la nation française, particulière et historiquement originale.

 

La République en est, officiellement, à sa cinquième mouture et, malgré l’illusion d’éternité qu’elle a pu, un temps, représenter aux yeux de Français fatigués de l’instabilité inhérente aux deux précédentes, elle n’est plus aussi évidente ou, plus encore peut-on dire, ses récentes incarnations ont fortement mécontenté des électeurs se retrouvant de moins en moins dans le système des partis qui, longtemps, a prévalu, y compris à travers l’élection à la magistrature suprême de l’Etat : « il existe aujourd’hui un désajustement entre la légalité et la légitimité du pouvoir », explique Laetitia Strauch-Bonart dans un récent entretien au Figaro Magazine (1). « Emmanuel Macron est légalement élu, mais l’opinion ne l’estime pas légitime. Ceux qui ont voté pour lui à contrecœur lors de la dernière présidentielle n’ont pas seulement l’impression d’avoir fait un choix par défaut, ils ressentent une véritable aversion à son endroit. » Ainsi, l’élection présidentielle, jadis considérée comme source de légitimité (mais n’était-ce pas une illusion, la légitimité d’un de Gaulle, par exemple, devant plus au 18 juin 1940 qu’à toute forme électorale légale ?) au sein de la République, n’apparaît plus que comme un exercice laborieux et sans joie de « tri et élimination » plutôt qu’un consentement enthousiaste à une candidature et à un projet politique : peut-on dire que la dernière adhésion populaire véritable (et non le lâche soulagement de ceux qui craignaient « le pire » à défaut d’aimer « le meilleur »…) a eu lieu le 10 mai 1981, lors de la première élection de François Mitterrand ? L’on connaît la suite et le désenchantement de cette génération électorale largement issue de Mai 68…

 

En fait, la Cinquième République est, avant tout, une monocratie et M. Macron n’en est rien d’autre que le rejeton du moment en attendant le suivant… Mais il n’est pas inutile de revenir au sens même des mots, ne serait-ce que pour éviter des confusions toujours dommageables à la clarté de la discussion politique, et pour bien distinguer la monocratie républicaine d’un M. Macron de la Monarchie royale telle que nous la souhaitons voir incarnée par le comte de Paris lorsque le temps en sera venu ou que les événements l’auront fait advenir. La monocratie est le pouvoir, la domination d’un seul sur la scène politique : elle sous-entend une puissance de l’homme-seul sur les instances comme sur les composantes, sujets et communautés, de la société toute entière, sans le contrepoids pourtant nécessaire de corps intermédiaires politiques, économiques et sociaux. Comme l’indique le constitutionnaliste monarchiste Maurice Jallut, « le plus grand défaut de cette dernière [la monocratie] est qu’elle risque de confier l’Etat à un homme qui l’utilisera pour son ambition, son orgueil ou simplement sa vanité personnelle ou même dans l’intérêt du parti ou du clan qui l’aura porté au pouvoir. (2) » N’est-ce pas ce que l’on a pu constater ces dernières décennies durant lesquelles l’esprit partisan et la vanité des présidents élus ont largement dépassé leur sens de l’Etat et le service du bien public français ? Sans même parler de leurs commissionnaires qui, une fois éloignés des responsabilités ministérielles, ont trouvé un débouché parfois fort rémunérateur dans des entreprises privées, y compris étrangères et plus favorables aux intérêts des actionnaires internationaux que des intérêts français…

 

Dans la logique républicaine française, « la monocratie s’appuyant sur la souveraineté du peuple [de par l’élection du président de la République au suffrage universel direct] sera nécessairement de caractère plébiscitaire. Et pour conserver la faveur des foules, elle devra briser toutes les forces indépendantes qui pourraient coaliser autour d’elles les oppositions et les mécontentements » (3). Obligée par nature à cette stratégie du « diviser pour régner », la monocratie n’a pourtant pas toujours le dernier mot, et le Chef de l’Etat peut se retrouver en position délicate, voire contraint au départ s’il lui reste le sens de la dignité ou le courage politique : en fait, un seul suivra cette voie quand les urnes auront désavoué ses projets, et ce fut le fondateur de la Cinquième République, au printemps 1969, après l’échec de son référendum sur la régionalisation… François Mitterrand et Jacques Chirac, dans la même situation de défiance du corps électoral (soit aux élections législatives, soit par un référendum), resteront accrochés à leur fauteuil présidentiel, envers et contre tout, aggravant le discrédit d’un « pays légal » déjà bien mal en point et de moins en moins soutenu par le suffrage lui-même, plus rare ou plus fragile selon les cas… Cette réduction de la « base présidentielle » est peut-être plus marquée encore sous la présidence de M. Macron, mais il n’en a cure, considérant que l’abstention grandissante et le « vote majoritaire de rejet de son adversaire » au second tour de l’élection présidentielle suffisent à légitimer (mais n’est-ce pas par défaut, en définitive et par définition ?) son pouvoir personnel. En monocratie républicaine, si elle « peut assurer une certaine stabilité gouvernementale, elle ne saurait donner la continuité à l’Etat, car elle dépend trop de la personnalité du chef. Le régime (4) repose exclusivement sur un individu et, par conséquent, il est destiné à périr avec lui. Certes, il a lui aussi sa loi de succession puisque le Chef disparu, un autre est élu à sa place. Mais ce successeur peut être un homme tout différent par les opinions qu’il représente et sa politique peut d’autant plus réagir contre celle de son prédécesseur qu’elle pourra être plus personnelle. Au fond dans un régime monocratique, il n’y a pas succession à proprement parler, mais substitution d’un régime personnel à un autre régime personnel. Or pour faire un Etat, il ne suffit pas de succéder, il faut encore perpétuer. »

 

 

(à suivre)

 

 

Notes : (1) : Laetitia Strauch-Bonart, entretien avec Alexandre Devecchio publié dans Le Figaro Magazine, édition du 16 juin 2023.

 

(2) : Maurice Jallut, « Où va la république ? la France à la recherche de sa constitution », éditions Philippe Prévost, 1967.

 

(3) : idem, ainsi que les autres citations qui suivent.

 

(4) : Le terme « régime », ici, peut s’entendre de deux manières : d’une part, comme la présidence du moment, aujourd’hui celle de M. Macron ; d’autre part, comme la Cinquième République elle-même (la « mauvaise République », selon M. Mélenchon…), dans ses institutions et leur pratique.

 

 

07/09/2022

La République imprévoyante...

 

La rentrée scolaire est faite, et déjà les premiers cours font oublier les vacances quand, dans le même temps, l’actualité fait entendre sa petite musique lancinante et que les inquiétudes, pour certains jamais complètement écartées, remontent à la surface : « Aurons-nous des professeurs devant tous les élèves cette année ? » ; « Pourrons-nous nous chauffer convenablement ? » ; « Que restera-t-il de l’économie française au printemps ? » ; etc. Il est vrai que la guerre en Ukraine, la menace d’une nouvelle vague de Covid et la crainte d’une dégradation climatique accélérée, sont autant de motifs de souci et, parfois, de désespérance. Et, plus encore que la colère, c’est une sorte de fatalisme qui paraît imprégner les populations, un sentiment d’abandon qui est d’autant plus dangereux qu’il est difficile d’en saisir tous les ressorts et tous les contours, et qu’il pourrait bien, en quelque occasion, se muer en ouragan, au moment où l’on s’y attend le moins : le gouvernement de la République et son chef de l’État en sont-ils conscients ? J’ai du mal à en douter, ne méconnaissant pas l’intelligence mâtinée de suffisance de ceux qui monopolisent les institutions de la République…

 

En fait, nos gouvernants espèrent que la peur de l’inconnu et du désordre freinera toute contestation d’ampleur, et parient que les oppositions présentes à l’Assemblée nationale, soucieuses d’éviter une dissolution (même si cette option semble s’éloigner, le recours au 49-3 permettant de contourner, au moins temporairement, l’obstacle parlementaire) et cherchant à crédibiliser leur « alternative », sauront contenir les troubles qui, s’ils en semblaient les organisateurs ou les promoteurs, pourraient bien se retourner contre elles. Ce calcul, présidentiel avant que d’être proprement gouvernemental, est risqué, mais est-il juste ? L’avenir nous le dira, et il me semble prudent de n’écarter aucune possibilité de celui-ci, ne serait-ce que parce que « l’inédit » est aussi une des marques et des leçons de l’histoire qu’il s’agit de ne pas méconnaître. Autant j’évite de faire de la divination politique, autant je ne veux négliger, a priori, aucune des possibilités de l’avenir : « prévoir l’imprévisible, attendre l’inattendu » est aussi une nécessité politique pour qui ne veut pas subir l’histoire et cherche à en saisir les ressorts pour ne pas être désarçonné le jour venu, lorsque se lève le vent des « événements » …

 

Ce qui est certain, c’est que la République, prisonnière de ses propres principes et de sa dérive électoraliste qui l’empêche d’inscrire une politique d’Etat sur le long terme et qui soumet celle-ci aux rapports de force et aux démagogies de tout (dés)ordre, n’a pas su prévoir ni préparer ce qui, hier avenir, est notre « aujourd’hui ». L’exemple terrible de la politique énergétique, celui-là même dont M. Macron refuse de porter la responsabilité alors qu’il a bien été (après, il est vrai, le premier ministre Lionel Jospin en 1997, initiateur du « désastre énergétique » et le président Hollande, tous deux soucieux de donner quelques os à ronger aux « Verts » antinucléaires…) le fossoyeur d’une stratégie nucléaire raisonnable en mettant fin au projet Astrid en 2019 (1) et en fermant la centrale de Fessenheim, est là pour nous prouver, si besoin en était, l’inconséquence de la République dont, aujourd’hui, notre pays comme ses habitants sont les principales victimes. Et il n’est pas inutile de rappeler que la République n’a même pas su, faute de volonté politique et de vision à long terme (le seul horizon de la République est… la prochaine élection présidentielle !), développer une stratégie des énergies marines renouvelables dont la France, avec ses 11,5 millions de kilomètres carrés de territoire maritime (la deuxième Zone Economique Exclusive – ZEE – du monde, ce n’est pas rien, tout de même !), pourrait être la première productrice mondiale si elle s’en donnait la peine ! Quel gâchis, quel scandale !

 

« Gouverner c’est prévoir », dit-on ! Visiblement, la République a « oublié » cette formule de bon sens…

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Selon le site électronique du quotidien Le Figaro du 20 avril 2022, le projet Astrid « était un projet de réacteur expérimental, à neutrons rapides, lancé en 2010 par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Controversé en raison de son coût, il a été abandonné en 2019. Il devait ouvrir la voie vers les réacteurs nucléaires dits de quatrième génération, capables d'utiliser des extraits de combustibles usés pour fonctionner. » C’est bien le président Macron qui a pris la décision de mettre un terme à ce projet, tout comme le premier ministre Lionel Jospin, bien avant lui (en juin 1997), avait enterré, sans aucune concertation, le réacteur nucléaire Superphénix, pourtant prometteur…

 

 

 

  

 

 

 

 

25/10/2021

République, ce mot qu'il faut parfois cacher ?

 

En triant quelques journaux des semaines précédentes, je tombe par hasard sur une éphéméride publiée dans Le Parisien du dimanche 5 septembre dernier qui titre « 1793 : le règne de la Terreur », ce qui, évidemment, attire mon attention historienne. Et là, je sursaute : le texte sur cette triste période, fort court, évite un mot, « le » mot, comme s’il constituait un tabou qu’il s’agirait de scrupuleusement respecter ! Je cite en intégral l’éphéméride, et les lecteurs de ce site comprendront sans doute la surprise que j’ai pu éprouver en la lisant moi-même : « Le 5 septembre 1793, l’Assemblée met « la Terreur à l’ordre du jour » ! Rien ne va plus dans l’ancien royaume de France, menacé par la crise économique et une invasion étrangère. Une justice radicale doit permettre de « terroriser » les ennemis de la France. La guillotine va bientôt tourner à plein régime. » Ainsi, comme chacun peut le constater et au-delà de l’utile rappel de cet épisode douloureux de l’histoire de France, le mot « République » est soigneusement évité et remplacé « avantageusement » par la formule, véridique au demeurant si l’on s’en tient à la suite des événements, de « l’ancien royaume de France », puis par le beau et seul nom, et dont il me tient toujours à cœur de défendre l’honneur et le sens, de « France ». Mais de « République », point !! Ce qui ne manque pas de surprendre l’amoureux des faits et de l’histoire vécue comme ressentie que je suis.

 

Pourquoi cacher le nom du régime qui a mis la Terreur à l’ordre du jour ? Pourquoi ne pas évoquer les pères de la Terreur, en deux noms (ceux qui, pour le commun des Français, incarnent cette période si particulière), Robespierre et Saint-Just ? Pourquoi cette gêne évidente chez le rédacteur de l’éphéméride, ou cette dissimulation consciente, comme si la vérité devait s’arrêter aux portes de la République sans oser, ou sans avoir le droit de les franchir ?

 

Disons les choses telles qu’elles sont et telles que je les comprends : 1. La Première République, celle qui s’étend de 1792 à 1804, du coup d’Etat des Tuileries au sacre du César Bonaparte en Napoléon 1er, n’est pas la seule République possible, et la Cinquième ne lui est pas exactement comparable, malgré l’homonymie et quelques institutions communes ; 2. La Première République, née dans le sang des gardes suisses et s’achevant dans la dictature impériale, n’est pas réductible aux seuls mois de la Terreur (du début juin 1793 à la fin de juillet 1794), et Marat, Robespierre et Saint-Just, pour idéologues de celle-ci qu’ils soient, ne peuvent prétendre incarner la République à eux-seuls, quoiqu’en pense M. Mélenchon qui, visiblement, ne s’est pas suffisamment penché sur l’histoire sociale de cette période ; 3. Ne pas nommer les choses, comme les « mal nommer », c’est altérer leur sens et celui de l’histoire. Oui, la Terreur, c’est bien la République ; non, ce n’est pas le « tout » de la République, mais cela appartient à son histoire et, plus largement, à l’histoire de France, même si ce triste moment n’est pas à la gloire de la République.

 

Le mot « République » n’est pas un mot sacré, même si M. Mélenchon le croit ou le voudrait, et n’en déplaise à MM. Darmanin, Blanquer et Bertrand (entre autres…) : les Camelots du Roi lui ont d’ailleurs souvent fait les honneurs de leurs farces et de leurs dénonciations, et ils ne s’en prenaient pas à l’idée, civique, de « Res Publica » ou à celle mise en avant par le jurisconsulte Jean Bodin au XVIe siècle, mais bien à ce régime qui, sous les divers numéros qui les précédaient, ne défendait pas convenablement ni le pays et son intégrité, ni les Français et leur pluralité.

 

Qu’un auteur d’éphéméride veuille préserver le mot de République de la souillure de la Terreur peut se comprendre, dans une optique de croyance toute républicaine : mais l’histoire est cruelle, et elle n’aime guère qu’on la travestisse ou qu’on la cache. Oui, c’est bien la République, au moins l’idée que s’en faisaient ceux que les manuels d’histoire d’Etat présentaient encore hier comme son incarnation la plus « pure », « incorruptible » même (à l’inverse d’un Danton, plus « intéressé »…), qui a motivé et présidé la Terreur ! Quelques jours après ce 5 septembre 1793, était votée par une Convention survoltée « la loi des suspects », en un 17 septembre que la conscience morale de notre pays ne devrait jamais oublier et qui nous rappelle que la Terreur n’était pas qu’un mot, mais des lois, votées et appliquées, en une terrible spirale idéologique et homicide.

 

Oui, décidément, l’histoire est cruelle, même pour la République et ses adorateurs… Il importe de ne pas l’oublier, pour éloigner de notre pays comme de notre temps, autant que faire se peut, la cruauté. Et cela quel que soit le nom dont elle se pare…