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02/09/2008

Rentrée scolaire.

La rentrée est faite et mon lycée a retrouvé son activité habituelle, avec ses traditionnels embouteillages dans les couloirs et les escaliers, ses profs aux bras pleins de bouquins et de polycopiés, ses élèves un peu inquiets à l’aube d’une nouvelle année, parfois déterminante pour certains d’entre eux. Quant à moi, j’ai repris mon rythme ordinaire, entre les cours, les lectures et préparations, les nombreuses discussions dans les couloirs ou dans les salles de profs : une routine qui n’en est pas vraiment une, dans le sens où mes interlocuteurs sont fort divers et souvent très intéressants, et que les sujets abordés sont eux aussi très variés.

Bien sûr, il y a les rumeurs de réforme et les craintes devant les changements proposés par le rapport Pochard cet été : toutes ne sont pas fondées, même si certaines inquiétudes me semblent légitimes. En fait, la volonté de « rentabiliser » l’école de façon plus comptable que scientifique ou littéraire a de quoi susciter une certaine révolte, mais encore ne faut-il pas se tromper de cible ni de raison. Je reste plus que sceptique quand certains syndicats n’évoquent que la question des moyens ou celle des revenus des enseignants : sans être complètement anodines, elles ne fondent ni une contestation ni une politique.

Ce qui m’inquiète beaucoup plus, ce sont les motivations de la politique menée par M. Darcos, et ses conséquences : cette uniformisation à marche forcée (baptisée « harmonisation ») vers un seul système valable d’un bout à l’autre de l’Europe, voire de l’Occident, est l’abandon d’une manière bien française de concevoir le rapport à la culture, et marque le ralliement à la seule idéologie de l’Avoir au détriment de l’Etre, des diversités culturelles et éducatives, de nos traditions et de notre manière de concevoir le monde. La volonté d’imposer, par l’éducation, le « bilinguisme », en fait l’acceptation finale de la domination de la langue anglaise (ou plutôt de sa forme simplifiée et commerciale, déjà « popularisée » près des jeunes générations par le biais de la Toile) en France, est révélatrice de cette nouvelle « trahison des clercs » représentés par le ministre de l’éducation, agrégé, me semble-t-il, de lettres classiques… Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas défavorable, loin de là, à un apprentissage plus poussé de la langue de Shakespeare (quoique l’anglais qu’il est question de faire étudier n’a pas grand-chose à voir avec la richesse de vocabulaire et de pensée du célèbre dramaturge anglais…), et je regarde tous les films (ou séries) anglo-saxons en V.O., dans leur langue d’origine, supportant mal les mauvais doublages actuels, y pressentant une déperdition du sens et de l’écho qu’il peut ordinairement susciter chez le spectateur. Mais je suis hostile à cette forme de « monolinguisme » qui s’impose peu à peu, par le renoncement des pouvoirs publics, faute de volonté (la langue est éminemment « chose politique ») devant le cours des choses. Et je suis aussi favorable à l’ouverture à d’autres langues, à leur apprentissage, moyen de les pérenniser et de les faire vivre au-delà du seul présent : je serai fort marri de ne plus entendre parler allemand lorsque je prends mon café à Vienne, non loin de la Kapuzinerkirche… Fort marri de ne plus entendre qu’une seule langue, même avec des accents différents, d’un bout à l’autre de l’Europe. Et puis, considérer que l’apprentissage de l’anglais est « obligatoire » dans le monde contemporain, c’est accepter ce « nomadisme perpétuel » qui réduit le monde à une seule entité comme dans le cauchemar décrit par Orwell : « One World »… Il est vrai que c’était aussi le slogan des derniers Jeux olympiques : « One World, one dream » ! C’est accepter qu’il y ait obligation à devenir « citoyen du monde », sans enracinement particulier, sans histoire, sans langue propre… Quel monde triste, purement « efficace », mais en définitive si morne, si peu libre, si inhumain… A vouloir reconstruire la tour de Babel, on s’expose à quelques surprises et revanches, parfois terribles, de l’Histoire…

 

13/04/2008

Révolte lycéenne : raisons et déraisons.

La révolte lycéenne de ce printemps a quelques raisons d’être : la politique purement comptable du Ministère et de M. Darcos est peu défendable quand elle méconnaît les réalités de l’enseignement dans notre pays et ses spécificités qui, pour ne pas être toutes heureuses, ne méritent pas tant d’indignité… Ainsi, de nombreuses suppressions d’heures de cours distribuées aux établissements et de postes de professeurs, qui seraient légitimées par la baisse démographique des effectifs d’élèves, s’avèrent dangereuses pour la qualité même de l’enseignement : en effet, cela se marque par l’augmentation des effectifs au sein des classes elles-mêmes dans les cours de langue, par exemple, ce qui n’est guère profitable aux élèves et rend leur participation moins fréquente et, parfois, plus difficile. Mais d’autre part, dans les zones déjà en difficulté de par l’environnement social et l’ambiance générale, diminuer le nombre de professeurs et d’adjoints d’éducation (les surveillants) revient à affaiblir leur poids et leur crédibilité au moment même où il faudrait pouvoir mobiliser de nouvelles forces pour éviter les dérives et les naufrages.

 

Cela étant, la logique comptable n’est pas que l’apanage d’une administration de l’éducation nationale affolée par la réduction de ses marges de manœuvre budgétaires, et les manifestants qui rétorquent au ministre par la simple demande du maintien, voire de l’augmentation, du nombre d’enseignants se contentent d’une analyse qui, en définitive, ne prend pas assez en compte les évolutions du métier et les possibilités de « travailler autrement », mais aussi leur propre responsabilité dans la situation actuelle : en effet, ce  n’est pas seulement le nombre d’élèves par classe qui détermine la qualité de celle-ci mais l’attitude de ceux-ci, leur bonne volonté et leur aptitude au travail et à la concentration. Faire classe à 36 en cours d’histoire au lycée Hoche de Versailles ne pose pas de problème particulier, ne serait-ce que de discipline, et les résultats, souvent très satisfaisants, ne varieraient pas beaucoup si le nombre d’élèves augmentait encore de quelques unités : par contre le travail des professeurs s’en trouverait surchargé par les copies de ces élèves supplémentaires, sans pour autant toucher un salaire supérieur... Dans une situation présente délicate qui voit le pouvoir d’achat des enseignants poursuivre une glissade entamée il y a déjà presque vingt ans, il y a fort à parier que la grogne serait d’autant plus vive devant ce travail obligatoire supplémentaire et pas toujours gratifiant et qui, de plus, donnerait l’impression de faire des économies sur le dos d’enseignants déjà de plus en plus sollicités pour des tâches administratives mais non rétribuées.

 

En fait, il n’est pas certain que le « pire » soit derrière nous : des rumeurs insistantes évoquent la volonté du Ministère de M. Darcos de remettre à plat les programmes, ce qui en soit n’aurait rien de choquant si cela n’était l’occasion de diminuer les horaires de cours et donc, logiquement, de la quantité de connaissances à posséder et, par conséquence, de la qualité de cet enseignement, au nom d’impératifs d’efficacité économique qui n’auraient pas forcément grand-chose à voir avec la mission culturelle qui est aussi l’une des tâches de l’école française. D’autre part, cela reviendrait à confier plus de classes à chaque professeur (donc plus de préparations et, surtout, plus de corrections…) sans pour autant les payer plus : si le bénéfice tiré par le Budget est certain, celui des professeurs comme des élèves n’est pas exactement avéré ! Il est facile de comprendre les craintes des enseignants devant ces perspectives peu engageantes.

 

Cela étant, la révolte lycéenne actuelle prend aujourd’hui un tour fort démagogique, en avançant des slogans surréalistes ou, plus exactement, décalés par rapport aux enjeux actuels de l’enseignement français et aux nécessités contemporaines : il est d’ailleurs frappant de constater la pauvreté des slogans et des propositions des manifestants, comme si l’imagination (au sens positif et constructif du terme) avait décidé, elle aussi, de faire grève. C’est dommage, d’autant plus que la critique n’a véritablement de sens et de poids utile que si elle s’accompagne d’un effort de recherche et de fondation (ou simplement de mise en avant) qui lui confère alors une légitimité d’alternative. De plus, au regard de l’attitude de certains manifestants (j’insiste sur le « certains »), il peut apparaître fort hypocrite de sembler défendre les professeurs quand, déjà, on ne respecte pas ceux qui sont actuellement en place : de multiples exemples récents montrent que les professeurs sont en butte à l’hostilité, voire l’agressivité, de nombreux élèves qui, pourtant, en demandent officiellement plus… dans la rue.

 

Alors, que faire ? Doit-on se contenter de « compter les coups » en attendant les grandes vacances ? Il est évident que cette attitude du « chien crevé au fil de l’eau » n’est guère honorable et qu’il faut savoir agir et réagir. Devant l’incapacité de la République à sortir de la logique comptable et de son rousseauisme mal assumé, il paraît nécessaire de repenser l’école, ses missions et ses moyens : si elle doit connaître les conditions et les aspects du monde contemporain, elle ne doit pas en accepter les seules motivations économiques et consuméristes. Quant au rôle des enseignants, il n’est pas d’alimenter les peurs d’une jeunesse déjà inquiète et nerveuse, mais d’engager une véritable réflexion, sans tabou ni préjugés, sur sa propre fonction et les modalités de celle-ci, d’accepter des remises en cause qui soient aussi des remises en ordre, de donner l’exemple du service et du devoir en prenant de plus en plus en main les destinées de ses établissements par une meilleure intégration et participation dans les pôles de décision de ceux-ci. De plus, l’autonomie qui se met en place progressivement peut aussi être l’occasion d’ouvrir les établissements scolaires à un véritable plurifinancement et au « mécénat éducatif » qui permettent le développement de projets et d’activités scolaires, aujourd’hui fort réduites faute de crédits et de soutien ministériel. « Les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent », affirmait Maurras : c’est le moment de le rappeler, aux élèves comme aux professeurs. Puisque la République abandonne « son » école, le champ se libère pour d’autres perspectives politiques.

 

30/03/2008

Financer l'école.

Depuis quelques jours, plusieurs lycées de la région parisienne sont régulièrement bloqués par des élèves et, parfois, des professeurs, comme au lycée Jean-Monnet de La-Queue-lez-Yvelines ou au lycée Condorcet de Limay. Cet accès de fièvre s’explique par les suppressions nombreuses de postes d’enseignants, mais aussi parfois d’assistants d’éducation et de CPE, décidées pour des raisons budgétaires par le Ministère de l’éducation nationale. Mais ces mesures s’inscrivent souvent dans une logique plus comptable que pédagogique, et signifient, pour ce qui est des classes de langue, des effectifs d’une trentaine d’élèves là où ils étaient une vingtaine auparavant : pas facile dans ces conditions de faire progresser le niveau linguistique dans notre pays dont les « décideurs » ne cessent pourtant de moquer le « retard » en ce domaine.

 

Dans cette affaire, on se heurte à plusieurs difficultés, en particulier financières : comment continuer à payer pour l’enseignement public dans un Etat qui avoue un déficit de plus de 1.000 milliards d’euros ? Ainsi le problème du financement est-il le plus déterminant dans la prise de décision du Ministère et dans ses arbitrages, souvent cruels et, plus grave encore, injustes. Que proposer ? Un impôt nouveau et circonstanciel pour financer l’école des prochaines années, comme il a existé un « impôt sécheresse » certaines années de canicule ? Après tout, pourquoi ne pas faire appel à la solidarité nationale pour cette cause d’importance ? Mais la contestation risque d’être vive dans une population qui, aujourd’hui, peine à amortir le choc de l’inflation et à surmonter le sentiment (qui rejoint d’ailleurs la réalité…) d’une érosion du pouvoir d’achat. D’autre part, j’ai pu constater que, en de maints endroits, les professeurs ne sont guère populaires, accusés parfois des pires maux et de tous les défauts de l’Education nationale. Aussi, un tel impôt risquerait bien de « plomber » un peu plus les relations entre les citoyens et les enseignants…

 

Une autre proposition (je préfère employer ce terme à celui de « solution », peut-être trop présomptueux) serait de taxer les « stocks option » des grandes entreprises ou les bénéfices boursiers pour aider au financement de l’école, mais certains évoqueraient alors « l’inquisition fiscale » et le risque de « fuite des capitaux » pourtant nécessaires à l’économie française : doit-on, peut-on en prendre le risque ? Au risque de passer, à tort, pour un odieux « collectiviste », ma réponse est clairement positive. Mais je l’accompagne d’une nuance ou, plutôt, d’un complément, d’une condition : une telle taxe doit être expliquée et être aussi l’occasion de repenser les rapports du monde de l’entreprise et de la finance avec l’école. Pourquoi ne pas penser une plus grande implication des acteurs économiques dans les structures mêmes de l’Education nationale, par le biais de partenariats et de financements d’origine privée de certaines activités scolaires, comme les « classes à projets » ou les voyages scolaires ?

 

Bien sûr, certains qui veulent plus d’argent pour l’école mais se crispent sur l’idée, aujourd’hui peu crédible, d’un financement uniquement « public », vont hurler à la mort contre cette dernière proposition (j’en ai d’autres, encore plus « choquantes », et je n’en suis pas désolé…) en évoquant l’entrée du loup dans la bergerie. Dois-je leur rappeler que la principale exigence des parents d’élèves à l’égard de l’école est d’assurer à leurs enfants une insertion la plus profitable possible dans le monde professionnel, celui-là même dont je demande l’intervention, ou l’implication dans le financement des établissements et activités scolaires ? Il ne s’agit pas de faire des collèges et lycées des annexes des entreprises mais de trouver un moyen réaliste et pérenne de financer leur fonctionnement et leur développement, sous le double contrôle des conseils d’administration et de l’Etat. J’ai là aussi quelques idées sur l’organisation des structures à mettre en place dans ce cadre.

 

Cette proposition n’en est qu’une parmi beaucoup d’autres que je pourrai faire, ayant (depuis quelques années) beaucoup réfléchi sur ce sujet et, surtout, ne voulant pas critiquer sans proposer, attitude qui me semble contre-productive et stérile. Mais je constate que cette proposition de plurifinancement de l’école, idée que je défends depuis près de 25 ans (de l’Université à l’enseignement, mes tracts depuis 1982 en faisant foi…), avec des aménagements selon les cadres envisagés et les conditions contemporaines, a encore du mal à être acceptée par certains syndicats ou partis qui voudraient, semble-t-il, « le beurre et l’argent du beurre » en oubliant que l’argent ne tombe pas du ciel et qu’il nous faut penser au meilleur moyen de concilier l’intérêt public et les fonds publics…

 

Cela étant, dans l’urgence actuelle, il me semble nécessaire de rappeler au Ministère et à l’Etat actuels que l’éducation justifie des moyens importants et que l’on se batte intelligemment pour elle sans rogner tout le temps sur ce qui est la condition d’avenir de notre pays : la principale richesse de la France c’est la « matière grise » et la négliger serait criminel. En détruisant des postes et en « désarmant l’école » au lieu de la dégraisser et de la muscler, la République sarkozienne (qui reste bien la République, quoiqu’en disent certains qui semblent oublier le sens des mots) étouffe l’enseignement. Desserrer cette mortelle étreinte s’impose : mais, soyons prudents, car s’agiter dans le désordre et la panique risque d’étrangler un peu plus ce qu’il s’agit de sauver…