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03/12/2018

Un samedi à Paris : le témoignage d'un spectateur engagé. Partie 2 : Une drôle d'ambiance...

Voici la deuxième partie de mon témoignage sur les événements du samedi 1er décembre à Paris. Une fois sorti des Champs Elysées, on entre dans une autre dimension de la manifestation.

 

 

Quelques minutes après, j'entreprenais de descendre l'avenue de Friedland, puisque l’Étoile nous était interdite. C'est un spectacle de désolation qui m'attendait : le trottoir disparaissait sous les gravats, les éclats de verre, les débris métalliques, et des grappes de manifestants s'agglutinaient le long des murs, semblant attendre une charge policière qui ne venait pas. Des voitures immatriculées « CD » étaient retournées ou éventrées : un riverain en pyjama, hilare, m'explique alors que ces véhicules appartiennent à des diplomates chinois, tandis que des badauds photographient la scène. Ce qui me surprend alors et me surprendra encore plus quelques heures après, c'est l'apparente indifférence des propriétaires de ces récentes épaves : elles resteront dans la même posture et à la même place des heures durant, bien au-delà de la nuit tombée. D'autres, sans plaque diplomatique et beaucoup moins rutilantes dès l'origine, elles aussi endommagées, seront incendiées par des casseurs même pas encagoulés et, pour au moins deux d'entre elles, bien des heures après leur première dévastation.

 

Un peu plus bas, d'énormes fumées envahissent la rue et surplombent les toits : « Paris brûle-t-il ? ». Aux carrefours, des voitures achèvent de se consumer, et il n'est pas quinze heures... D'autres s'enflamment encore, et les manifestants y semblent presque indifférents, dans une sorte de mélange de colère et de résignation devant ce qui se passe autour d'eux. Les gilets jaunes s'époumonent, et, dans le même temps, applaudissent les camions de pompiers qui arrivent parfois difficilement. Dans une rue, j'aperçois une petite Peugeot blanche qui commence à s'embraser, et je me précipite vers le camion rouge le plus proche pour prévenir de l'incendie qui commence juste, mais une barricade de bric et de broc flambe tout à côté tandis que de la banque voisine (une agence LCL) sortent aussi d'immenses flammes. Les forces de l'ordre prennent prudemment position tandis que les slogans hostiles à M. Macron se succèdent, parfois mêlés à d'autres appelant la police à rejoindre l'émeute... Étonnante situation, qui peut paraître assez paradoxale, de ces foules qui veulent changer de gouvernement et en appellent aux forces de l'ordre pour mener cette « révolution » ! Difficile ensuite de les traiter de « factieux », car ils ne remettent pas vraiment en cause « l'autorité » en tant que telle mais bien plutôt la légitimité de l'actuel locataire de l’Élysée.

 

Je rejoins un fort groupe de manifestants, de vrais gilets jaunes et quelques jeunes « anarchistes » avec qui je discute sans cacher mon royalisme : cette sorte de discussion impromptue se reproduira près d'une vingtaine de fois dans l'après-midi et la soirée, et cela avec des gens très divers, des Bretons anciens Bonnets rouges au royaliste quinquagénaire sans étiquette partisane, des retraités (il y en avait beaucoup ce jour-là) de l’Éducation nationale aux mères célibataires et femmes de ménage, des jeunes militantes d'extrême-gauche aux vieux routards des combats syndicalistes, du partisan du Frexit opposé aux onze vaccins à ces couples d'amoureux qui cherchaient juste à échapper au désordre pour continuer leur promenade romantique... Les plus jeunes et les plus novices en manifestation croient que « c'est la guerre », et s'effraient en même temps qu'ils s'enivrent de la situation, revivant ce qu'ils ont vu à la télévision sous l'estampille « Mai 68 », entre autres. Non, ce n'est pas la guerre ; non, ce n'est pas la révolution, mais cela ressemble de plus en plus à une insurrection...

 

Dans une petite rue non loin de la barricade enflammée, des centaines de manifestants se réfugient après une charge des forces de l'ordre en criant des injures moins aimables à l'égard de celles-ci. Un jeune père de famille veut traverser le cortège avec sa petite fille, au moment où les grenades claquent au bout de la rue : je le lui déconseille avec le sourire, et je l'accompagne vers un endroit plus calme où il pourra attendre que les esprits se refroidissent un peu... Quelques minutes plus tard, dans cette rue étroite, se construit une barricade avec une baraque de chantier et du matériel hétéroclite, des planches, des tôles, etc. Mais la charge viendra d'ailleurs, de l'autre rue d'à côté : les manifestants refluent en désordre tandis que les riverains regardent et parfois filment la scène avec leur téléphone. Quelques explosions assourdissantes retentissent, et un épais nuage de fumée incommodante envahit les lieux, de celle qui fait fortement tousser et cracher, tandis que les yeux se mettent à piquer (et un peu plus, même) et à ruisseler. Je ferme la marche, marchant du pas lent de ceux qui n'aiment pas courir (ce qui m'est, d'ailleurs, impossible en ce moment), et tout d'un coup, je vois surgir du brouillard lacrymogène deux motos dont je discerne d'abord seulement les phares. Des motos ! Mais cela ne se peut pas, ou plus ! Depuis la mort de Malik Oussekine, en décembre 1986, et la dissolution des « voltigeurs », il n'y a plus, officiellement, de charges à moto, comme celles que j'avais connues en mai 1983, rue de Rennes, non loin de Montparnasse, lors des manifestations étudiantes (de droite...) contre la réforme universitaire du nom d'Alain Savary. Et pourtant, même si cela n'a été qu'une vision fugace, elle était bien réelle ! En fait, c'est de ces motos que semblent avoir été lancées les dernières grenades assourdissantes.

 

Un peu plus loin, sur les marches d'un immeuble, un couple de jeunes manifestants, à mon avis plus « gauchistes » que « gilets jaunes », est recroquevillé, étouffant et pleurant. Je m'approche d'eux, et je pense qu'ils sont à peine sortis de l'adolescence : c'est leur première manifestation, et c'est leur baptême du feu, mais elle en est plus énervée que lui, moins virulent, presque timide. Visiblement, ils reviendront... Je les reverrai quelques heures après, marchant avec d'autres manifestants, jeunes aussi, et possiblement radicaux, mais pacifiques. Mais ils font partie de ces jeunes qui sont plus révoltés que révolutionnaires, et à qui notre société de consommation ne convient plus, et j'avoue partager leur dégoût de cette société-là qui, en définitive, n'est rien d'autre qu'une « dissociété » hautement discutable et contestable qui privilégie la quantité plutôt que la qualité et qui sacrifie l'avenir à l'immédiate jouissance éphémère et addictive. Ont-ils lu Illich, connaissent-ils Bernanos, et Georges plutôt qu'Antonin ? Je n'en sais rien, mais je constate que le vieux royaliste que je suis ne semble pas trop les effrayer, peut-être parce que je crois les comprendre et que, d'une certaine manière, je retrouve en eux, et sous d'autres atours (vestimentaires et sans doute idéologiques), ce que j'ai été jadis, jeune...

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

22/06/2016

Ce semble-Etat de la République...

Je poursuis ce mercredi la retranscription de mon discours de dimanche dernier, prononcé lors du banquet de fin de printemps du Groupe d’Action Royaliste. A me relire, j’ai l’impression que mes propos trouvent confirmation de leur actualité en ce jour de cafouillage gouvernemental et de « victoire » (temporaire ?) des organisations syndicales contestataires. La suite demain, sans aucun doute…

 

 

 

Un élément nouveau est apparu la semaine passée avec l’annonce du premier ministre et du président de la République, dès le lendemain des incidents du 14 juin, de la possibilité légale d’interdire les prochaines manifestations syndicales parisiennes. Certains, ironiques, y verront peut-être la fin du fameux « Interdit d’interdire », valorisé par la Gauche depuis Mai 68. (1)

 

Est-ce une marque d’autorité ? Non, j’en doute : lorsqu’elle rencontre une difficulté, la République, surtout quand elle se dit « de gauche » (ce que je n’oserai lui dénier), tombe tout de suite dans l’autoritarisme qui n’est que la caricature de l’autorité. (2)

 

Est-ce vraiment illogique, est-ce vraiment une surprise pour les royalistes qui savent d’expérience et d’histoire, en bons « empiristes organisateurs », que la République, sauf en de rares occasions qui ne durent et ne peuvent – par le principe même de la « République des républicains » - durer, n’est pas un véritable Etat mais, comme le disait fort bien le philosophe Pierre Boutang, un « semble-Etat » : cela ressemble à un Etat, il en porte les marques et les couleurs, mais cela n’est pas un Etat ! Il lui manque le temps, l’autorité et la légitimité qui fondent un Etat digne de ce nom. Le « semble-Etat » est le Canada Dry de l’Etat, rien de plus.

 

C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier, et c’est terrible pour la France et les Français qui en sont les premières victimes.

 

 

 

 

(à suivre : L’Etat sans l’autorité, la pire des choses.)

 

 

 

Notes : (1) : L’interdiction de la manifestation a effectivement été prononcée le mercredi 22 juin… avant que d’être infirmée quelques heures plus tard devant la colère d’une bonne partie de la Gauche et des syndicats, y compris de ceux qui sont favorables au projet gouvernemental : cette valse-hésitation (formule qui se prête évidemment à nombre de jeux de mots, à moins qu’ils s’agissent de maux…) démontre à l’envi l’absence de constance et, encore plus, l’absence de cap du gouvernement. Cela confirme mes propos de dimanche dernier sur la crise d’autorité du régime.

 

(2) : C’est une tendance lourde de la Gauche, en définitive, et cela dès les débuts de la République si l’on considère que la République des années 1792-1794 en est une incarnation et que le tandem Robespierre-Saint-Just en porte les « valeurs », ce qui reste, d’ailleurs, à expliquer et, parfois, à nuancer. Il faudrait sans doute revenir sur la fameuse formule de l’Archange de la Terreur qui proclame « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté », formule qui, jusqu’à une période récente, était hautement revendiquée par une part significative des hommes et des partis de Gauche, pas forcément communistes…

 

 

02/05/2016

Le printemps 2016 n'est pas Mai 68 (1)

« Le mois de Mai s'annonce couvert », ironisait l'un de mes amis l'autre jeudi quand, au centre de Rennes, les fumées lacrymogènes grisaient l'horizon et faisaient tousser nos voisins, tandis que, devant ou à côté de nous, des lycéens et quelques étudiants s'amusaient à provoquer les forces de l'ordre en une sorte de carnaval plus qu'en une émeute organisée : il est vrai que nous étions en après-midi et loin du lieu des principaux affrontements du midi, ceux-là mêmes qui avaient coûté un œil à un étudiant en géographie... La violence n'était plus, à l'heure où nous arpentions les abords de l'esplanade Charles-de-Gaulle, qu'un vague souvenir et les vitriers étaient déjà à pied d’œuvre alors même que les manifestants mimaient encore cette révolution dont ils n'ont pas, en définitive et pour la grande majorité d'entre eux, une idée claire, voire pas d'idée du tout... « C'est une révolte ? Non, sire, c'est un chahut », pouvait-on murmurer au milieu des clameurs juvéniles rennaises...

 

Comprenez-moi bien : je ne minimise pas ce qui est en train de se passer à travers le pays et principalement dans quelques grands centres urbains et universitaires, mais j'essaye d'en saisir tous les aspects pour mieux le comprendre et, éventuellement, en tirer profit, intellectuellement ou politiquement (ou les deux à la fois).

 

La contestation contre la loi de Mme El Khomry n'est qu'un révélateur ou un symptôme, nullement, à l'heure qu'il est et sous réserve de l'avenir, une révolution : cela ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas de (bonnes et mauvaises) raisons aux événements en cours, et que certaines réflexions échangées lors des débats ou des « Nuit debout » ne méritent aucune attention. Mais la confusion qui règne désormais place de la République (tout un symbole !) et dans les rues du pays ne profite guère à la réflexion et au débat...

 

Et pourtant ! Il y aurait tant à dire sur la situation de notre pays, sur l'état du monde, sur la corruption des paysages et de l'environnement, sur ce consommatorisme et ce globalitarisme qui se parent des noms de « société de consommation » et de « mondialisation » ; il y aurait tant à dénoncer et tant à proposer, tant à détruire et tant à refonder, tant à dire et à écrire...

 

Nous ne sommes pas en Mai 68, et je ne sais pas vraiment s'il faut s'en féliciter ou s'en plaindre : d'ailleurs, Mai 68 fût, il faut le dire, une belle occasion manquée et son bilan, tiré de façon magistrale par Jean-Pierre Le Goff dans « Mai 68. L'héritage impossible », n'est guère brillant... Pourtant, « tout était possible », avec les risques du pire et les espérances du meilleur (comme le signalèrent alors les monarchistes Pierre Debray et Gérard Leclerc, mais aussi Maurice Clavel...), et cette période me rappelle la formule du comte de Chambord à propos de l'année 1789, à la fois implicitement dénonciatrice de ce sur quoi elle avait débouché et nostalgique de ce qu'elle aurait pu être et donner : « Avec vous, et quand vous voudrez, nous reprendrons le grand mouvement de 1789 »... Une formule que le royaliste Bernanos ne cessait de rappeler lui-même en fidèle de la légitimité royale incarnée par le comte de Paris, lui-même soucieux de renouer ce fil de la continuité française jadis tranché...

 

 

 

 

(à suivre)