03/07/2019
Face au chômage. Partie 1 : Une conséquence de la mondialisation ?
Le chômage est un mal endémique qui touche notre société depuis les années 1970, devenant structurel après être resté longtemps conjoncturel et limité. Aujourd’hui, c’est un véritable fléau qui mine l’harmonie sociale et fonde le ressentiment profond d’une part des catégories sociales, souvent populaires et, parfois déracinées ou dépossédées, mais aussi de plus en plus des classes moyennes et des catégories tertiaires. Le président François Mitterrand, qui s’était fait élire en 1981 sur la promesse d’un chômage qui n’atteindrait jamais les deux millions de personnes (ce qui se produisit quelques mois après…), avait baissé les bras et son action s’était réduite à créer quelques pansements sociaux, au grand dam des mineurs et ouvriers qui, dès 1984, brûlèrent son effigie lors des manifestations lorraines et parisiennes en criant à la trahison : la Gauche entamait alors son grand déclin et entérinait ses grands renoncements, au nom d’une Construction européenne qui remplaçait désormais la résolution de la question sociale… Et le chômage, presque cinquante ans après la fin du plein-emploi, est toujours là, inquiétant, épuisant, destructeur autant des métiers que des vies et des familles.
Mais si l’on veut le combattre, car il faut le combattre (ce dont ne sont pas sûrs un certain nombre de libéraux qui y voient un mal nécessaire), encore faut-il en discerner les causes et s’y attaquer, non par de simples lamentations ou gesticulations mais par une véritable politique d’Etat, une politique qui ne vise pas à « tout faire » mais à impulser des initiatives et à soutenir des projets (y compris privés), à financer des grands chantiers et à penser des stratégies à long terme. Le fatalisme serait la pire des choses, et le « laisser-faire, laisser-passer » un abandon des responsabilités de l’Etat qui, pour conforter sa légitimité politique, ne doit pas négliger ses devoirs sociaux et nationaux de protection de ses citoyens-contribuables, travailleurs et producteurs. Bien sûr, l’étatisme serait aussi absurde que l’indifférence, et tout aussi dévastateur car il déresponsabiliserait les Français comme il dessaisirait les entrepreneurs quand il faut responsabiliser les uns et les autres et les protéger tout autant dans le cadre social et politique, en assurant l’équilibre social et en rassurant les acteurs et investisseurs économiques.
Les causes du chômage contemporain français (car il y a des particularités françaises qui nous rappellent que l’économie dépend largement aussi des politiques nationales, et cela ne peut être ignoré) sont multiples et non uniques : parmi celles-ci, la mondialisation elle-même dont les aspects bénéfiques sont de moins en moins évidents. Bien sûr, aujourd’hui, la mondialisation est un fait mais il reste tout aussi vrai qu’elle n’est pas forcément un bienfait, et elle prend des formes qui sont celles que ses initiateurs souhaitaient, libérales, capitalistes, financiarisées. Des formes qui, à bien y regarder, pourraient bien être… le fond, ou, au moins, les fondements.
Dans sa chronique hebdomadaire de Marianne, Henri Pena-Ruiz rejoint la critique (qui ne leur est pas exclusive d’ailleurs, mais qui n’est ni celle des libéraux ni celles des internationalistes marxistes) d’un La Tour du Pin ou d’un Bernanos, voire d’un Maurras quand il s’intéressait, au début du XXe siècle, aux questions économiques et sociales : « D’où vient le chômage ? En très grande partie de la désindustrialisation du pays. D’où vient cette désindustrialisation ? Du jeu pervers par lequel le capitalisme mondialisé entend profiter de l’inégal développement des droits sociaux pour localiser les productions là où le coût de la main-d’œuvre est le moins cher. » N’est-ce pas là la logique même d’une mondialisation qui ne s’est jamais pensée autrement que comme le moyen de maximiser les profits d’individus pour qui le monde n’est qu’une seule et même planète ou, plutôt, qu’un seul et même Village (à la façon de celui du Prisonnier, série anglaise des années 1960 ?), et qui ne doit, pour eux, avoir « ni frontières ni Etats », du moins pour les capitaux, mais qui jouent dans le même temps sur leur présence et (sur le plan économique) sur leur concurrence, en attendant que le moins-disant social mondial l’emporte par le biais d’une gouvernance qui s’imposerait aux gouvernements ? Cette logique est mortifère pour les travailleurs comme pour la notion même de travail, car elle les soumet à la logique pure du profit et aux détenteurs de capitaux, et non plus à celle de la production ou de la subsistance, tout en évacuant le souci de la qualité des produits ou des services, et celui de la simple justice sociale, souvent « oubliée » des discours économiques et des grandes multinationales qui préfèrent, parfois, évoquer le « bien-être » ou le « développement », notions moins « dérangeantes » et plus statistiques que concrètes…
Cette logique est aussi celle de l’exploitation des plus faibles (économiquement et, surtout, politiquement) par les plus forts (classes dirigeantes et dominantes locales, souvent mondialisées, et grandes entreprises, souvent transnationales), et elle s’appuie sur l’espérance d’un sort meilleur qui est celle des ouvriers exploités (voire pire, d’ailleurs) à qui la société de consommation mondialisée fait miroiter « le paradis des choses » et qui désarme ainsi nombre de révoltes potentielles. Ces « classes sacrificielles » sont une des meilleures garanties de la mondialisation, et leur sacrifice le malheur des classes travailleuses de notre pays, comme le souligne M. Pena-Ruiz : « Ainsi (le capitalisme mondialisé) rattrape par la géographie ce qu’il avait perdu par l’histoire. Il s’agit de mettre en concurrence les classes ouvrières de tous les pays du monde pour s’affranchir des lois sociales qui permirent un partage plus équitable de la richesse produite. » Les lois sociales sont, effectivement, nationales quand la gouvernance, elle, se veut mondiale (et transnationale plutôt qu’internationale, ce dernier terme figurant encore l’existence de nations et leur éventuelle coopération), et c’est par la mondialisation que les financiers et les entreprises mondiales contournent les exigences sociales que seuls des Etats solides peuvent leur imposer sur l’espace de leur souveraineté. C’est là que l’on ressent la forte nécessité de l’Etat mais de celui qui incarne et impose la justice sociale : quand les Capétiens gouvernaient, ils brandissaient le sceptre du commandement mais aussi la main de justice, et il n’est pas tout à fait étonnant que la formule même de « justice sociale » soit née de la bouche du roi Louis XVI quand elle était déjà dans l’esprit de nombre de ses prédécesseurs.
(à suivre)
14:56 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chômage, ouvriers, désindustrialisation, monarchie, frontières.
22/10/2012
Contre les délocalisations (1).
Il y a quelques semaines déjà, je prononçais un discours au traditionnel banquet de rentrée du Groupe d’Action Royaliste, discours consacré à ce qui, d’ailleurs, avait aussi été l’objet d’une campagne militante cet été, en particulier à Rennes : les délocalisations. Inutile de préciser, a priori, que je suis un farouche adversaire de ces fameuses délocalisations qui, aujourd’hui, participent de ce mouvement plus vaste de désindustrialisation de notre pays, mouvement lui-même motivé par la mondialisation, plus encore « idéologie » avant que d’être une réalité dont les aspects ne sont pas tous heureux, loin de là…
Voici ci-dessous une première partie de ma conférence du 23 septembre dernier.
Le phénomène des délocalisations est déjà ancien dans notre pays et elles sont à l’origine surtout motivées par l’intérêt de fabriquer à proximité des marchés de consommation que les entreprises françaises cherchaient à conquérir : ainsi, fabriquer au Brésil pour vendre en Amérique du sud ou en Inde pour atteindre les marchés asiatiques. Mais les délocalisations suivantes eurent une autre finalité : fabriquer à moindre coût (salarial, social, fiscal, environnemental) pour l’entreprise des produits destinés à être transportés puis vendus sur notre marché national, avec l’idée et le calcul de faire plus de bénéfices pour les industriels et les actionnaires, alléchés par cette promesse de revenus mirifiques permis par la fabrication en ces pays éloignés en kilomètres mais proches en temps grâce aux moyens de transport modernes et au carburant peu coûteux.
D’ailleurs, le consommateur français ne devait-il pas gagner lui aussi à ces délocalisations, puisqu’il paierait son électroménager ou ses jouets beaucoup moins cher, comme le lui promettaient entreprises et grandes distribution ?
En fait, ces délocalisations permettaient surtout aux fabricants d’échapper à certaines obligations sociales, fiscales ou environnementales, celles-là mêmes que notre pays avait mises en place tout au long d’une histoire industrielle parfois tumultueuse… Désormais, les délocalisations étaient et sont, pour la plupart, simplement spéculatives.
Ce phénomène des délocalisations est aggravé mais aussi motivé ou « légitimé » par la mondialisation et le libre-échange sans entraves : le « made in world » devient, d’une certaine manière, la norme et les entreprises, leurs actionnaires et financiers plus encore que les chefs d’entreprise, mettent ainsi en concurrence les salariés (et les règles sociales et fiscales…) de tous les pays pour abaisser les coûts de production, les ouvriers n’étant plus que les variables d’ajustement de la production mondiale.
Cela a d’abord concerné les entreprises industrielles, qu’elles soient automobiles, électroniques ou textiles, par exemple, au risque, d’ailleurs, de baisser la qualité et la sécurité même des produits, moins résistants et moins durables. Sans oublier les conséquences environnementales parfois désastreuses : les pollutions désormais interdites ou sévèrement réprimées en France sont, elles aussi, « délocalisées » dans les pays-ateliers… De plus, l’exploitation des populations ouvrières locales s’avère effrayante dans ces pays « nouvellement » industrialisés, et les témoignages nombreux sur la situation des prolétaires (un terme qui avait pratiquement disparu du vocabulaire social français ces dernières décennies…) de Chine, d’Inde ou du Vietnam n’y changent pas grand-chose, malheureusement : les consommateurs français ne veulent voir, et c’est assez logique sinon normal, que le produit moderne et qui leur semble désormais indispensable (grâce à la séduction publicitaire et à la « normalisation technologique ») qu’ils ont entre leurs mains, dans leur salon ou leur garage... Le reste leur importe peu, malheureusement, et ils n’éprouvent guère le besoin de se renseigner sur les conditions réelles de la fabrication de « leurs » objets… Et pourtant !
(à suivre)
23:25 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : prolétariat, désindustrialisation, délocalisations, ouvriers, fermetures d'usines, royalistes.