Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/04/2015

Face aux projets destructeurs de Mme Vallaud-Belkacem.

L'histoire et son enseignement sont des enjeux majeurs en démocratie, mais il n'y a pas qu'eux : Marcel Pagnol, dans « La Gloire de mon père », le soulignait, avec des mots sévères pour cette École de la République dont il avait été un élève sérieux et prometteur, au temps de la IIIe. Ainsi, il expliquait que « les Écoles normales primaires étaient à cette époque de véritables séminaires, mais l'étude de la théologie y était remplacée par des cours d'anticléricalisme.

« On laissait entendre à ces jeunes gens que l’Église n'avait jamais été rien d'autre qu'un instrument d'oppression, et que le but et la tâche des prêtres, c'était de nouer sur les yeux du peuple le noir bandeau de l'ignorance, tout en lui chantant des fables, infernales ou paradisiaques.

« La mauvaise foi des « curés » était d'ailleurs prouvée par l'usage du latin, langue mystérieuse, et qui avait, pour les fidèles ignorants, la vertu perfide des formules magiques. »

 

A l'heure où le ministre de l’Éducation nationale, par sa réforme de l'enseignement au collège, prépare la disparition des langues anciennes mais aussi contemporaines (la langue de Goethe et de Thomas Mann, par exemple) dans les cursus scolaires, cette dernière citation de Pagnol est savoureuse ! Je doute que ce soit, en fait, l'anticléricalisme avéré de Mme Vallaud-Belkacem qui soit à l'origine des menaces sur le latin et le grec (autre langue d’Église, si l'on en croit le nombre de termes d'origine grecque qui enrichissent son vocabulaire, du mot évangile à celui de presbytère, entre autres…), mais bien plutôt son désir orwellien de limiter la culture générale française : sans doute s'agit-il d'éviter des révoltes nourries, non au seul ressentiment, mais à l'intelligence elle-même, comme celles que souhaitaient un Maurras ou un Bernanos, ou encore un Maurice Clavel et un Pierre Boutang qui s'exprimaient dans les hautes sphères de la pensée sans grande attention pour les idéologies dominantes de leur époque et qui auraient, n'en doutons pas, honni l'inculture légale de ce ministère de la mal-éducation.

 

Les arguments du ministre reposent sur un égalitarisme de mauvais aloi : ainsi, les langues anciennes seraient élitistes et, donc, discriminantes ! Alors, au lieu d'élever les enfants des collèges à un niveau supérieur de connaissances, de savoir et de culture générale, les nouveaux programmes doivent abaisser le niveau pour tous : drôle de conception de l’École que celle-là, et qui semble vouloir limiter l'enseignement à une fonction simplement technique, celle de formater les jeunes aux besoins de l'économie (producteurs et consommateurs, avant toute autre chose, dans la logique perverse de la société de consommation) et de la finance, de la mondialisation et de la croissance obligatoires, de la marchandisation et du matérialisme...

 

« Le poisson pourrit par la tête », dit le proverbe, et l'attitude du ministère le prouve à l'envi, au grand dam de ceux pour qui l'intelligence, la culture et la pensée ne sont pas des vains mots, mais fondent et forment l'espérance d'un avenir riche de promesses et de créations. Mais que peut-on faire face au rouleau compresseur d'une Éducation nationale qui impose ses oukases par le biais de ses programmes et dispose des jeunes cerveaux que les parents lui confient ? Les résistances individuelles de quelques professeurs, pour heureuses et nécessaires qu'elles soient, ne sont pas encore suffisantes : il faudrait élargir ce mouvement de contestation interne, mais je sens, en fait, une grande dispersion des forces parmi les collègues, dont beaucoup paraissent peu enclins à se battre pour des raisons qui dépasseraient leurs propres matières d'enseignement... Le « chacun pour soi », signe d'un repli général et individualiste des professeurs sur eux-mêmes, est l'inverse d'une réaction corporatiste saine et sérieuse, de cette réaction qui pourrait « sauver les chances de l'intelligence » selon la formule bienvenue d'un collègue littéraire.

 

Une réaction qu'il faut, quoiqu'il en soit, préparer et susciter, et cela sans désespérer ni se lamenter : l'avenir de l'intelligence passe par l'organisation d'une résistance... intelligente, pratique et, sans doute, éminemment politique, puisque c'est par le politique et le moyen de l’État que l'on peut, encore, « agir pour réagir ». Et si la République, désormais, trahit les professeurs et les élèves, alors, servons-nous d'un autre moyen, d'un autre État...