Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/04/2012

Un prêtre normand victime de la Révolution : Pierre-Adrien Toulorge.

La mémoire française de la Révolution est  souvent l'objet de controverses (pas seulement historiques, loin de là...) et les débats autour du génocide vendéen, relancés par la publication du dernier ouvrage de Reynald Sécher, nous le rappellent quotidiennement ! Pourtant, la Révolution n'a pas été un long fleuve tranquille et a charrié dans son lit de nombreux cadavres, de la Corse à la Bretagne, en passant évidemment par Lyon, Avignon ou encore Savenay : si les manuels d'histoire accordent plus d'importance aux grands principes valorisés par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'à leur effective application (pourtant fort... nuancée !), les populations enracinées restent sensibles aux figures locales qui ont traversé la période, en y laissant parfois leur vie et quelques archives pas toujours accessibles, ou les redécouvrent, dans ce grand mouvement informel de recherche de « la mémoire des siens ».

 

Ainsi, dimanche 29 avril, la béatification de Pierre-Adrien Toulorge sera-t-elle suivie par 2.000 à 2.500 personnes à Coutances, dans la Manche... Le journal La Croix, dans son édition du 27 avril, raconte son histoire, si révélatrice et exemplaire au regard de la période agitée de la Terreur et des enjeux de sa mémoire souvent contrariée : « Pierre-Adrien Toulorge ou l'histoire d'un paradoxe : il y a quelques mois encore, dans la Manche, bien peu connaissaient la figure de ce prêtre guillotiné en 1793, en pleine Terreur. (...) Comme ses contemporains, il est profondément déstabilisé par la Révolution. Il cherchera d'ailleurs d'abord à fuir son destin sur l'île de Jersey. Pris de remords, il rentre sur le continent, où il prend le maquis et célèbre les sacrements clandestinement avant d'être arrêté. Lors de son procès, il cherche à tromper ses juges, avant de revenir sur sa déposition, réalisant qu'on ne peut sauver sa vie sur un mensonge.

 

« (...) Marc Beuve, président de l'association des Amis du P. Toulorge, se dit frappé par « la vérité et l'authenticité » du personnage. « Je ne sais pas si j'aurai eu son courage, confesse-t-il. L'accusation n'avait aucune preuve de son exil. Il faut être gonflé pour se laisser conduire à l'échafaud alors qu'un mensonge suffirait à vous sauver la peau. »

 

Bien sûr, la béatification est d'abord religieuse, mais cela n'empêche pas de réfléchir au contexte du martyre de ce prémontré guillotiné pour le simple fait d'avoir émigré à Jersey : la Terreur, qui est la période la plus triste et violente de cette Première République qui se voulait « libératrice » et, bien sûr, éternelle, a usé et abusé de la guillotine pour s'imposer et imposer sa conception du bien et celle de « l'homme nouveau » qu'elle entendait promouvoir, envers et contre tout, parfois contre (presque) tous !

 

Certains me rétorqueront que toutes les grandes mutations se font dans une certaine tension qui peut s'avérer homicide, que cela soit la conquête des terres d'Amérique par les conquistadores ou les révolutions industrielles qui entraînèrent la mort de millions d'ouvriers et de mineurs (d'ailleurs au double sens du terme !) pour permettre l'industrialisation des sociétés contemporaines : une tension nécessaire pour accéder à un autre stade de développement humain, dit-on... Mais tension n'est pas toujours intention, me semble-t-il ! Or, dans le cas de la Terreur, l'intention de détruire des hommes mais aussi des communautés entières est, non seulement avérée, mais revendiquée, assumée, expliquée : « la fin justifie les moyens »... Il est une notion de « pureté » dans la logique de la Terreur (qui n'est qu'un moment de la Première République, et qui ne peut être confondue avec l'intégralité de ce régime auquel Napoléon donne un autre sens et un autre aboutissement que ceux avancés par ses premiers promoteurs...), une logique que l'on retrouve, sans doute, dans les paroles de La Marseillaise pourtant écrites avant même l'établissement de la République : « Qu'un sang impur abreuve nos sillons... ». Mais, contrairement à certains contre-révolutionnaires, je ne pense pas que Rouget de Lisle avouait par là-même une intention d'extermination ni même d'épuration humaine... Son chant est d'abord, on l'oublie un peu, un chant destiné à rassurer, à motiver les troupes françaises mais aussi à apeurer les soldats ennemis : les mots utilisés le sont plus de façon théâtrale qu'avec l'intention de mener une extermination froide d'ennemis vaincus ou prisonniers...

 

Or, la Terreur, elle, n'a pas cette excuse : ce sont bien des hommes vaincus, qu'elle sort de ses geôles pour les juger avec le couperet possible (c'est le cas de le dire !) en jugement dernier. Ce sont des hommes qui, dans le cas de ce prêtre, ne sont pas des combattants mais des opposants ou, pire (car l'intention prêtée à ceux que jugent les tribunaux révolutionnaires est parfois plus importante que les faits eux-mêmes...), des « suspects ».

 

Durant la Grande Terreur, la simple suspicion suffisait à envoyer à la guillotine ceux que la République accusait d'être des ennemis « par principe »... Pierre-Adrien Toulorge, accusé d'avoir simplement émigré, était coupable, selon le tribunal révolutionnaire, de beaucoup plus que cela : d'être « naturellement » un mauvais citoyen, un ennemi de la République, un « impur » qui devait être retranché de la nouvelle humanité révolutionnaire en étant définitivement tranché...

 

Aujourd'hui, la mémoire normande comme celle de l'Eglise lui rendent toute sa place dans la communauté, religieuse comme française, et sans chercher à juger ceux qui l'ont condamné : c'est mieux ainsi ! L'histoire ne doit pas être un « champ des vengeurs » après l'avoir été « des martyrs » : mais elle doit permettre de comprendre ce qui a entraîné tant d'horreurs et d'éviter, autant que faire se peut, qu'elles se reproduisent.

 

 

 

13/08/2010

Une messe à Lancieux.

Je profite de mon séjour en Bretagne pour lire, en particulier les ouvrages qui se sont accumulé ces derniers mois sur mon bureau et à ses pieds, et pour me promener, de la Côte d’émeraude à la Mayenne, de Rennes au Finistère, retrouvant des chemins anciens que mes jeunes années ont empruntés. Ainsi, mardi matin, sous une pluie battante, j’arpentais le marché de Lancieux et, comme à chaque fois, j’ai poussé la porte de l’église dans laquelle j’accompagnais ma grand-mère ou mon père le dimanche. A ma grande surprise, la voix du prêtre qui officiait était fortement accentuée : ce n’était plus l’accent chantant et légèrement traînant du recteur Castel, le prêtre de mon enfance, mais un autre accent qui arrondissait les mots et semblait les amplifier, leur donner une forme et une force étranges, presque magiques. Surprenant et réjouissant, aussi… Car, qu’au cœur de l’été, en un jour qui n’était pas un dimanche, une messe réunisse une bonne vingtaine au moins de paroissiens autour de l’autel, que ceux-ci soient attentifs et chantent de tout leur cœur des prières et des louanges à Dieu et à ses saints, c’est, en ces temps si peu aimables à l’Eglise catholique, une bonne nouvelle pour le croyant que je suis !

 

D’autant plus qu’aucun mot sur la porte de l’église n’annonçait cette messe quotidienne, et que c’est le policier municipal, celui que nous appelions le garde champêtre il y a quelques années encore, qui m’avait indiqué cet office inattendu alors que je m’inquiétais, quelques quarts d’heure avant la cérémonie, de voir close la porte habituellement toujours ouverte… Je n’y vois pas un signe du destin, mais bien une heureuse surprise et un signe d’espérance : dans une société qui ne pense le plus souvent qu’à consommer, qui oublie trop fréquemment le service des autres mais aussi ses particularités historiques et sa personnalité, cette simple messe m’a semblé très symbolique et réconfortante.

 

Mais il y avait un autre symbole : le prêtre qui officiait avec tant de ferveur, qui évoqua en quelques mots la question du malheur et de ses leçons comme des moyens de le surmonter, cet homme d’Eglise qui faisait vivre la parole de Dieu dans cette petite église bretonne de la Côte d’émeraude était d’origine noire-africaine. C’est son accent que j’avais entendu avant que de l’apercevoir et qui m’avait tant surpris ! Mais sa présence m’a aussi rappelé que l’un de mes copains d’enfance à Lancieux était de la même couleur mais n’avait aucunement l’accent que l’on prête aux personnes d’origine africaine. Je me souviens aussi que sa couleur, étonnante à l’époque dans ce petit village encore agricole et pêcheur, alors très « France profonde », n’a jamais, à ma connaissance, été un motif d’exclusion ou de raillerie : le racisme nous était, aux enfants que nous étions, inconnu et n’avait aucune raison d’être.

 

A l’heure où certains font des différences de couleur ou d’origine des motifs de repli communautaire et des arguments de revendications parfois fort agressives et dangereuses pour l’unité française elle-même, ce prêtre était la preuve vivante que le langage d’amour et d’espérance est encore possible et qu’il est même nécessaire aujourd’hui pour surmonter les défis du monde contemporain.

 

En écrivant cela, je ne tiens pas un discours religieux en tant que tel mais bien plutôt je me permets de faire un rappel politique, au sens le plus fort de « politique », celui qui naît au cœur de la Grèce antique, c’est-à-dire la vie de la Cité, son organisation, ses valeurs, ses fondements… Partisan d’une Monarchie royale d’abord politique et sans référence au « droit divin », je n’oublie pas que, sans la conscience du sacré d’une part, de la doctrine sociale de l’Eglise d’autre part, la Monarchie se priverait d’une partie de sa force et, sans doute, de sa légitimité, ce qui serait, pour le moins, regrettable !

 

Je vais retourner à la messe quotidienne de ce prêtre et je tâcherai de converser quelques minutes avec lui, sans doute dans un café proche puisque le presbytère vient d’être vendu, signe des temps… Sans doute aussi lui dirai-je mes espérances politiques dans lesquelles je vois certaines possibilités d’un « ordre social chrétien » (tel que l’a évoqué La Tour du Pin) sans que cela ne fasse de l’Etat un « obligé de l’Eglise », ce que la Monarchie française n’a d’ailleurs jamais autorisé dans son histoire multiséculaire…