Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/09/2020

Face au chômage, ni étatisme ni libéralisme débridé !

 

La crise sanitaire actuelle ouvre la porte à de nombreuses autres crises, et le cycle infernal dans lequel nos pays semblent entrés sans savoir où se trouve la sortie n’est pas pour rassurer nos concitoyens : selon un sondage publié par l’Unedic jeudi dernier, et que rapporte Le Figaro dans son édition du vendredi 25 septembre, « la quasi-totalité des Français (93%) a le sentiment que le chômage peut toucher tout le monde », donc soi-même, et c’est bien la survenue de la Covid 19 dans le paysage sanitaire qui a aggravé ce sentiment fort et anxiogène : « 73% des Français estiment que la situation s’est dégradée en raison du Covid-19. Un chiffre qui bondit de 27 points par rapport à la première vague de l’enquête réalisée avant le confinement et publiée en avril par l’organisme en charge de l’assurance-chômage. » Cela rompt avec le (relatif) optimisme qui pouvait, au moins dans les milieux gouvernementaux, prévaloir avant janvier dernier : le nombre de chômeurs s’était stabilisé, sans pour autant diminuer de façon assez significative pour indiquer une inversion de tendance véritable. D’autant plus que, ces dernières années, on assiste à la montée inquiétante d’un précariat qui correspond aussi à l’ubérisation de l’économie et de la société, et qui doit nous interroger sur les définitions du travail et de l’emploi.

 

Aujourd’hui, le chômage atteint des sommets que l’on espérait réservés aux pays lointains ou aux manuels d’histoire relatifs à la dépression des années 30 : le « nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A, (est) en progression de plus de 500.000 entre janvier et juillet 2020, et (…) près de 600.000 emplois salariés détruits en l’espace d’un an ». Sans oublier que 8,8 millions de Français ont été ou sont encore concernés par le dispositif de chômage partiel au plus haut de la crise… Quelques articles publiés dans la presse économique dès le mois de mars dernier indiquaient que la Covid 19 risquait de tuer plus d’entreprises et d’activités que de personnes physiques : cette sinistre prédiction s’est largement réalisée, et elle peut parfois faire oublier le risque sanitaire lui-même, alors même qu’il ne faut négliger ni l’un ni l’autre, tout en sachant garder raison, comme le proclame la célèbre formule capétienne.

 

Mais il ne faut pas oublier aussi que le chômage de masse, en France, n’est pas une réalité récente et qu’il n’est pas certain, contrairement à la formule fataliste du président Mitterrand dans les années 1980, que l’on n’ait tout essayé contre ce qui reste un fléau social de grande ampleur pour nos sociétés. Observons aussi la structure sociologique du chômage : les plus frappés sont les jeunes et les personnes proches de la retraite, principalement dans le secteur industriel, et ces caractéristiques risquent de s’aggraver autant que la courbe du chômage elle-même. Le danger serait que les nouvelles générations débarquant dans la vie active se sentent exclues du monde du travail et de l’insertion sociale, ce qui fragiliserait un peu plus le processus d’intégration à l’ensemble national et pourrait nourrir les séparatismes de toute sorte, et pas seulement religieux ou communautaristes. L’histoire du XXe siècle, pour se contenter d’elle, nous enseigne que le chômage, s’il ne créé pas les totalitarismes ou les idéologies totalitaires, peut les nourrir suffisamment pour les faire advenir et ensanglanter le monde.

 

Aussi, le chômage appelle une réponse qui n’est pas qu’économique, mais qui doit être sociale, politique, voire civilisationnelle : redonner du sens au travail, mais aussi à la communauté de travail, c’est renouer des liens sociaux aujourd’hui distendus par l’individualisme et sa traduction politique, le libéralisme. C’est aussi favoriser l’entraide entre les différents acteurs du monde du travail, que cela soit au sein des entreprises, des communes et, bien sûr, de la nation : pour l’heure, la solidarité s’exprime de façon surtout financière mais sans que cela soit expliqué, au risque de susciter de l’agacement à l’égard de ceux qui, chômeurs, reçoivent une aide sous forme d’allocations : « 38% (des Français) considèrent que les demandeurs d’emploi sont des personnes assistées (+5 points), qui perçoivent des allocations chômage trop élevées (36%, +4 points), et qu’une partie d’entre eux fraudent (35%, +4 points). » Bien sûr qu’il y a des fraudeurs et des assistés, mais ils sont une minorité, Dieu merci, et il s’agit justement d’en réduire le nombre pour permettre de mieux aider, et pas forcément financièrement, les autres, les « vrais » chômeurs. La fraude est sans doute plus facile à combattre que l’assistanat qui, lui, est largement suscité et entretenu par le système lui-même, y compris à travers l’Education nationale qui, trop souvent, a cessé de valoriser les valeurs de l’effort et de la joie du travail bien fait, tout comme elle a marginalisé le travail manuel et l’autonomie, individuelle comme familiale : où sont les cours de cuisine ou de jardinage, par exemple, qui permettraient, en particulier aux jeunes citadins éloignés des campagnes, de savoir faire pousser des légumes et de les cuisiner pour s’en nourrir ? Notre société de consommation a coupé les jeunes des racines de la terre et de l’envie de créer pour mieux les asservir au « tout-fait, tout-prêt » marchandisé, et elle a préféré l’assistanat qui n’est, en définitive, qu’une forme à peine subtile d’esclavage social et économique…

 

Dans cette affaire, le rôle de l’Etat est principalement de mettre en place une stratégie de soutien et d’incitation toujours préférable à l’assistanat et à l’étatisme, mais aussi à la logique du « laisser faire-laisser passer » qui est souvent l’alibi du « laisser tomber », et dont les plus faibles ou les moins habiles sont les principales victimes. La République a tenté sous de Gaulle cette stratégie volontaire et d’équilibre, que l’on pourrait qualifier de néo-colbertisme, mais les successeurs du général ont eu moins de constance et de colonne vertébrale pour soutenir cet effort qui méritait d’être pérennisé et amplifié, et, surtout, le temps court de leur mandat (sept, puis cinq ans depuis M. Chirac) n’a pas permis de déployer sur le long terme une stratégie qui, comme le rappelait le philosophe Michel Serres, aurait mérité au moins un quart de siècle pour être pleinement efficace. « Pour avoir un Colbert, encore faut-il un Louis XIV », et ce dernier n’est possible qu’en Monarchie royale, celle qui apprivoise le temps sans s’en croire le maître absolu… La lutte contre le chômage, dans ce monde et ce temps mondialisés, nécessite « la durée, la mémoire et la volonté » qui sont, qu’on le veuille ou non, l’apanage des monarchies, y compris constitutionnelles, mais qui sont véritablement effectives et efficaces dans cette Monarchie royale « active » que nous appelons de nos vœux, cette monarchie éminemment politique qui ne se contente pas de la douce monotonie des inaugurations et du spectacle symbolique, mais qui assume, effectivement, « le risque politique de dire et de faire ». Non une monarchie qui « dirige tout » mais un régime qui assume son rôle d’arbitre au-dessus des forces (voire des féodalités) financières, économiques et politiques, et fixe le cap, comme un capitaine de navire le fait pour mener le navire à bon port. Une monarchie qui valorise les Richelieu, les Vauban et les Colbert contemporains, pour le plus grand service de la France, de ses peuples comme de ses personnes.

 

 

 

 

 

 

21/09/2020

Sauver les 863 emplois de Bridgestone, et voir plus loin encore.

 

La liste des entreprises mondialisées qui ferment leurs usines en France pour se redéployer (beaucoup) plus loin vient de s’allonger un peu plus encore avec l’annonce, brutale et par vidéo interposée, de la fermeture complète et définitive de l’usine de pneumatiques Bridgestone (multinationale japonaise) installée à Béthune, dans une région très éprouvée par la désindustrialisation depuis une bonne trentaine d’années déjà et au fil de la mondialisation et de son imposition aux économies nationales. Ce sont 863 emplois qui, d’un clic d’ordinateur, peuvent ainsi disparaître au printemps 2021, selon le bon plaisir d’une entreprise qui, en 2017, profitait allégrement des aides de l’État, au titre du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) et avait alors touché 1,8 million d’euros. 863 emplois, sans compter les sous-traitants et ceux qui vivent de l’installation des familles de cadres et d’ouvriers sur place ou dans les environs de Béthune… En somme, une nouvelle catastrophe sociale s’annonce pour la région et ses habitants, si rien n’est fait pour l’empêcher !

 

Ce n’est pas la première fois et ce n’est sans aucun doute pas la dernière non plus qu’une entreprise mondialisée, à la recherche de profits pour les actionnaires qui participent à son financement et, en retour, « en veulent pour leur argent » (et pour leur « confiance » sur laquelle repose en grande partie leurs propres investissements), agit de la sorte : la violence de l’annonce, quelques mois après avoir affirmé à l’État ne pas avoir l’intention de fermer ce site industriel (affirmation faite à Bercy, devant le ministre de l’Économie et le président de la région Hauts-de-France, en novembre 2019 !), se conjugue avec un cynisme certain et confirme la mauvaise impression que, depuis quelques années déjà, les acteurs locaux mais aussi l’État pouvaient avoir devant l’absence d’investissements de l’entreprise sur le site et le refus récent de profiter des aides de l’État dans le cadre du plan de relance post-covid, comme pour sembler ne rien devoir désormais à la France. Il semble bien que, en définitive, Bridgestone ait laissé pourrir la situation pour légitimer son attitude présente, faisant ainsi peu de cas des emplois locaux et rassurant ses actionnaires qui souhaitent de meilleurs dividendes sans se soucier des moyens utilisés pour les obtenir… C’est là où l’on touche du doigt toute l’injustice d’un système qui sépare le travail (des ouvriers et des cadres) de l’argent au lieu de conjuguer les deux dans une « communauté de destin » professionnelle. L’argent « libéré du travail » devient vite ce tyran qui soumet les travailleurs à son bon plaisir et à ses créances

 

Devant l’indignation provoquée par l’annonce de la fermeture du site, l’État n’a pas pu se défausser et il est fort possible que M. Le Maire, comme le président de la République lui-même, ne soit pas insensible à cette violence économique et sociale. L’intervention rapide du politique face au risque de fermeture du site a au moins permis de lancer un cycle de négociations entre les différents partenaires sociaux, mais aussi régionaux et étatiques, et la direction européenne de la firme japonaise, cycle qui devrait durer cinq mois et, officiellement, chercher des pistes pour éviter le drame social et l’accentuation de la désindustrialisation locale. Mais, n’est-ce pas simplement le moyen pour la multinationale de gagner du temps en espérant que l’émotion s’apaise et que la fatigue des opposants à la fermeture du site désarme toute réaction trop brutale ou dangereuse pour l’image ou les intérêts de la firme et de ses actionnaires ? Il n’est pas interdit de le craindre, au regard des précédents trop nombreux et peu encourageants pour les travailleurs…

 

Alors, que faire ? La tentation est grande de se contenter de quelques slogans anciens et réducteurs sur la logique capitaliste qui ne serait rien d’autre que la seule recherche du profit par des classes dominantes égoïstes au détriment des classes laborieuses forcément exploitées et maltraitées en ces temps déjà peu sympathiques. Non que cela soit forcément faux, d’ailleurs, si l’on en croit quelques uns des laudateurs mêmes de ce système et si l’on observe les mentalités capitalistiques contemporaines, fort peu portées sur la générosité et la compassion à l’égard des travailleurs (cadres comme ouvriers), et encore moins sur le partage des profits et la pourtant si nécessaire justice sociale. Je n’ai guère d’illusions sur l’état d’esprit des féodaux d’aujourd’hui pour lesquels l’argent est la seule aune de la valeur des hommes, et sur leur capacité (très faible voire nulle, en fait) à entendre la souffrance des « sans-dents », et La Tour du Pin, catholique fervent et royaliste lucide autant que social, avait déjà de son temps des mots très durs à l’égard des financiers et des patrons qui oubliaient, trop souvent et trop naturellement, leurs devoirs sociaux

 

Mais au-delà de ce constat sur la dureté des méthodes et de l’idéologie capitaliste elle-même, il faut bien proposer quelques pistes pour, dans le cadre d’une mondialisation imposée et trop souvent intériorisée comme « obligatoire » par les populations (1), sauver ce qui peut l’être sans oublier ce qui doit l’être, c’est-à-dire la possibilité pour ceux qui vivent du travail chez Bridgestone de continuer à travailler et à vivre dignement, même sans (ou après) Bridgestone. En ce sens, il est nécessaire d’appuyer notre soutien aux salariés de cette firme, y compris pendant les cinq mois de médiation et de négociations, non pour bloquer la situation mais pour peser dans ce qui est, d’abord et toujours, un rapport de forces : se désintéresser de cette double cause de l’activité industrielle et de l’emploi à Béthune au sein et autour de Bridgestone serait affaiblir la position des salariés autant que celle de notre pays. En ce sens, et sans tomber dans le mythe d’une « union sacrée » sociale, il faut renforcer la position de l’État, non par amour pour M. Le Maire mais parce que, sans le politique, rien ne pourra se faire ni être garanti pour l’emploi dans la région ; idem pour le Conseil régional, dirigé par un potentiel candidat à la présidentielle dont il faut souhaiter que son ambition lui permette d’être le plus efficace possible, et qu’il soit un éternel aiguillon pour rappeler l’Etat à ses devoirs si ce dernier venait à fléchir face au géant japonais du pneumatique…

 

Que peut devenir l’usine de Béthune ? Un rachat par une autre société (Michelin ?) peut être envisagé mais Bridgestone acceptera-t-il cette option qui pourrait entraîner une nouvelle concurrence pour ses propres produits ? Alors, en faire une usine dédiée au recyclage des pneus usagés, dans le cadre de la transition écologique française et de la mise en place progressive d’une économie circulaire ? Ou moderniser l’outil industriel et l’adapter aux nouvelles tendances du marché du pneumatique ? D’autres propositions seront évidemment avancées et devront être discutées, défendues aussi près des autorités et de la direction de la firme mondialisée qui, pour l’heure, reste campée sur son intention de fermeture définitive du site. Quoi qu’il en soit, la première des priorités est de montrer la détermination de tous à sauver « Béthune », et « la rue » sera, sans doute, aussi utile que « les pouvoirs publics » et la négociation entre les différents acteurs du dossier. C’est une bataille sociale qui s’engage et qui, après tant de défaites récentes, doit, cette fois, être victorieuse…

 

Bien sûr, cela n’est qu’une étape dans ce long processus, nécessaire, de « nouvelle industrialisation » : retrouver l’indépendance économique de notre pays et « faire de la force » sur ce terrain comme sur les autres, voilà qui doit motiver l’action et les propos de tous, en France, car la mondialisation ne doit pas dicter sa loi aux États ni aux travailleurs qui, trop souvent, en sont les victimes expiatoires…

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Ce qui n’empêche pas, pour autant de dénoncer la mondialisation et d’en évoquer et d’en préparer une sortie en bon ordre, dans le cadre d’une internationalisation des échanges fondée, non sur « la concurrence de tous contre tous » (seule valorisée aujourd’hui) mais sur l’équilibre et sur l’équité sans tomber dans l’illusion d’une égalité des échanges qui n’aurait ni sens ni raison.

 

 

16/09/2020

Nos landes, de la nostalgie à l'espérance.

 

En ces temps étranges et plutôt moroses, la littérature reste souvent un refuge, non pour seulement s’évader des contrariétés du moment, mais pour penser au-delà des mots d’ordre du « politiquement correct » et des injonctions du conformisme moralisateur toujours en recherche de sorcières à brûler… Et c’est ainsi que je relis les romans « chouanniques » de Barbey d’Aurevilly et de Jean de La Varende, tout en les complétant par les études historiques sur ce même sujet des chouanneries, signées de Roger Dupuy, de G. Lenôtre, d’Anne Bernet ou encore de Jean Guillot. Mais le roman n’est pas qu’une histoire, c’est aussi un merveilleux révélateur des temps évoqués et des cadres anciens, parfois effacés de nos mémoires autant que des paysages : ainsi, dans les premières pages de « L’ensorcelée », Barbey d’Aurevilly, ce royaliste nostalgique hanté par le tragique, décrit-il la lande de Lessay comme le témoin d’un monde condamné à disparaître sous la grande marée du progrès et de l’industrialisation. Et ses lignes presque désespérées, souvent passées inaperçues et peu citées par les critiques littéraires, me paraissent porter en elles un message qui ne peut laisser indifférent le vieux royaliste sensible à la préservation de la nature et de ses rythmes et aspects que je suis.

 

« (Les landes) sont comme les lambeaux, laissés sur le sol, d’une poésie primitive et sauvage que la main et la herse de l’homme ont déchirée. Haillons sacrés qui disparaîtront au premier jour sous le souffle de l’industrialisme moderne ; car notre époque, grossièrement matérialiste et utilitaire, a pour prétention de faire disparaître toute espèce de friche et de broussailles aussi bien du globe que de l’âme humaine. Asservie aux idées de rapport, la société, cette vieille ménagère qui n’a plus de jeune que ses besoins et qui radote de ses lumières, ne comprend pas plus les divines ignorances de l’esprit, cette poésie de l’âme qu’elle veut échanger contre de malheureuses connaissances toujours incomplètes, qu’elle n’admet la poésie des yeux, cachée et visible sous l’apparente inutilité des choses. » La condamnation de ce que deviendra l’industrialisation en France, après ses ravages commis en Angleterre sur les paysages comme sur les hommes et les corps ouvriers, ne se limite donc pas à celle de l’asservissement technique des populations productives mais s’inquiète des effets sur les esprits et les âmes, dans un mouvement qui préfigure celui, plus encoléré encore, de Georges Bernanos dans ses essais publiés sous les titres de « La France contre les robots » et de « La liberté, pour quoi faire ? », entre autres. Ce message, pour nostalgique qu’il apparaisse, est-il si inactuel que cela ? L’asséchement des marais ; la disparition des friches devant la conquête de l’agriculture productiviste, de plus en plus éloignée des rythmes climatiques et végétaux ; l’artificialisation de ces landes souvent liée à l’urbanisation des littoraux puis à la rurbanisation contemporaine : tout cela s’est fait en même temps que le déracinement des populations, destinées alors à devenir des masses de consommateurs plutôt que des êtres enracinés, ou, dans le temps de la IIIe République, à se réduire à des citoyens-soldats dont le droit de vote, pouvoir nécessaire mais mal ordonné (trop souvent pour des raisons liées à la structure parlementariste de la République quand il aurait fallu privilégier la proximité et la « fédération », au sens a-centralisateur du terme), obligeait aussi à l’acceptation (bien peu volontaire, en fait) de « porter la besace et le fusil », ce que le pourtant républicain Anatole France ne pardonnait pas à la Révolution française, retrouvant ainsi le sentiment des premiers chouans et des Vendéens de 1793…

 

Quand Barbey écrivait « L’ensorcelée », le Second Empire déployait ses ailes, et le Progrès semblait y trouver son compte, Haussmann et les frères Pereire interprétant celui-ci comme la victoire de l’ordre urbain et bourgeois, fort peu sensible aux friches inutiles, aux broussailles sauvages et à la poésie des paysages naturels comme à celle des rêveurs de plume… Le matérialisme s’engageait dans une marche qui semblait devoir être triomphante et incontestée, si ce n’est par quelques partisans de l’ancien Ordre des choses et des âmes : Barbey était de ces derniers, et ce « chouan du cygne » jetait son désespoir à travers les pages de ses romans. Et pourtant, cette nostalgie n’est-elle pas, aujourd’hui, la source de quelque belle espérance, non d’un improbable retour en arrière mais d’une rupture avec le sens obligatoire de l’Histoire que le XIXe siècle semblait avoir préparé et imposé en attendant ce XXe siècle qui fut surtout celui des impasses ?

 

« Pour peu que cet effroyable mouvement de la pensée moderne continue, nous n’aurons plus, dans quelques années, un pauvre bout de lande où l’imagination puisse poser son pied pour rêver, comme le héron sur une de ses pattes. Alors, sous ce règne de l’épais génie des aises physiques qu’on prend pour de la Civilisation et du Progrès, il n’y aura ni ruines, ni mendiants, ni terres vagues, ni superstitions comme celles qui vont faire le sujet de cette histoire (…). » Et Barbey engage sa plume dans une histoire tragique qui, fatalement, semble mal terminer, quand, pourtant, elle peut ouvrir de multiples champs de réflexion sur la nature même de l’humanité et de ce qu’il faut, absolument, sauvegarder en elle : cela impose, sans doute, de réfléchir à cette société de consommation (« ce règne de l’épais génie des aises physiques », est-ce donc cela ?) qui est la nôtre sans que nous ne nous résignions à en accepter la domination, cette société que, en définitive, nous pourrions appeler « dissociété » à la suite du philosophe Marcel de Corte…

 

Le désespoir de Barbey mérite l’attention, et je ne suis pas insensible aux couleurs de la nostalgie et à ses accents, en particulier en cette veille d’automne qui s’annonce rude, autant sur le plan social que politique, voire géopolitique… Mais la nostalgie ne peut fonder une politique, même si elle peut, parfois, nous rassurer : « notre enfance » et « le temps jadis » nous font souvent un matelas confortable de souvenirs et de sensations sur lequel nous aimons nous étendre, mais nous pourrions, si nous prenions garde, nous endormir sans même l’espoir d’un réveil princier ! Bernanos complète Barbey en nous rappelant que le désespoir se doit d’être surmonté, et qu’alors, il devient ce moteur de notre action politique que l’on nomme l’espérance. Cette espérance qui nous fait un devoir de poursuivre, inlassablement, ce combat royaliste destiné à rendre à la France un État digne de ce nom et de son histoire, et de rendre à notre société les rêves que la modernité a cru pouvoir remplacer éternellement par l’avidité consumériste…