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13/11/2020

Bridgestone montre la nécessité de domestiquer les féodalités économiques.

 

Encore une fois, une entreprise multinationale ferme une usine importante en France, sans trop d’égards pour ceux qui y travaillent et ceux qui en vivent, de la sous-traitance aux commerces locaux, voire aux écoles qui accueillent les enfants des salariés. Ainsi, 863 travailleurs, ouvriers et cadres, sont condamnés au chômage ou au reclassement, parfois à une retraite anticipée sans joie, tandis que de nombreuses entreprises sous-traitantes vont être les victimes collatérales d’une décision prise à des milliers de kilomètres de là, sous la pression d’actionnaires plus empressés de valoriser leur capital que de soutenir l’emploi dans un pays qu’ils ne connaissent que par sa tour Eiffel ou ses bons vins… C’est désespérant, parce que c’est encore et toujours le même scénario que Whirlpool à Amiens en 2017 et Ford à Blanquefort en 2019 (deux exemples parmi tant d’autres) et que rien ne semble infléchir le cours d’une mondialisation brutale qui profite du « vaste monde » pour chercher le meilleur profit financier et non le meilleur intérêt ouvrier ou, tout simplement, humain. Sans oublier que, désormais, l’État est tenu de respecter des règles de « libre concurrence » (européenne ou mondiale) qui, trop souvent, oublient les travailleurs. La concurrence ainsi qualifiée n’est, là aussi, que l’alibi commode du cynisme économique de quelques féodalités d’argent et de matière oublieuses des vertus de service et de bienveillance. Ainsi va la mondialisation contemporaine, et ce n’est pas heureux.

 

Il est vain de demander aux multinationales de s’amender et de s’humaniser, car elles préféreront plutôt acheter la paix sociale provisoire sur un site en voie d’abandon par quelques millions d’euros distribués au titre de compensation ou d’indemnités que de changer de logiciel, le libéralisme profitable étant celui qui leur convient et qui les autorise à des méthodes brutales au nom de la « liberté du travail » qui n’est, trop souvent, que la fameuse « liberté de mourir de faim » pour les travailleurs (selon la dénonciation célèbre de Charles Maurras) quand elle est, dans le même temps, la « liberté de l’argent » pour ceux qui en ont et en abusent. Nous savons que les lois françaises de 1791, celles de d’Allarde et de Le Chapelier, en ont fini avec un modèle social corporatif qui, à défaut d’être parfait, avait au moins le mérite de ne pas séparer les intérêts du travail de ceux des travailleurs, et de préserver les droits des uns et de l’autre, non dans une hypothétique « liberté » tyrannique du puissant envers le faible (« Le renard libre dans le poulailler libre »), mais dans un équilibre qui permettait le maintien de la qualité de la production tout en garantissant la protection sociale et professionnelle (mais aussi la responsabilité) des producteurs. Mais, s’il est trop tard pour s’en prendre aux auteurs des lois maudites de 1791, il n’est pas interdit de chercher des solutions pour limiter les effets délétères d’un capitalisme mondialisé qui oublierait ses devoirs sociaux.

 

L’État, pour autant, doit-il verser dans un étatisme idéologique et confiscatoire ? Pas plus que le libéralisme sans limites, cela n’est souhaitable. L’État doit jouer un rôle d’incitateur, de soutien à l’initiative industrielle et de contrôle de l’équité concurrentielle sans s’empêcher de valoriser les activités ou entreprises les plus utiles au pays et à ses nationaux, et, surtout, en imposant, autant que faire se peut, le respect par les féodalités économiques des règles simples de justice sociale sans laquelle il n’est pas de justice tout court.

 

Mais cela n’est vraiment possible que si l’État dispose d’une légitimité politique forte qui lui assure de pouvoir mener son rôle de « Grand ordonnateur » de l’économie (au sens premier qui n’est pas celui de « direction » mais de « mise en ordre ») et de favoriser, sous son patronage et dans le cadre de sa stratégie de long terme, le développement de structures socio-professionnelles pérennes qui puissent s’organiser pour « maîtriser » au mieux la mondialisation sans que celle-ci ne déstabilise le tissu économico-social des territoires de France. L’enjeu est d’importance et le défi immense, car la facilité et l’avidité ont souvent remplacé les notions de service et de justice… Et la mondialisation, par son principe même, vise à préserver les multinationales des décisions nationales, ce qui ne facilite guère la tâche des États. Faut-il, pour autant, renoncer à une ambition économique et sociale (et l’économique n’allant pas sans le social, et réciproquement) qui referait de la France et de son modèle particulier une puissance attractive et, pourquoi pas, inspirante pour les autres nations et leurs populations productrices ?

 

 

27/09/2020

Face au chômage, ni étatisme ni libéralisme débridé !

 

La crise sanitaire actuelle ouvre la porte à de nombreuses autres crises, et le cycle infernal dans lequel nos pays semblent entrés sans savoir où se trouve la sortie n’est pas pour rassurer nos concitoyens : selon un sondage publié par l’Unedic jeudi dernier, et que rapporte Le Figaro dans son édition du vendredi 25 septembre, « la quasi-totalité des Français (93%) a le sentiment que le chômage peut toucher tout le monde », donc soi-même, et c’est bien la survenue de la Covid 19 dans le paysage sanitaire qui a aggravé ce sentiment fort et anxiogène : « 73% des Français estiment que la situation s’est dégradée en raison du Covid-19. Un chiffre qui bondit de 27 points par rapport à la première vague de l’enquête réalisée avant le confinement et publiée en avril par l’organisme en charge de l’assurance-chômage. » Cela rompt avec le (relatif) optimisme qui pouvait, au moins dans les milieux gouvernementaux, prévaloir avant janvier dernier : le nombre de chômeurs s’était stabilisé, sans pour autant diminuer de façon assez significative pour indiquer une inversion de tendance véritable. D’autant plus que, ces dernières années, on assiste à la montée inquiétante d’un précariat qui correspond aussi à l’ubérisation de l’économie et de la société, et qui doit nous interroger sur les définitions du travail et de l’emploi.

 

Aujourd’hui, le chômage atteint des sommets que l’on espérait réservés aux pays lointains ou aux manuels d’histoire relatifs à la dépression des années 30 : le « nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A, (est) en progression de plus de 500.000 entre janvier et juillet 2020, et (…) près de 600.000 emplois salariés détruits en l’espace d’un an ». Sans oublier que 8,8 millions de Français ont été ou sont encore concernés par le dispositif de chômage partiel au plus haut de la crise… Quelques articles publiés dans la presse économique dès le mois de mars dernier indiquaient que la Covid 19 risquait de tuer plus d’entreprises et d’activités que de personnes physiques : cette sinistre prédiction s’est largement réalisée, et elle peut parfois faire oublier le risque sanitaire lui-même, alors même qu’il ne faut négliger ni l’un ni l’autre, tout en sachant garder raison, comme le proclame la célèbre formule capétienne.

 

Mais il ne faut pas oublier aussi que le chômage de masse, en France, n’est pas une réalité récente et qu’il n’est pas certain, contrairement à la formule fataliste du président Mitterrand dans les années 1980, que l’on n’ait tout essayé contre ce qui reste un fléau social de grande ampleur pour nos sociétés. Observons aussi la structure sociologique du chômage : les plus frappés sont les jeunes et les personnes proches de la retraite, principalement dans le secteur industriel, et ces caractéristiques risquent de s’aggraver autant que la courbe du chômage elle-même. Le danger serait que les nouvelles générations débarquant dans la vie active se sentent exclues du monde du travail et de l’insertion sociale, ce qui fragiliserait un peu plus le processus d’intégration à l’ensemble national et pourrait nourrir les séparatismes de toute sorte, et pas seulement religieux ou communautaristes. L’histoire du XXe siècle, pour se contenter d’elle, nous enseigne que le chômage, s’il ne créé pas les totalitarismes ou les idéologies totalitaires, peut les nourrir suffisamment pour les faire advenir et ensanglanter le monde.

 

Aussi, le chômage appelle une réponse qui n’est pas qu’économique, mais qui doit être sociale, politique, voire civilisationnelle : redonner du sens au travail, mais aussi à la communauté de travail, c’est renouer des liens sociaux aujourd’hui distendus par l’individualisme et sa traduction politique, le libéralisme. C’est aussi favoriser l’entraide entre les différents acteurs du monde du travail, que cela soit au sein des entreprises, des communes et, bien sûr, de la nation : pour l’heure, la solidarité s’exprime de façon surtout financière mais sans que cela soit expliqué, au risque de susciter de l’agacement à l’égard de ceux qui, chômeurs, reçoivent une aide sous forme d’allocations : « 38% (des Français) considèrent que les demandeurs d’emploi sont des personnes assistées (+5 points), qui perçoivent des allocations chômage trop élevées (36%, +4 points), et qu’une partie d’entre eux fraudent (35%, +4 points). » Bien sûr qu’il y a des fraudeurs et des assistés, mais ils sont une minorité, Dieu merci, et il s’agit justement d’en réduire le nombre pour permettre de mieux aider, et pas forcément financièrement, les autres, les « vrais » chômeurs. La fraude est sans doute plus facile à combattre que l’assistanat qui, lui, est largement suscité et entretenu par le système lui-même, y compris à travers l’Education nationale qui, trop souvent, a cessé de valoriser les valeurs de l’effort et de la joie du travail bien fait, tout comme elle a marginalisé le travail manuel et l’autonomie, individuelle comme familiale : où sont les cours de cuisine ou de jardinage, par exemple, qui permettraient, en particulier aux jeunes citadins éloignés des campagnes, de savoir faire pousser des légumes et de les cuisiner pour s’en nourrir ? Notre société de consommation a coupé les jeunes des racines de la terre et de l’envie de créer pour mieux les asservir au « tout-fait, tout-prêt » marchandisé, et elle a préféré l’assistanat qui n’est, en définitive, qu’une forme à peine subtile d’esclavage social et économique…

 

Dans cette affaire, le rôle de l’Etat est principalement de mettre en place une stratégie de soutien et d’incitation toujours préférable à l’assistanat et à l’étatisme, mais aussi à la logique du « laisser faire-laisser passer » qui est souvent l’alibi du « laisser tomber », et dont les plus faibles ou les moins habiles sont les principales victimes. La République a tenté sous de Gaulle cette stratégie volontaire et d’équilibre, que l’on pourrait qualifier de néo-colbertisme, mais les successeurs du général ont eu moins de constance et de colonne vertébrale pour soutenir cet effort qui méritait d’être pérennisé et amplifié, et, surtout, le temps court de leur mandat (sept, puis cinq ans depuis M. Chirac) n’a pas permis de déployer sur le long terme une stratégie qui, comme le rappelait le philosophe Michel Serres, aurait mérité au moins un quart de siècle pour être pleinement efficace. « Pour avoir un Colbert, encore faut-il un Louis XIV », et ce dernier n’est possible qu’en Monarchie royale, celle qui apprivoise le temps sans s’en croire le maître absolu… La lutte contre le chômage, dans ce monde et ce temps mondialisés, nécessite « la durée, la mémoire et la volonté » qui sont, qu’on le veuille ou non, l’apanage des monarchies, y compris constitutionnelles, mais qui sont véritablement effectives et efficaces dans cette Monarchie royale « active » que nous appelons de nos vœux, cette monarchie éminemment politique qui ne se contente pas de la douce monotonie des inaugurations et du spectacle symbolique, mais qui assume, effectivement, « le risque politique de dire et de faire ». Non une monarchie qui « dirige tout » mais un régime qui assume son rôle d’arbitre au-dessus des forces (voire des féodalités) financières, économiques et politiques, et fixe le cap, comme un capitaine de navire le fait pour mener le navire à bon port. Une monarchie qui valorise les Richelieu, les Vauban et les Colbert contemporains, pour le plus grand service de la France, de ses peuples comme de ses personnes.

 

 

 

 

 

 

03/07/2019

Face au chômage. Partie 1 : Une conséquence de la mondialisation ?

Le chômage est un mal endémique qui touche notre société depuis les années 1970, devenant structurel après être resté longtemps conjoncturel et limité. Aujourd’hui, c’est un véritable fléau qui mine l’harmonie sociale et fonde le ressentiment profond d’une part des catégories sociales, souvent populaires et, parfois déracinées ou dépossédées, mais aussi de plus en plus des classes moyennes et des catégories tertiaires. Le président François Mitterrand, qui s’était fait élire en 1981 sur la promesse d’un chômage qui n’atteindrait jamais les deux millions de personnes (ce qui se produisit quelques mois après…), avait baissé les bras et son action s’était réduite à créer quelques pansements sociaux, au grand dam des mineurs et ouvriers qui, dès 1984, brûlèrent son effigie lors des manifestations lorraines et parisiennes en criant à la trahison : la Gauche entamait alors son grand déclin et entérinait ses grands renoncements, au nom d’une Construction européenne qui remplaçait désormais la résolution de la question sociale… Et le chômage, presque cinquante ans après la fin du plein-emploi, est toujours là, inquiétant, épuisant, destructeur autant des métiers que des vies et des familles.

 

Mais si l’on veut le combattre, car il faut le combattre (ce dont ne sont pas sûrs un certain nombre de libéraux qui y voient un mal nécessaire), encore faut-il en discerner les causes et s’y attaquer, non par de simples lamentations ou gesticulations mais par une véritable politique d’Etat, une politique qui ne vise pas à « tout faire » mais à impulser des initiatives et à soutenir des projets (y compris privés), à financer des grands chantiers et à penser des stratégies à long terme. Le fatalisme serait la pire des choses, et le « laisser-faire, laisser-passer » un abandon des responsabilités de l’Etat qui, pour conforter sa légitimité politique, ne doit pas négliger ses devoirs sociaux et nationaux de protection de ses citoyens-contribuables, travailleurs et producteurs. Bien sûr, l’étatisme serait aussi absurde que l’indifférence, et tout aussi dévastateur car il déresponsabiliserait les Français comme il dessaisirait les entrepreneurs quand il faut responsabiliser les uns et les autres et les protéger tout autant dans le cadre social et politique, en assurant l’équilibre social et en rassurant les acteurs et investisseurs économiques.

 

Les causes du chômage contemporain français (car il y a des particularités françaises qui nous rappellent que l’économie dépend largement aussi des politiques nationales, et cela ne peut être ignoré) sont multiples et non uniques : parmi celles-ci, la mondialisation elle-même dont les aspects bénéfiques sont de moins en moins évidents. Bien sûr, aujourd’hui, la mondialisation est un fait mais il reste tout aussi vrai qu’elle n’est pas forcément un bienfait, et elle prend des formes qui sont celles que ses initiateurs souhaitaient, libérales, capitalistes, financiarisées. Des formes qui, à bien y regarder, pourraient bien être… le fond, ou, au moins, les fondements.

 

Dans sa chronique hebdomadaire de Marianne, Henri Pena-Ruiz rejoint la critique (qui ne leur est pas exclusive d’ailleurs, mais qui n’est ni celle des libéraux ni celles des internationalistes marxistes) d’un La Tour du Pin ou d’un Bernanos, voire d’un Maurras quand il s’intéressait, au début du XXe siècle, aux questions économiques et sociales : « D’où vient le chômage ? En très grande partie de la désindustrialisation du pays. D’où vient cette désindustrialisation ? Du jeu pervers par lequel le capitalisme mondialisé entend profiter de l’inégal développement des droits sociaux pour localiser les productions là où le coût de la main-d’œuvre est le moins cher. » N’est-ce pas là la logique même d’une mondialisation qui ne s’est jamais pensée autrement que comme le moyen de maximiser les profits d’individus pour qui le monde n’est qu’une seule et même planète ou, plutôt, qu’un seul et même Village (à la façon de celui du Prisonnier, série anglaise des années 1960 ?), et qui ne doit, pour eux, avoir « ni frontières ni Etats », du moins pour les capitaux, mais qui jouent dans le même temps sur leur présence et (sur le plan économique) sur leur concurrence, en attendant que le moins-disant social mondial l’emporte par le biais d’une gouvernance qui s’imposerait aux gouvernements ? Cette logique est mortifère pour les travailleurs comme pour la notion même de travail, car elle les soumet à la logique pure du profit et aux détenteurs de capitaux, et non plus à celle de la production ou de la subsistance, tout en évacuant le souci de la qualité des produits ou des services, et celui de la simple justice sociale, souvent « oubliée » des discours économiques et des grandes multinationales qui préfèrent, parfois, évoquer le « bien-être » ou le « développement », notions moins « dérangeantes » et plus statistiques que concrètes…

 

Cette logique est aussi celle de l’exploitation des plus faibles (économiquement et, surtout, politiquement) par les plus forts (classes dirigeantes et dominantes locales, souvent mondialisées, et grandes entreprises, souvent transnationales), et elle s’appuie sur l’espérance d’un sort meilleur qui est celle des ouvriers exploités (voire pire, d’ailleurs) à qui la société de consommation mondialisée fait miroiter « le paradis des choses » et qui désarme ainsi nombre de révoltes potentielles. Ces « classes sacrificielles » sont une des meilleures garanties de la mondialisation, et leur sacrifice le malheur des classes travailleuses de notre pays, comme le souligne M. Pena-Ruiz : « Ainsi (le capitalisme mondialisé) rattrape par la géographie ce qu’il avait perdu par l’histoire. Il s’agit de mettre en concurrence les classes ouvrières de tous les pays du monde pour s’affranchir des lois sociales qui permirent un partage plus équitable de la richesse produite. » Les lois sociales sont, effectivement, nationales quand la gouvernance, elle, se veut mondiale (et transnationale plutôt qu’internationale, ce dernier terme figurant encore l’existence de nations et leur éventuelle coopération), et c’est par la mondialisation que les financiers et les entreprises mondiales contournent les exigences sociales que seuls des Etats solides peuvent leur imposer sur l’espace de leur souveraineté. C’est là que l’on ressent la forte nécessité de l’Etat mais de celui qui incarne et impose la justice sociale : quand les Capétiens gouvernaient, ils brandissaient le sceptre du commandement mais aussi la main de justice, et il n’est pas tout à fait étonnant que la formule même de « justice sociale » soit née de la bouche du roi Louis XVI quand elle était déjà dans l’esprit de nombre de ses prédécesseurs.

 

 

(à suivre)