22/06/2011
Changer les profs ?
Les corrections des copies du bac session 2011 ont commencé depuis déjà quelques jours mais plusieurs milliers de copies de philosophie (3.000 selon la presse) n’ont pas de correcteurs attitrés, ce qui provoque une certaine panique dans les milieux du rectorat de Versailles, entre autres : ainsi, des professeurs enseignant aujourd’hui dans les classes préparatoires ont-ils été appelés, parfois d’un ton suppliant par l’administration, pour pallier à ce déficit bien ennuyeux de correcteurs officiels… D’autres, déjà les bras chargés de plus de 130 copies, ont été purement et simplement démarchés dans les centres d’examens, le principal argument avancé par les quémandeurs étant… financier, chaque copie corrigée étant payée 5 euros : quelques collègues s’y sont laissés prendre, selon un témoin de la scène avec lequel je discutais mardi midi.
Cette affaire est tout à fait significative de la situation actuelle, au-delà même de la question du baccalauréat : après des années de suppression de postes en philosophie (mais ce n’est évidemment pas la seule matière touchée), le nombre de professeurs susceptibles de corriger les épreuves de fin d’études secondaires s’avère désormais insuffisant, quoi que l’on fasse par ailleurs pour pallier temporairement à ce déficit de correcteurs.
Mais quelles sont les réactions des parents d’élèves à cette affaire ? Evidemment, beaucoup se plaignent du risque d’une absence de correction pour leurs propres enfants mais j’ai constaté avec une certaine amertume que la faute est souvent attribuée aux professeurs eux-mêmes, alors même qu’ils se retrouvent otages d’une situation qu’ils n’ont pas souhaitée… Même sur les sites de la presse dite « progressiste », de nombreux commentaires dénoncent « la mauvaise volonté des profs », et s’en prennent parfois au corps enseignant dans son ensemble avec quelques arguments fort révélateurs de la mauvaise réputation des professeurs aujourd’hui et de la technophilie ambiante : certains vont même jusqu’à annoncer (visiblement en s’en réjouissant) « la fin prochaine des profs », désormais « dépassés » par des ordinateurs dotés d’une plus grande mémoire et d’une disponibilité permanente…
Au même moment et alors que l’on annonce encore la suppression de postes dans l’Education nationale, une campagne publicitaire est engagée par cette même institution pour embaucher 17.000 nouveaux enseignants ! Mais sur des bases essentiellement contractuelles et éminemment, quoique l’on en dise, précaires : au point de susciter cette réaction chez certains étudiants des classes préparatoires de mon établissement de ne plus voir dans l’enseignement qu’un « petit boulot » comme les autres, forcément temporaire et dévalorisé… Quelle claque pour nous, les profs, qui, pour la plupart, avons la vocation de transmettre et travaillé dur pour obtenir nos concours pour avoir le droit, justement, de professer ! A quoi cela a-t-il servi puisque, demain, nous pourrons être remplacés par des personnes, parfois de bonne volonté, mais qui n’auront pas forcément la même motivation mais juste la nécessité de trouver un « petit boulot » pour financer, par exemple, leurs propres études ? Ne parlons même pas des compétences et des savoirs qui pourront être remplacés par la simple maîtrise de l’outil informatique et de la recherche, parfois sans recul ni discernement véritable, d’informations sur le thème étudié dans la matière enseignée… « Wikipedia » à la place des professeurs ?
« Le métier d’enseignant change », nous avait prévenu le ministre actuel de l’Education nationale, M. Chatel : il oublie juste que la technique, aussi développée soit-elle, ne peut remplacer la passion de transmettre, la curiosité et la matière grise… Cette « école des robots du savoir » que l’on nous annonce avec gourmandise n’arrivera sans doute à faire que « des petits singes savants » ou, selon l’expression de Georges Bernanos, « des cornichons sans sève »… Ce n’est pas ce que je souhaite aux générations qui viennent !
10:45 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bac philo, profs, enseignement, robots, copies.