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29/03/2016

Cette contestation qui vient... (partie 4) Après les manifestations du 9 et 24 mars, quelle suite ?

Les dernières manifestations lycéennes et étudiantes ont été mouvementées et les images des violences du jeudi 24 mars, dont certaines se sont poursuivies le lendemain par les attaques de deux commissariats parisiens, s'inscrivent parfois moins dans le mouvement de contestation proprement dit que dans une ambiance délétère d'une fin de règne chaotique : en somme, ce n'est pas l'état d'urgence qui s'imposerait aujourd'hui mais bien plutôt l'urgence d'un État digne de ce nom et susceptible d'ouvrir un véritable avenir aux jeunes et aux moins jeunes de ce pays, un destin lisible à la nation et dans (voire face à...) la mondialisation.

 

Le 9 mars n'a pas été le soulèvement (espéré, visiblement -provisoirement ?- en vain) qui aurait pu mettre le gouvernement devant ses contradictions et cette journée a, en partie, figé la scène du théâtre politique en un affrontement de tendances de gauche plus rituel que fondateur : un collègue, fin observateur des mouvements de lycéens, me confiait que son sentiment devant cette situation était l'ennui, doublé d'un haussement d'épaules. Rien, en somme, qui puisse justifier l'espérance d'un soulèvement « transversal » dans lequel les héritiers des « Veilleurs » et ceux de Mai 68 auraient pu trouver matière (et manière) d'une « alliance objective » au moins « contre » à défaut d'être « pour »...

 

Et pourtant ! Il faut écouter ce qui se dit dans les cortèges plutôt que devant les micros, et ce qui se murmure dans les salles de classe et dans quelques amphis universitaires. Bien sûr, il faut aussi en faire la part des choses et ne pas hésiter à en corriger les tendances lorsque cela est nécessaire : le pire serait de laisser dire et dériver vers les terres d'illusion et les îles d'utopie, ou au profit de quelques manipulateurs carriéristes ou caïds locaux.

 

En définitive, ce n'est pas tant la loi Travail qui est contestée que le mal-être ou plutôt l'angoisse qui s'exprime, à la fois affolée et désordonnée, devant un avenir auquel l’Éducation nationale n'a pas préparé, avec ses discours lénifiants et moralisateurs : la grande faute de la République reste cette « promesse non tenue » d'une instruction publique qui, désormais, au lieu d'élever et former les intelligences, n'est plus que l'outil de formatage à une société de consommation de plus en plus globalitaire, à cette « addictature » du virtuel et de l'artificiel, de l'argent et de « l'individu » (qui n'a plus grand-chose à voir avec la personne, enracinée et possiblement libre). Ce n'est pas toujours la faute des professeurs, mais plus sûrement des programmes scolaires et de leurs rédacteurs, et la dernière réforme du collège, qui ne fait qu'aggraver les tendances lourdes d'un égalitarisme niveleur et, en définitive, au service des oligarchies et de l'idéologie dominante, en est une preuve supplémentaire : que la contestation des enseignants de collège ait été traitée avec le plus grand mépris par le ministre Vallaud-Belkacem n'est pas un détail mais bien une attitude significative de cette oligarchie « de gauche » qui s'est emparée de la République et tient à appliquer son programme, envers et contre tout, craignant plus une révolte lycéenne incontrôlable (quoique manipulable...) que celle de quelques latinistes, germanistes ou historiens, qu'il est loisible au ministère de sanctionner administrativement ou de marginaliser politiquement (en les traitant de « réactionnaires » ou/et d'élitistes, par exemple) pour mieux leur dénier toute légitimité... Du coup, que certains enseignants soutiennent discrètement les jeunes manifestants du mois de mars n'a rien de surprenant, même si ces premiers n'ont guère d'illusions sur les possibilités, voire sur les intentions de ces derniers, faute, sans doute, d'une stratégie commune ou même d'un dialogue entre les deux catégories évoquées ici.

 

Certains lycéens et étudiants en colère sont néanmoins conscients des limites d'une simple critique d'une loi qui, de toute façon, n'est rien d'autre que la transcription de règles européennes libre-échangistes dans le Droit français. Se contenter de lancer quelques slogans contre la loi El Khomry (« belle connerie », selon les manifestants) est, en définitive, relativement vain : ce ne peut être qu'un début, un moyen, mais sûrement pas une fin pour qui pense au-delà de l'écume du moment. En cela, les manifestations du 9 mars ont été décevantes, et les débats médiatiques limités à quelques généralités ou à de « grands principes » peu motivants, à de rares exceptions près...

 

La question qui se pose reste bien celle d'un « dépassement » de la seule contestation de la loi Travail (la mal nommée, d'une certaine manière car elle ne relancera évidemment pas plus l'emploi que les précédentes...) pour ouvrir de nouvelles voies de réflexion et de combat : va-t-elle surgir maintenant que de nouvelles formes de contestation plus violentes (ce dont je ne me réjouis pas forcément...) semblent trouver plus d'écho parmi des jeunes déçus de ne pas avoir été, selon eux, « entendus » ? D'un mal pourrait surgir un bien ?

 

Rien n'est sûr, au jour d'aujourd'hui, et les incidents du lycée Bergson de Paris pourraient tout autant être oubliés demain que nourrir une nouvelle agitation, sans doute plus brouillonne et, donc, plus dangereuse pour l'actuel gouvernement, hanté par la crainte d'un « nouveau Mai » ou d'un nouveau « Malik Oussekine »  : Bainville nous rappelle qu'il faut toujours « attendre l'inattendu » pour ne pas perdre pied quand celui-ci, improbable mais possible, surgit...

 

 

 

 

(à suivre)

 

12/11/2013

Crise de l'autorité, faute présidentielle.

 

Les incidents du 11 novembre sur les Champs-Elysées ont montré la profonde crise d’autorité et, même, de légitimité d’une République hollandiste désormais incapable de faire un pas sans être critiquée, moquée, harcelée : sans doute, d’ailleurs, ne l’a-t-elle pas volé, pourrait-on dire ! Mais il faut aller plus loin que cette première réaction simple, néanmoins largement insuffisante pour saisir ce qui se passe sous nos yeux, et les risques d’une telle situation.

 

Le précédent président, M. Sarkozy, a souvent été accusé de diviser artificiellement le pays pour asseoir son pouvoir, et la critique pouvait être fondée. Mais l’actuel président, pourtant réputé pour son sens du compromis, semble avoir le même défaut, ce qu’a amplement démontré l’affaire du mariage homosexuel l’année dernière : c’est d’ailleurs là qu’est née une nouvelle opposition, à travers la Manif pour tous et, dans son sillage, le mouvement inédit des Veilleurs, mais aussi le Printemps français, plus « musclé » et très imaginatif lui aussi.

 

Depuis quelques semaines, de nombreuses catégories de Français sont à leur tour descendues dans la rue, souvent pour des raisons fiscales ou sociales, voire pour toutes à la fois : ainsi, en Bretagne, l’écotaxe a-t-elle mobilisé contre elle les agriculteurs et les transporteurs, mais aussi, et parfois pour des raisons plus historiques que politiques (« pas de péage en Bretagne depuis Anne de Bretagne ! »), de nombreux Bretons sans lien avec les professions directement concernées par cette taxe issue du Grenelle de l’environnement de 2007. Ce même 11 novembre, les cavaliers manifestaient aussi (à cheval pour certains d’entre eux) dans les rues de Paris pour dénoncer ce qu’ils nomment « l’équitaxe », soit le passage (imposé par la Commission européenne…) de la TVA sur les centres équestres de 7 à… 20 % dès le 1er janvier prochain : une mesure qui menacerait directement plusieurs centaines de centres et milliers d’emplois dans notre pays.

 

Cette multiplication quasi-simultanée des mécontentements en l’espace de quelques semaines et les images des manifestations de plus en plus musclées, en particulier dans la péninsule bretonne, semblent tétaniser les dirigeants actuels de l’Etat, qui hésitent entre l’emploi d’une force démesurée à l’égard des manifestants et la reculade, ou plutôt le zigzag permanent, face aux corporations et aux régions énervées : d’où cette impression délétère d’une fin de règne avant l’heure…

 

Le risque d’une telle situation est un véritable pourrissement de la société et des rapports en son sein, une sorte de décomposition accélérée du « pacte français » : or, l’histoire nous en rappelle avec une certaine cruauté les périls, si l’on veut bien se souvenir de la période des années 30 dans notre pays, avec les conséquences terribles d’une profonde division face au danger extérieur et la baisse du moral des Français face à l’adversité conquérante des totalitarismes… Le résultat le plus cruel fut la terrible défaite de Mai 40 dont nous n’avons pas totalement soldé les comptes (en particulier moraux…) aujourd’hui encore.

 

La République est d’autant plus dangereuse aujourd’hui que son Pouvoir est faible et, surtout, indécis : c’est toujours dans ces situations particulières qu’elle se radicalise et qu’elle se cherche « des guerres à gagner », qu’elles soient idéologiques ou militaires, au risque d’entraîner le pays dans une aventure coûteuse et nationalement périlleuse… et de le perdre, parfois ! L’histoire devrait pourtant inciter nos gouvernants à la prudence car il est des boîtes de Pandore qu’il vaut mieux ne pas ouvrir…

 

Je ne sais comment M. Hollande fera pour sortir de la nasse dans laquelle il s’est lui-même emprisonné, mais il est certain que sa présidence, à ce jour, a sérieusement dévalorisé, non seulement la République (ce dont je ne saurai me plaindre, bien sûr !), mais plus gravement l’Etat lui-même et son autorité, c’est-à-dire ce qui lui permet d’être écouté et obéi, d’être estimé et suivi…

 

Les sifflets de ce 11 novembre sont des révélateurs et des annonciateurs : révélateurs de la crise de confiance née d’une pratique inconséquente du Pouvoir par les gouvernants actuels, et annonciateurs d’une remise en cause plus générale de la légalité d’un tel Pouvoir, pourtant démocratiquement élu, au nom d’une légitimité encore confuse aux yeux de ceux qui, pourtant, la cherchent au travers de leur contestation.