Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/03/2022

La violence sociale du capitalisme, encore...

 

La violence sociale n’est pas qu’une impression, elle est, dans de nombreux pays et pas seulement en France, une réalité intimement liée au système capitaliste libéral (ou dit tel). Elle est, par principe, créatrice d’injustices sociales dont elle est, dans le même temps, aussi la conséquence, dans une sorte de cercle infernal. Il suffit d’ouvrir un journal économique pour en trouver, chaque jour sinon à chaque page, quelques preuves et quelques illustrations parfois sordides. Ainsi, l’autre jour (vendredi 18 mars 2022), en page 15 du quotidien Les Echos, cet article titré « P&O licencie sans ménagement 800 marins britanniques », et qui évoque, en quelques lignes, toute la brutalité du capitalisme quand il est délié de toute obligation (et surtout de toute conscience) sociale : « Tempête sociale sur le trafic transmanche. P&O Ferries, l’un des deux opérateurs entre Douvres et Calais, a annoncé le licenciement avec effet immédiat de 800 marins britanniques sur un total de 3.000 employés, selon l’entreprise. Ils seront remplacés par des Colombiens et des intérimaires, déjà recrutés par la compagnie, afin de réduire de 50% la masse salariale, selon les sources syndicales, furieuses de ce procédé. » Ainsi, une entreprise peut jeter comme des chiffons sales 800 salariés sans préavis, ceux-ci n’étant, en somme, que des variables d’ajustements pour les investisseurs et en particulier pour la « maison mère DP World, un opérateur portuaire basé à Dubaï », l’argument étant la survie de l’entreprise, comme souvent sans qu’il soit demandé des efforts aux actionnaires ou aux dirigeants sur leur rémunération, par exemple. « Selon que vous serez puissant ou misérable », disait déjà, fataliste, Jean de La Fontaine…

 

Ce qui m’a marqué dans l’article des Echos, c’est l’absence complète d’empathie de la société licencieuse envers les 800 personnes mises à la porte : les hommes sont effacés par une décision fondée sur des chiffres, ceux-ci recouvrant apparemment plus de valeur(s) que les vivants. Je me souviens encore de cet entrepreneur français, l’ancien résistant Pierre Jallatte, qui s’était donné la mort en 2007 lorsqu’il avait appris que la majorité des ouvriers de son ancienne entreprise de chaussures seraient licenciés pour cause de délocalisation (spéculative, en fait) en Tunisie. Ce patron, grand Français qui mériterait d’avoir des rues à son nom, est la preuve qu’une entreprise (au sens noble du terme) n’est pas qu’un lieu de travail, mais qu’elle peut aussi être un espace de vie et de convivialité, une « famille de travail » dans laquelle chacun est un membre qui mérite, selon ses qualités et défauts, d’être considéré et non d’être seulement exploité. Mais le système capitaliste mondialisé le permet-il encore ? A la marge, peut-être, mais ce n’est pas sa « logique » ni son idéologie.

 

Est-ce nouveau ? En fait, pas vraiment, comme peut l’illustrer les extraits de ce discours du parlementaire royaliste Albert de Mun en 1884, à la tribune de la Chambre des Députés : « Depuis un siècle, des doctrines nouvelles se sont levées sur le monde, des théories économiques l’ont envahi, qui ont proposé l’accroissement indéfini de la richesse comme le but suprême de l’ambition des hommes, et qui, ne tenant compte que de la valeur échangeable des choses, ont méconnu la nature du travail, en l’avilissant au rang d’une marchandise qui se vend et s’achète au plus bas prix.

« L’homme, l’être vivant, avec son âme et son corps, a disparu devant le calcul du produit matériel. Les liens sociaux, les devoirs réciproques ont été rompus ; l’intérêt national lui-même a été subordonné à la chimère des intérêts cosmopolites (1), et c’est ainsi que la concurrence féconde, légitime, qui stimule, qui développe, qui est la nécessaire condition du succès, a été remplacée par une concurrence impitoyable, presque sauvage, qui jette fatalement tous ceux qu’elle entraîne dans cette extrémité, qu’on appelle la lutte pour la vie. » En somme, la dévalorisation du travail par un capitalisme marchand et actionnarial est aussi la dévalorisation, voire la déshumanisation des travailleurs, juste considérés selon ce qu’ils peuvent rapporter à l’entreprise en quantité financière et non selon ce qu’ils sont, leurs qualités et leurs défauts, leurs compétences et leurs appétences. Ils ont alors moins de valeur, même, que les machines qu’ils servent désormais plus qu’elles ne les servent, eux. Cet aspect-là n’est-il pas inscrit dès les débuts du développement du capitalisme industriel quand, en mars 1812, un « Bill » (loi) voté par les parlementaires anglais proclama des peines très lourdes (jusqu’à la mort par pendaison) contre des ouvriers tisserands qui, concurrencés et ruinés par les métiers à tisser mécaniques, s’en prenaient à ces derniers ? (2)

 

Face à l’attitude ignoble de P&O, que pourrait faire la France, qui accueille les bateaux de cette entreprise à Calais ? Nous avons pu constater, avec la crise géopolitique en Ukraine, que les Etats européens disposaient encore de quelques leviers pour sanctionner des entreprises qui appartenaient à des sociétés étrangères ou à des proches d’une puissance considérée comme adverse : ne pourrait-on pas, après tout, user des mêmes modes de pression puisque nous savons désormais qu’il est possible de les utiliser, même en passant par-dessus les lois commerciales en cours reconnues internationalement ? Après tout, P&O utilise les facilités d’un port français, et a de nombreux clients dans l’hexagone… La France s’honorerait à, au moins, signifier son mécontentement devant les méthodes de voyou de la direction de l’entreprise et à proposer à quelques uns de ces salariés anglais licenciés brutalement, des activités à Calais ou dans d’autres ports français participant au trafic transmanche.

 

Soyons clair : l’Etat n’a pas vocation à intervenir à n’importe quelle occasion dans les activités économiques et commerciales, et l’étatisme comme l’assistanat sont néfastes autant pour l’économique que pour le politique. Mais, en l’absence de corporations ou de Métiers organisés et susceptibles de peser vraiment sur les décisions des Firmes capitalistiques Transnationales, l’Etat doit jouer son rôle d’arbitre et de protecteur, symbole et acteur de la justice sociale, et rappeler aux féodalités (même étrangères quand elles sont présentes en France d’une manière ou d’une autre) leurs devoirs sociaux. Il est vrai que, pour cela, il faut un Etat fort et capable d’une parole libre et d’une action efficace : est-ce le cas avec cette République actuelle ? Est-ce même possible en République ? Si ces questions sont à poser, cela n’empêche en rien que, déjà, il soit important de faire pression pour que l’Etat, tout républicain qu’il soit, prenne ses responsabilités face à P&O et à son « injustesse » sociale

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : On traduirait aujourd’hui ce terme de « cosmopolites » par « mondialisés ».  

 

(2) : Lire à ce propos le livre « La révolte luddite », de Kirkpatrick Sale, éditions L’échappée, 2006, en particulier les pages 123 à 130, et le discours de Lord Byron devant la Chambre des Lords contre cette loi.

 

 

 

 

 

31/03/2012

Le cynisme des multinationales de l'automobile.

L’élection présidentielle changera-t-elle les mauvaises habitudes des multinationales ? Il semble bien que non, et la nouvelle alliance entre les constructeurs automobiles General Motors et PSA Peugeot Citroën en est une preuve supplémentaire. En effet, ce rapprochement entre firmes va évidemment entraîner des suppressions d’emploi, ce que les entreprises qualifient de « redéploiement industriel », et ce dont elles ne font d’ailleurs pas mystère, au nom de la « compétitivité » et pour éviter, disent-elles, des « surcapacités » qui seraient préjudiciables, toujours selon elles, aux avantages et profits qu’elles peuvent espérer d’une telle alliance...

 

Le quotidien « La Tribune » qui évoque ce rapprochement titre son article du 24 mars dernier de façon explicite : « L’alliance GM-PSA aboutirait à fermer des sites en Europe » et rappelle dans le même temps que « les deux groupes avaient jusqu’à présent affirmé que les décisions individuelles sur les sites seraient indépendantes de leur alliance » : quelle hypocrisie, quel mensonge ! Il y a longtemps que nous savons que lorsque deux entreprises mondiales, quelles qu’elles soient, s’allient ou fusionnent, cela ne se fait jamais au bénéfice de l’emploi des travailleurs, mais plutôt au profit des actionnaires...

 

Hypocrisie, et cynisme, à lire la suite de l’article : « selon un conseiller qui a pris part aux négociations entre GM et PSA, les fermetures de sites ne seraient annoncées en France qu’après le deuxième tour des élections présidentielles, le 6 mai. « Les deux sociétés ont une idée bien arrêtée de ce qu’elles aimeraient faire », a confié le conseiller à l’agence Reuters. Mais « il est évident qu’elles ne vont pas annoncer cela maintenant, avant les élections ». » Ainsi, les élections passées, les firmes mettront leur plan à exécution, démontrant ainsi au président élu (ou réélu…) qu’elles ne s’embarrassent guère des pressions politiques dès lors que les projecteurs électoraux se sont éteints et que « le principe de réalité » (formule qui cache un immense malentendu car elle ne respecte ni les principes ni les réalités sociales…), principe évoqué par les économistes libéraux et les experts européens pour mieux imposer la domination du libre-marché, « triomphe à nouveau », au grand dam des ouvriers de l’automobile et des populations attenantes (familles, entre autres)...

 

Cette attitude laisse entendre que les multinationales se moquent pas mal des Etats et des populations, et elle démontre aussi qu’elles se comportent en véritables féodalités financières et économiques, sans respect ni pour la souveraineté des Etats ni pour la simple justice sociale.

 

Un Etat digne de ce nom se devrait de réagir, par les moyens qui sont à sa disposition, pour empêcher que l’outil industriel encore présent en France soit la victime de telles opérations : or, l’aveu cynique des nouveaux alliés de l’automobile permet de comprendre, pour qui ne s’en doutait pas déjà, que la République française est impuissante face à cette stratégie délibérée et antisociale des multinationales, puisqu’elle s’est liée les mains en acceptant les règles d’une mondialisation sauvage qu’elle vante (par idéologie plus que par raison) sans que ses populations n’en ressentent vraiment les avantages sur le plan de l’emploi…