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04/03/2008

Croissant chiite.

La visite de ces derniers jours du président iranien Ahmadinejad à Bagdad est un événement d’une grande importance géopolitique et qui pourrait changer la donne dans la région de façon durable. En effet, qu’a-t-on vu ? Un président qui est la bête noire des Etats-Unis parader dans la « zone verte » largement contrôlée et sécurisée par les troupes états-uniennes elles-mêmes et déclarer à son homologue irakien qu’il est urgent que l’Irak soit rendu aux Irakiens, en somme que les Etats-Unis s’en aillent…

 

En fait, ce que les analystes annonçaient depuis quelques années se met peu à peu en place : la chute du nationalisme laïque d’un Saddam Hussein ouvre la voie à des recompositions géopolitiques qui peuvent désormais se faire sur des bases d’abord religieuses et communautaires. La guerre civile qui a éclaté après la destruction de la mosquée chiite de Samara en 2006 a divisé, voire fracturé, la nation irakienne entre sunnites et chiites, les Kurdes ayant déjà pris leurs distances avec le pouvoir central de Bagdad depuis longtemps. Cette division se traduit par la construction d’un mur en plein cœur de la capitale irakienne qui sépare communautés sunnite et chiite, et par le vote au Congrès états-unien (il y a quelques mois) d’une motion appelant à une division statutaire en trois parties de l’Irak actuel.

 

Alors que la guerre avait opposé l’Iran des ayatollahs et l’Irak, alors soutenu par l’Occident, dans les années 80, cette visite du président iranien souligne la formation, de moins en moins discrète, d’un véritable « croissant chiite » géopolitique qui peut inquiéter les autres pays musulmans de la région, principalement sunnites, et les puissances occidentales : ces derniers craignent que l’Iran prenne, d’une certaine manière, le relais de l’opposition d’Al-Qaïda qui, par l’utilisation du terrorisme « aveugle » (pas tant que cela, d’ailleurs…), s’est largement discréditée et, surtout, qui donne aux Etats-Unis un alibi, une forte légitimité à combattre et à être présents sur des territoires « sensibles » sur le plan géopolitique comme géoéconomique… D’ailleurs, le groupe terroriste Al-Qaïda lui-même s’en inquiète, pour des raisons religieuses comme politiques : raisons religieuses car le chiisme lui apparaît comme la pire des hérésies et la plupart des attentats des partisans de Ben Laden en Mésopotamie touchent les chiites, encore plus que les troupes états-uniennes ; raisons politiques car l’Iran, en cherchant à posséder l’énergie nucléaire, y compris peut-être militaire, apparaît comme la « tête » de l’opposition islamique aux Etats-Unis et, plus largement, du monde musulman dans la mondialisation, au grand dam des autorités sunnites.

 

D’autre part, cette alliance « de fait » entre les chiites d’Iran et d’Irak compliquent la tâche des Occidentaux qui voudraient dénoncer ou même frapper l’Iran : la visite d’Ahmadinejad signifie aux Etats-Unis et à leurs alliés que s’en prendre à l’Iran c’est s’en prendre à tous les chiites, qu’ils soient en Irak, en Syrie ou au Liban… A moins que les Etats-Unis « laissent faire » pour se rallier les sunnites inquiets de la montée en puissance de leurs adversaires religieux de toujours : c’est une stratégie qui ne serait pas si absurde quand on sait que l’un des principes de la géopolitique est aussi de « diviser pour mieux régner », de jouer sur les contradictions (en particulier celles des autres…) pour asseoir son arbitrage, son autorité.

 

Dans cette situation géopolitique particulière, il serait éminemment dangereux de laisser les Etats-Unis maîtres du jeu car cela serait accepter de n’être que les pions (témoins ou seconds rôles, c’est-à-dire « mercenaires ») d’une politique qui ne serait pas la nôtre et qui pourrait nous entraîner là où nous ne voulons pas aller. Là encore, maîtriser notre destin passe par une diplomatie qui sache être indépendante du « bloc atlantique », c’est-à-dire aussi de cette Union européenne qui, par son propre traité constitutionnel, assure ne pas vouloir être indépendante des décisions de l’OTAN, organisation qui reste le meilleur moyen pour les Etats-Unis de garder la main sur le continent européen…

 

29/12/2007

Irak et diplomatie française.

La barbarie ne prend jamais de repos en Irak, comme le rappelle « Marianne » dans sa dernière édition : « 42. C’est le nombre de femmes tuées depuis trois mois par les milices religieuses chiites à Bassora, pour être sorties maquillées ou sans voile. On a retrouvé leurs corps mutilés sur des monceaux d’ordures. C’est ce qui s’appelle l’Irak libéré ». Ainsi, ce pauvre pays est passé d’une tyrannie laïque à une démocratie islamiste sauvage : pas certain que cela soit un grand progrès… En tout cas, l’intervention états-unienne, cette « guerre démocratique » a ouvert une boîte de Pandore que personne ne sait comment refermer.

 

Cette maladresse criminelle de Washington, cette politique de la canonnière qui rappelle les « westerns » manichéens (bons cowboys, méchants Indiens…), doivent nous inciter à penser une diplomatie indépendante, non pas « contre les Etats-Unis » (ce qui serait ridicule) mais « au-delà » d’eux, sans qu’ils soient le seul point de repère de notre politique étrangère : c’est la politique capétienne reprise et assumée par de Gaulle dans les années 60 et qui ont refait alors de la France une puissance libre, capable de jouer son rôle actif d’arbitre et de médiatrice sans négliger pour autant ses propres intérêts.

 

Il est fort dommage que nos partenaires de l’Union Européenne aient choisi sans sourciller de sacrifier toute velléité d’indépendance militaire et diplomatique par le simple fait de mettre la Défense européenne sous le contrôle effectif de l’OTAN, comme l’indique la Constitution modifiée… Pendant ce temps, la Russie s’éloigne de l’Europe et se tourne de plus en plus vers l’Asie, en particulier vers la Chine : or, si la Russie abandonne l’Europe, cette dernière ne sera plus que l’appendice continental d’une sorte d’Union Occidentale ayant pour capitale décisionnaire Washington, et il n’est pas certain que, au regard des tempêtes qui se préparent en différents coins du monde, cela soit le meilleur moyen de préserver notre liberté, publique comme privée. Mais le pire n’est jamais certain et le « retour de la Russie » comme le « retournement turc » montre bien que, ainsi que le soulignait de Gaulle, « les alliances sont saisonnières » et, surtout, comme le rappelle Hubert Védrine dans un récent ouvrage, « l’Histoire continue »…

 

En attendant, les femmes d’Irak continuent de vivre dans la peur et les fanatiques islamistes n’attendent que le départ des derniers soldats occidentaux pour établir définitivement leur loi sur un pays ravagé et humilié… Quel gâchis !