12/04/2010
Qu'est-ce que la nation ? Essai de réponse.
Le récent débat sur « l’identité nationale » a souvent tourné à la confusion, en particulier à cause du refus de débattre d’une partie de la Gauche, à mon avis à tort. Les royalistes, s’ils ont pu écrire sur ce sujet à de nombreuses reprises ces dernières décennies, n’ont pas, pour autant, épuisé le sujet, loin de là, ne serait-ce que parce qu’il est par nature toujours renouvelé même si certains principes paraissent plus intangibles que d’autres…
Mais, au fait, qu’est-ce que la nation ? Ou plutôt, comment la définir, voire la délimiter ? Au regard des temps présents, il me semble qu’il faut revenir à cette première et principielle question, ne serait-ce que pour préciser de quoi l’on parle et éviter des confusions forcément regrettables en politique.
Le terme de nation est polysémique, et cela peut-être dès l’origine, même si les dernières décennies ont accentué ce caractère, ce qui l’a rendu moins lisible pour les intellectuels comme pour les populations. Cette polysémie n’a cessé d’alimenter les débats et les malentendus (voire les récupérations et les malhonnêtetés…). Aussi, définir ce qu’on appelle la nation n’est pas anodin mais permet de préciser le sens profond de la pensée qui la définit, ici monarchiste française, et par conséquent de la politique à mener. Cette définition de la nation s’entend donc comme française ou, en élargissant le champ d’application, « à la française », sans que cela empêche les autres pays de se penser eux-mêmes, en référence à leur histoire et à leur environnement, en particulier géopolitique. Définition non pas limitée dans le temps, mais délimitée dans l’espace territorial et mémoriel de la France.
Tout d’abord, rappelons avec Maurras que « l’idée de nation n’est pas une nuée ; elle est la représentation en termes abstraits d’une forte réalité », qui prend souvent les caractères d’une évidence ou d’une « immédiate perception », autant dans l’affirmation « naturelle » que dans sa dénégation par certains de ses habitants du moment, une perception fortifiée ou, au contraire, parfois déconstruite par l’éducation ou les médias, particulièrement en ces temps de mondialisation libre-échangiste et de néo-nomadisme territorial comme social. Cette nouvelle donne mondiale nous rappelle aussi que « nous ne faisons pas de la nation un Dieu, un absolu métaphysique » mais un point de référence, de départ et que nous reconnaissons en elle un cercle d’appartenance, synthétisant et sublimant d’autres appartenances (famille, commune, profession, province) et, en fait (comme en sentiment le plus souvent), « le plus vaste des cercles communautaires qui soient (au temporel) solides et complets », qualificatifs qu’il serait maladroit d’oublier.
Cela posé, insistons sur ce que la nation n’est pas, pour dissiper quelques préjugés bien (malheureusement) établis (y compris chez certains « nationalistes » autoproclamés).
La nation n’est pas une ethnie et ne l’a jamais été : elle a toujours dépassé ce cadre d’appartenance en ne confondant jamais les limites ethniques avec les limites nationales. La France est composée d’ethnies, un mélange de Celtes, de Gallo-romains, de Francs et de bien d’autres encore qui sont venus au fil des siècles et de leur histoire. Il n’y a pas d’ethnie française, mais une nation aux mille particularités, de toutes les couleurs grâce aux DOM-TOM et par les mouvements migratoires vers la métropole.
La nation française ne se définit pas par la langue (certains diraient « pas seulement », ce qui se défend), car la langue française n’est pas la seule langue de France. Malgré l’arasement des cultures provinciales, les langues celtiques, gallèse, germaniques, basque, provençale… perdurent et participent à la diversité linguistique et culturelle de notre pays. D’autre part, toutes les populations de par le monde (et particulièrement en Europe) qui parlent français ne sont pas « revendiquées » par la France ni par les nationalistes dignes de ce nom : il n’y a pas de « panfrancisme » (sic !, car le terme n’existe pas, ce qui est révélateur en soi) comme il y a un pangermanisme ou un panslavisme. Cela n’empêche pas que la langue commune des Français serve de point d’appui à l’influence française dans le monde, par le biais de la francophonie, véritable alternative à la domination linguistique (entre autres) des Anglo-Saxons.
La nation française n’est pas un « contrat », même si une part d’assentiment (un « consensus minimum ») est nécessaire pour maintenir la cohésion de l’ensemble français. En fait, la nation préexiste à la naissance, et celle-ci, le fait de « naître là », n’est pas anodine, car elle engage alors notre existence sans forcément l’entraver, au contraire. N’ayant pas choisi notre naissance, ni le « lieu » de celle-ci (famille et nation d’appartenance de celle-ci, espace territorial et historique), elle nous engage, et c’est par rapport à elle (même quand l’on « s’en dégage ») que nous nous déterminons. En ces temps de « mobilité spatiale », certaines personnes, d’origine étrangère, peuvent choisir de vivre en France et en tant que Français, mais cela engage doublement, car il s’agit de se « dégager » d’un « lieu-lien » social pour s’investir, s’enraciner dans un espace historico-politique déjà établi : cela n’est pas toujours facile (que d’échecs !), mais c’est possible, surtout quand la communauté (et son « liant social ») d’accueil (le lieu d’arrivée et d’implantation en France) est solide, bien structurée, consciente d’elle-même et de ses devoirs.
Ainsi la France, qui ne peut être définie par l’ethnie (inexistante au singulier) et la langue (s’il en est bien une qui s’avère commune et dominante, mais pas unique, en France), est le fruit d’une longue histoire faite de conflits, de crispations et d’échecs, de victoires et d’habitudes, de synthèse des « différences » sans uniformisation… Fruit et fait d’histoire, comme le souligne le maurrassien Nicolas Portier dans les années 90 : « Il est clair que nous devons partir de la seule définition possible de la nation : celle qui consiste à la concevoir comme un fait d’histoire, le résultat d’une politique fédérative ayant généré une unité de destin. L’unité n’a été qu’un aboutissement, la récompense d’un travail patient dont la monarchie a été l’artisan-fédérateur. C’est cette fédération qui a permis l’unité dans la diversité. La France est un agrégat d’éléments hétérogènes même si elle se caractérise dorénavant par un substrat commun ; le tout étant plus que la somme des parties ». Notre nationalisme, ni nationalitarisme ni jacobinisme, est humilité devant les faits et l’histoire : mais il revendique, parfois vivement mais toujours utilement, l’existence et l’indépendance d’une France sans laquelle nous ne serions que des orphelins anonymes et sans espérance…
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