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02/08/2022

Quelques leçons de l'antique Athènes (1).

 

La démocratie est née à Athènes, nous dit l’historien, et le souvenir de Périclès semble hanter ce grand mot comme il hante le nom d’Athènes même. Mythe, histoire, idéologie… : à quoi raccrocher la démocratie, et le mot qui résonne dans toutes les enceintes de la République (et au-delà, autant de celles-ci que de celle-là) a-t-il le même écho chez tous les citoyens de notre France contemporaine ? J’en doute, et cela depuis le temps de mes quinze ans. Le fort dossier de la revue Front Populaire, dossier intitulé « Mort de la démocratie. Un peuple en trop », a le mérite d’ouvrir quelques pistes de réflexion sans que l’on se sente obligé de s’accorder avec toutes. Ce qui est certain, c’est qu’elles sortent bien souvent et fort heureusement de la doxa de l’éducation nationale qui, dans ses manuels scolaires, se contente trop souvent d’un discours idéologique et moraliste plus que proprement scientifique, historiquement parlant, et philosophique : il est vrai qu’il ne s’agit pas alors de faire réfléchir mais de formater les esprits autant que possible dans un sens qui ne disconvient pas aux féodalités dominantes en notre République, mondialisée sans doute plus que trop visiblement mondialiste.

 

Athènes est-elle la mauvaise conscience de notre démocratie contemporaine ? Il n’est pas interdit de le penser quand on se rappelle que l’Union européenne a renoncé à se référer aux origines athéniennes de l’Europe dans le préambule de sa constitution, il y a presque vingt ans : ce qui pourrait sembler n’être qu’un détail sans importance est, en fait, un terrible révélateur de « l’abandon européen », de ce refus de poursuivre l’histoire ou, plutôt, la civilisation née de l’Antiquité gréco-latine et qui irrigue encore le terreau de nos cultures européennes et, au-delà, de la civilisation française elle-même, sans doute la plus aboutie des civilisations historiques du monde et pourtant fort menacée et fragilisée par la globalisation et le globalitarisme contemporains (1). En fait, la démocratie du siècle de Périclès paraît désormais presque à l’opposé des démocraties européennes dites représentatives et, par la même occasion, oligarchiques (voire ploutocratiques), ce que Michel de Jaeghere précise dans l’entretien publié par Front Populaire de cet été 2022, en faisant remonter la rupture entre les deux conceptions (athénienne ancienne et européenne contemporaine) à 1789 et à la Déclaration d’août de cette année-là, à Versailles : « (…) l’État de droit désigne, pour nous, tout autre chose [que « identifier la liberté à la primauté de la loi sur l’arbitraire »] depuis que nous avons fait entrer dans le droit positif la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : avec elle, une philosophie individualiste qui proclame que les hommes naissant libres et égaux en droit, l’individu a des droits illimités, antérieurs et supérieurs à ceux de la société, et qu’ils sont dès lors opposables à toutes les institutions, considérées par leurs cadres, leurs disciplines, leurs frontières comme ontologiquement aliénantes. » En somme, l’individualisme a perverti le sens originel athénien de la démocratie en la ramenant à la recherche de la simple satisfaction de besoins individuels, souvent égoïstes au sens premier du terme parce qu’ils se fondent sur le sentiment personnel plutôt que sur la conciliation collective et l’intégration à une société préexistante à celui qui revendique « son » droit personnel, individualisé sans forcément beaucoup d’égard pour « l’altérité » et la collectivité fondatrice et enracinée. L’individu peut devenir alors ce citoyen « incivique » qui légitimera Créon (le « pays légal ») et détestera Antigone (le « pays éternel »), celle qui croit en des valeurs supérieures à la seule légalité de « l’immédiateté démocratique » (2). Entre Créon et Antigone, mon choix ira toujours vers Antigone (3), et Charles Maurras, celui qui effraie tant les bien-pensants qui se targuent de démocratie en oubliant toute démophilie qu’ils assimilent à du populisme (4), a rappelé que c’est Créon qui est infidèle à l’esprit de la Cité et non Antigone (cette « Vierge-mère de l’ordre » comme il la nommera), pourtant condamnée légalement (comme le sera Socrate, d’ailleurs) et victime expiatoire d’un Pouvoir persuadé de son « bon droit ».

 

Comme le souligne Michel de Jaeghere : « A l’instar de l’Antigone de Sophocle, et au contraire de la quasi-totalité de nos hommes politiques, ils [les Athéniens] proclamaient qu’au-dessus des lois humaines, il y avait les lois non écrites, inébranlables, des dieux, qu’il n’appartiendrait jamais à Créon de transgresser, serait-il élu démocratiquement. Ces lois commandaient tout une part de la vie morale. Elles obligeaient à la loyauté, au respect des traités, à la piété filiale, au patriotisme, elles interdisaient le sacrilège, le viol des serments, la mise à mort d’un prisonnier, la privation de sépulture ; elles imposaient le respect de la propriété privée et celui de la vie des innocents. » En somme, la société et son harmonie (qui n’était pas toujours « facile »…) primaient, et le sort de l’individu ne pouvait se prévaloir d’une quelconque priorité sur celui de la Cité : « pas de Cité, pas de citoyens », pensaient les anciens Athéniens, qui n’oubliaient pas de préciser que la Cité, c’était les citoyens aussi, ceux du moment qui étaient les héritiers de ceux d’avant et qui devaient se placer dans « l’ordre » (la lignée, diraient certains) de leurs prédécesseurs au risque de perdre ce qui faisait la nature même de la Cité, sa liberté protectrice, son indépendance souveraine sans laquelle les citoyens du présent perdaient leurs propres libertés collectives et particulières, et celles de leur descendance. C’est aussi une leçon pour aujourd’hui, et l’histoire des derniers siècles (en particulier du XXe), qu’il convient de ne pas oublier, l’a confirmée, y compris à nos dépens : occupée, la France n’est plus libre et les Français non plus, quelles que soient les arguties politiques ou juridiques qui cherchent à montrer le contraire. Mais la nation, si l’État est prisonnier ou vassal d’un autre, peut survivre au-delà même du territoire de la patrie : d’une part par l’exil de la « part combattante et résistante » en un lieu « d’intérim territorial » (l’île de Salamine ou Londres) ; d’autre part par la résistance enracinée, principalement celle de l’esprit et du sentiment d’appartenance à une communauté historique, sur le lieu même indûment occupé par l’envahisseur. Pour cela, encore faut-il que l’individualisme n’ait pas étouffé tout esprit de liberté et de reconnaissance civique.

 

La société de consommation contemporaine semble parfois avoir transformé les citoyens en simples consommateurs-contribuables, et le sort de l’ensemble civique, de ce « Tout pluriel », peut laisser indifférents les individus « socialement désaccordés » qui se préoccupent de leur seule existence, dans une société devenue anomique et, d’une certaine manière, anonyme parce que se mondialisant au risque de perdre toute particularité essentielle. Or, le retour brutal de la guerre militaire dans notre horizon géopolitique et mental contemporain, après celui de la crudité (et de la cruauté) du terrorisme des années 2010 sur notre propre territoire (particulièrement durant les années 2015 et 2016), marque aussi le retour du questionnement sur l’appartenance à la Cité et ses conséquences, et sur la définition même de la Cité et ses formes institutionnelles, à la recherche de celles qui peuvent assurer le mieux la pérennité des populations et des patrimoines collectifs qui sont siens…

 

 

 

 (à suivre)

 

 

 

 

Notes :

 

(1) : Certains me reprocheront de trop valoriser la civilisation française (différente de ce que l’on nomme, peut-être injustement, la civilisation européenne, notion d’ailleurs en voie de disparition des manuels scolaires quand elle était encore vantée il y a moins de vingt ans sous la formule « identité de l’Europe » …), le mot civilisation lui-même ayant désormais mauvaise presse au point de ne plus être prononcé, ou presque, sur la scène publique et dans l’éducation nationale. Mais j’assume : oui, il y a une civilisation française dont les étrangers perçoivent souvent plus que nous-mêmes l’existence et les traits majeurs parfois déformés par le cinéma et les séries télévisées et, surtout, par les agences de communication chargées d’alimenter les flux touristiques de par le monde… Cette civilisation française plonge ses racines dans des univers parfois fort différents et avec des calendriers qui ne sont pas tous alignés les uns sur les autres (de l’Antiquité à nos jours), et, s’il peut y avoir un tronc commun et une sève historique que l’on peut résumer par le mot nation auquel il faudra rajouter, pour éviter toute confusion, l’adjectif française, les branches et les fleurs peuvent être de formes et de couleurs différentes sans menacer l’harmonie de l’ensemble…

 

(2) : « L’immédiateté démocratique » peut être définie comme ce paradoxe apparent d’un vote qui donne à la démocratie un « commandement », sur un temps plus ou moins long, d’une présidence ou d’une législature, fondé sur la représentativité des vainqueurs ou de la « majorité électorale » du moment (et l’abstention, elle, disparaît complétement, signifiant alors une absence « illégitime » et « illégale » dans le sens où elle ne peut fonder, par définition comme institutionnellement, aucune politique de représentation et de gouvernement) mais qui peut, pour certains, être remise en cause dès le lendemain par un autre vote ou par « l’état de l’opinion » défini ou orienté par les sondages… C’est, d’une certaine manière, une forme de mouvement permanent, d’agitation sans fin ni fond, simplement dominé par l’émotion individuelle qui cherche, parfois, à se faire collective… Les réseaux sociaux, s’ils peuvent illustrer cette « immédiateté » et cette agitation permanente, ne font que reprendre, sans doute en moins tragique, le « mouvementisme » de la période de la Révolution française qui vit valser gouvernements et têtes en un temps vif et court (de l’été 1792 à l’été 1794 pour les secondes plus encore que pour les premiers ; de l’été 1794 à l’automne 1799 pour les premiers plus que pour les secondes…).

 

(3) : En fait, est-il si facile de savoir distinguer entre Créon et Antigone, selon les époques et les circonstances ? Maurras lui-même, malgré toute sa raison raisonnante et son nationalisme raisonné, confondra Pétain avec Antigone et verra en de Gaulle, qu’il avait pourtant encensé quelques temps auparavant (en particulier au début juin 1940, dans les colonnes de l’Action française), une sorte de Créon continuateur de cette Troisième République qui avait mené la France à la catastrophe et un « diviseur » : une erreur incompréhensible pour qui lit la collection de l’AF d’avant cette date funeste.

Cette difficulté (et ces problèmes de conscience que l’on ne peut méconnaître, non pour excuser mais pour saisir toute l’humanité terrible du choix… et des erreurs, l’homme étant, par nature, faillible !) à savoir reconnaître Antigone et Créon rappelle aussi les propos que l’on prête au gouverneur de Launay, en charge de la vieille forteresse médiévale de la Bastille au 14 juillet 1789, propos dans lesquels il avoue son désarroi sur ce qu’il devrait faire, selon les devoirs liés à sa fonction d’officier du roi…

 

(4) : La démophilie, c’est, littéralement, « l’amour du peuple », l’amour que l’on porte à lui non par démagogie mais par charité sociale et convivialité, et par le désir de sa pérennité et de le servir, y compris au-delà de ses propres volontés suicidaires s’il en a. Quand la démocratie contemporaine fait du peuple le souverain, elle n’en est pas amoureuse ni même amie, mais elle lui fait juste la cour le temps d’une campagne électorale pour qu’il lui donne les clés du pouvoir que les élus exerceront en son nom, mais en toute indépendance de celui-ci, les révolutionnaires français de 1789 ayant pris bien soin d’interdire dès l’été de cette année-là le mandat impératif…

 

 

 

24/04/2022

La République désunie et l'élection désacralisée.

 

Evidemment, ce dimanche n’est pas totalement comme les autres : ce second tour de l’élection présidentielle monopolise toutes les attentions médiatiques, mais ne semble pas vraiment intéresser mes voisins de café, pressés de se débarrasser de leur devoir électoral et (en même temps) sans empressement, quel que soit leur vote respectif, d’entendre le résultat final. L’indifférence a remplacé, non le civisme (les électeurs vont voter, quand même, du moins là où j’habite), mais l’intérêt pour l’élection du jour. Bien sûr, ce n’est pas le cas partout, loin de là, et les réseaux sociaux bruissent de rumeurs, de peurs, de conseils martiaux, et de mille illusions d’un côté, de mille renoncements de l’autre. J’avoue ne pas m’être senti motivé par une campagne de second tour qui a été dominée par le mécanisme de « rejet contre rejet », et non de « projet contre projet » comme c’était souvent le cas avant 2002.

 

De plus en plus, je crois que le système de l’élection présidentielle au suffrage universel direct n’est plus approprié à ce qu’est devenu, désormais, le débat politique, et qu’il n’est plus vraiment ce que le général de Gaulle avait voulu en faire, « la rencontre d’un homme et du peuple ». Il y avait un reste de monarchie dans les joutes présidentielles des années 1960-90 : non dans le combat mais dans son acte final, l’huile sainte et le consentement des Grands sous Hugues Capet juste remplacés par l’annonce de la « mort » du président précédent (« le Président ne l’est plus ») qui, parfois, renaissait par lui-même (« le Président est élu »), par la volonté des suffrages majoritaires qui effaçaient, comme par magie, ceux qui n’étaient « que » minoritaires. Si, durant la campagne d’entre-deux-tours, le pays se divisait en soutiens de l’un ou de l’autre, lorsque sonnait la dernière heure de l’élection à la magistrature suprême de l’Etat, et comme lors d’une sorte de « combat des chefs à la loyale », les candidats et leurs électeurs (et même largement au-delà) reconnaissaient la noblesse de la fonction convoitée et s’inclinaient, pour le perdant et ses partisans, devant le sort des urnes, transformant la victoire électorale en une forme de sacre institutionnel. Créon n’était pas Antigone, mais « l’élu » disposait d’une sorte d’état de grâce tout en étant désormais le seul à en avoir le « droit », héritage historique de l’ancien droit royal symbolisé par la main de justice… Bien sûr, les royalistes « hors-système » de l’époque étaient plus « réservés », rappelant que, malgré les apparences régaliennes, Créon n’était pas Antigone et que la République ne pouvait être confondue avec la Monarchie royale

 

Ce temps me semble bien révolu, et la République n’a plus cette « sacralité » qu’elle avait héritée, pas si étrangement que cela en fait, de l’ancienne Monarchie capétienne à cause de la personnalité particulière du fondateur de la Cinquième République et à sa légitimité qui, à l’origine, n’était pas vraiment issue du suffrage universel ni de la légalité républicaine… Désormais, l’élu du soir n’est souvent que l’élu du désespoir, ou de la peur des uns contre les autres. Il est possible de le regretter, mais c’est ainsi. Cela ne me donne que plus de raisons encore d’en appeler à une magistrature suprême qui fédère les différences plutôt que de les monter les unes contre les autres : en somme, une Monarchie royale capable d’incarner l’unité française sans étouffer les dissemblances. Assembler pour bâtir plutôt que diviser pour régner : n’est-ce pas le sens réel de la Monarchie royale et son devoir historique pour les temps de son retour et de son enracinement, temps encore trop lointains pour une Monarchie, elle, toujours et plus encore maintenant nécessaire ?

 

 

15/01/2018

Pour le droit de grève, malgré tout.

Je n'ai jamais beaucoup aimé les grèves, je l'avoue, même s'il m'est arrivé, à deux reprises dans ma carrière de professeur (carrière débutée en 1991), de la pratiquer, la première fois pour protester contre l'agression d'une collègue au collège Jean-Vilar des Mureaux, en juin 1996, et la deuxième fois pour manifester contre le ministre socialiste Claude Allègre, sous le gouvernement Jospin. A chaque fois, la grève me semblait justifiée et, au-delà de sa légitimité, utile. Mais, depuis une quinzaine d'années, je n'ai plus jamais réutilisé ce moyen d'action, même si les raisons de mécontentement n'ont pas manqué depuis le début des années 2000. En fait, l'attitude trop souvent hypocrite des syndicats et la très nette et forte impression que la grève était devenue pour eux une facilité plutôt qu'une stratégie mûrement réfléchie m'ont préservé de cette tentation.

 

Pour autant, je suis attaché à l'existence et à la possibilité d'exercer ce droit, restauré dans le Droit français sous Napoléon III, même s'il me semble qu'il devrait être un « dernier recours » après un temps de discussion et de négociation entre partenaires sociaux : le droit de grève serait d'autant plus légitime s'il s'accompagnait d'un devoir de responsabilité. J'ai d'ailleurs pu constater que c'est son usage mesuré et presque solennel quand elle est rare qui fait sa reconnaissance dans l'opinion publique et son efficacité face à l'adversité, qu'elle soit gouvernementale ou patronale. L'exemple qui me vient à l'esprit est celui des professeurs de classes préparatoires, généralement peu enclins à de telles « extrémités », qui, par le déclenchement d'un vaste mouvement de grève contre les projets néfastes de M. Peillon, en 2013, ont fait reculer le gouvernement Ayrault en quelques jours... Tandis, qu'à l'inverse, la répétition presque rituelle de grèves de fonctionnaires ces dernières années (voire décennies), n'ont abouti qu'à desservir la cause de ceux-ci et accroître leur impopularité parmi les contribuables-électeurs.

 

Or, si le droit de grève n'est pas remis en cause en France, du moins pas explicitement, Le Figaro économie du samedi 13-dimanche 14 janvier 2018 nous apprend que le gouvernement grec s'apprête à franchir le pas, ce qui peut paraître surprenant pour des ministres qui se réclamaient (ou étaient présentés par les médias européens), il y a peu encore (du moins avant juillet 2015), de la « gauche radicale » et qui sont soutenus par... L'Humanité ! Ainsi, « la Vouli, le Parlement, s'apprête à adopter une réforme du droit de grève, imposée explicitement par les bailleurs de fonds du pays. » Mais qui sont ces bailleurs de fonds de la Grèce, si ce ne sont les États de l'Union européenne et leurs institutions financières et bancaires ? Les mêmes qui, depuis plusieurs années, ont épuisé les Grecs de leurs oukases et de ce libéralisme qui oublie les hommes pour ne penser qu'en termes d'économies et de compétitivité... Ceux qui ont pris en otage un pays entier au nom de dettes que, jamais, les générations grecques contemporaines ne pourront rembourser malgré tous leurs efforts et sacrifices. Des bailleurs qui exigent cette réforme avant d'accepter le versement de quelques milliards à la Grèce, non pour les Grecs eux-mêmes, mais pour leurs créanciers... Ah, que n'y a-t-il eu un « Solon » pour appliquer une nouvelle Seisachtheia (littéralement la remise du fardeau, c'est-à-dire l'abolition des dettes) et permettre la remise à flot du pays sur de nouvelles bases, moins « consommatoristes » et plus solidaires ! Le courage a manqué à M. Tsipras, devenu désormais, selon ses adversaires, le « valet des créanciers » et le « commis de Bruxelles », celui qui, désormais, doit faire « le sale boulot », sans que l'histoire lui en soit, demain, redevable : il est Créon alors qu'il aurait pu être Antigone, et il est le meilleur argument des libéraux et des européistes qui reprennent en chœur la sinistre formule de Margaret Thatcher : « There is no alternative » (Il n'y a pas d'alternative, sous entendu : à la politique libérale et à ses conséquences sociales...).

 

« Désormais, une grève, pour pouvoir se tenir, devra être votée par 50 % de personnes membres d'un syndicat et à jour de leurs cotisations, contre 20 % actuellement. « C'est une atteinte à la liberté d'expression, à un droit acquis pour lequel nos parents se sont battus », protestent les manifestants en colère. (…) « C'est un droit inaliénable, c'est la seule arme de l'employé face à l'injustice », avance Théodore Fortsakis, député conservateur de Nouvelle Démocratie. » Il est bien certain que si de telles conditions étaient édictées en France, il n'y aurait plus aucune grève qui puisse être considérée comme légale, ni aucune grève possible, tout simplement... C'est sans doute le rêve de certains libéraux qui regrettent, sans le savoir, la loi révolutionnaire du député rennais (hélas !) Isaac Le Chapelier, loi de juin 1791 qui, au nom de « la Liberté du travail », interdisait toute association ouvrière et toute grève, criminalisées l'une et l'autre par principe : triomphe des « capitalistes » (le terme existait-il à l'époque ?) contre lequel les royalistes sociaux du XIXe siècle ne cessèrent de combattre, souvent et longtemps en vain.

 

Ce qui peut paraître surprenant aussi dans cette affaire, c'est le lourd silence des sociaux-démocrates européens qui, ainsi, semblent approuver cette limitation du droit de grève. Mais, est-ce si étonnant, en définitive ? Ce sont souvent les progressistes, ou déclarés tels, qui ont détruit les traditions et les protections corporatives et ouvrières, au nom même, disaient-ils, de « l'intérêt bien compris » des classes populaires.

 

Bien sûr, les grèves sont parfois, en Grèce comme ailleurs, un moyen pour les partis d'agitation de faire parler d'eux, au risque de desservir l'économie du pays et d'affaiblir ses forces vives, et il ne s'agit pas, encore une fois, de vanter les mérites de la grève, ce dont je serai bien incapable et qui ne me semble pas forcément souhaitable comme je l'ai dit plus haut, sauf en des cas de nécessité sociale et de dénonciation d'une injustice flagrante dont la définition et la délimitation peuvent varier selon les circonstances. Mais ôter aux salariés la possibilité de cesser temporairement et librement le travail, ce moyen de faire entendre leur désarroi ou leur colère, ne me semble ni juste ni souhaitable, que cela soit en Grèce ou ailleurs.