22/09/2009
Cochon mondialisé, non merci !
La mondialisation est un fait, elle n’est pas forcément un bienfait. Si les médias et les économistes font souvent de celle-ci une sorte de fatalité obligatoire ou d’Eden des affaires, elle révèle parfois, au hasard des anecdotes, des aspects étranges et plutôt inquiétants.
Ainsi, l’anecdote contée par Alain Rémond dans son billet paru mardi 22 septembre 2009 dans « La Croix », et qui mérite d’être rapportée, car elle est emblématique de la mondialisation actuelle et de ses défauts :
« Un lecteur vient de me faire parvenir l’étiquette d’un paquet de haché de porc, acheté dans une grande surface. Il s’agit d’un « haché régime de porc maigre » de 0,324 kg vendu 2,12 euros. Jusque là, rien à dire. Mais ce qui est écrit en dessous, en tout petit, est proprement stupéfiant. Ce haché provient d’un porc « né au Canada, élevé en Australie, abattu et découpé en Belgique ». D’après mon correspondant, il y a à peu près 17 000 km entre le Canada et l’Australie et quasiment autant entre l’Australie et la Belgique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce porc, de port en port, aura vu du pays. Que conclure de ce périple, sinon qu’au Canada, on sait faire naître les porcs, mais on ne sait pas les élever, qu’en Australie on sait les élever mais pas les abattre et qu’en Belgique, on sait les abattre et les découper mais ni les faire naître ni les élever. Quant au bilan carbone, mieux vaut ne pas y penser. Personne, d’ailleurs, n’y pense. »
On a là la démonstration d’une mondialisation qui ne cherche que le profit maximal par la recherche des moindres coûts de production, sans égard pour les conséquences écologiques ni pour les bêtes elles-mêmes, susceptibles de faire 36 000 km dans leur courte vie avant de se retrouver au rayon boucherie d’une grande surface française : quel gâchis énergétique et environnemental !
Alors, que faire, à notre modeste échelle ? Tout simplement, et c’est à la portée de tous, commencer par préférer la boucherie locale (il en reste encore quelques unes en ville comme à la campagne, même si elles sont de plus en plus menacées par la concurrence agressive des grandes surfaces), et se « contenter » (au sens fort et heureux du terme, bien sûr) de viande française, produite dans des conditions les plus conformes possibles à l’équilibre naturel, autant des bêtes elles-mêmes que de l’environnement.
Bien que consommant désormais peu de viande rouge (mais un peu plus de viande blanche), j’ai pris la (bonne) habitude de me fournir dans une boucherie « traditionnelle » à Lancieux, comme à Rennes ou à Montfort-L’Amaury. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre, loin de là, et je me dis que les quelques euros dépensés profiteront plus utilement à des compatriotes (éleveurs et bouchers) soucieux de la qualité plutôt que de la quantité, que s’ils avaient été dépensés dans une grande surface dont les prix bas dissimulent souvent des conditions de production peu ragoûtantes et peu fiables, malgré toutes les assurances fournies par les étiquettes promotionnelles…
Un choix simple… qu’il n’est pas difficile de faire, pourvu que l’on considère que « nos emplettes sont nos emplois », comme l’affirmait jadis une campagne pour le « consommer français », et que tout achat doit être, sinon « citoyen » (ce qualificatif employé à toutes les sauces m’agace, et c’est peu dire !), du moins responsable : socialement, nationalement, écologiquement…
23:54 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : porc, mondialisation, carbone, boucherie, cochon, viande, achat.
20/09/2009
Producteurs de lait abandonnés...
Cet été, lors de mes pérégrinations bretonnes, j’avais remarqué ces panneaux placés sur le bord des routes ou au milieu des champs, et qui annonçaient une « grève du lait » pour le mois de septembre : nous y sommes, et les producteurs laitiers ont commencé il y a une semaine à mettre leur menace à exécution, multipliant dans le même temps les distributions gratuites de lait aux consommateurs mais aussi en détruisant des millions de litres, de désespoir et de rage, voire d’impuissance devant la logique terrible du « libre marché » défendue par la Commission européenne actuelle.
Combien faudra-t-il de suicides d’éleveurs pour que l’Opinion publique s’émeuve et commence à réagir à cette dictature d’une idéologie qui oublie les hommes pour ne voir que la « libre concurrence non faussée », idéologie terrible et homicide qui est en train d’achever notre agriculture nationale et ses derniers particularismes, ceux-là mêmes qui font de notre pays ce royaume du bien-vivre et de la gastronomie ?
Pour l’heure, les éleveurs sont bien seuls, et il est frappant de voir à quel point la classe politique est, à quelques exceptions près, particulièrement silencieuse : terrible aveu de sa trahison, prisonnière qu’elle est de son millénarisme européiste, cette sorte de « fin de l’histoire » impolitique et fataliste ! Quant à la République officielle, représentée près des agriculteurs par le pâle Le Maire, elle se contente du « programme minimum », cherchant d’abord à éteindre rapidement l’incendie pour, dit-elle, être en position de force dans les prochaines négociations sur la réforme européenne de la Politique Agricole Commune… Si cette stratégie peut se comprendre par temps calme (ce qui ne signifie pas qu’elle soit la meilleure ni la plus juste), elle est particulièrement malvenue en temps de crise, quand les agriculteurs de notre pays se retrouvent en danger au risque, pour les plus faibles, de disparaître purement et simplement.
La crise du lait n’est qu’un des aspects d’une crise plus large et plus profonde du monde et de la vocation agricoles : la réponse n’est pas seulement dans le changement de quelques règles ou l’aménagement d’amortisseurs sociaux, au niveau français ou européen, mais bien dans une politique qui, au-delà des aspects économiques et sociaux, se devra de poser la question même du mode de société, voire de la civilisation, dans laquelle nous voulons vivre, pour nous et nos descendants. Je doute fortement que la République soit en mesure de poser cette question, prisonnière qu’elle est de ses principes et de ses tabous, coincée entre deux élections et en « présidentielle permanente » quand il faudrait inscrire sa politique et sa stratégie dans le long terme, dans un rythme « paysan » qu’elle a oubliée depuis trop longtemps…
00:54 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lait, grève du lait, éleveurs, agriculteurs, république, europe, libre marché.
16/09/2009
Zola, chantre des grands magasins ?
J’ai un vieux contentieux avec Emile Zola : il remonte à la fin des années 70, plus précisément à l’hiver 1978, 2ème trimestre de l’année scolaire. Dans un devoir remis à mon professeur de français, madame S., je comparais deux livres du susdit Zola, trouvant des qualités au « Bonheur des Dames » quand « Le ventre de Paris » m’avait fort déçu… A la remise des copies corrigées, j’eus droit à un véritable « savon » de la part de l’enseignante qui me jugeait fort présomptueux de critiquer ainsi l’un des monuments de la littérature française et des programmes scolaires… Cette indignation professorale me valait donc un 7/20 dans une matière dans laquelle, d’ordinaire, je n’étais pas trop mauvais !
J’ai rouvert « Au Bonheur des Dames » presque trente ans après cet incident : je n’ai pas été déçu par l’écriture mais plutôt par le message qui en ressort. En effet, Zola semble fasciné par le progrès symbolisé par les grands magasins et n’a guère d’égards pour le petit commerce, définitivement condamné par le cours du temps et le progressisme de l’écrivain. Là où on aurait pu attendre la défense des « petits » contre le triomphe de l’Argent, on a, en fait, la démonstration de la victoire de la grande distribution : victoire désirée, victoire flattée…
D’ailleurs, la lecture des carnets de Zola confirme cette impression : « Je prendrai … un mercier, une lingère, un bonnetier, et je les montrerai ruinés, conduits à la faillite. Mais je ne pleurerai pas sur eux, au contraire, car je veux montrer le triomphe de l’activité moderne : ils ne sont plus de leur temps, tant pis. » Ainsi, il forcera le trait, présentant une image qui, sans être forcément irréaliste, n’est pas vraiment juste et, surtout, est trop partiale pour être totalement convaincante, du moins pour l’historien. Cela étant, Zola n’écrit pas pour les historiens mais pour le « grand public » qui, lui aussi, est fasciné par la marchandise « facile », celle-là même qui attire la clientèle, en particulier féminine à l’époque, par l’entremise de la « réclame » des grands magasins.
Zola est effectivement de son temps : il est dans cette logique, nouvelle pour les sociétés du XIXe siècle, selon laquelle la mode se confond avec le progrès et le renouvellement permanents, cette « néophilie » dénoncée par Konrad Lorenz, et qui présente, en définitive, la consommation permanente comme l’apanage de la « femme moderne ». La modernité sans frein, la consommation sans fin, voire « sans faim »…
Ce qui peut paraître surprenant, c’est que dans le même temps, Zola dénonce l’exploitation ouvrière, celle-là même qui permet la production à bas coût de produits de plus en plus nombreux et de moins en moins chers pour les consommateurs ainsi « ferrés » : le triomphe de la compétitivité et de la logique des « profits capitalistiques » (c’est-à-dire « privatisés » pour quelques uns).
Le coût social du « Bonheur des Dames » (représentation du « Bon Marché » parisien, « le » grand magasin par excellence en 1883, date de la publication du livre) n’est pas totalement négligé mais apparaît comme une sorte de mal nécessaire à un Zola qui voit l’existence et l’extension des grands magasins comme l’affirmation d’un monde où le culte de la marchandise remplace « utilement » (y compris à travers le superflu) celui des figures du Passé, divines comme historiques, ces figures fondatrices qui doivent disparaître devant les forces nouvelles du matérialisme et de la modernité : c’était aussi l’intuition (sans regret) d’un Karl Marx.
Rêves (ou illusions ?) d’un Zola dont on aimerait savoir, un siècle après, s’il apprécierait encore ce monde né du triomphe de la « marchandise facile »…
14:52 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : zola, au bonheur des dames, grands magasins, consommation, marx, marchandise, néophilie.