09/12/2014
Le travail du dimanche, une aubaine pour les grandes enseignes...
Le prochain conseil des ministres doit entériner la décision de M. Macron d'accepter l'ouverture des magasins douze fois (au lieu de cinq actuellement) par an le dimanche mais aussi de l'imposer toutes les semaines dans certains quartiers de Paris, en passant par dessus la tête du Conseil de Paris, jusque là hostile à cette extension qui ressemble surtout au prélude d'une généralisation nationale... Quand certains arguent d'une possible relance de la croissance par ce moyen, ce qui paraît plus qu'exagéré, la plupart des partisans du travail du dimanche évoquent des effets positifs sur l'emploi, ce qui semble de plus en plus compromis au moment même où les caisses automatiques et sans caissières (ou caissiers) remplacent de plus en plus les personnes jadis chargées de l'encaissement des achats : les gares et les cinémas ont montré l'exemple il y a quelques années, et le mouvement de remplacement des humains par les robots encaisseurs s'accélère désormais dans les enseignes de la grande distribution...
En fait, la démarche gouvernementale, soutenue par la partie la plus libérale de la Droite, n'est qu'un cadeau de plus à la grande distribution, et risque bien d'avoir des conséquences néfastes pour le petit commerce, déjà fort mal en point dans les centres-villes, comme le rappelle avec raison le maire de Paris, Madame Anne Hidalgo qui défend son « dimanche parisien » contre l'avis des grands magasins, souvent mondialisés et si peu sociaux, en définitive (cela n'a pas toujours été le cas, pourtant) : « Même si des évolutions sont toujours possibles, je ne veux pas abîmer un modèle dans lequel le petit commerce a pu non seulement se sauver mais innover et être performant. C'est un modèle économique et culturel très attractif qui a disparu partout ailleurs dans le monde anglo-saxon. La généralisation du travail du dimanche, c'est la mort du petit commerce de centre-ville. » C'est ce que l'on a pu observer au Danemark, en à peine deux ans, comme le rappelle un article récent de La Croix. Ne pas tenir compte des exemples passés (et présents) me semble la marque d'une idéologie plus que du réalisme économique ! En soulignant, une fois de plus, que l'Allemagne, pourtant principale locomotive de l'économie en Union européenne, n'autorise pas, elle, l'ouverture des magasins le dimanche et ne semble pas plus mal s'en porter !
Dans ce débat sans fin qui nous est imposé par un gouvernement toujours plus libéral à défaut d'être efficace, et qui se terminera sans doute par quelques concessions minimes aux « frondeurs » (eux aussi hostiles à la généralisation du travail du dimanche, mais pas prêts à risquer une dissolution parlementaire...) en attendant le prochain assaut de M. Macron ou d'un de ses clones « contre les conservatismes et les corporatismes » (sic!), c'est Bruno Frappat qui trouve les mots les plus justes contre cette libéralisation si peu sociale, dans un superbe article publié dans La Croix samedi 6 décembre : « Le dimanche est en passe de devenir le jour des seigneurs du grand commerce. Ce sont eux qui réclament le plus ouvertement ce qu'ils appellent « l'ouverture des magasins ». Ce sont eux qui en tireraient le plus grand profit. Qui essaient de persuader les Français qu'il est nécessaire de faire ses courses ce jour-là. Quand une réforme s'esquisse, il faut toujours observer qui la réclame avec le plus d'insistance. C'est un critère comme un autre pour juger de la validité d'un projet collectif. En l'occurrence, on ne sache pas qu'il se soit levé, dans le peuple, un vaste mouvement d'opinion en faveur de l'ouverture des magasins le dimanche. Pas de manifs, pas de cortèges encolérés. Non, simplement des lobbys qui travaillent au corps les « décideurs » en leur faisant miroiter les avantages d'un bouleversement réjouissant pour les tiroirs-caisses. Et dont l'incessante propagande finit par persuader des consommateurs qu'il n'y a pas mieux que le dimanche pour dépenser ses sous.
Jusqu'aux mots qui sont piégés. Comme le terme « magasins ». On imagine des petites boutiques sympathiques, comme l'épicerie du coin ou ce qui demeure des librairies de quartier. En guise de magasins, il s'agit surtout de faciliter l'afflux de visiteurs, avec leurs cartes bancaires, vers les usines à consommation qui plastronnent au seuil des villes et les enlaidissent, tuant le petit commerce. Ces temples de la consommation où s'affichent toutes les productions de la pseudo-nécessité. Las ! Le combat pour préserver la douceur silencieuse des dimanches, ce temps de retrouvailles familiales, cet espace pour la spiritualité, ce combat semble perdu d'avance. La banalisation est en cours, avec les inconvénients qui s'ensuivent : circulation, bruit, énervement devant les caisses, excès de sollicitations et donc d'achats. Le veau d'or est aux manettes. »
Non, M. Frappat, le combat n'est pas perdu d'avance mais il sera, il est déjà difficile dans un monde qui voit le triomphe de cet individualisme de masse qui se proclame bruyamment et faussement « liberté » quand il n'est qu'asservissement à l'Argent et aliénation à la Marchandise « nécessaire » (sic!). Certes, il y faudra des ressources spirituelles (les Veilleurs en ont valorisées quelques unes ces dernières années, à la suite des non-conformistes des années trente ou d'un Bernanos, d'un Péguy, etc.), mais il y faudra aussi et surtout le moyen du politique, la force d'un État qui ne doive rien aux puissances financières et surtout pas son existence ou ses commis, la force d'un État libre, fort de sa légitimité et de cette liberté de décision et d'action qui fut l'apanage de la Monarchie d'un Louis XIV capable d'enfermer le plus riche des financiers pour assurer l'indépendance de l’État et défendre un Bien commun qui ne peut, qui ne doit pas être soumis au veau d'or que redoute tant, et avec raison, Bruno Frappat.
14:04 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail du dimanche, petit commerce, individualisme de masse, maire de paris, libéralisme.
20/07/2014
Qu'est-ce que le globalitarisme ?
Je profite des vacances estivales pour ranger un peu mes archives et préparer les travaux d’études historiques sur le royalisme français que j’entends mener ces prochaines années sur la période qui court de la fin du Second empire à nos jours : vaste projet, difficile sans doute mais exaltant ! En ouvrant les nombreuses boîtes qui renferment des documents fort divers dans leurs formes comme dans leurs contenus et dans leurs provenances, je me rends compte à nouveau de la richesse du patrimoine politique des royalistes, richesse dont ces derniers n’ont pas toujours conscience, ne serait-ce que parce que la mémoire royaliste de ce pays a été, à dessein, sous-évaluée et, surtout, négligée au point de la rendre invisible aux yeux de nos contemporains, quand elle n’a pas été, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, tout simplement condamnée ou diffamée, sachant que certains monarchistes eux-mêmes ont parfois contribué au discrédit des idées qu’ils étaient censés servir…
Je retrouve aussi mes propres archives personnelles, non celles que j’ai constituées au fur et à mesure de mes recherches et de mes achats, mais celles que j’ai produites au long de ma vie militante (pas encore achevée bien sûr !), depuis les années 1980 : tracts, maquettes d’affiches et d’autocollants, photographies, correspondances et « courriers des lecteurs », articles, etc. A relire certains de mes textes, je suis parfois surpris de ma propension, en particulier dans les années 1990-2000, à vouloir ouvrir de nouvelles pistes de réflexion idéologiques sans avoir, malheureusement, poussé plus loin dans certains cas, ce qui est, avec du recul, bien regrettable. Ainsi, la notion de « globalitarisme » que j’avais commencé à théoriser et à diffuser dès le début des années 1990… J’ai retrouvé quelques feuilles bien raturées sur lesquelles j’ai tracé des schémas et aligné des idées et des concepts, mais aussi quelques articles destinés à faire connaître, de façon très succincte, mes réflexions politiques et idéologiques.
Ainsi, cet article publié dans L’Action française en 1997 qui tente une définition de ce fameux globalitarisme et évoque sa « naissance » rennaise et royaliste, et que je reproduis ci-dessous, article qui mériterait une suite et un approfondissement car la dernière décennie a apporté beaucoup d’eau à mon moulin, et il serait dommage de ne pas l’exploiter…
Pour définir le globalitarisme
Le globalitarisme, c’est la mondialisation et la globalisation économique. C’est aussi la démocratie « individualiste de masse ».
Au printemps 1990, quelques mois après la chute du mur de Berlin, un groupe d’étudiants d’Action française ressentait la nécessité de qualifier cet autre totalitarisme, celui qui, après avoir conquis l’Europe occidentale, menaçait à son tour les anciens pays communistes. Fort différent dans ses formes, ou plutôt dans ses apparences, sa finalité idéologique n’était, dans la réalité, pas si éloignée des totalitarismes abrupts (nazisme et communisme) puisqu’il s’agissait toujours de finir l’histoire (pensons à la thèse de l’Américain Francis Fukuyama) par la création d’un homme nouveau.
Un texte d’Aldous Huxley résumait notre état d’esprit et nos inquiétudes succédant à la joie causée par l’effondrement du totalitarisme communiste : « Les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques – élections, parlements, hautes cours de justice – demeureront, mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non-violent. Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu’ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusées et de tous les éditoriaux (…) Entretemps, l’oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera. » (1) Conjugué à une lecture attentive de L’avenir de l’intelligence de Maurras qui annonçait le « règne de l’Or » et à sa réflexion inquiète sur le triomphe possible – et final – de la démocratie dans la fameuse lettre de Pierre Boutang de 1951, ce texte nous incitait à approfondir les mécanismes du nouvel asservissement mondial.
Cette recherche sur l’autre totalitarisme que certains nommaient « soft totalitarisme » (en référence au livre de F.B. Huyghe intitulé La soft idéologie) ou « totalitarisme mou », notion en définitive ambiguë car elle obérait la logique finale de tout totalitarisme, nous a amenés tout naturellement à créer un nouveau terme. A travers sa formation et sa composition sémantique même, il nous semblait le mieux qualifier cette réalité idéologique qui prenait le monde entier, dans tous ses aspects et recoins (qu’elle voulait d’ailleurs éliminer, au nom de la « transparence » qui est surtout la disparition, voire l’interdiction, du secret, du mystère, du rêve même), dans toutes ses sphères, comme une globalité dont il devenait impossible de se démarquer, de s’échapper, sans courir le risque d’être politiquement, intellectuellement, économiquement, socialement, « exclu »… Ce mot nouveau, c’était le globalitarisme.
Ce terme, issu de notre petit cénacle maurrassien rennais, vient de bénéficier d’une reconnaissance imprévue (et bienvenue) sous la plume d’Ignacio Ramonet, dans Le Monde diplomatique de janvier 1997. Sous le titre Régimes globalitaires, l’éditorialiste du mensuel évoque la mondialisation économique et les régimes qui s’y plient, appliquant ainsi une politique libérale peu respectueuse des droits nationaux et sociaux : « Reposant sur les dogmes de la globalisation et de la pensée unique, ils (les régimes globalitaires) n’admettent aucune autre politique économique, subordonnent les droits sociaux du citoyen à la raison compétitive, et abandonnent aux marchés financiers la direction totale des activités de la société dominée. Dans nos sociétés déboussolées, nul n’ignore la puissance de ce nouveau totalitarisme (…) »
Mais Ignacio Ramonet limite la définition du régime globalitaire, bien qu’il ait eu la même intuition de base que les maurrassiens. Nous n’avons pas de ces timidités, maladroites mais compréhensibles pour un intellectuel qui a peur d’aboutir à des évidences si peu conformistes qu’elles risqueraient de lui aliéner une partie de son public habituel. Il faudra bien un jour écrire sur la force du tabou, c’est-à-dire sur la fonction paralysante (pour la pensée) de l’idéologie démocratique…
Notre définition du globalitarisme dépasse le simple cadre économique et social. C’est une définition politique pour un phénomène idéologique total. Si l’un des aspects du globalitarisme est la mondialisation et la globalisation économique, ce n’est qu’un aspect. Le globalitarisme, c’est aussi l’idéologie qui sous-tend ces aspects, c’est-à-dire la démocratie individualiste de masse elle-même – cette forme (qui se veut unique et seule tolérable) idéologique qui ne conçoit le monde que dans une perspective monohumaniste, c’est-à-dire globale : n’est-ce pas la conclusion logique de l’égalitarisme, de l’indifférentialisme démocratique ? « Un homme, une voix » débouche sur un monde unique et transposable (imposable même) à toutes les communautés humaines. George Orwell parlait d’ailleurs du « One World »…
Le rôle de l’Action française, rôle historique au sens intellectuel du terme, est de former l’armature intellectuelle de la résistance à ce processus liberticide : ainsi, notre nationalisme, raisonnable car raisonné, est-il la reconnaissance des besoins sociaux des hommes. Ceux-ci s’incarnent dans la famille, le quartier, la commune, la région, et, cadre protecteur, le « plus vaste des cercles communautaires humains », la nation.
Dénoncer le globalitarisme c’est préparer, sous de bons auspices, la nécessaire post-démocratie.
(1) Aldous Huxley : Retour au meilleur des mondes, 1958.
Post-scriptum : à l’époque, je militais à l’Action Française, et Pierre Pujo me laissait « libre plume » dans les colonnes du journal monarchiste. Aujourd’hui, c’est au sein du Groupe d’Action Royaliste que je développe mes réflexions dans le même esprit, toujours royaliste mais pas seulement maurrassien…
21:40 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : globalitarisme, individualisme de masse, mondialisation, royalistes, argent, orwell, huxley.