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28/09/2008

Démagogie et pédagogie.

Je ne suis pas encore allé voir le film « Entre les murs », palme d’or au festival de Cannes au printemps dernier, mais j’en lis quelques critiques dans les journaux et j’entends quelques réactions de spectateurs au sortir du cinéma ou, simplement, de personnes qui en ont vu la bande annonce ou « entendu parler », ce qui ne compte pas pour rien dans la formation d’une « opinion publique »… Cela est d’autant plus intéressant que ce film évoque l’école et ses difficultés à transmettre, à apprendre à des populations de jeunes issus principalement d’une autre culture qui n’est pas précisément « étrangère » mais est celle que l’on peut qualifier de « dominante », celle d’une société de consommation globalisée (ou « mondialisée », dirait-on aujourd’hui). En somme, les enfants de la télé et de la Toile, baignés dans une sorte de sabir « globish » et dans une « décivilisation consumériste » dont ils sont autant les victimes que les vecteurs privilégiés : si je ne les accuse pas, je ne les exonère pas complètement pour autant d’une part de leur responsabilité car, s’ils le voulaient, avec quelques efforts pour sortir des sentiers battus et bien tracés de la pensée dominante, de cette société « distractionnaire » que dénonçait Philippe Muray, ils auraient toute possibilité de cultiver une liberté fondatrice et non cette liberté artificielle qui n’en est que la sinistre caricature, cette pseudo-liberté qui n’est que la forme contemporaine de l’individualisme égotiste et égoïste qui ensauvage les sociétés et détruit les solidarités et les communautés, qui fait table rase du passé historique pour ne pousser qu’à un présentisme horizontal et à une reconstruction artificielle d’un passé « ethno-communautaire », agressif et exclusif…

Ayant enseigné 9 ans dans un collège « difficile » des Mureaux, y avoir connu beaucoup d’échecs mais avoir tenté de ne jamais me décourager parce qu’abandonner c’est, d’une certaine manière, trahir la confiance que certains élèves mettent en nous et en l’école, je peux témoigner que ce n’est pas la démagogie et la flagornerie à l’égard des modes du moment qui permettent de faire progresser les élèves ; ce n’est pas le copinage qui est efficace mais de répondre à ce besoin d’autorité qu’ils ressentent confusément, sachant qu’il est parfois difficile de trouver le bon langage et la bonne attitude sans tomber dans un autoritarisme aussi vain que l’est la démagogie « libertaire »… Comme le fait remarquer Philippe Meirieu, pour une fois (unique ?) bien inspiré, il ne s’agit pas de se mettre au niveau des élèves mais à leur portée, ce qui n’est pas la même chose. Car le savoir n’est pas spontané et l’on ne fera pas l’économie du travail et de l’effort pour apprendre.

Une autre remarque, celle-là sur les effets secondaires du film : beaucoup de nos concitoyens sont marqués par l’une des dernières répliques, l’une des plus fortes et, d’une certaine manière, la plus tragique. C’est une élève qui vient, à la fin de l’année scolaire, parler au professeur et qui lui dit à peu près ceci : « Moi, je n’ai rien appris, monsieur, je ne comprends pas ce que nous faisons, mais je ne veux pas aller en professionnel »… Du coup, j’ai entendu quelques remarques de citoyens contribuables qui disent désormais : « à quoi bon continuer à payer pour des écoles qui ne servent à rien ! ». Ainsi, ce film risque de renforcer le mécontentement des contribuables envers cette école « inefficace » et ces profs « inutiles » : beau résultat !

A croire que M. Bégaudeau est l’allié objectif d’un gouvernement qui, au nom de la lutte (légitime, au demeurant) contre les déficits, prévoit de réduire les moyens actuellement dévolus à l’enseignement en réduisant le nombre d’heures des matières « subsidiaires » comme l’histoire-géographie ou, pire, les langues anciennes, foncièrement inutiles car simplement « culturelles »… Dans une logique purement économique et comptable, qu’importent la culture générale, les lettres et les racines ?

La logique libertaire de M. Bégaudeau rejoint en définitive la logique libérale du gouvernement sarkozien : est-ce si étonnant que cela ?