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23/10/2020

Face à l'islamisme. Partie 1 : Liberté d'expression, et liberté de critique.

 

Depuis quelques jours, nombre de personnes, connues ou inconnues, me présentent des vœux de courage et des marques de solidarité, me prouvant, au-delà de ma simple personne, que les professeurs gardent une certaine popularité et une estime certaine au sein de la population, et cela malgré les procès d’intention qui peuvent leur être faits et les comportements de plus en plus consuméristes et individualistes au sein de notre société. Ces quelques gestes et ces paroles sympathiques sont-elles suffisantes pour nous protéger des prochains assassinats islamistes ? Il faudrait l’espérer mais, malheureusement, les fanatiques qui frappent n’ont que faire des sympathies et des qualités, aveuglés par ce qu’ils croient être une « mission » motivée par les atteintes à leurs conceptions du monde et du sacré.

 

Qu’on le regrette ou non, nous savons qu’il y aura d’autres massacres, d’autres victimes, d’autres meurtriers : rien de réjouissant, certes, mais cela ne doit pas empêcher de réfléchir et d’agir, l’un ne devant pas se faire sans l’autre au risque de tomber dans un activisme stérile ou dans un intellectualisme impuissant. Bien sûr, « il est bien tard », mais il n’est jamais trop tard, dit-on, même si l’histoire est parfois bien cruelle à l’égard de cet adage. Et je ne suis pas certain que toutes les déplorations qui suivent le cercueil du professeur Samuel Paty soient toujours de bon aloi quand elles s’accompagnent de grands mots et de beaux discours déjà mille fois dits et redits depuis 2012, quand un premier professeur est tombé sous les balles de la Bête, et que trois jeunes élèves ont été froidement exécutés, sous les yeux de leurs parents respectifs, par la même froide détermination homicide que celle animant l’islamiste d’origine tchétchène de l’autre vendredi. D’ailleurs, qui se souvient de Jonathan Sandler, professeur de religion, de ses deux fils de 3 et 6 ans (Gavriel et Arié) et de la petite Myriam âgée de 8 ans, tous assassinés devant et dans la cour de l’école juive Ozar Hatora de Toulouse ? Bien sûr, nous objectera-t-on, ce n’est pas « l’école de la République » qui était alors visée, mais c’était bien une école, des élèves et leurs parents, voire leurs professeurs qui étaient ciblés ! Huit ans après, les larmes ont fait place à l’oubli, ou au déni, ce qui me semble plus grave encore.

 

M. Samuel Paty est mort, dit-on, d’avoir montré quelques caricatures à ses élèves dans le cadre d’une séance d’éducation civique et morale, et cela donne l’occasion à certains de regretter que celles-ci soient encore montrées, ou simplement visibles : je les entends, mais je ne partage pas leur souhait. Les islamistes arguent de celles-ci pour expliquer la violence meurtrière. Mais, là encore, certains des contempteurs des dessins semblent oublier que le monstre de Toulouse, en 2012, n’avait même pas cette raison pour tuer de sang-froid des adultes comme des enfants, même pas des adolescents, mais presque des bébés ! Caricatures ou pas, les fanatiques frappent qui leur déplaît, de naissance, de parole ou d’actes. Que certains croient que les caricatures sont la raison de tout ce sang versé montrent une erreur de discernement de ceux-ci. Que l’on me comprenne bien : ayant revu les caricatures incriminées par le meurtrier de vendredi, je ne les trouve pas forcément toutes de bon goût, ni même (pour quelques unes d’entre elles) utiles à la réflexion. Mais elles existent, sans que je me sente obligé de les voir ou de les acclamer, et elles ne me semblent pas autoriser le meurtre de qui les montre ou de qui les dessine. A défaut de toutes les apprécier, je considère qu’il ne me revient pas de les dénoncer ou de les effacer : mais l’esprit critique peut s’appliquer à elles comme à toute production intellectuelle, et cela fait partie, dans une société apaisée (celle qu’il faut souhaiter et à laquelle il faut travailler), de la « disputatio », de cette liberté d’expression et de formulation que notre République contemporaine n’est pourtant pas la dernière à maltraiter, de plus en plus aidée (voire précédée en cela) par les plateformes numériques de communication et de loisirs. Et les mœurs anglo-saxonnes qui s’imposent sous le nom de « décolonialisme » ou de « culture de l’effacement » peuvent légitimement nous inquiéter dans sa logique d’interdits multiples pour des raisons raciales, communautaristes ou sociétales… Les cris d’orfraie contre Zemmour, Dieudonné, ou Agacinski (entre autres), ou les attaques contre Colbert, Bigeard (à Dreux la semaine dernière), ou Napoléon (que, personnellement, je n’aime guère, en bon héritier des chouans de Bretagne que je revendique d’être), m’agacent toutes à divers degrés. Cela ne signifie pas que je ne combats pas certains de ceux que j’évoque ici, mais que, quoiqu’ils puissent dire ou faire (ou avoir commis), je souhaite qu’ils puissent, pour les vivants, s’exprimer librement et, pour les défunts, être étudiés et, éventuellement, honorés au regard des contextes historiques et non d’idéologies du moment, destinées elles-mêmes, un jour, à être remises en cause, voire totalement invalidées.

 

Mais les dernières années ont marqué un net recul de la liberté d’expression et la montée d’une autocensure qui touche tous les secteurs, toutes les administrations, toutes les sphères de l’éducation et de la formation intellectuelle. La peur… En fait, notre histoire nationale nous explique que, justement, la période de la Première République fut aussi, en quelques mois sombres, celle de la Terreur (avec un T majuscule) et qu’elle a donné le qualificatif de « terroristes » à ceux qui l’avaient dirigée autant que prônée : Robespierre et Saint-Just la justifièrent comme le moyen d’en finir avec les résistances « du passé » dont, d’ailleurs, il fallait faire « table rase »… Que de têtes alors tranchées, légalement, sous le fer de la Louison, surnom charmant donné à la guillotine, quand d’autres terminaient au bout des piques sans-culottes, et cela avait commencé dès le 14 juillet 1789 avec celles du gouverneur de la Bastille et de quelques uns de ses défenseurs. Mais, en 1793, ce n’est plus l’émeute qui tranche les têtes, c’est la République qui les jette en défi à l’Europe entière (comme celle de la reine Marie-Antoinette, un certain… 16 octobre, macabre coïncidence dans laquelle Léon Daudet aurait sans doute vu un sinistre « intersigne ») et qui terrifie la population française pour imposer son règne et sa « régénération » républicaine qui se veut, aussi, anthropique. C’est le même processus qui est à l’œuvre aujourd’hui à travers les actes sanguinaires commis, non pour convertir, mais pour décourager les résistances à l’idéologie des assassins. Et, malheureusement, cela marche, d’une certaine manière !

 

Une des preuves de la réussite idéologique des islamistes est le renversement de perspective qu’il entraîne, comme le souligne l’essayiste Caroline Fourest dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Marianne : « Un critique littéraire a osé tweeter, au lendemain de l’attentat, qu’il y aurait « des morts atroces » tant qu’on défendra le droit de blasphémer (…). On hésite entre vomir et pleurer. Ce sont les tueurs qui provoquent ces morts, pas l’usage de nos libertés. Faire passer les victimes pour les bourreaux, voilà ce qui encourage les bourreaux à recommencer. Rien n’est plus vital, plus urgent, que remettre la pensée à l’endroit. » Je n’aime pas ce que l’on nomme le blasphème, et j’accorde une grande importance au respect du sacré, tout en considérant que les crachats sur le visage du Christ, le Christ lui-même les a acceptés, non par masochisme mais parce qu’ils étaient une épreuve qu’il se devait, au regard de ce qu’il était et de sa mission, de supporter. Je comprends que tous les croyants, de quelque religion qu’ils soient, n’aient pas forcément la même patience mais je ne leur reconnais aucunement le droit de tuer au nom de Dieu, car, là, est à mon sens le vrai blasphème. Puisque « si Dieu donne la vie, qui es-tu, toi, pour la reprendre en Son nom ? » Bien sûr, je parle aussi en croyant, catholique pour mon cas, au-delà de ma fonction professorale elle-même. Et l’État, lui, se doit de parler, non pas au nom des croyants, mais au nom des sujets/acteurs du droit que sont les membres de la Cité, au sens grec du terme.

 

L’islamisme se nourrit aussi de la difficulté de la Société de consommation à fonder « un idéal de l’être », celle-ci se contentant, en fait, d’être « le triomphe de l’avoir » sans beaucoup de conscience. Ce qui manque au matérialisme contemporain, l’islamisme semble le proposer ou l’offrir aux « âmes insatisfaites », même s’il s’agit d’un leurre qui se pare des aspects ou des atours du spirituel pour mieux capter ceux que, trop souvent, notre mode de vie fascine et révulse tout à la fois, celui-ci (malgré ses objets et son temps libre, mais marchand) ne parvenant pas à combler ce besoin de croire qui, qu’on le veuille ou non, est consubstantiel à l’être humain, « être politique tout autant que religieux » comme le pressentait André Malraux. L’islamisme ne sera pas vaincu par la Consommation, contrairement à ce que l’on pouvait, parfois, espérer, mais par ce supplément d’âme qui permet de nous émerveiller devant un simple coucher de soleil ou devant les pierres de notre passé, mémoire des ancêtres élevée vers le Ciel, mais aussi devant l’enfant qui naît, éternel renouvellement de la vie et de la civilisation…

 

 

(à suivre)  

 

 

 

28/06/2020

Plaidoyer pour une Monarchie royale. Partie 1 : Quand la légalité de la République ne satisfait plus le corps civique.

 

Les nouvelles économiques ne sont pas bonnes, et le chômage menace nombre de nos concitoyens quand, dans le même temps, le numérique et la robotisation accélérée sont présentés comme les cadres, quasiment obligatoires, du monde de demain, d’un proche lendemain qui semble s’annoncer et se déployer déjà en ce cruel aujourd’hui. Sans doute le principal choc social aura-t-il lieu à la rentrée de septembre prochain, quand plus de 700.000 jeunes arriveront sur le marché du travail et quand, dans le même temps, les entreprises et activités liées au tourisme, à la restauration et aux loisirs, feront leurs comptes qui pourraient, pour beaucoup, ne pas être bons. Mais c’est maintenant qu’il faut agir et prévenir, et c’est l’État qui devrait être le grand ordonnateur de la nécessaire réaction économique et sociale au choc, en se faisant le plus politique possible, non de manière étatiste, mais comme un stimulateur, un investisseur et un protecteur. En somme, « être l’État » et appliquer la maxime traditionnelle du « Gouverner c’est prévoir » qui n’est vraiment possible que quand l’État est conscient de sa force et décidé à l’utiliser face aux appétits des charognards économiques et aux événements, même contraires.

 

L’actuelle République a montré, dans les premières heures de la crise sanitaire, ses faiblesses et révélé ses carences : manque d’anticipation, absence de politique claire et efficace, sans oublier les vastes étendues de son incompétence, voire de ses fautes. Mais la révélation la plus inquiétante a été celle du désarmement de l’État face aux enjeux du temps long : la République, en ses dernières présidences et en ses derniers gouvernements, a préféré le court-terme économique et l’immédiateté électorale au long terme politique et à la durée sans lesquels il n’y a rien de solide qui puisse être établi et tenir face aux tempêtes contemporaines. L’affaire des masques, entre autres, a montré l’incapacité de la République actuelle à se projeter au-delà d’un simple calendrier électoral dont la présidentielle serait l’horizon ultime et, parfois, vain.

 

La politique erratique du gouvernement face à la crise sanitaire ne doit néanmoins pas cacher le fait que, au milieu de l’épreuve, l’État a su, en quelques occasions, apparaître comme le protecteur que les Français, inquiets ou angoissés, attendaient : cela peut expliquer que, malgré ses fautes avérées, la République, à travers son premier ministre plutôt que par son président, a vu sa côte de popularité remonter, dans une sorte de réflexe de peur et de reconnaissance mêlées, comme cela a pu arriver en d’autres temps et au profit d’autres personnes ou institutions. Certains y ont vu une sorte de rappel de 1940 qui avait, au cœur de la douloureuse défaite, vu les Français se regrouper autour des figures d’une nouvelle légalité qui remplaçait celle qui avait fait défaut face à l’invasion (mais, malgré le désir et l’illusion, le résultat ne fut, en définitive, guère heureux). En fait, là, en 2020, c’est comme si la République avait synthétisé un président Albert Lebrun avec un maréchal Philippe Pétain dans le même mouvement d’ensemble ! Ce qui est certain, c’est que nous avons assisté à la confirmation de Créon, de cette légalité dont il n’est pas sûr qu’elle soit entièrement légitime au regard de l’intérêt commun quand elle peut l’être, néanmoins, électoralement parlant…

 

« La République de la peur » : c’est ainsi qu’elle peut apparaître aux yeux de nos contemporains et des opposants, souvent démunis car incapables d’accéder aux médias qui font l’Opinion publique, « gros animal bête que l’on mène » à défaut de le préserver vraiment. Mais cette République-là tient bon, non aux événements mais à ses oppositions qui ne sont pas toujours sensées ni politiquement assurées : car, pour s’opposer efficacement à cette République de Créon, encore faut-il la conscience d’Antigone et sortir de cette pensée qui emprisonne la légitimité dans la légalité dite démocratique. Non, la légalité issue des urnes, si elle peut apparaître comme l’expression majoritaire des citoyens à un moment donné, n’est pas forcément la légitimité susceptible de donner du sens et de l’autorité aux institutions du pays et des peuples d’icelui. Une masse d’électeurs ne fait pas, seule, la légitimité d’un État et elle la fonde encore moins quand la démocratie présidentielle paraît ne plus être que le spectacle de l’affrontement entre deux « absurdités » : le choix se limite alors à l’élimination du « pire » sans satisfaire complètement une large partie du corps électoral « éliminée » dès le soir du premier tour de la présidentielle… Le résultat final accroît la frustration d’un électorat qui se croit privé de sa capacité d’intervenir vraiment, dans son identité politique (qu’elle soit de droite, de gauche, écologiste ou nationaliste, sociale ou morale), dans le choix de la direction de l’État.

 

Cette crise sanitaire est l’occasion de poser donc la question de l’État légitime, et d’envisager quelles pourraient être ses possibilités, autant face à une crise sanitaire ou économique que face à celle de la représentation civique, de ce que l’on nomme communément (et peut-être abusivement) « démocratie ». Tout d’abord, quelles institutions peuvent garantir l’inscription de la volonté politique dans la durée tout en assurant la possibilité de contestation de celle-ci et de remise en cause sans atteindre à la stratégie de long terme de l’État ? Pour assurer la continuité de l’État, le mieux semble bien de garantir celle de sa magistrature suprême et cela ne peut se faire, concrètement, que par la pratique du principe de succession dynastique : le Chef de l’État succède à celui d’une génération précédente, parce le fils succède au père. Au-delà du rajeunissement immédiat de la tête de l’État, qui n’est pas une mauvaise chose, ce système permet d’éviter le choc des ambitions partisanes pour sa conquête et, donc, la dépréciation de l’État lui-même.  La présidentielle, en effet, semble soustraire les voix (qu’il faut considérer comme « énergies civiques » permettant la reconnaissance et l’action de l’élu) du candidat battu au second tour des voix du gagnant, ce qui limite les marges de manœuvre du président élu, souvent de manière négative ces dernières décennies (1). Ce qui aurait pu permettre un « bain de légitimité » au-dessus des partis, comme le souhaitaient les fondateurs de la Cinquième République et le comte de Paris (1908-1999), est, très vite, devenu une désacralisation de la magistrature suprême, sans doute dès les années 1970, parce que l’élection présidentielle, au lieu d’être la rencontre d’un homme avec le peuple civique, s’est muée en « horizon ultime des ambitieux », ceux-ci affaiblissant par leurs stratégies électoralistes et leurs luttes politiciennes la tête de l’exécutif qu’ils semblaient vouloir couper avant que de l’incarner à leur tour… Chaque présidentielle depuis les années 1970 a affaibli la présidence, en particulier face aux féodalités économiques et financières de plus en plus nécessaires à l’ascension d’un candidat vers le Mont-Blanc élyséen ! Et, une fois élu, le nouveau souverain de la Cinquième est condamné à préparer sa réélection. Cette République est ainsi devenue, contre l’idée du général de Gaulle, une « présidentielle permanente ».

 

La transmission du père au fils, plus simple et, en définitive, plus humainement naturelle, ramène les appétits politiques à l’échelon inférieur, celui du gouvernement, qui n’est pas moins important sur le plan de l’exercice de l’État mais, du coup, cela libère la magistrature suprême de certaines pressions partisanes et lui permet de jouer un rôle d’arbitre suprême de la politique sans « abîmer » inutilement la figure de l’État, préservée des querelles, du moins dans le principe. « La première place est déjà prise », et cette règle simple établie, cela permet d’envisager la politique gouvernementale de façon aussi plus libre et moins obsédée par la conquête de l’échelon supérieur. En somme, le Roi assume, comme l’évoquait le républicain Régis Debray dans un écrit ancien préfaçant un ouvrage de réflexion royaliste (1), le « spectacle de l’État » et libère ainsi et aussi le gouvernement de cette fonction nécessaire de représentation étatique. N’est-ce pas le meilleur moyen d’assurer une plus grande efficacité au gouvernement lui-même, et cela quelle que soit sa couleur politique ?

 

 

(à suivre)

 

 

Notes :

 

(1) : 52 ou 66 % forment une majorité électorale, mais cela peut être calculé différemment dans une République « clivante », et si on pense en termes « d’énergies civiques », c’est plutôt par la soustraction qu’il faut penser les choses, ce qui donne alors un résultat moins beaucoup moins net : 52 % des partisans du gagnant moins les 48 % des perdants, ce qui donne alors juste un résultat de 4 % de « plus », que nous pourrions qualifier de solde énergétique civique positif, évidemment plus important quand c’est 34 % qu’il faut retirer de 66 %, mais constatons que l’énergie « minoritaire » (au regard du résultat de second tour de l’élection présidentielle de 2017) s’est muée en multiples oppositions extrêmement dynamiques et paralysantes, du moins un temps, des initiatives et actions de l’État, considérées comme légales et d’ailleurs inscrites dans la loi, mais de moins en moins acceptées et considérées, à tort ou à raison, comme « illégitimes », et cela malgré le « sacre électoral » dont l’onction semble ne plus satisfaire nombre de membres du corps civique français…

 

(2) Le livre « Monarchie et politique étrangère » d’Yves La Marck, publié en 1985 par la Nouvelle Action Royaliste, était préfacé par Régis Debray qui avait été un temps conseiller du président François Mitterrand.

 

 

 

02/03/2020

Le 49.3 de la République macronienne.

Ainsi, nous y sommes : le premier ministre qui, en d’autres temps (ceux de son opposition au pouvoir hollandiste), dénonçait le recours gouvernemental à l’article 49.3, en use à son tour, non pour faire taire une quelconque contestation au cœur de sa majorité parlementaire (ce qui, en somme, était l’argument rituel d’usage de ce fameux article), mais pour contourner les débats parlementaires et, surtout, abréger le temps qui leur était nécessaire, selon les us et coutumes de la démocratie représentative. Le gouvernement n’a jamais caché qu’il entendait en finir avec la première lecture de la réforme des retraites avant les élections municipales qui, si l’on en croit les études d’opinion, s’annoncent piteuses pour le parti présidentiel : et la cause est entendue, à défaut que ce soit les syndicats ou les professions organisées comme celle des avocats, plus que sceptiques à l’égard d’une loi spoliatrice de leur caisse autonome de retraites, véritable « patrimoine corporatif ».

 

Que nous apprend cet épisode de la vie politique française ? Sans doute que la dyarchie républicaine fondée sur le tandem président de la République-premier ministre fonctionne mieux que la démocratie parlementaire elle-même, cantonnée à un rôle d’acceptation plus que de décision proprement dit, sauf en cas de proposition de loi déposée par un député et votée par la majorité de ses collègues, du moins quand le gouvernement ne fait pas savoir qu’il s’y oppose... Sous la Troisième et Quatrième Républiques, la discipline partisane de vote était, sans doute, moins contraignante, hormis pour les partis « durs » souvent partisans d’un régime qui ne l’était pas moins, comme le Parti Communiste par exemple. Mais il n’est pas certain que, si la liberté des parlementaires paraissait mieux assurée (ce qui reste tout de même à confirmer), la liberté des citoyens et l’autorité de l’Etat étaient mieux reconnues et assumées… Et l’antiparlementarisme virulent en ces deux régimes avait sans conteste quelques bonnes raisons d’exister, au moins autant que de mauvaises, selon les périodes et les cas ! Les scandales de Panama ou Stavisky, d’ailleurs, jetaient dans les rues de Paris des foules de manifestants qui rêvaient de faire un mauvais sort à une République qui semblait, à travers ceux qui étaient censés en être les législateurs, éminemment corrompue et corruptrice, et qui paraissait priver l’Etat de toute indépendance à l’égard d’un « pays légal » dominé par de sombres officines et d’illusoires vertus… Bien sûr, la réalité était-elle sans doute moins simpliste mais il n’en demeurait pas moins que l’Etat était faible, trop faible et méprisé quand il aurait fallu, au regard des enjeux du moment, un Etat solide, crédible et capable d’autorité sans despotisme : à bien y regarder, la République était forte quand l’Etat, et en particulier sa magistrature suprême, était faible et soumis aux groupes de pression, féodalités si bien dénoncées par Bernanos ou par Gabin dans une scène d’anthologie du film « Le Président » tiré du livre de Georges Simenon, lui-même plutôt réservé à l’égard du parlementarisme… L’Etat n’était que le desservant des féodalités, et non « le maître » qu’il affirmait être, et c’était l’Administration, phagocytée par les républicains depuis la fin des années 1870, qui semblait commander, sans faire grand cas ni des libertés provinciales ni des citoyens eux-mêmes, considérés sous le seul angle des électeurs qu’ils étaient par la grâce du suffrage universel : au sein de ces Républiques, l’alternance pouvait exister entre Droite et Gauche (ou ce que nous nommons ainsi aujourd’hui), mais non l’alternative, en particulier royale, qui était interdite comme le soulignait la loi d’exil de 1886, votée pour éloigner les descendants des familles ayant régné sur la France de la terre même d’un pays construit par leurs ancêtres ! Et les débats autour de la levée de cette loi d’exil, à la veille de 1950, montrent encore combien la représentation parlementaire de la Quatrième République, en ses franges « républicaines auto-proclamées », craignait que ce retour d’une famille royale soit l’annonce d’une restauration monarchique, pourtant devenue beaucoup moins assurée qu’avant 1914.

 

La Cinquième République, malgré tous ses défauts, a sorti l’Etat de sa dépendance à l’égard des baronnies parlementaires, et le « pays légal » s’en est trouvé transformé et privé, en partie, de son pouvoir d’influence et de nuisance sur l’Etat et sa magistrature suprême : la personnalité et la doctrine de son fondateur n’y sont évidemment pas pour rien. Mais, tout en restaurant l’éminente dignité de l’Etat, dans une perspective à la fois capétienne et « res-publicaine », il n’a pas résolu vraiment, au-delà de son règne, la question de la continuité de sa magistrature suprême, et de sa nécessaire conjugaison avec l’exercice des libertés publiques et « sociales » (au sens des rapports sociaux dans les différents cadres « communautaires », de la famille à la nation) : il a manqué à sa « monarchie républicaine » (dont j’ai déjà évoqué plus haut l’aspect dyarchique, plus ou moins prononcé selon la personnalité des intéressés) la part royale qui aurait pu lui permettre de fonder un nouveau pacte socio-politique. Non qu’il n’y ait pas pensé, mais parce qu’il a manqué à sa « régence » l’aboutissement royal qu’aurait pu incarner le comte de Paris de l’époque. Tout comme, faute de temps et de soutien, il n’a pu mener à leur terme les deux grands projets qui lui tenaient à cœur, la participation et la régionalisation, projets éminemment social et corporatif pour l’un, éminemment décentralisateur et « maurrassien » pour l’autre. La République ne lui a pas permis cet « accomplissement », et une fois son successeur à son tour enterré, elle a repris son cours plus politicien que politique, malgré quelques aspects persistants que d’aucuns qualifieront désormais de « gaulliens ».

 

Il est fort possible que cet « inaboutissement » de la Cinquième République version « de Gaulle » explique, au moins en partie, les blocages actuels qui, en définitive, ne sont pas inédits, Michel Rocard étant, je crois, celui qui a le plus usé (donc abusé ?) de l’article 49.3 durant son primo-ministériat, et cela pour éviter que sa propre majorité ne lui fasse défaut : il est vrai que la perspective d’une dissolution de l’assemblée nationale par le président en cas de renversement du gouvernement n’était pas (et n’est toujours pas, dans le « nouveau monde » macronien) vraiment pour plaire aux députés, plus attachés à leur siège qu’à leurs principes. Cette « sainte frousse », toute laïque qu’elle soit, a sauvé plus d’une fois des gouvernements très critiqués par ceux-là mêmes qui, 49.3 oblige, ne se risquaient pas néanmoins à tenter le diable de la dissolution… « Démocrates, mais pas trop », en somme !

 

Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui l’usage du 49.3 témoigne de l’impuissance et de la morgue d’une République qui ne sait plus trouver les mots pour apaiser le « pays syndical » mais aussi et surtout le « pays réel » dont la couleur fluo fut, l’an dernier, la couleur de ralliement et de révolte. Sa proclamation à la tribune de l’assemblée nationale, en un samedi de mobilisation contre le coronavirus, paraît plus que maladroite : méprisante ! Si les députés de M. Mélenchon ont plutôt mal joué une obstruction qui a agacé plus qu’elle n’a convaincu les Français, le gouvernement, lui, nous a rappelé que la République contemporaine n’aime pas, et pas plus que les précédentes, la contradiction politique à l’assemblée ni le désaveu populaire qui, d’ailleurs, ne sait plus très bien comment s’exprimer pour se faire, au moins, entendre !

 

Cette affaire, qui va énerver et diviser un peu plus une opinion publique déjà bien écorchée, montre que la République, désormais, n’est pas totalement crédible quand elle parle et se targue de démocratie tout en fuyant le rappel aux urnes ! Sans doute est-il temps de repenser les rapports entre la représentation politique et l’autorité de l’Etat, par une meilleure organisation des communautés et des pouvoirs politiques des « pays réels » qui « sont » la France au sens « res-publicain » du terme : cela passe par l’instauration d’un Etat qui ne doive rien aux « combinaisons et arrangements » du pays légal et dont l’indépendance « par nature et par statut » autorise une organisation que l’on pourrait qualifier de « fédérative des peuples et pays de France ». Une assemblée des « nations » de France, sans forcément écarter complètement la possibilité d’un 49.3 ou d’un équivalent moins brutal, permettrait d’en faire, le plus souvent, l’économie, quand une magistrature suprême de l’Etat, royale, assurerait l’incarnation de l’unité française aujourd’hui bien malmenée et trouverait d’autres conditions de relations entre citoyens, pouvoirs locaux et institutions nationales : en somme, remettre de l’huile dans les rouages d’une France aujourd’hui grinçante par la faute d’une République oublieuse des devoirs politiques et sociaux qui s’imposent à tout Etat digne de ce nom et de ses fonctions symboliques comme pratiques…