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15/05/2017

Quand la République interdit un prénom breton...

En France, la République s'est construite contre les diversités françaises, au nom d'une « unité et indivisibilité » qu'elle a inscrite, dès ses origines, dans ses textes, aussi bien idéologiques que législatifs : ne s'agissait-il pas de lutter contre ces « reliquats de l'Ancien régime » qu'étaient, entre autres, les langues des provinces et pays de France, si dangereuses pour ceux qui parlaient d'égalité et la concevaient d'abord comme le moyen d'imposer leur idéologie à tous, comme la domination d'un modèle qui était, d'abord, le leur ? Ainsi, l'abbé Grégoire, l'un des grands noms de la Révolution, déclare devant la Convention en 1793, que, grâce à la seule langue française dûment imposée à tous les Français, « les connaissances utiles, comme la douce rosée, se répandront sur toute la masse des individus qui composent la nation ; ainsi disparaîtront insensiblement des jargons locaux, les patois de six millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale. Car, je ne puis trop le répéter, il est plus important qu'on ne pense en politique d'extirper cette diversité d'idiomes grossiers, qui prolongent l'enfance de la raison et la vieillesse des préjugés ».

 

La France qui « s'appelle diversité », selon Fernand Braudel, devait ainsi céder le pas à une conception uniforme de la Nation à laquelle les républicains mettent alors une majuscule comme pour bien signifier sa transformation, de terme abstrait désignant un fort ensemble de réalités (selon la définition maurrassienne) en une idéologie désormais obligatoire pour qui veut rester français : ce « nationalitarisme » utilisera la contrainte et la réglementation administrative, mais aussi l'école à partir de Ferry, pour chasser les langues de France des lieux et mémoires de notre pays, au risque d'assécher la vitalité des particularités françaises et de couper nombre de Français de leurs racines. La République, en cela comme en d'autres domaines, ne fut pas l'ouverture et le dialogue mais bien plutôt la fermeture et la dictature linguistique : que de liens avec une « histoire d'histoires » tranchés par cette uniformisation nationalitaire !

 

Aujourd'hui, et bien longtemps après les mesures supplémentaires d'interdiction de la langue bretonne édictées en 1902 par une République des radicaux qui ne voulaient voir de la langue bretonne que celle des « irréductibles chouans », les parlers de Bretagne sont exsangues et peu de Bretons savent le passé de leur terre natale. Certes, les drapeaux bretons fleurissent dans les rues de la province et décorent les plaques d'immatriculations des « quatre » départements d'une région administrative toujours amputée de sa capitale historique et ville des ducs de Bretagne, Nantes : le redécoupage du quinquennat Hollande a furieusement rappelé le peu de cas que la République fait de l'histoire et du désir des Bretons de renouer avec l'intégrité territoriale bretonne, et les régionalistes ont vu l'illusion d'une « réunification de la Bretagne » disparaître dans une brume qui n'avait rien de printanière...

 

Néanmoins, de nombreux Bretons prénomment leurs nouveaux-nés en se souvenant du riche patrimoine culturel de leur province : Soazig, Yann, Fulup, Erwan, etc. sont autant de prénoms courants dans les foyers de Bretagne (et bien au-delà, d'ailleurs), et cela me réjouit en tant qu'originaire de cette province si singulière (du pays gallo, très exactement), même si ma propre tradition familiale est bien plutôt ancrée dans la langue française comme l'indique mon propre état civil.

 

Or, l'autre jour, les services administratifs de la ville de Quimper ont informé une famille qu'elle ne pouvait prénommer Fañch son fils nouvellement né, du fait de l'existence d'une circulaire en date du 23 juillet 2014 émanant du ministère de la Justice (dirigée alors par Mme Christiane Taubira) et interdisant l'emploi du « tilde », ce petit accent « ~ » sur le « n » fort courant en Espagne mais plus rare (sans être inexistant) en France (1). Non pas que l'état-civil de la ville du Finistère veuille empêcher ce prénom (la Ville de Quimper est favorable à la prise en compte de ce prénom tel qu'il est correctement orthographié en breton), mais parce que la Loi semble, en l'état actuel des choses, l'interdire !

 

Selon le communiqué publié ce lundi, la Ville prend fait et cause pour la famille et son droit de prénommer comme elle le souhaite son enfant, et rappelle que « l'article 75-1 de la Constitution de la République française proclame que les langues régionales sont reconnues comme appartenant au patrimoine de la France » : en fait, cet article, qui a moins de dix ans (2), n'a pas encore été bien assimilé par une République qui ne l'a vu que comme une concession à des régionalistes soutenus alors, pour des raisons pas forcément innocentes, par l'Union européenne soucieuse de « diviser les États pour mieux s'imposer à eux ». En fait, l'UE n'a pas de vocation régionaliste, et sa politique apparemment favorable aux langues régionales n'est malheureusement qu'un leurre, confirmé par l'anglicisation forcenée des actes administratifs et de tous (ou presque) les documents travaillés ou fournis par la Commission qui prétend la diriger, et par ce nouveau jacobinisme bruxellois qui se fait de moins en moins discret ces dernières années, et cela malgré les résistances populaires nombreuses dans les vieux États du continent...

 

Le communiqué poursuit : « Il n'y a, à nos yeux, aucune raison, qu'elle soit juridique ou humaine, pour que Fañch soit privé du tilde qui orne son prénom. Ce n'est ni accessoire, ni anodin. Nous assumons notre position et comptons sur la compréhension des autorités administratives qui ont maintes fois démontré leur aptitude à se remettre en cause et amender voire supprimer des textes qui n'ont plus lieu d'être. » Derrière l'ironie qui teinte légèrement la dernière phrase du communiqué quimpérois, il y a là une mise en demeure légitime faite à la République parisienne de laisser les provinces et les particuliers vivre leur identité historique et enracinée. Mais, peut-on faire confiance en une République qui, depuis ses origines, a tant malmené les langues et les particularités provinciales, et qui continue à le faire, par des vexations administratives encore si fréquentes, comme inhérentes même à ce que semble être la République « une et indivisible » ?

 

L'écrivain breton Job de Roincé, dans son livre « La Bretagne malade de la République » publié dans les années 1970, doute que la République puisse jamais s'amender en ce domaine : fort de l'expérience des siècles passés et de la comparaison entre les régimes qui s'étaient succédé à la tête du pays, il en concluait que la Monarchie était, qu'on le veuille ou non, le seul moyen institutionnel de satisfaire les aspirations régionalistes bretonnes. Les événements de ces dernières années, même lorsqu'ils peuvent sembler anecdotiques (mais n'en sont-ils pas plus révélateurs encore ?), lui donnent, trente-cinq ans après sa disparition, encore et toujours raison...

 

 

 

 

 

 

Notes :

 

(1) : ainsi, ce tilde apparaît bien visible sur la pierre tombale protégeant le cœur de Bertrand Du Guesclin, dans la basilique Saint-Sauveur de Dinan : il joue un rôle particulier, car il surplombe le « a » et, en fait, se lit « an ». Le texte est pourtant en français, et c'est le nom de France lui-même qui est écrit, sur le carditaphe, avec cette orthographe particulière : « Frãce »...

 

 

(2) : L'article 75-1 introduit les langues régionales dans la Constitution, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, mais il ne donne, selon le Conseil constitutionnel, aucun droit ou liberté opposable par les particuliers et les collectivités, et cela montre bien les résistances administratives d'un jacobinisme d’État qui n'arrive toujours pas à comprendre que la France n'est pas l'uniformité mais qu'elle est, toute à la fois, « l'unité et la pluralité ».

 

 

 

 

13/05/2017

La lutte pour sauver les emplois de GM&S Industry.

La situation sociale en France est explosive, et ce n'est pas forcément une simple image : dans la Creuse, à La Souterraine, les salariés de l'équipementier automobile GM&S Industry menacent de faire sauter leur usine si les constructeurs, et en particulier Renault, ne s'engagent pas pour maintenir un volume de commandes suffisant pour pérenniser l'entreprise et les emplois. En fait, ce n'est pas la première fois que des ouvriers menacés de licenciement utilisent cette méthode, certes rude mais souvent seul moyen pour faire entendre leur désespoir et leurs revendications près d'une République plus intéressée par les dividendes attendus de la mondialisation et, parfois, par ceux des actionnaires (« un fonds de commerce électoral », selon un politologue, non par le nombre mais par leurs « dons » aux partis politiques), que par le maintien d'emplois considérés comme « inadaptés » à la nouvelle Division internationale des processus productifs qui tend à transformer la France en un pays de « services » sans industries... La même thématique mondialisatrice, que je qualifierai de « fataliste », nourrissait le discours de M. Macron devant les ouvriers de Whirlpool, déjà oubliés par les politiciens en quête de succès électoraux quand il vaudrait mieux quelques réussites économiques pour pousser quelques avancées sociales aujourd'hui bien nécessaires au moral public du pays et de ses travailleurs.

 

Ce qui est particulièrement choquant dans cette nouvelle affaire, c'est que, selon le négociateur de crise et gestionnaire de transition, le site est parfaitement viable, mais c'est Renault qui semble bloquer toute possibilité de pérennisation de l'activité, sans doute parce que M. Ghosn, patron payé grassement et de façon démesurée au regard de la manière dont il traite les salariés de son groupe, cherche toujours la meilleure profitabilité pour les actionnaires et non pour les ouvriers : son cynisme de grand féodal libéral est une mauvaise nouvelle pour qui est soucieux de justice sociale, mais il est la coqueluche des milieux financiers et des classes dominantes « asociales ». Certains trouveront mon propos exagéré ? Ce qui l'est, réellement, c'est l'indécence sous couvert de stratégie économique de certains grands capitaines d'industrie qui négligent les devoirs sociaux de leur situation avantageuse !

 

La fermeture définitive de cette usine entraînerait la disparition de 280 emplois directs mais, selon le premier adjoint à la mairie de La Souterraine et président de la communauté de communes de l'Ouest creusois, M. Lejeune, dans un entretien cité par Le Figaro sur son site électronique, et il ajoute : « A l'échelle de la communauté, sur un bassin de 25.000 emplois, ce sont 800 personnes qui sont concernées indirectement. (…) Il faut bien être conscient que si les salariés se retrouvent au chômage, compte tenu de leur compétence et de la place de l'industrie automobile dans les alentours, on ne pourra rien leur proposer comme emploi similaire ».

 

Alors, peut-on laisser faire sans réagir ? Dans la logique libérale actuelle ne sont prévues, en général, que quelques indemnités pour les salariés et des propositions de travail pas toujours adaptées ni aux travailleurs ni au bassin d'emplois local. C'est, évidemment, peu satisfaisant pour les premiers concernés, et cela risque d'aggraver un peu plus la fracture territoriale qui se traduit par une colère de moins en moins sourde et, au contraire, fort bruyante des personnes lors des élections générales.

 

Si le rôle de l’État n'est pas de tout faire ni de produire par lui-même, il a néanmoins le devoir d'assurer le maintien et le développement des activités productives prioritairement nécessaires au pays, et de préserver les conditions d'une bonne répartition des revenus entre les différentes catégories professionnelles selon leur qualité et leur quantité de travail. La justice sociale ne doit pas être une option dans la politique économique de notre nation mais bien une obligation morale et politique tout à la fois, qui doit motiver l’État et ceux qui l'incarnent et le servent. Il n'est pas certain que la République, trop souvent serve de l'Argent et de sa logique impitoyable, soit le régime le plus approprié pour imposer aux féodalités financières et économiques cette élémentaire et nécessaire justice sociale : quand la Monarchie n'hésite pas à emprisonner Fouquet, la République, elle, s'incline trop souvent devant Mammon...

 

 

 

 

 

 

 

10/05/2017

L'Union européenne contre le protectionnisme européen de M. Macron.

Dimanche soir, toute l'Europe (du moins les gouvernements européens de l'Union et ses institutions) était « macroniste » : l'ancien ministre de l'économie de François Hollande était celui que tous semblaient espérer et tous voyaient en lui le nouveau sauveur de la construction européenne, et le disaient, le clamaient à l'unisson. Mais, une fois les lampions précocement éteints, l'Union européenne, comme dégrisée, dénonce la volonté affirmée dans son programme d'une certaine régulation de la mondialisation, ce qui est tout de même fort de café au regard de la situation actuelle, en particulier de l'usine Whirlpool et de la délocalisation spéculative pratiquée par la multinationale états-unienne, opération qui laisse plus de 280 personnes sur le carreau, sans compter les intérimaires et les sous-traitants.

 

Dans son édition du mercredi 10 mai et en ses pages économiques, Le Figaro (sous la plume de Jean-Jacques Mével) évoque de quoi il retourne, sans donner tort à M. Macron dans ce qui s'annonce comme l'un des premiers bras de fer du nouveau président avec Bruxelles et, peut-être, Berlin : « Emmanuel Macron jure qu'il ne soutient ni « la mondialisation naïve », ni le libre-échange à tout va. Et c'est un projet littéralement protectionniste du président élu qui commence à semer le trouble à Bruxelles, à Berlin et dans d'autres capitales du nord de l'UE : réserver les marchés publics du Vieux Continent aux entreprises qui localisent la moitié au moins de leur production sur le sol européen. » Fichtre ! Le grand mot est lancé, celui que M. Hollande vouait l'autre jour aux gémonies : protectionnisme.

 

En fait, ce « protectionnisme » évoqué par Le Figaro n'est pas un protectionnisme national mais bien plutôt un protectionnisme européen, que le journal rebaptise, comme pour enfoncer le clou, « patriotisme économique », formule jadis utilisée par M. de Villepin, aujourd'hui soutien du nouveau président. Mais, européen ou non, c'est toujours un sacrilège économique pour les grands prêtres de la mondialisation, qui voit dans cette proposition de M. Macron « une solution de facilité d'inspiration populiste », selon la formule lâchée, à en croire le quotidien de droite, « au plus haut de la Commission » (Juncker ? Moscovici ?). « C'est surtout le credo libéral que suit rigoureusement la Commission Juncker, en publiant ce mercredi ses « Réflexions sur une reprise en main de la mondialisation » (…).

« Le document (…) reconnaît que « le revenu réel des classes moyennes a stagné dans l'UE durant la dernière décennie », avec un risque réel que « les inégalités s'accroissent encore, en même temps que la polarisation sociale ». La mondialisation et l'accélération technologique ne sont pas des mutations de tout repos. »

 

Ainsi, la Commission, dans sa grande bonté, « reconnaît » les conséquences sociales ennuyeuses de la mondialisation mais, surtout, pas question de toucher à ce tabou des temps (et des élites, ou supposées telles ?) contemporains : le dogme avant tout, l'idéologie d'abord, et tant pis pour les nouveaux « vaincus de l'intégration mondiale », qui pourront toujours se recycler dans une profession uberisée ou numérisée... Ce cynisme fait froid dans le dos, et il prépare les colères de demain, que cette même Commission qualifiera, avec une moue dégoûtée, de « populismes ».

 

Les dirigeants des institutions de l'Union européenne affirment ainsi que les évolutions en cours, y compris dans leurs aspects les plus socialement injustes, « ne peuvent être ni stoppées, ni inversées », ce qui me semble faire preuve d'un grand fatalisme et d'une absence de volonté (et de courage) dont, pourtant et a contrario, les mêmes n'hésitent pas à faire montre quand il s'agit d'appeler les États (dont, au premier rang, la France) à mener les fameuses « réformes » qui doivent libéraliser un peu plus la vie économique et sociale, au risque de créer de nouveaux déséquilibres et de nouveaux drames sociaux sur nos territoires.

 

Le texte de la Commission poursuit : « Si nous fermons nos frontières, les autres feront de même et tout le monde se retrouvera perdant », argument désormais classique des libre-échangistes et qui semble oublier que, hors d'Europe, la plupart des pays protègent leurs industries et leurs marchés des intrusions qui leur semblent menacer leurs propres populations et souveraineté économique. C'est ce dernier point que, d'ailleurs, souligne le journaliste : « L'idée, inscrite noir sur blanc dans le programme du candidat à l’Élysée, n'est pas nouvelle. L’État chinois et d'autres géants pratiquent le patriotisme économique sans arrière-pensée. Les États-Unis appliquent leur Buy American Act depuis 1933, quand l'instauration de barrières commerciales devait accélérer la sortie de la Dépression. Lors d'un autre passage à vide, un demi-siècle plus tard, le président Reagan a élargi la préférence nationale à l'industrie du transport de masse.(...)

« La classe politique française, à défaut de maîtriser la mondialisation, se remémore à chaque élection qu'elle pourrait user de la commande publique comme un bras armé, notamment dans les transports et les chantiers d'infrastructure. » Cette proposition, si elle ne peut assurer à elle toute seule une stratégie économique face à la mondialisation, a au moins le mérite de remettre le politique et l’État au cœur du jeu, permettant la préservation des intérêts de l'économie nationale et des salariés français, ce qui n'est tout de même pas négligeable, me semble-t-il !

 

En tout cas, ce qui est certain, c'est que le nouveau président va devoir batailler ferme pour tenir ce qui n'était jusqu'alors qu'une promesse de campagne : si le protectionnisme européen n'est pas la solution idéale (et les salariés de Whirlpool en sont bien conscients, puisque le pays, la Pologne, qui va accueillir leurs machines et leurs emplois délocalisés appartient à l'Union européenne...), il peut apparaître comme une première protection utile pour maintenir une part du travail en France et garantir des règles sociales un peu plus favorables aux ouvriers français qu'aujourd'hui.

 

A l'inverse, si M. Macron cède aux oukases libre-échangistes de Bruxelles (et de Berlin ?), son quinquennat ne sera que la triste continuation du précédent et il n'aura aucune excuse à mes yeux et à mon cœur de royaliste social. Le test est d'importance : au-delà du président fraîchement élu, il concerne l'avenir économique et, en particulier, industriel de la France pour les décennies à venir.

 

Mais, il faudra sans doute penser plus loin que ce protectionnisme-là, pas totalement satisfaisant, et, dans le même temps, produire et consommer plus local...