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17/01/2011

Le cynisme des agences de notation.

La révolution n'est pas encore finie en Tunisie et tous les possibles restent envisageables, entre démocratie et, même, dictature : à l'heure qu'il est, rien n'est encore sûr, si ce n'est que tous les acteurs institutionnels ont intérêt à en finir le plus vite possible avec les désordres et l'incertitude, ne serait-ce que pour rassurer les investisseurs et les touristes qui remplissent d'ordinaire les caisses du pays...

 

Mais les agences de notation, celles-là mêmes qui menacent régulièrement les pays de la zone euro de dégrader leur note pour des raisons pas toujours très claires, ne laissent aucun répit à la Tunisie : ainsi, le site internet du « Figaro » signalait vendredi soir que « l'agence de notation Fitch a placé la note BBB de la Tunisie sous surveillance négative. Cette décision « reflète l'éclatement soudain et imprévu d'un risque politique et les incertitudes politiques et économiques » qui en découlent. ». En somme, la révolution est un risque, ce qui n'est pas vraiment une surprise, et la stabilité antérieure était, aux yeux de l'agence, bien préférable... Comme quoi la question du régime politique n'intéresse les économistes que sous l'angle des affaires (et des profits) potentiels et non sous celui de la justice sociale ou de la liberté politique, ce qui « légitime » (sic!) sans doute la véritable sinophilie qui s'est emparé des milieux industriels et boursiers ces dernières années !

 

Mais le cynisme de Fitch ne s'arrête pas là : « La promesse d'élections anticipées ainsi que d'une ouverture du système politique introduit des incertitudes supplémentaires », poursuit le communiqué de l'agence de notation. En somme, « l'ouverture du système politique » n'est vraiment pas une bonne chose, si l'on comprend bien l'agence, car elle représente ce que détestent ces milieux d'affaires qui pourtant se réclament du libéralisme et du libre jeu du Marché : le risque ! Il y aurait beaucoup à dire sur la duplicité de ces agences qui ne cessent de réclamer une déréglementation et un démantèlement de la fonction publique d'Etat mais ne supportent pas que leurs activités soient dérangées par de misérables événements politiques ou la contestation d'un régime dictatorial...

 

Cette arrogance des milieux d'affaires devra bien, un jour, être contrecarrée par une politique d'Etat qui privilégiera les hommes et les sociétés, la justice sociale et la parole politique elle-même : en France, la monarchie a jadis montré qu'elle savait agir, y compris contre les intérêts des plus riches, et qu'elle n'hésitait pas à s'imposer aux féodalités économiques, au risque de déplaire à celles-ci qui n'eurent alors de cesse de l'affaiblir pour mieux installer leur propre règne.

 

Si cette agence de notation avait eu quelque conscience ou morale, elle aurait suspendu pour quelques semaines ses jugements sur la Tunisie, le temps que la situation s'éclaircisse (en bien ou en mal, d'ailleurs...) et elle aurait évité de jeter de l'huile sur le feu, au risque de pénaliser un peu plus un pays déjà en difficulté ! Mais la cupidité est, non pas une seconde nature, mais bien la première de ce genre d'agences qui ne créent rien mais vivent de leurs chantages à l'égard des pays qu'ils notent dans une logique purement spéculative.

 

Il est temps que le politique reprenne ses droits, et pas seulement en France...

 

15/01/2011

Révolution...

La Tunisie nous rappelle opportunément que, même en politique, tout est possible si tout n’est pas forcément souhaitable… En quelques heures, après un mois de manifestations et d’émeutes, un régime s’est effondré, presque sans coup férir : juste quelques communiqués de presse, la déclaration d’un premier ministre devenu président par intérim, des informations sur un avion qui emporte le président « empêché » Ben Ali vers une destination encore inconnue, les rumeurs sur son arrivée en France, la déclaration du président Obama félicitant le peuple tunisien… Et puis, les témoignages sur les événements du soir, un certain chaos et les incertitudes du lendemain…

 

Une révolution en direct, suivie sur les écrans de télévision, dans un café de Versailles…

 

Il y aurait beaucoup à dire sur cette révolution, même si elle est encore en cours et que son issue reste incertaine : l’armée au pouvoir ? Quels partis et quels hommes pour succéder au régime de Ben Ali ? Quel régime, même ? Quels risques, aussi ?

 

Une chose est néanmoins certaine : même en 2011, malgré la répression d’une République dictatoriale et l’absence apparente d’opposition organisée, une révolution reste possible ! Certes, l’armée y a sans doute joué un rôle non négligeable et il n’est pas dit qu’elle ne cherche pas à jouer encore son propre jeu, mais le résultat est là : un régime, considéré il y a encore un mois comme stable et durable, a été balayé par des manifestants décidés, et qui n’avaient plus peur de ce qui les effrayait la veille

 

Mais cette révolution n’est-elle pas aussi une « révolution Wikileaks » ? Car les notes diplomatiques états-uniennes décrivant la corruption totale du régime de Ben Ali et le mépris que Washington avait pour ce régime, notes rendues publiques par le site de Julian Assange, ont libéré les Tunisiens de leur prudence à l’égard de la présidence autocratique du successeur de Bourguiba, ne serait-ce qu’en leur prouvant que les Etats-Unis n’avaient guère de raison de soutenir celui-ci…

 

Demain est un autre jour : une révolution est toujours une rupture et un saut dans l’inconnu, pour le meilleur (qu’il faut souhaiter même si le chemin n’en est pas simple) ou pour le pire (qui n’est malheureusement pas impossible comme tant d’exemples nous l’ont montré par le passé, y compris dans notre propre histoire…). La violente libération d’énergies que crée une révolution, ses illusions comme ses espoirs, ses forces comme ses faiblesses, peut tourner à l’ouragan de feu si elle ne trouve pas un maître à la fois résolu et juste, animé par la volonté de servir et non par l’ambition de se servir.

 

La révolution est un risque, parfois nécessaire : subversion radicale d’un ordre ancien, elle ne vaut que par les valeurs qu’elle incarne et qui lui donnent, ou non, une légitimité devant l’histoire et devant le pays qu’elle prétend gouverner après l’avoir secoué. Tant de révolutions ont endeuillé l’histoire de leurs violences inutiles et injustes ! Tant de révolutions ont transformé l’espérance en intolérance !

 

Il est des révolutions nécessaires et Bernanos appelait, à la suite de son ancien maître Maurras, à une « révolution rédemptrice », au-delà même de « l’acte révolutionnaire », du coup d’état ou du soulèvement populaire, au-delà du « moment insurrectionnel » forcément passager et violent. Il est aussi des révolutions pacifiques, « par le haut », dont les conséquences ne sont pas moins importantes que celles qui déboulent dans la rue, et celle incarnée par Juan Carlos, roi d’Espagne de son état, en a montré l’exemple…

 

Ces jours-ci, la Tunisie a ranimé cette vieille actrice de l’histoire : reste à voir ce que sera cette révolution, concrètement, et à mesurer ses qualités et ses réalités, peut-être ses dangers. Mais ce retour de la révolution sur la scène montre que l’histoire n’est pas finie, et qu’il reste encore des « aventures politiques » à vivre, à faire, à mener…

 

« On a raison de se révolter », clamait Benny Lévy dans ses jeunes années… Mais en France, après les expériences malheureuses des années 1790, cette raison, si elle veut être profitable au pays et à ses peuples, doit conclure à une révolution… royale !