Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/12/2020

De la crise sanitaire au combat royaliste...

 

La crise sanitaire n’en finit pas, et elle occupe tous les médias, au risque d’occulter nombre de sujets qui, pourtant, méritent attention aujourd’hui pour penser demain. Mais, au-delà, elle a changé aussi les rapports sociaux et les activités, autant socio-professionnelles que familiales et conviviales. Il n’est pas certain que la sociabilité y ait gagné, loin de là, et, contrairement à ce qui aurait pu être espéré, l’esprit de solidarité n’a pas progressé, mais bien plutôt un « individualisme sanitaire » qui se mue, parfois, en peur de l’autre, sous le couvert (le terme « alibi » serait plus exact) d’un altruisme « protecteur des autres » qui, malheureusement, n’est pas toujours très franc. Le discours des uns est souvent l’alibi des autres pour se replier dans une forme de cocon individuel et fort peu solidaire. J’ai pu le constater dans nombre de débats initiés depuis le printemps et, plus encore, depuis l’automne et le retour des mesures de confinement et de fermeture des commerces et des lieux de restauration, toujours fermés en ces temps de fêtes de la Nativité et de la Nouvelle Année. Mais ce que je dis là peut être heureusement complété et nuancé par le fait que les dons aux associations caritatives ne baissent pas, voire augmentent, ce qui est une très bonne chose en ces temps de poussée de nouvelles précarités et misères sociales. D’autre part, les mécanismes de solidarité nationale mis en place pour les professions et établissements fermés, pour insuffisants qu’ils puissent paraître, ont au moins le mérite d’exister, et cela même s’ils ne sont qu’un pis-aller et qu’ils aggravent une dette publique et des dettes privées qu’il faudra, sans doute, rembourser d’une manière ou d’une autre, à défaut d’une seisachtheia (1) que la mondialisation, par son principe même, empêche ou limite très fortement (2).

 

Cette crise sanitaire, dans laquelle nous sommes et qui semble sans fin (n’est-ce qu’une impression ?), doit nous inciter à la réflexion et, au-delà, à la réfection d’une société dont les liens anthropiques « naturels » et conviviaux sont aujourd’hui largement distendus ou réduits à des interactions numériques (télétravail, commerce électronique, réseaux « sociaux »…) qui ne sont pas vraiment satisfaisantes pour qui considère la société comme un ensemble de personnes reconnues pour ce qu’elles sont dans un cadre spatio-culturel et historique, et non comme une nuée d’individus interchangeables et déracinés. Car, au-delà de la crise du coronavirus, c’est bien d’une crise de civilisation dont il s’agit, et le méconnaître serait, non plus une erreur, mais une faute qui engagerait les générations futures et les siècles prochains. Mais, s’il faut penser en termes de civilisation, il ne sera pas pour autant possible de négliger le politique et la question de l’Etat, car, s’il n’est pas le tout d’une civilisation (les maoïstes des années 70 se sont trompés : non, tout n’est pas politique !), il est le moyen d’agir sur les grandes orientations civilisationnelles : les civilisations grecques ou romaines auraient-elles pu s’imposer avant de perdurer au-delà de la disparition de leur puissance si la force politique et militaire de leurs cités respectives n’avaient pas d’abord été victorieuses et institutionnellement construites et incarnées ? En ce sens, le « Politique d’abord » de Maurras est plus que jamais d’actualité, et la question institutionnelle tout aussi urgente : méconnaître ses aspects-là serait s’empêcher de penser efficacement et concrètement le combat civilisationnel.

 

Dans cette perspective, il nous faut comprendre que le combat civilisationnel porté par un Bernanos se combine utilement avec le combat institutionnel de Maurras : que, malgré leurs profondes divergences sur « l’ordre et la liberté » et leurs polémiques terribles des années 1930-1940, tous les deux se retrouvent sur la nécessité de la Monarchie royale n’est pas vraiment un hasard. Leur « concordance monarchiste » doit nous faire réfléchir aux formes multiples du combat royaliste qui, en définitive, se conjugue bien plutôt au pluriel qu’en un réducteur singulier…

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

Notes : (1) : La seisachtheia est un terme issu de l’histoire de l’antiquité grecque et qui signifie « la remise du fardeau », c’est-à-dire l’abolition des dettes, telle que celle effectuée par Solon au Ve siècle avant Jésus-Christ et qui a permis, en fait, de préparer le développement et la prospérité économique d’Athènes…

 

(2) ce qui ne signifie pas qu’une certaine seisachtheia, bien travaillée et préparée de façon à être efficace et productive (sans oublier d’être socialement juste) soit impossible ou néfaste : la réflexion sur ce sujet mérite aussi d’être posée.

15/01/2018

Pour le droit de grève, malgré tout.

Je n'ai jamais beaucoup aimé les grèves, je l'avoue, même s'il m'est arrivé, à deux reprises dans ma carrière de professeur (carrière débutée en 1991), de la pratiquer, la première fois pour protester contre l'agression d'une collègue au collège Jean-Vilar des Mureaux, en juin 1996, et la deuxième fois pour manifester contre le ministre socialiste Claude Allègre, sous le gouvernement Jospin. A chaque fois, la grève me semblait justifiée et, au-delà de sa légitimité, utile. Mais, depuis une quinzaine d'années, je n'ai plus jamais réutilisé ce moyen d'action, même si les raisons de mécontentement n'ont pas manqué depuis le début des années 2000. En fait, l'attitude trop souvent hypocrite des syndicats et la très nette et forte impression que la grève était devenue pour eux une facilité plutôt qu'une stratégie mûrement réfléchie m'ont préservé de cette tentation.

 

Pour autant, je suis attaché à l'existence et à la possibilité d'exercer ce droit, restauré dans le Droit français sous Napoléon III, même s'il me semble qu'il devrait être un « dernier recours » après un temps de discussion et de négociation entre partenaires sociaux : le droit de grève serait d'autant plus légitime s'il s'accompagnait d'un devoir de responsabilité. J'ai d'ailleurs pu constater que c'est son usage mesuré et presque solennel quand elle est rare qui fait sa reconnaissance dans l'opinion publique et son efficacité face à l'adversité, qu'elle soit gouvernementale ou patronale. L'exemple qui me vient à l'esprit est celui des professeurs de classes préparatoires, généralement peu enclins à de telles « extrémités », qui, par le déclenchement d'un vaste mouvement de grève contre les projets néfastes de M. Peillon, en 2013, ont fait reculer le gouvernement Ayrault en quelques jours... Tandis, qu'à l'inverse, la répétition presque rituelle de grèves de fonctionnaires ces dernières années (voire décennies), n'ont abouti qu'à desservir la cause de ceux-ci et accroître leur impopularité parmi les contribuables-électeurs.

 

Or, si le droit de grève n'est pas remis en cause en France, du moins pas explicitement, Le Figaro économie du samedi 13-dimanche 14 janvier 2018 nous apprend que le gouvernement grec s'apprête à franchir le pas, ce qui peut paraître surprenant pour des ministres qui se réclamaient (ou étaient présentés par les médias européens), il y a peu encore (du moins avant juillet 2015), de la « gauche radicale » et qui sont soutenus par... L'Humanité ! Ainsi, « la Vouli, le Parlement, s'apprête à adopter une réforme du droit de grève, imposée explicitement par les bailleurs de fonds du pays. » Mais qui sont ces bailleurs de fonds de la Grèce, si ce ne sont les États de l'Union européenne et leurs institutions financières et bancaires ? Les mêmes qui, depuis plusieurs années, ont épuisé les Grecs de leurs oukases et de ce libéralisme qui oublie les hommes pour ne penser qu'en termes d'économies et de compétitivité... Ceux qui ont pris en otage un pays entier au nom de dettes que, jamais, les générations grecques contemporaines ne pourront rembourser malgré tous leurs efforts et sacrifices. Des bailleurs qui exigent cette réforme avant d'accepter le versement de quelques milliards à la Grèce, non pour les Grecs eux-mêmes, mais pour leurs créanciers... Ah, que n'y a-t-il eu un « Solon » pour appliquer une nouvelle Seisachtheia (littéralement la remise du fardeau, c'est-à-dire l'abolition des dettes) et permettre la remise à flot du pays sur de nouvelles bases, moins « consommatoristes » et plus solidaires ! Le courage a manqué à M. Tsipras, devenu désormais, selon ses adversaires, le « valet des créanciers » et le « commis de Bruxelles », celui qui, désormais, doit faire « le sale boulot », sans que l'histoire lui en soit, demain, redevable : il est Créon alors qu'il aurait pu être Antigone, et il est le meilleur argument des libéraux et des européistes qui reprennent en chœur la sinistre formule de Margaret Thatcher : « There is no alternative » (Il n'y a pas d'alternative, sous entendu : à la politique libérale et à ses conséquences sociales...).

 

« Désormais, une grève, pour pouvoir se tenir, devra être votée par 50 % de personnes membres d'un syndicat et à jour de leurs cotisations, contre 20 % actuellement. « C'est une atteinte à la liberté d'expression, à un droit acquis pour lequel nos parents se sont battus », protestent les manifestants en colère. (…) « C'est un droit inaliénable, c'est la seule arme de l'employé face à l'injustice », avance Théodore Fortsakis, député conservateur de Nouvelle Démocratie. » Il est bien certain que si de telles conditions étaient édictées en France, il n'y aurait plus aucune grève qui puisse être considérée comme légale, ni aucune grève possible, tout simplement... C'est sans doute le rêve de certains libéraux qui regrettent, sans le savoir, la loi révolutionnaire du député rennais (hélas !) Isaac Le Chapelier, loi de juin 1791 qui, au nom de « la Liberté du travail », interdisait toute association ouvrière et toute grève, criminalisées l'une et l'autre par principe : triomphe des « capitalistes » (le terme existait-il à l'époque ?) contre lequel les royalistes sociaux du XIXe siècle ne cessèrent de combattre, souvent et longtemps en vain.

 

Ce qui peut paraître surprenant aussi dans cette affaire, c'est le lourd silence des sociaux-démocrates européens qui, ainsi, semblent approuver cette limitation du droit de grève. Mais, est-ce si étonnant, en définitive ? Ce sont souvent les progressistes, ou déclarés tels, qui ont détruit les traditions et les protections corporatives et ouvrières, au nom même, disaient-ils, de « l'intérêt bien compris » des classes populaires.

 

Bien sûr, les grèves sont parfois, en Grèce comme ailleurs, un moyen pour les partis d'agitation de faire parler d'eux, au risque de desservir l'économie du pays et d'affaiblir ses forces vives, et il ne s'agit pas, encore une fois, de vanter les mérites de la grève, ce dont je serai bien incapable et qui ne me semble pas forcément souhaitable comme je l'ai dit plus haut, sauf en des cas de nécessité sociale et de dénonciation d'une injustice flagrante dont la définition et la délimitation peuvent varier selon les circonstances. Mais ôter aux salariés la possibilité de cesser temporairement et librement le travail, ce moyen de faire entendre leur désarroi ou leur colère, ne me semble ni juste ni souhaitable, que cela soit en Grèce ou ailleurs.

 

 

30/06/2015

Qui est responsable de la crise grecque ?

La tragédie grecque est aussi une tragédie de l'Europe, au-delà même de la zone euro et de l'Union européenne, et elle engage bien au-delà de l'Attique... Mais ce qui me marque, en ce moment délicat, c'est l'hellénophobie délirante des médias français et cette eurofolie qui semble brouiller les esprits, au risque de ne rien comprendre à la situation et, encore plus grave, à celui de ne pas pouvoir intelligemment répondre aux défis économiques, sociaux et politiques du continent européen d'aujourd'hui comme de demain. Le ressentiment des européistes à l'égard des Grecs, déclarés coupables de tous les maux de la terre et de la galaxie, entraîne parfois des réactions outrancières, comme j'ai pu le constater de visu dans certains débats télévisés sur des chaînes d'information continue, en particulier économique, et les Grecs, en tant que personnes, faillibles et souffrantes, sont oubliés, ou méprisés et insultés : où sont passés les grands sentiments et les valeurs que sont supposés porter la construction européenne, en particulier celles de solidarité et, au moins, de concorde ?

Dans ce vaste défoulement des européistes furieux que la réalité leur présente une note salée et qu'elle ne veuille pas s'incliner devant l'idéologie, la voix du journaliste Renaud Girard, ce mardi 30 juin dans les colonnes du Figaro, détonne sacrément et remet quelques pendules à l'heure, sans pour autant verser dans le pro-hellénisme : le titre même de l'article (« Crise grecque : des torts très partagés ! ») annonce une couleur bien différente des propos d'un Nicolas Sarkozy arrogant et oublieux de toute mesure politique.

Renaud Girard cultive, sur cette question, une mémoire qui manque cruellement, en fait, aux politiciens comme aux experts autoproclamés de l'économie, quand il rappelle que, si nous en sommes là, ce n'est pas seulement à cause des défauts connus et déjà anciens de la Grèce, entre « clientélisme politique ayant abouti à une fonction publique pléthorique » (comme en république française ?) et « fraudes massives aux subventions européennes, démagogie des dirigeants politiques » (comme dans la plupart des démocraties européennes, ainsi que le soulignait ironiquement un commentateur politique...), mais aussi à cause de la pusillanimité et de la lâcheté (de la compromission ?) de certaines autorités européennes, économiques comme politiques, entre autres...

« Première question : qui a accordé à la Grèce le diplôme de bonne gestion économique et comptable indispensable à l'entrée dans ce club de l'Eurogroupe ? (…) En 2001, la Commission européenne a émis un avis favorable à ce que la Grèce soit ajoutée à cette liste [celle des États répondant aux critères pour appartenir à la zone euro]. Les comptes publics fournis par Athènes n'étaient pas véridiques. Pourquoi les hauts fonctionnaires de la Commission ne s'en sont-ils pas aperçus ? Par paresse, par incompétence, pour répondre à une pression politique du Conseil européen ? Pourquoi les banques d'affaires qui ont aidé le gouvernement grec à présenter ces comptes maquillés n'ont-elles jamais été inquiétées, voire interdites d'exercice sur le territoire de l'Union européenne ? » Quelques bonnes questions qui méritent effectivement d'être posées, même si la Commission européenne nous a habitués à ne jamais répondre aux questions qui lui semblent gênantes.

« De 2001 à 2009, la Grèce s'est littéralement goinfrée de prêts internationaux, car elle n'avait jamais, de son histoire, connu des taux d'intérêt aussi bas. La Commission et le Conseil européen ont agi comme une municipalité qui aurait confié un débit de boissons à un alcoolique. Mais le pire est arrivé après, lorsque le commissaire de police du quartier n'est pas intervenu pour faire cesser cette atteinte manifeste à l'ordre public. Le flic, c'est bien sûr la Banque centrale européenne. Son gigantesque gratte-ciel de Francfort regorge d'experts. Que n'ont-ils alerté le monde entier sur la baisse continue de la compétitivité des entreprises grecques et sur un endettement en train de devenir fou ? Pourquoi le gouverneur Jean-Claude Trichet passait-il son temps à brandir un très hypothétique retour de l'inflation en Europe, au lieu d'exiger des mesures d'assainissement contre la Grèce ? La BCE n'a même pas cherché à tarir le flot d'euros se déversant sur la Grèce. Elle est coupable du délit qu'on appelle « soutien abusif » en droit pénal des affaires. La BCE n'est pas entièrement responsable du passif de la Grèce, mais elle l'est partiellement. » Or, les institutions de l'Union européenne, coresponsables du désastre financier de la Grèce, ne se remettent jamais en question, préférant la routine de l'idéologie et le chantage permanent, au risque de soulever un véritable euroscepticisme parmi les peuples de l'UE, d'autant plus que ceux-ci apparaissent trop souvent comme les variables d'ajustement des politiques financières et économiques décidées à Bruxelles ou à Francfort, voire à Berlin...

« De 2010 à 2012 s'effectua le déménagement de la dette grecque, depuis les banques privées vers des institutions publiques. Puis, en 2012, la troïka des créanciers (BCE, FMI, Commission) imposa un tel programme d'austérité à la Grèce que son PIB chuta d'un quart. Comment rembourser une dette gigantesque quand on ne cesse de s'appauvrir ? En fait, à partir de 2010, nous avons mis en place un mécanisme de prêt perpétuel à la Grèce pour éviter son défaut : on lui prête pour qu'elle puisse rembourser la prochaine tranche, et ainsi de suite. (…) Le moralisme tardif, en économie, peut être dangereux : la punition de la Grèce en 2012 s'est révélée aussi contre-productive que celle de Lehmann Brothers en 2008. » Et c'est ainsi que, après tant d'efforts demandés à un peuple grec qui ne voit jamais, désormais, le bout du tunnel, celui-ci s'en est remis à de « nouvelles têtes », autour du groupe de gauche radicale Siriza et de ses alliés souverainistes de droite, et que, après un bras de fer avec ses créanciers qui, à l'heure actuelle, n'est toujours pas fini, la Grèce est devenue « le » problème majeur d'une Union européenne qui, pourtant, n'en manque pas par ailleurs...

Alors que faire, maintenant, au-delà des menaces des créanciers internationaux et des institutions européennes, et des blocages actuels ? Depuis plusieurs années, et il suffit de relire quelques-uns de mes articles parus sur ce site, je prône la politique de Solon, cette Seisachtheia qui a permis à Athènes de devenir la puissance commerciale et économique de la Méditerranée antique, il y a 2.500 ans, cette « remise du fardeau » que Renaud Girard, à son tour et raisonnablement, propose dans Le Figaro : « La seule solution est d'annuler dès maintenant la dette grecque (qui ne sera de toute façon jamais remboursée), tout en exigeant désormais un excédent budgétaire systématique du gouvernement d'Athènes », ce qui n'est pas un objectif inatteignable, loin de là, si l’État grec poursuit quelques-uns des efforts budgétaires des dernières années et, même, de ces derniers mois, et si celui-ci se renforce fiscalement et politiquement pour « être un État digne de ce nom et de cette fonction »...

La Seisachtheia, maintenant, plutôt que l'écrasement du peuple grec par l'Argent devenu fou et inhumain... Mais c'est aussi une occasion pour changer de politique économique (et sociale !) en Europe, et repenser la mondialisation, voire à la dépasser...