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16/09/2020

Nos landes, de la nostalgie à l'espérance.

 

En ces temps étranges et plutôt moroses, la littérature reste souvent un refuge, non pour seulement s’évader des contrariétés du moment, mais pour penser au-delà des mots d’ordre du « politiquement correct » et des injonctions du conformisme moralisateur toujours en recherche de sorcières à brûler… Et c’est ainsi que je relis les romans « chouanniques » de Barbey d’Aurevilly et de Jean de La Varende, tout en les complétant par les études historiques sur ce même sujet des chouanneries, signées de Roger Dupuy, de G. Lenôtre, d’Anne Bernet ou encore de Jean Guillot. Mais le roman n’est pas qu’une histoire, c’est aussi un merveilleux révélateur des temps évoqués et des cadres anciens, parfois effacés de nos mémoires autant que des paysages : ainsi, dans les premières pages de « L’ensorcelée », Barbey d’Aurevilly, ce royaliste nostalgique hanté par le tragique, décrit-il la lande de Lessay comme le témoin d’un monde condamné à disparaître sous la grande marée du progrès et de l’industrialisation. Et ses lignes presque désespérées, souvent passées inaperçues et peu citées par les critiques littéraires, me paraissent porter en elles un message qui ne peut laisser indifférent le vieux royaliste sensible à la préservation de la nature et de ses rythmes et aspects que je suis.

 

« (Les landes) sont comme les lambeaux, laissés sur le sol, d’une poésie primitive et sauvage que la main et la herse de l’homme ont déchirée. Haillons sacrés qui disparaîtront au premier jour sous le souffle de l’industrialisme moderne ; car notre époque, grossièrement matérialiste et utilitaire, a pour prétention de faire disparaître toute espèce de friche et de broussailles aussi bien du globe que de l’âme humaine. Asservie aux idées de rapport, la société, cette vieille ménagère qui n’a plus de jeune que ses besoins et qui radote de ses lumières, ne comprend pas plus les divines ignorances de l’esprit, cette poésie de l’âme qu’elle veut échanger contre de malheureuses connaissances toujours incomplètes, qu’elle n’admet la poésie des yeux, cachée et visible sous l’apparente inutilité des choses. » La condamnation de ce que deviendra l’industrialisation en France, après ses ravages commis en Angleterre sur les paysages comme sur les hommes et les corps ouvriers, ne se limite donc pas à celle de l’asservissement technique des populations productives mais s’inquiète des effets sur les esprits et les âmes, dans un mouvement qui préfigure celui, plus encoléré encore, de Georges Bernanos dans ses essais publiés sous les titres de « La France contre les robots » et de « La liberté, pour quoi faire ? », entre autres. Ce message, pour nostalgique qu’il apparaisse, est-il si inactuel que cela ? L’asséchement des marais ; la disparition des friches devant la conquête de l’agriculture productiviste, de plus en plus éloignée des rythmes climatiques et végétaux ; l’artificialisation de ces landes souvent liée à l’urbanisation des littoraux puis à la rurbanisation contemporaine : tout cela s’est fait en même temps que le déracinement des populations, destinées alors à devenir des masses de consommateurs plutôt que des êtres enracinés, ou, dans le temps de la IIIe République, à se réduire à des citoyens-soldats dont le droit de vote, pouvoir nécessaire mais mal ordonné (trop souvent pour des raisons liées à la structure parlementariste de la République quand il aurait fallu privilégier la proximité et la « fédération », au sens a-centralisateur du terme), obligeait aussi à l’acceptation (bien peu volontaire, en fait) de « porter la besace et le fusil », ce que le pourtant républicain Anatole France ne pardonnait pas à la Révolution française, retrouvant ainsi le sentiment des premiers chouans et des Vendéens de 1793…

 

Quand Barbey écrivait « L’ensorcelée », le Second Empire déployait ses ailes, et le Progrès semblait y trouver son compte, Haussmann et les frères Pereire interprétant celui-ci comme la victoire de l’ordre urbain et bourgeois, fort peu sensible aux friches inutiles, aux broussailles sauvages et à la poésie des paysages naturels comme à celle des rêveurs de plume… Le matérialisme s’engageait dans une marche qui semblait devoir être triomphante et incontestée, si ce n’est par quelques partisans de l’ancien Ordre des choses et des âmes : Barbey était de ces derniers, et ce « chouan du cygne » jetait son désespoir à travers les pages de ses romans. Et pourtant, cette nostalgie n’est-elle pas, aujourd’hui, la source de quelque belle espérance, non d’un improbable retour en arrière mais d’une rupture avec le sens obligatoire de l’Histoire que le XIXe siècle semblait avoir préparé et imposé en attendant ce XXe siècle qui fut surtout celui des impasses ?

 

« Pour peu que cet effroyable mouvement de la pensée moderne continue, nous n’aurons plus, dans quelques années, un pauvre bout de lande où l’imagination puisse poser son pied pour rêver, comme le héron sur une de ses pattes. Alors, sous ce règne de l’épais génie des aises physiques qu’on prend pour de la Civilisation et du Progrès, il n’y aura ni ruines, ni mendiants, ni terres vagues, ni superstitions comme celles qui vont faire le sujet de cette histoire (…). » Et Barbey engage sa plume dans une histoire tragique qui, fatalement, semble mal terminer, quand, pourtant, elle peut ouvrir de multiples champs de réflexion sur la nature même de l’humanité et de ce qu’il faut, absolument, sauvegarder en elle : cela impose, sans doute, de réfléchir à cette société de consommation (« ce règne de l’épais génie des aises physiques », est-ce donc cela ?) qui est la nôtre sans que nous ne nous résignions à en accepter la domination, cette société que, en définitive, nous pourrions appeler « dissociété » à la suite du philosophe Marcel de Corte…

 

Le désespoir de Barbey mérite l’attention, et je ne suis pas insensible aux couleurs de la nostalgie et à ses accents, en particulier en cette veille d’automne qui s’annonce rude, autant sur le plan social que politique, voire géopolitique… Mais la nostalgie ne peut fonder une politique, même si elle peut, parfois, nous rassurer : « notre enfance » et « le temps jadis » nous font souvent un matelas confortable de souvenirs et de sensations sur lequel nous aimons nous étendre, mais nous pourrions, si nous prenions garde, nous endormir sans même l’espoir d’un réveil princier ! Bernanos complète Barbey en nous rappelant que le désespoir se doit d’être surmonté, et qu’alors, il devient ce moteur de notre action politique que l’on nomme l’espérance. Cette espérance qui nous fait un devoir de poursuivre, inlassablement, ce combat royaliste destiné à rendre à la France un État digne de ce nom et de son histoire, et de rendre à notre société les rêves que la modernité a cru pouvoir remplacer éternellement par l’avidité consumériste…

 

 

 

01/10/2018

Sommes-nous dans les années trente ?

Les vives polémiques sur les propos et les attitudes de l'actuel président, conjuguées avec les débats non moins vifs sur ce que l'on a le droit ou pas de dire, et qui a le droit, ou non, de s'exprimer, sont la manifestation de cette « dissociété » qui a pris l'avantage sur la communauté nationale (que certains voudraient résumer à un « vivre-ensemble » qui n'existe pas, ou plus) et sur l'agora intellectuelle que d'autres nommaient jadis « la république des lettres ». L'hystérisation contemporaine, qui se répand plus vite que du temps de l'imprimé grâce aux réseaux sociaux numériques, est parfois désespérante et elle nuit à la véritable discussion qui nécessite du temps et de la réflexion, ainsi qu'elle autorise la possibilité de se tromper ou d'être convaincu par d'autres arguments que les siens propres. Aujourd'hui, les délateurs, jadis félicités sur les assignats républicains des années 1790, sont les maîtres de jeux de plus en plus sombres et violents.

 

Quand, dans la lignée des inquiétudes « de gauche » médiatisées, quelques historiens et « Insoumis » évoquent les « funestes années trente », je pense pouvoir leur rétorquer quelques choses simples, et ouvrir, au sens noble du terme, la discussion sans préjugé :

 

  1. Ces fameuses années furent d'abord, avant de sombrer dans la tragédie, des temps de recherche et de débats intellectuels dont les revues de l'époque, qu'elles se nomment Réaction, Esprit, L'Ordre Nouveau ou La Revue du XXe siècle restent les preuves imprimées : les nouvelles pistes de la pensée antilibérale ; la critique de l'Argent et, pour certains, de la Technique ; la réflexion permanente sur les institutions et, au-delà, sur l'esprit du politique ; etc. Tout cela mérite le détour, et les partisans actuels de la décroissance y trouvent certaines de leurs références utiles à la compréhension du monde contemporain, de Georges Bernanos à Jacques Ellul, entre autres.

 

  1. La liberté d'expression y était, en France, plus reconnue que dans nombre de pays limitrophes, même si cela s'accompagnait d'une violence de ton et, parfois, d'action, et que la République n'aimait pas toujours la contradiction, au point de faire assassiner, en son nom propre ou par d'autres qu'elle, quelques opposants trop virulents, comme au soir d'émeute du 6 février 1934...

 

  1. Si les extrêmes ne sont guère recommandables, il n'y a néanmoins pas de « fascisme français » malgré les pâles copies de l'Italie mussolinienne chez les partisans du « Faisceau » (disparu dès 1927) de Georges Valois ou les « francistes » de Marcel Bucard, plus groupusculaires et mythomanes que vraiment actifs. Sans doute le traditionalisme moderne de Maurras, si critiqué et parfois fort critiquable par ailleurs, a-t-il empêché, et c'est tant mieux, l'éclosion d'un jacobinisme fasciste ou d'un totalitarisme hexagonal.

 

  1. Les problèmes contemporains, et le contexte général, sont-ils semblables à ceux d'hier ? C'est sans doute là qu'il y a, effectivement, le plus de similitudes avec les années trente : une ambiance délétère sur la scène internationale et une montée des exaspérations populaires dans nombre de pays, y compris en France, avec la rupture entre élites mondialisées et classes populaires et moyennes, entre les métropoles et les périphéries, en particulier rurales ; le retour de la question sociale, très souvent couplée à la nationale ; les « questions sociétales » qui ne sont que l'autre formulation de la crise de civilisation évoquée jadis par Thierry Maulnier, Emmanuel Mounier et Jean de Fabrègues, entre autres. Mais les réponses d'aujourd'hui sont-elles forcément celles d'hier ?

 

Sans doute peut-on constater que les « non-conformistes » des années trente (dont Maulnier et Fabrègues furent « les lys sauvages ») ont échoué à imposer leurs idées à la tête de l’État avant 1958, même si de Gaulle, en bon lecteur des « néo-maurrassiens » (sans en être lui-même, malgré une légende tenace véhiculée par les hommes de Monnet, et reprise par Mauriac), en reprendra ensuite les grandes lignes dans sa Constitution de la Cinquième République et dans sa tentative (avortée) de résolution de la question sociale : l'inachèvement du règne gaullien et ses limites bien réelles, en renvoyant les principales idées des revues « hors-système » aux catacombes, ont enterré presque (ce « presque »qui laisse encore un espoir, n'est-ce pas ?) définitivement les espérances de ceux qui les animaient. Si les royalistes peuvent en concevoir quelque amertume, cela ne doit pas être une excuse pour déserter le combat intellectuel et politique et, au-delà, civilisationnel... « L'espérance, c'est le désespoir surmonté », clamait Bernanos.

 

Alors, que les royalistes de bonne volonté s'engagent, pour que ces nouvelles ou fantasmées « années trente » d'aujourd'hui ne débouchent pas sur le pire comme en 40, mais sur le Roi, « possibilité du Bien commun effectif », tout simplement ! Ce serait bien, tout compte fait, « la revanche de Maulnier », ou celle d'un autre « M » célèbre et controversé...

 

 

 

 

 

12/03/2018

Les populismes en Europe sont-ils utiles ?

L'Union européenne est actuellement traversée, nous dit-on avec un brin d'effroi sur toutes les chaînes de radio et de télévision, par un courant qualifié de populiste qui, de la Hongrie à l'Allemagne, de la Pologne à l'Italie, semble tout bouleverser ou, du moins, bousculer les habitudes des démocraties occidentales, plus accoutumées à un certain entre-soi des élites politiques et économiques qu'au partage du pouvoir avec des élus « dégagistes », apparemment moins dociles envers les puissances d'argent ou la gouvernance bruxelloise. En fait, si la question migratoire est le carburant principal de cette contestation venue du fond des urnes, c'est aussi la gestion de celle-ci et de la « crise » (qui n'est rien d'autre, en définitive, que la poursuite du processus d'une mondialisation désormais moins favorable à nos économies et à ses producteurs et travailleurs) par les États et les institutions européennes qui en est l'accusée par les électeurs : désormais, la révolte n'est plus dans la rue (ou si peu) et le bulletin de vote est devenu un pavé plus efficace dans nos systèmes électifs démocratiques que celui briseur de vitrines ! En somme, nous assistons à une sorte de Mai 68 à l'envers, et le vieux slogan de Cohn-Bendit, celui de son époque anarchiste nanterroise, « élections, piège à cons » est désormais grommelé par les grands partis défaits ou menacés de l'être lors de prochaines échéances et, plus encore, par la Commission européenne et ses féaux, tout autant que par leurs donneurs d'ordres : n'est-ce pas aussi le cas, en France, depuis le scrutin présidentiel de 2002 et le référendum de 2005 ?

 

A chaque fois que les scrutins sont défavorables aux partis « conformes » (pour ne pas dire conformistes), c'est alors le lamento devenu désormais rituel : « Comment est-ce possible ? » ; « Nous avons compris le message des électeurs » ; « La déraison ne doit pas triompher » ; « Un sursaut européen est nécessaire », etc. Cela n'a pas manqué cette fois-là au regard du résultat des élections italiennes comme lors du rejet de la Constitution européenne en 2005 par les électeurs français et néerlandais, mais aussi après la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de la présidentielle de 2002, comme au lendemain matin du vote pour le Brexit en juin 2016 ou aux soirs des « victoires électorales des populistes » en Autriche, Pologne, Hongrie, Tchéquie, ou face à la poussée de l'extrême-droite en Allemagne... Mais rien (ou presque) n'a changé à Bruxelles, et la mondialisation poursuit ses ravages dans nos pays, sans discontinuer, au détriment des emplois pérennes, des métiers traditionnels, des secteurs agricoles et industriels et de leurs travailleurs, de l'environnement aussi : de quoi nourrir mécontentements et frustrations, voire colères et fureurs !

 

Mais le système des démocraties occidentales consommatoristes et, sans doute, globalitaires, ce système que dénonçait déjà Georges Bernanos en son temps, est le même que dans les années trente, en définitive : le même dans ses aveuglements parce que, sans doute, le même dans ses principes et dans ses logiques internes. Bernanos, sévère et juste à la fois, clamait que la Démocratie n'était que le nom politique du capitalisme, et, plus rude encore après la seconde guerre mondiale, hurlait, dans une indifférence qui n'avait rien de relatif que « les démocraties sont les mères des totalitarismes », ce que l'histoire récente du monde avait tristement et cruellement souligné...

 

Cela signifie-t-il qu'il y ait une sorte de fatalité derrière le mot et le principe de la démocratie ? Si c'était la réponse ferme et définitive de Maurras et de Bernanos (du moins pour les formes étatiques, et avec quelques bonnes et fortes raisons), j'ai la faiblesse de croire, désormais, que le mot mérite mieux que sa pratique dans nos États contemporains, et qu'il s'agit de le délivrer, de le séparer des féodalités économiques et, mieux encore, de la gangue économique qui l'enferme dans un sens purement de « liberté de Marché et de profit ». C'est d'ailleurs pour cela que je suis éminemment et politiquement royaliste, pour rendre à César ce qui est à César, et à l'Argent sa place qui ne doit être que celle d'un serviteur et non celle du maître des horloges, de nos vies et de celles des peuples.

 

Si je ne crois pas que les actuels populismes soient les totalitarismes de demain, je reste tout à fait persuadé qu'ils sont vains s'ils ne sont pas forcément illégitimes : le système de nos sociétés consommatoires dites démocratiques est devenu, depuis longtemps (et « Le meilleur des mondes » d'Aldous Huxley mériterait d'être relu pour le saisir mieux encore, à travers une fiction qui ne l'est plus tout à fait), un globalitarisme dont, aujourd'hui, il est difficile de sortir, l'Intelligence artificielle et les moyens de reproduction extra-corporels, la néophilie permanente et le présentisme moralisateur et anhistorique aidant... Mais la Monarchie est la possibilité, justement, d'une sauvegarde de la liberté humaine par la liberté d'une magistrature suprême située en dehors et au-delà des jeux électoraux partisans, et elle peut incarner « ce qui dure et perdure », c'est-à-dire l'âme d'une nation. C'est l'assurance qu'elle a des chances de survivre aux populismes (dont le sort est toujours incertain) sans renier ce qui fait l'être profond d'un pays. Si la Monarchie ne désarme pas toutes les inquiétudes (au demeurant souvent légitimes) qui nourrissent les partis populistes, elle ne cède pas forcément, par nature, aux instances du globalitarisme dominant : elle reste cette figure humaine et familiale vers laquelle on peut se tourner quand le monde des machines semble tout organiser et commander... Si le royaliste Bernanos l'affirme, le « libertaire conservateur » George Orwell le pressent déjà dans les années quarante, comme le socialiste Proudhon un siècle auparavant : une dynastie d'êtres de chair et de sang vaudra toujours mieux que la longue suite de technocrates et de « robocrates » qui croient commander aux peuples comme on pianote sur un clavier d'ordinateur...