20/02/2009
Préférence régionale ?
La crise guadeloupéenne est, en fait, révélatrice de quelques blocages de notre système politique et pas seulement social : en écoutant l’émission de Jean-Jacques Bourdin sur RMC depuis quelques jours, les réactions du journaliste comme celles de nombreux intervenants sont intéressantes, parfois surprenantes et certaines choquantes, et en tout cas donnent à penser…
Ainsi, M. Bourdin, en évoquant cette crise, ne cesse de dénoncer la centralisation et le parisianisme, en évoquant le mépris de Paris à l’égard des provinces, métropolitaines comme ultramarines. De plus, à la suite d’une auditrice très en colère, il dénonce le fait que des métropolitains mais aussi des étrangers (par exemple des Suédois…) prennent la place des « locaux », des Guadeloupéens, du coup relégués dans une situation de chômage ou d’assistanat…
Cela appelle plusieurs remarques : la République, depuis la Révolution, est marquée, voire identifiée, par une centralisation statutaire et institutionnelle qui, néanmoins, commence à reculer devant les lois de décentralisation des années 1981-82 et 2003-04, lois qui, mal encadrées ou maladroites dans certains cas, ont aussi entraîné des dérives financières dont il faudra bien reparler car elles sont responsables du creusement des déficits publics. Comme quoi ce qui devait être une réforme utile peut tomber dans des travers qui la discréditent : là aussi, il sera nécessaire de revenir sur ce problème.
La République politique est aussi responsable (après en avoir été le fruit) de l’idéologie de la « volonté générale », forcément unique par essence, et qui fait que Paris, considéré comme centre décisionnel sur le plan administratif et économique, développe un véritable complexe de supériorité, politique mais pas seulement…
En somme, les propos de Bourdin sont significatifs d’un « ras-le-bol » (parfois exagéré, d’ailleurs) des provinces à l’égard d’une centralisation qui s’est trop souvent faite méprisante et a diffusé dans les élites économiques et politiciennes (ce que Maurras nommait « le pays légal ») un esprit souvent détestable à l’égard du « pays réel » : déconnection dramatique entre élites et « peuples » (le pluriel n’est pas anodin) qui s’est parfois traduite par des crises graves dont les chouanneries de l’époque révolutionnaire ne furent pas des moindres… Déconnection entre la République et les communautés, entre la République et les corps citoyens…
Une conséquence dénoncée en son temps par l’autonomiste provençal et nationaliste fédéraliste Charles Maurras, devenu, pour donner plus de force à sa réflexion et à son action politiques, royaliste d’Etat…
Mais, si la République, par sa déconnection des réalités d’un pays qui ne se limite pas à sa capitale parisienne, semble incapable de comprendre et d’agir, en Guadeloupe comme ailleurs, cela veut-il dire qu’il est impossible de retisser le manteau coloré de l’unité française ? L’échec de la République n’est pas, pour autant, l’impossibilité pour tout Etat français de réussir cette « nouvelle conciliation française », visiblement nécessaire en Outre-Mer comme ailleurs, ne serait-ce aussi que pour désarmer les démagogues, indépendantistes ou non, qui n’hésitent pas à faire la politique du pire pour atteindre leurs objectifs.
Autre remarque : comme je le signalais plus haut, une des intervenantes à l’émission de M. Bourdin s’indignait, tout à l’heure, que les Guadeloupéens ne soient pas prioritaires sur l’île pour occuper les emplois, dont beaucoup sont tenus par des « métros » (d’autres Français, donc) ou des étrangers… En somme, le principe ici défendu par cette auditrice et relayé par le journaliste est celui d’une « préférence régionale » qui va encore plus loin que la préférence nationale aujourd’hui interdite par les règlements de l’Union européenne (au nom de la lutte contre les discriminations à l’embauche et, surtout, de la libre circulation des personnes et des biens…)! A l’heure où il est de bon ton de dénoncer toute forme de protectionnisme (dont la définition varie selon l’interlocuteur), les syndicats guadeloupéens revendiquent un « exclusivisme régional » qui, d’une certaine manière, pourrait se résumer par « Vivre et travailler au pays ». Ainsi, quelle condamnation des principes mêmes mis en avant par le gouvernement et l’Union européenne !
L’auditrice évoquée plus haut rajoutait qu’il fallait tout faire pour mieux former sur place les populations locales au monde professionnel, par le biais de l’éducation nationale et du monde du travail lui-même : pourquoi pas ? Mais ce qui vaut pour la Guadeloupe peut, dans ce cas, valoir aussi pour la métropole qui, aujourd’hui, connaît cette situation absurde de voir plusieurs centaines de milliers d’emplois non pourvus (faute de candidats ou de jeunes formés aux métiers demandeurs, faute de volontaires aussi…) tandis que plus de 2 millions de travailleurs, d’employés, de cadres français hantent les locaux du « pôle emploi »… Il est des contradictions qu’il faudra bien un jour résoudre !
Je dois avouer que je ne suis pas partisan d’une « stricte » préférence locale, régionale ou nationale, même si je suis favorable à faire appel, effectivement et dans la mesure du possible, « aux plus proches », dans un souci d’équilibre et de respect raisonnable des particularités locales : or, je ne suis pas sûr que notre actuelle République, coincée par ses principes idéologiques (économiques comme politiques) et ses obligations à l’égard du système libre-échangiste européen comme mondial, soit capable de résoudre les contradictions qui se font jour de plus en plus nettement aujourd’hui, en particulier en temps de crise, toujours elle-même révélatrice… Cela ouvre donc, a contrario, des possibilités de réflexions et de propositions nouvelles : encore du travail pour les royalistes sociaux !
Post-scriptum : cette note n’évoque la Guadeloupe que comme un élément révélateur d’une situation plus générale et pas seulement ultramarine, et je ne traite pas exactement, donc, de sa réalité propre : cela fera l’objet d’une autre note, prochaine je l’espère…
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