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08/12/2021

La France et l'Europe : le "Que faire ?" de Jacques Julliard. Partie 2 : La fin de l'espérance européenne ?

 

L’Union européenne se signale aujourd’hui par une impuissance qui pourrait faire penser à son inexistence pure et simple, s’il n’y avait un drapeau, une monnaie unique et des discours qui font à peine frémir ce grand corps inerte : « L’Europe va-t-elle sortir de l’histoire ? », comme Jacques Julliard en évoque, crûment et de la manière la plus simple, la possibilité ? Le constat est dur, amer pour celui qui a été, un temps, un ardent partisan de cette construction européenne qui, désormais, s’apparente plutôt à une « déconstruction » de l’intérieur : « Pour la plupart de ses habitants, elle n’est plus une espérance, mais une vieille habitude. Si elle disparaissait dans la nuit, qui donc, en dehors de Bruxelles, s’en apercevrait au matin ? ». Je me souviens du printemps 1979, lors de la campagne pour la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct : de grandes affiches de Folon évoquaient l’envol de l’Europe mais, de façon assez prophétique, l’être qui s’envolait ainsi avait des bras-ailes beaucoup trop grands et ils ressemblait plutôt à un ptéranodon, ce reptile volant de la préhistoire d’une envergure de 9 mètres, immense planeur qui ne se risquait pas trop à s’aventurer sur la terre ferme car il était alors une proie facile pour de nombreux prédateurs… Visiblement, « l’espoir européen » s’est cassé la figure, et depuis très longtemps ! Autre souvenir, de la même époque : les partisans du Parti des Forces Nouvelles (classé à l’extrême-droite par les médias) avaient publié une belle affiche clamant « victoire pour l’Europe » illustrée de la statue de la Victoire de Samothrace : sans tête, donc… Là encore, difficile, quatre décennies après, de ne pas y voir un de ces intersignes chers à Léon Daudet !

 

Malgré tout, l’espérance était là, et cela même si les gaullistes et les royalistes (de l’Action Française comme de la Nouvelle Action Royaliste) apparaissaient beaucoup plus circonspects, voire franchement hostiles à ce que dénonçait avec force Pierre Pujo (directeur de l’hebdomadaire maurrassien Aspects de la France de 1966 à sa mort, en 2007) sous la formule « Europe supranationale ». Mais, cette opposition restait marginale et trop peu écoutée, et la liste chiraquienne aux élections européennes de 1979 n’obtint qu’un score de 16 % des suffrages exprimés quand le Parti Communiste, aussi peu favorable (mais pour des raisons bien différentes) à cette construction européenne « capitaliste », en obtint 4 de plus. Les partis « européistes », dont M. Julliard était un soutien à travers son vote socialiste de l’époque, parurent alors l’emporter, et l’abstention restait minoritaire alors, à 39 % quand elle atteint, quarante ans après, 50 % après avoir culminé à 60 % en 2009… Mais la « forfaiture démocratique » intervenue au début de la présidence de M. Sarkozy, c’est-à-dire l’approbation presque unanime par le Parlement français d’un traité constitutionnel que les électeurs avaient rejeté trois ans auparavant en 2005 à près de 55 %, a sans doute « tué » l’espérance européenne, à moins que cela ne soit « l’éclatement diplomatique » de 2003 quand la France n’a pu rallier la majorité des pays de l’Union européenne à sa position (partagée par l’Allemagne de M. Schröder et la Russie de M. Poutine) de refus de l’intervention états-unienne en Irak, intervention qui fut, l’on s’en souvient, le « succès » (sic !) que l’on sait… Dans la salle des professeurs de mon lycée, un de mes collègues, géographe émérite et bon connaisseur des relations internationales et de la Construction européenne, avoua à haute voix son désarroi et annonça alors la « mort de l’Union européenne » en tant qu’espérance et que potentielle puissance. Seule la France avait eu l’audace de prôner l’idée et l’intention d’une « Europe-puissance » que nombre des capitales de l’Union ne prirent même pas la peine de traduire dans leurs langues respectives… Le rêve d’une alternative européenne à l’hégémonie états-unienne s’évanouit alors, et les dernières déclarations du secrétaire général de l’Otan, M. Jens Stoltenberg, semblent le dissiper définitivement, en expliquant en octobre dernier que « toute tentative d’affaiblir le lien transatlantique en créant des structures alternatives (…) va non seulement affaiblir l’Otan, mais (…) va diviser l’Europe » et qu’il ne croyait pas (comprendre : ne souhaitait pas…) « aux efforts pour créer quelque chose en dehors du cadre de l’Otan, ou pour concurrencer ou dupliquer l’Otan ». En somme, les pays de l’Union européenne ne doivent ni espérer ni même penser à une Défense propre de l’UE par ses propres forces militaires locales, et doivent accepter « pour leur bien » cette entière vassalisation aux Etats-Unis, les soldats des pays d’Europe étant appelés à servir « l’ost » otanien sous suzeraineté de Washington… Cela aurait dû faire bondir ceux qui parlent de « l’Europe » à tout bout de champ comme de notre seul horizon institutionnel et géopolitique possible : mais rien ne vint, rien ne vient de leur part, comme d’habitude en fait !

 

Si, comme l’évoque M. Julliard, l’espérance a disparu au profit de l’habitude, alors le sort de l’Union européenne est scellé : rien ne se fait sans un minimum de passion, au-delà même de la raison nécessaire pour la canaliser et, sans sentiment à son égard, c’est bien l’indifférence qui, insidieusement, mine tout l’édifice institutionnel et, au-delà, les fondations mêmes, historiques, littéraires et sentimentales de l’Europe millénaire, non pas ensemble administratif mais terres (au pluriel) de civilisations et de cultures, d’esprits et d’âmes au sens fort du terme, cet ensemble dont les frontières restent parfois bien difficiles à cerner et à définir. Mais, l’Union européenne est-elle encore cette espérance européenne dont rêvait, hier, M. Julliard ? A le lire, il est possible d’en douter. En fait, l’Union européenne est effectivement devenue une habitude, mais elle n’apparaît pas (ou plus ?) comme une évidence « naturelle » : le départ du Royaume-Uni ; le refus persistant d’entrer dans l’Union, régulièrement rappelé par les opinions publiques de pays comme la Suisse et la Norvège ; l’absence d’une unité (d’une identité ?) discernable ou définissable… tout cela (et beaucoup d’autres éléments) illustre cette absence d’espérance, autant pour aujourd’hui que pour le lendemain. Autant les nations sont visibles, intelligibles et sensibles, autant « l’Europe de Bruxelles » (dont le portefeuille est à Francfort et le téléphone à Berlin) n’évoque rien au cœur des Européens et encore moins, politiquement parlant, aux yeux de ses partenaires, concurrents ou (et ?) adversaires. Julliard en fait, d’une certaine manière, le constat : « (…) Les Européens convaincus confessent, au vu de ce qu’elle fait, et surtout de ce qu’elle ne fait pas, qu’elle n’est pas vraiment digne des espoirs qu’on avait mis en elle et des sacrifices qu’on lui avait consentis ». Qui, aujourd’hui, serait prêt à « mourir pour l’Europe » ? Comme disait un slogan issu de Mai 68, « on n’est pas amoureux d’un taux de croissance », et pas plus d’un « ensemble de bureaux », quels que puissent être ses moquettes et son papier peint étoilé…

 

Le « désamour européen » est-il, au regard des réalités tristes et conformistes de cette Union sans grandeur et sans destin, une si mauvaise nouvelle que cela ? En fait, tout dépend évidemment de ce que l’on entend par « Europe », et si ce désamour ne s’applique qu’à la « superstructure de l’UE », à ce qu’il n’est pas incorrect de baptiser de la formule « Europe légale », c’est même une bonne nouvelle ! Que l’illusion européiste se dissipe enfin, au moins aux yeux de quelques « éveilleurs de conscience » comme M. Julliard, cela me sied. Pour autant, prenons garde de ne pas lâcher la proie pour l’ombre : une critique de l’Union européenne actuelle qui ne serait pas motivée et qui se contenterait d’être une simple manifestation de nihilisme « anti-européen » serait encore plus dangereuse pour l’avenir de nos nations et de ce que nous aimons.

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

20/07/2015

Cette Europe qui ne fait plus rêver...

La Grèce restera longtemps dans les mémoires des Européens, du moins de ceux qui ne se contentent pas du fil continu d'une actualité qui efface la précédente... Bien sûr, la défaite de Tsipras qui, s'il s'est bien battu, n'a pas osé franchir le pas d'une sortie de la monnaie unique audacieuse et risquée, a un goût amer pour ceux qui voyaient dans la résistance grecque aux institutions européennes l'avant-goût d'une « autre Europe » ou, simplement, d'une « autre politique » en Europe et de l'Union européenne. Et la joie mauvaise des gouvernements européens, des libéraux de L'Opinion et des adversaires autoproclamés de ce nouveau monstre, au moins médiatique, que serait le « populisme » (censé relier tous les « extrêmes », c'est-à-dire ceux qui ne sont pas « dans la ligne » de l'Union européenne, nouvelle idéologie plus encore que réalité géopolitique...), n'est pas de bon augure pour la santé et la popularité de cette Union qui, désormais, déchire les peuples entre eux et mène, pour certains, au désespoir et à l'exil, loin du continent qui porte le nom de la belle enlevée par Zeus.

 

Je l’avoue : j'ai été, en mes jeunes années, « européiste », comme la majeure partie de ma génération : c'était à la veille de 1979 et de la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct, et l'Europe nous apparaissait comme un bel idéal, que des affiches de « l'eurodroite » (alliance de mouvements nationalistes autour du MSI néofasciste italien) figuraient comme la victoire ailée de Samothrace, et celles de l'artiste Folon comme un immense homme, lui aussi ailé, prenant son envol sur le fond d'un ciel magnifique et ensoleillé, tandis que les partis centristes et une partie des socialistes chantaient les louanges de cette nouvelle Europe qui allait, c’était certain, être « sociale »... Le discours d'un Jacques Chirac sur « le parti de l'étranger » pour désigner les européistes et celui des communistes pour dénoncer « l'Europe de la finance » ne nous touchaient pas vraiment, et ils nous semblaient déjà hors de l'histoire en train de se faire. Sans doute, sans forcément nous en rendre compte, nous avions intégré mentalement que la construction de cette Europe-là allait dans le (bon) sens de l'histoire : la désillusion fut assez rapide et d'autant plus violente !

 

Aujourd'hui, et encore plus en cet été meurtrier pour les Grecs, je n'aime guère cette Europe qui se construit depuis les années 50, depuis les Monnet et Schuman, pères peu dignes des peuples car trop idéologues et, d'une certaine manière et d'une manière certaine, si peu « populaires » au sens pratique du terme : cette Europe-là n'aime pas les peuples car elle n'en voudrait voir qu'un seul, « le peuple européen », un et indivisible, unique et uniforme, une sorte de masse de citoyens-consommateurs... Les européistes commettent la même erreur et, en définitive, la même faute que leurs prédécesseurs jacobins de la Révolution française qui voulaient, eux aussi, la République une et indivisible qui faisait disparaître provinces et particularités au nom d'un « ordre » nouveau, voire d'un homme nouveau.

 

« Ce n'est pas ce que nous voulions », pourraient dire ceux de ma génération, et ce n'est pas non plus ce qui avait été annoncé et promis : relire les discours des partisans du traité de Maëstricht, au début des années 1990, est tellement révélateur, mais aussi terrible pour les marchands d'utopie ! Un Jacques Delors, dont on célèbre les 90 ans ce jour même, ne fut pas le dernier à raconter bien des bêtises, et à promettre ce monde meilleur que devait être l'Union européenne : a-t-il conscience du gâchis ? Près de 30 millions de chômeurs dans l'Union, une pauvreté qui explose littéralement depuis une demi-décennie, des tensions sociales et une désespérance des classes populaires et moyennes qui se sentent dépossédées de tout pouvoir et de leur droit même à être, des injustices qui se creusent de plus en plus quand s'approfondit le fossé entre les plus riches et les autres, etc. Où est le rêve européen ? Où sont les progrès sociaux ? Pourquoi l'hubris semble-t-elle dominer une Union de plus en plus « hors-sol » ? Pourquoi le malaise des peuples d'Europe se fait-il, chaque jour, de plus en plus prégnant ?

 

Cette Europe-là est la trahison de toute l'histoire des nations et du continent européens, elle est la figure du malheur des peuples et des plus faibles... Elle n'est plus (si jamais elle l'a été un jour...) la victoire de Samothrace mais le règne misérable de Créon, légaliste sans transcendance ni honneur. Et, désormais, l'Europe réelle, qui devrait se conjuguer au pluriel, cherche, ou attend son Antigone... Si M. Hollande n'en a guère les traits ni l'esprit, il n'est pas dit que la France, elle, par sa particularité en Europe, ne puisse pas, un jour prochain, incarner les valeurs qui ont fait battre le cœur d'Antigone, cette fois, au-delà du malheur, pour le meilleur...