Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/06/2011

En traversant la campagne...

La France est un livre dont j’ai parcouru quelques pages hier mardi, entre Rennes et Versailles, cette fois au volant de ma voiture faute d’avoir trouvé une place de train à un prix abordable… Ce livre, cette France qui est mienne autant qu’elle est celle de ceux qui en héritent et la vivent au jour le jour, dans les joies comme dans les malheurs, est le meilleur révélateur des contradictions et de la complexité de notre temps : c’est aussi le rappel de nos devoirs envers elle et nos contemporains, et envers ceux qui viendront, dans les temps qui suivent, nos fils et nos neveux…

 

Sorti de la grande ville, prenant les routes nationales plutôt que les autoroutes un peu monotones, me voici au cœur des campagnes mayennaises ou normandes : les croix marquent le paysage autant que les talus et les arbres, ces restes d’un bocage qui tend à disparaître sous les pressions conjuguées du remembrement et de cette rurbanisation qui n’est rien d’autre, en définitive, que la construction de « villes horizontales et simplement résidentielles », de lotissements-dortoirs, autour des villages anciens ; les troupeaux paissent tranquillement, indifférents aux quelques camions et voitures qui longent les champs, et les tracteurs traversent, parfois un peu brusquement, ces routes qu’ils partagent bon gré mal gré avec les véhicules de passage… ; les villages sont, pour quelques uns, encore bien vivants, et le café reste le lieu de la sociabilité rurale, même si ceux qui le fréquentent ne sont visiblement plus tout jeunes : n’est-ce pas la marque du vieillissement des « travailleurs de la terre » et le repli sur soi, ou sur le monde virtuel des ordinateurs, des plus jeunes, peu soucieux, pour beaucoup, de rester au village mais plus pressés de rejoindre « la ville » et ses promesses (ou ses illusions…) ? L’église reste la plupart du temps le bâtiment le plus imposant du village mais les portes en sont souvent closes et le presbytère est « à vendre », comme de nombreuses autres maisons lézardées par le temps et l’abandon, tandis que de petites maisons, toutes semblables, poussent comme des champignons à la sortie du village : ces dernières semblent vides le jour, comme « absentes du village »…

 

J’aime m’arrêter quelques minutes pour prendre un café ou une limonade dans ces petits restaurants d’un autre temps, dans lesquels on a encore, parfois, des chaises et des tables en bois et, au mur, des trophées de chasses anciennes. Je me souviens d’y avoir mangé, il y a quelques années, un poulet qui, le matin encore, picorait dans l’arrière-cour : un régal, et ceci pour quelques euros, à peine le prix d’un apéritif à Paris…

 

Cette France meurt-elle ? Sans doute s’efface-t-elle peu à peu devant la poussée d’une modernité qui confond vitesse et précipitation, et qui « communique » à défaut de transmettre et de parler aux autres…

 

La France change, bien sûr, et il ne sert à rien de rester dans la nostalgie : mais il serait faux de croire que la modernité présente est la seule manière de vivre, qu’elle est obligatoire et non négociable et, qu’en dehors d’elle, point de salut ! Non, vivre ne se fait pas seulement au travers des seules valeurs de rapidité ou de fluidité, de rentabilité ou d’utilité… L’ordinateur, les techniques en général et l’argent, ne doivent être que des moyens et non des fins qui transformeraient les personnes et les communautés humaines en simples esclaves consommateurs, comme on le voit trop aujourd’hui !

 

Le sociologue Henri Mendras parlait d’une « seconde révolution française » en évoquant l’entrée de plain pied de la France dans la société de consommation, et il n’avait pas tort… Mais toute révolution n’est pas forcément bonne quand elle tombe dans l’hubris, dans cette démesure qui aveugle et fait oublier le nécessaire et l’humain.

 

Se lamenter ne sert à rien si l’on ne préserve pas l’espérance d’une société équilibrée, vive et humaine : les campagnes sont encore des lieux où peuvent fleurir de multiples initiatives pour atténuer les effets indésirables de la modernité technophile, et l’Etat, qui cherche en vain à réduire les déficits publics, devrait penser qu’un aménagement des territoires intelligent, reposant sur un « autre rythme » (et celui des campagnes est bien différent de celui des villes et des marchés financiers), est une véritable opportunité pour retrouver du souffle et libérer de nombreuses populations aujourd’hui fragilisées, plus encore par le rythme effréné de la société technophile de consommation que par la crise elle-même (simple mais cruel révélateur des impasses de la modernité et d’un libéralisme souvent égoïste et destructeur).

 

La France est un livre dont de nombreuses pages sont jaunies par le temps mais ont encore du sens et peuvent servir à inspirer nos réflexions et, pourquoi pas, nos projets, nos actions… « Il suffirait de presque rien », disait Reggiani sur un tout autre thème (quoique…) : ce « presque rien », qu’est-ce d’autre qu’un Etat qui, par nature enraciné dans le temps long et l’histoire et, par là-même, dans cet « avenir qui dure longtemps » selon une formule commune au général de Gaulle et au comte de Paris, peut faire cette politique d’un aménagement des territoires soucieux des équilibres sans négliger l’unité de l’ensemble et les exigences de la société contemporaine ? Cet Etat possible porte, en France, un nom : la monarchie, celle qui a fait la France en quelques siècles et qui pourrait la rééquilibrer en quelques décennies, vaste chantier du XXIe siècle pour qui ne se contente pas des préjugés et des autoroutes grises du conformisme…

 

La France est un livre qui s’écrit chaque jour et dont la lecture ne s’arrête jamais

 

22/06/2011

Changer les profs ?

 

Les corrections des copies du bac session 2011 ont commencé depuis déjà quelques jours mais plusieurs milliers de copies de philosophie (3.000 selon la presse) n’ont pas de correcteurs attitrés, ce qui provoque une certaine panique dans les milieux du rectorat de Versailles, entre autres : ainsi, des professeurs enseignant aujourd’hui dans les classes préparatoires ont-ils été appelés, parfois d’un ton suppliant par l’administration, pour pallier à ce déficit bien ennuyeux de correcteurs officiels… D’autres, déjà les bras chargés de plus de 130 copies, ont été purement et simplement démarchés dans les centres d’examens, le principal argument avancé par les quémandeurs étant… financier, chaque copie corrigée étant payée 5 euros : quelques collègues s’y sont laissés prendre, selon un témoin de la scène avec lequel je discutais mardi midi.

 

Cette affaire est tout à fait significative de la situation actuelle, au-delà même de la question du baccalauréat : après des années de suppression de postes en philosophie (mais ce n’est évidemment pas la seule matière touchée), le nombre de professeurs susceptibles de corriger les épreuves de fin d’études secondaires s’avère désormais insuffisant, quoi que l’on fasse par ailleurs pour pallier temporairement à ce déficit de correcteurs.

 

Mais quelles sont les réactions des parents d’élèves à cette affaire ? Evidemment, beaucoup se plaignent du risque d’une absence de correction pour leurs propres enfants mais j’ai constaté avec une certaine amertume que la faute est souvent attribuée aux professeurs eux-mêmes, alors même qu’ils se retrouvent otages d’une situation qu’ils n’ont pas souhaitée… Même sur les sites de la presse dite « progressiste », de nombreux commentaires dénoncent « la mauvaise volonté des profs », et s’en prennent parfois au corps enseignant dans son ensemble avec quelques arguments fort révélateurs de la mauvaise réputation des professeurs aujourd’hui et de la technophilie ambiante : certains vont même jusqu’à annoncer (visiblement en s’en réjouissant) « la fin prochaine des profs », désormais « dépassés » par des ordinateurs dotés d’une plus grande mémoire et d’une disponibilité permanente…

 

Au même moment et alors que l’on annonce encore la suppression de postes dans l’Education nationale, une campagne publicitaire est engagée par cette même institution pour embaucher 17.000 nouveaux enseignants ! Mais sur des bases essentiellement contractuelles et éminemment, quoique l’on en dise, précaires : au point de susciter cette réaction chez certains étudiants des classes préparatoires de mon établissement de ne plus voir dans l’enseignement qu’un « petit boulot » comme les autres, forcément temporaire et dévalorisé… Quelle claque pour nous, les profs, qui, pour la plupart, avons la vocation de transmettre et travaillé dur pour obtenir nos concours pour avoir le droit, justement, de professer ! A quoi cela a-t-il servi puisque, demain, nous pourrons être remplacés par des personnes, parfois de bonne volonté, mais qui n’auront pas forcément la même motivation mais juste la nécessité de trouver un « petit boulot » pour financer, par exemple, leurs propres études ? Ne parlons même pas des compétences et des savoirs qui pourront être remplacés par la simple maîtrise de l’outil informatique et de la recherche, parfois sans recul ni discernement véritable, d’informations sur le thème étudié dans la matière enseignée… « Wikipedia » à la place des professeurs ?

 

« Le métier d’enseignant change », nous avait prévenu le ministre actuel de l’Education nationale, M. Chatel : il oublie juste que la technique, aussi développée soit-elle, ne peut remplacer la passion de transmettre, la curiosité et la matière grise… Cette « école des robots du savoir » que l’on nous annonce avec gourmandise n’arrivera sans doute à faire que « des petits singes savants » ou, selon l’expression de Georges Bernanos, « des cornichons sans sève »… Ce n’est pas ce que je souhaite aux générations qui viennent !

 

 

18/06/2011

Un patriotisme économique de bon aloi.

La compagnie aérienne Air France doit annoncer cet été quels sont les types d’appareils qu’elle achète pour compléter et renouveler sa flotte de longs-courriers : or, selon des indiscrétions parvenues aux oreilles des ministres et hommes politiques français, la compagnie, désormais privée et associée avec la société KLM, porterait son choix sur l’entreprise états-unienne Boeing, pourtant rivale d’Airbus, entreprise européenne emblématique de la coopération industrielle entre Etats européens et née d’une initiative française.

 

Quelques députés français ont réagi en appelant l’Etat, actionnaire à 16 % d’Air France-KLM, à intervenir pour rappeler la compagnie aérienne à un peu plus de « patriotisme économique », formule qui, hier décriée quand M. de Villepin l’avait lancée sous son ministériat, trouve aujourd’hui un certain écho, signe des temps sans doute et de la recherche d’un sens à l’économie qui ne soit pas orienté que vers le profit et le libre échange obligatoire et sans contraintes… Il m’a frappé d’ailleurs que cette formule a été revendiquée haut et fort par les députés pétitionnaires et prononcée sans aucune retenue par des personnes se réclamant d’un parti libéral, au grand dam des milieux d’affaires depuis longtemps devenus cette « fortune anonyme et vagabonde » que dénonçait il y a un siècle le duc d’Orléans, roi putatif des Français.

 

En tout cas, cette démarche parlementaire est fort honorable, même si, d’une certaine manière, elle intervient bien (trop ?) tard : car, en acceptant depuis des décennies de brader son patrimoine industriel et de privatiser sans beaucoup de discernement ce qui était stratégiquement utile pour l’Etat français (et, donc, la société), les gouvernements successifs et leurs majorités respectives ont semblé accepter « la fatalité de l’économie » et renoncer à leurs capacités politiques d’intervention sur les décisions économiques et sociales des grandes entreprises pourtant « nationales ».

 

Cette affaire, néanmoins, sera un test important : si, demain, Air France n’en fait qu’à sa tête et suit sa seule logique commerciale en favorisant Boeing plutôt qu’Airbus (même dans le cadre d’un panachage qui laisserait quelques miettes à la société européenne), cette logique qui se dit de compétitivité et n’est, en définitive et le plus souvent, qu’une logique de profit au bénéfice d’actionnaires gourmands, il faudrait alors que l’Etat en tire les conséquences et, pourquoi pas, reprenne en main cette société, soit par le biais d’une participation actionnariale accrue soit par une nationalisation partielle (ou totale, d’ailleurs), au risque, certes, de s’attirer les foudres des instances de Bruxelles, irrémédiablement libérales… Mais, après tout, dans une période où notre pays souffre de désindustrialisation et de chômage, dans une sorte de langueur économique et en ce temps de désespérance sociale, l’Etat doit jouer son rôle de protecteur des citoyens et d’arbitre au-dessus des intérêts privés.

 

Je sais que le mot « nationalisation » fait peur aujourd’hui, certains y voyant la marque d’un étatisme dont les résultats dans l’histoire n’ont guère été probants. Mais il ne s’agit ici que d’une forme de « colbertisme » pragmatique et soucieux de relier à nouveau « social » et « économie », et plus exactement « souci social » (emploi et justice) et efficacité économique au profit du plus grand nombre de nos concitoyens. L’objectif est de favoriser la bonne marche du secteur industriel dans notre pays et d’éviter les délocalisations spéculatives, de maintenir des emplois ici et à des conditions sociales dignes au lieu de les voir partir vers des pays où ni les droits ni la dignité des travailleurs ne sont reconnus.

 

D’autre part, qu’y a-t-il de choquant à vouloir favoriser nos « plus proches » quand on sait que la solidarité nationale trouve ses moyens dans un certain partage et dans une redistribution partielle qui ne sont possibles que si nos compatriotes ont les moyens d’y subvenir en plus grand nombre possible ? Cela veut-il signifier que l’on oublie les autres ? Bien sûr que non, mais l’histoire économique montre que « déshabiller Paul » n’est pas forcément le meilleur moyen d’ « habiller les Pierre d’ailleurs »… Les emplois qui disparaissent en France se retrouvent en Asie (ou ailleurs) sous une forme socialement très dégradée, et ce n’est pas vraiment un progrès, me semble-t-il, car cela nie toute l’histoire des luttes sociales jadis (et encore aujourd'hui) nécessaires pour atteindre (ou retrouver) un niveau satisfaisant de qualité de travail comme de revenus.

 

Air France-KLM va-t-elle se rendre aux raisons des députés français, apparemment soutenus par l’Etat, mais bien isolés dans une Europe qui préfère les principes généraux du libre échange aux réalités économiques et aux nécessités sociales ? Il est frappant de constater le silence désapprobateur (à l’égard de la position française) de la Commission européenne et du Parlement européen dans cette affaire pourtant hautement symbolique…