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13/03/2008

La mort du dernier poilu de 14-18.

Le hasard fait parfois drôlement les choses : c’est au moment même où je révisais mes cours sur la « Grande guerre » que je présente aux élèves de mes classes de Première les jours prochains que j’ai appris la mort de Lazare Ponticelli, le dernier poilu, à l’âge de 110 ans. Ainsi, il ne reste de témoignages de cette page sanglante de notre histoire que les monuments aux morts de nos villages, villes, églises et lycées (comme les plaques qui citent les noms des professeurs et élèves de l’établissement tombés pour la France, plaques qui couvrent les murs intérieurs de la chapelle du lycée Hoche), les nombreux textes et images de cette tragédie et de ses acteurs, et puis ce jour férié du 11 novembre, commémoration de l’Armistice, et quelques pages dans les manuels d’histoire…

 

En fait, il reste beaucoup plus que cela, et je ne suis pas sûr que toutes les traces de cette guerre qui ouvre le siècle des totalitarismes et des horreurs, des progrès techniques de la mort rapide et de masse, de la brutalisation des rapports diplomatiques et politiques, …, soient complètement effacées : la guerre de 1914, dont on connaît les débuts mais dont on ne connaît pas vraiment la véritable fin (8 mai 1945 ? 9 novembre 1989 ?), a bouleversé le monde et ses équilibres, a « tué » un certain mode de sociabilité, déjà bien ébranlé par l’industrialisation du monde, et a ouvert la voie à « l’américanosphérisation » du continent européen.

 

Jacques Bainville avait bien pressenti cela et il suffit pour s’en convaincre de relire son journal privé des premières années de la guerre (intitulé à sa publication posthume « La Guerre démocratique ») et ses écrits, parfois désabusés et souvent inquiets mais toujours clairvoyants, de son après-guerre… La guerre de 1914 a ouvert de multiples boîtes de Pandore et le principe des nationalités,  et celui de la « guerre du Droit », ont tendance à nier les règles classiques de la diplomatie et de la politique au profit d’une « morale » (symbolisée par les fameux « quatorze points de Wilson »…) en définitive grosse des futures guerres qui surgiront dès la génération suivante…

 

C’est aussi cette guerre qui ruine les sociétés d’Europe et les rend bientôt dépendantes de ceux qui en sont partis, s’en sont déracinés pour créer une société idyllique « sans le passif de l’Histoire », une société où « tout est possible » et dans laquelle cette simple formule autorise tous les moyens pour la vérifier, y compris les moins honorables…

 

Nous sommes les héritiers de cette Histoire, héritiers lointains et insouciants de ce bouleversement : après tout, on ne revient pas en arrière et il nous faut aller de l’avant ; mais cela ne nous empêche pas de connaître les raisons de ce qui est désormais, et de chercher à fonder (à refonder ?) un nouvel équilibre sans refaire les erreurs qui « nous ont tant coûté »… Bien sûr, la guerre est finie, et c’est tant mieux ; désormais, les ennemis d’hier sont devenus amis, et Strasbourg, d’enjeu, est devenu un « pont entre la France et l’Allemagne ». Cela en finit-il, pour autant, avec les dangers et avec les guerres ? Rien n’est moins sûr, et le souvenir des horreurs, pourtant bien présent dans les années 20-30, n’a rien empêché entre 1939 et 1945…

 

Le dire, le rappeler n’est pas faire preuve d’autre chose que de cette prudence qui doit présider aux exercices de la responsabilité politique et humaine que nous devons aussi à nos contemporains et aux générations qui viennent, qui viendront. Pour éviter de revivre, en farce tragique ou pire encore (même si, Dieu merci, le pire n’est pas toujours certain !), les « ballets noirs » de l’Histoire, mieux vaut s’armer, politiquement comme militairement, en espérant que la dissuasion sera assez forte pour écarter les tentations bellicistes ou terroristes de ceux pour qui notre pays reste une « terre à conquérir », ou « à convertir »…

 

Pour que Lazare Ponticelli repose en paix, sur une terre de France (cette terre qu’il a tant aimée et pour laquelle il s’est, avec amour et sans haine, si bien battu) définitivement (ou le plus longtemps possible) « paisible »…