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26/03/2015

Un Allemand anti-nazi, Reck-Malleczewen.

En 1936, l'Allemagne est sous la coupe des nazis mais les Allemands sont, pour une large part, des victimes consentantes, voire des coupables pour certains, n'en déplaisent aux « effaceurs d'histoire » d'aujourd'hui : la République de Weimar ne s'est pas défendue, sans doute parce qu'elle n'avait pas des raisons suffisantes pour s'opposer à Hitler, ou plus exactement qu'elle n'avait pas de valeurs suffisamment solides pour résister à la poussée mortifère d'un totalitarisme qui n'attendait que de naître quand Hitler gravissait les marches de la chancellerie à Berlin, ce 30 janvier 1933 de sinistre mémoire. Certains pourraient voir dans mes propos des relents de germanophobie, mais ce serait un peu réducteur, et j'ai trop aimé lire Ernst Jünger pour céder à ce sentiment moins raisonnable que passionnel, même s'il me reste, au regard de l'histoire des derniers siècles européens et de cette « maudite unité de 1871 », une certaine défiance à l'égard d'une Allemagne trop fraîchement unie pour ne pas rêver d'empire, fut-il simplement économique...

 

S'il en est un qui n'aime guère l'Allemagne jacobine née de Bismarck et rassemblée sous le drapeau de la Prusse willhelmienne, c'est bien Friedrich Reck-Malleczewen, aristocrate allemand, catholique (il s'est converti en 1933) et monarchiste, et violemment antinazi, d'un antinazisme viscéral, sans aucune nuance car, à le lire, il est évident que l'on ne peut pactiser avec le diable sans renoncer à sa propre liberté et à sa propreté d'âme. Dans son journal des années 1936 à 1944, publié aujourd'hui sous le titre « La haine et la honte », Reck-Malleczewen se livre sans retenue et n'avoue aucune concession au nazisme ni à ses servants : quand le communiste Jacques Duclos martelait à la Libération, une fois le danger nazi écarté et éloigné, qu'il « faut savoir juger avec haine », Reck-Malleczewen, lui, n'attend pas la défaite d'Hitler (une défaite qu'il souhaite de tout son cœur et de toute son âme, au risque de choquer bien des Allemands seulement patriotes) pour vouer une haine terrible, incandescente, périlleuse aussi, à ce « caporal de Bohême » (selon l'expression du maréchal Hindenburg) qui mène l'Allemagne à sa perte et, au-delà, pire même, au déshonneur.

 

Dans notre monde contemporain qui se pare de grands principes et vit de petite vertu, la haine est un sentiment abhorré, dénoncé comme une maladie grave de l'esprit, et qui apparaît comme le moteur du totalitarisme mais qui est aussi celui de son antidote, qu'on le veuille ou non : le temps du combat contre l'hydre, Reck-Malleczewen la cultive, non par peur ou par désespoir, mais en pleine conscience et, en monarchiste conséquent, avec cette espérance chevillée au corps que peut soutenir une foi religieuse ou/et une forte motivation politique. Dans le même temps, il s'enthousiasme tristement pour Hans et Sophie Scholl, jeunes résistants allemands engagés contre le pouvoir nazi et qui lui semblent, par leur martyre, annoncer la fin prochaine de ce qu'ils combattaient et ont, selon ses propres termes, « répandu une semence (…) qui lèvera demain », lorsque la Bête sera abattue.

 

Reck-Malleczewen ne verra pas la fin de la guerre : il s'éteindra à Dachau, en février 1945, quelques mois avant la mort de celui qu'il nommait avec mépris « ce Machiavel prêcheur » (ce qui n'est guère sympathique pour le Florentin auteur du « Prince »...) ou « un avorton fait d'immondices et de purin ». Reck-Malleczewen, ce monarchiste intraitable n'aura alors rien cédé de sa détestation envers le nazisme, mais, dans une dernière lettre posthume et parce que le temps du combat s'achève (même si lui-même n'en connaîtra pas le terme souhaité), il expliquait « qu'il avait triomphé de l'aigreur et de l'amertume, « ce cancer de l'âme » : pour honorer sa mémoire, il demandait qu'on répondît au mal par la bonté » (1), attitude toute chrétienne et digne des martyrs des temps néroniens... Un beau modèle de résistant anti-totalitaire, à méditer et à suivre !

 

 

 

(1) Pierre-Emmanuel Dauzat, dans sa préface au livre.

 

 

23/01/2012

14 novembre 1918 : la formidable et terrible clairvoyance de Bainville.

Je suis en train de préparer mes prochains cours de Première sur la fin de la guerre de 1914-18 et sur les traités de paix qui ont suivi, et Jacques Bainville m'est un guide utile s'il n'est pas forcément le bienvenu dans l'école républicaine, celle qui l'a tant ignoré, lui l'historien « amateur » qui a mieux vu que beaucoup d'universitaires professionnels la suite des événements et compris le « sens » de l'histoire (non pas la direction mais l'ontologie de l'histoire, et les raisons de celle-ci, de ses « suites logiques »). Bien sûr, il y a son livre constamment réédité depuis la chute du Mur de Berlin, « Les conséquences politiques de la paix », et qui annonce dès 1920, en fait et alors dans l'indifférence quasi-générale, la triste suite des années 30 (Bainville ne verra pas tout se dérouler, victime d'un cancer en février 1936, avant la tragédie guerrière de 1939), avec une prescience qui n'est rien d'autre que l'application d'un empirisme que Maurras, à la suite de Sainte-Beuve, qualifiait d'organisateur...

 

Bainville était aussi un journaliste du quotidien mais qui voyait loin, dans une optique capétienne, et ses articles dans « L'Action française » mériteraient une relecture attentive et une réédition générale, avec un bon appareil critique (pourquoi pas dans la Pléiade ?) pour les remettre en contexte et les expliquer aux lecteurs de notre temps.

 

Justement, l'un de ses articles a été republié dans le recueil intitulé « La monarchie des lettres », dans la collection Bouquins de Robert Laffont, et apparaît comme malheureusement visionnaire, comme celui d'une Cassandre que l'Opinion et les élites de la République n'entendent pas, ne veulent pas entendre, engoncées dans leurs certitudes et aveuglées d'illusions. Cet article c'est celui du... 14 novembre 1918, dans l'A.F. monarchiste qui sort exsangue d'une guerre qui l'a privée de sa jeunesse saignée dans la Somme ou à Verdun. Son titre : « Demain ? ». Il faudrait le citer en entier, même si, en définitive, sa lecture est éprouvante, presque désespérante lorsque l'on connaît la suite et que l'on constate que les avertissements de Bainville n'ont servi à rien : comme de Gaulle, je n'en éprouve que plus de mépris pour cette IIIe République imbécile et assassine par son aveuglement, sa lâcheté aussi face au pangermanisme et au nazisme des années 30, cette République qui se réfugiera dans les bras d'un vieux maréchal qu'elle ira chercher à son ambassade de Madrid avant de disparaître dans la catastrophe de mai-juin 1940...

 

Que dit Bainville, en ce jour de novembre, quelques dizaines d’heures après l’arrêt des combats ? Lisons : « Devant quoi la France, au sortir de la grande joie de sa victoire, risque-t-elle de se réveiller ? Devant une République allemande, une république sociale-nationale supérieurement organisée et qui, de toute façon, sera deux fois plus peuplée que notre pays. Cette république (si l'Allemagne reste une république, ce qui n'est pas encore assuré) ne sera pas, comme dirait M. Roosevelt, « du type flasque ». Elle sera productrice et expansionniste. Elle aura une politique étrangère et économique. Cette république des Allemands-Unis, qui aura achevé l'unité allemande, continuera l'empire. C'est contre elle, à un contre deux, que nous aurons à défendre notre industrie d'abord, et bientôt les provinces que nous lui auront reprises et auxquelles elle n'aura renoncé qu'en grinçant des dents. » Une république sociale-nationale : le nazisme sera l’abréviation des deux termes, national et social(isme)… L’empire sera ce IIIe Reich que le chancelier Hitler déclarera être l’achèvement de l’unité allemande et le totalitarisme nazi, pangermaniste, ce régime « supérieurement organisé » (n’est-ce pas la caractéristique affichée d’un système totalitaire ?) dira réunir tous les « Allemands », y compris au-delà des frontières officielles de l’Allemagne…

 

Relisez ce texte, relisez-le, et rappelez-vous qu'il a été écrit alors même que les canons de la Grande guerre viennent à peine de se taire, et que la France et ses alliés espèrent et affirment que la tragédie guerrière qui s'achève au bout de quatre longues années est « la Der des Der » !

 

Le 14 novembre 1918, Jacques Bainville, ce « Vergennes » de L'Action française méconnu de la République (pas totalement, en fait...), alarme la France sur les périls qui la menacent si elle ne gagne pas la paix : mais Bainville crie dans le désert d'une république amnésique et qui subira, pour le plus grand malheur de la France, la montée des périls sans pouvoir (sans vouloir ?) l'arrêter...

 

Dès 1918, c'est 1940 qui se prépare... « La République n'a pas de politique étrangère », disait Anatole France en haussant les épaules : c'est le moindre de ses défauts, diraient certains ; c'est le pire, au regard de l'Europe et du monde qui, eux, ont besoin, malgré (en attendant mieux...) la République, de la France !