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21/02/2020

Paris, une ville éminemment politique au-delà d'elle-même.

La campagne des élections municipales a pris un tour national fort peu ragoûtant et souvent inappropriée aux souhaits des électeurs comme aux nécessités communales et civiques. Il est vrai que l’affaire des images de M. Griveaux a mobilisé les grands médias plus que la raison et la simple décence n’auraient dû le permettre, et ce péché d’orgueil de l’ancien porte-parole élyséen lui a coûté une élection qui, de toute façon, semblait ne pas lui être vraiment promise. Mais, au-delà du grivois et de la fin d’une carrière politique, cette histoire révèle aussi quelques uns des travers de notre système politique particulier hérité des bouleversements principiels de la Révolution française. En effet, la mésaventure grivalsienne a eu un retentissement national parce que, dans ces élections municipales, celles de Paris ont une importance, une centralité qui nous rappellent que notre République est non seulement centrée mais aussi éminemment centralisée sur Paris. La même affaire à Rennes, ou même à Lyon ou Lille, n’aurait ému que la presse locale et suscité quelques minutes amusées du « Quotidien » de Yann Barthès, dans une sorte de condescendance à l’égard de ces « provinciaux » qui, décidément, « ne seront jamais complètement à la hauteur des Parisiens » (sic), mais Paris « est », dans une conception de « République une et indivisible », « la » ville de France, voire « la France »…

 

Bien sûr que la capitale qui, comme son nom l’indique, apparaît comme la tête du pays, l’est symboliquement aussi, mais doit-elle en être la « grosse » tête, hypertrophiée au point de cacher le corps de la nation ? C’est bien de cette déformation dont la France souffre depuis plus de deux siècles, et à laquelle le général de Gaulle lui-même, en bon connaisseur de l’histoire de France et en politique conséquent (du moins sur ce plan-là), souhaitait remédier par ses projets de réorganisation régionale, ébauche d’une décentralisation qui n’aurait pas privé l’Etat de son autorité.

 

La métropolisation contemporaine, traduction et vecteur privilégié de transmission de la mondialisation en France, a été largement favorisée par cette centralisation qui, plus jacobine que louisquatorzienne, fait de la France d’aujourd’hui une République (d’abord) parisienne plutôt que française au sens complet, aussi bien historique que politique : quand la France est « plurielle », pour reprendre l’heureuse formule de Fernand Braudel, la République n’est « que » une et indivisible, devenue au fil des décennies une mosaïque instable et mobile dont l’unité première s’est perdue et dont les harmonies parfois compliquées des siècles passés ont laissé place à un désordre cafouilleux et parfois désagréable. Son indivisibilité et son unicité (qui n’est pas l’unité mais l’uniformité désirée par le Pouvoir parisien et que l’école de Ferry avait vocation à concrétiser) sont, en fait, des sables mouvants plus que le roc d’une société vivante et enracinée.

 

La campagne pour Paris est aussi un enjeu majeur pour les grandes structures partisanes, surtout en ce moment particulier de l’histoire dans lequel les grandes métropoles cherchent à s’émanciper des Etats dont elles sont, parfois, les capitales et à former des alliances entre elles, renforçant l’image et l’idée d’un archipel métropolitain mondial plus soumis à la « gouvernance » mondiale qu’aux gouvernements nationaux locaux : que l’actuel maire de Londres demande (en vain jusqu’à présent) à l’Union européenne une sorte de statut particulier pour les habitants de la métropole britannique quand son pays, lui, a rompu les amarres avec le continent institutionnel européen, doit nous alerter sur cette forme de sécessionnisme métropolitain en gestation. Mme Hidalgo a, un temps, donné l’impression d’être sensible à cette forme de tentation métropolitaine mais, si elle peut trouver une oreille attentive à cette option dans une part (la plus nomade et mondialisée) de son électorat, la révolte française des gilets jaunes a montré qu’elle ne pouvait guère se passer de la tutelle d’un Etat français qui lui fournit son « service d’ordre »… Sans doute avait-elle aussi en mémoire le destin tragique de son lointain prédécesseur Etienne Marcel qui avait cru pouvoir faire sécession du royaume, et qui en avait payé de sa propre vie la tentation…

 

Ainsi, par leur médiatisation et la déflagration politique qu’ils ont provoquée (principalement) au sein du parti présidentiel, les malheurs de M. Griveaux qui, en d’autres temps, auraient simplement fait sourire, nous rappellent à nouveau que, en France, Paris n’est pas qu’une simple capitale, mais qu’elle est aussi une vitrine de la République (même si l’Elysée n’est pas l’Hôtel de ville, et réciproquement…) et de ses ambiguïtés, plus souvent pour le pire que pour le meilleur… Cela oblige donc à ne pas se désintéresser des débats autour de sa gestion, non par ambition partisane mais par simple souci de peser sur le débat politique national et d’être entendu au-delà des dix-sept arrondissements de la capitale…

 

Redonner de la force et du sens à l’attachement national tout en « libérant » Paris de son hypertrophie et en lui redonnant sa juste place, « la première mais pas l’unique », dans le paysage institutionnel et national français (1), voici une ligne directrice de la future municipalité, qu’elle soit électoralement dans la continuité de la précédente ou pas… Mais aussi déjouer les pièges d’une métropolisation qui, en définitive, n’est qu’une forme nouvelle de « féodalisation » (urbaine, cette fois)  dont la nation politique comme les citoyens eux-mêmes doivent se défier. Renforcer et muscler l’Etat, redonner souffle et vivacité aux villes comme à la métropole parisienne sans que l’une étouffe les autres, et sans que l’autonomie des villes n’entraîne le séparatisme de celles-ci : tout un programme, dont il n’a, en définitive, guère été question et que M. Griveaux, avant même ses soucis « artistiques », n’a pas eu l’heur de valoriser, ni même de penser, ce qui en dit long sur l’état de la réflexion politique sur les institutions urbaines et leurs possibilités et perspectives civiques.

 

Là encore, il ne sera sans doute pas possible de faire l’économie d’un débat institutionnel sur le moyen politique le mieux approprié à l’histoire française comme aux enjeux contemporains pour affronter ces défis de l’avenir… Oui, décidément, Paris mérite mieux qu’un Griveaux et qu’une République, et leur spectacle décidément peu honorable !

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Il faut absolument éviter le système d’un « Paris et le désert français » - en référence à l’ouvrage éponyme de Jean-François Gravier - qui oublierait les territoires provinciaux, périphériques ou ruraux (peu importe le nom), et ne raisonnerait qu’en fonction des métropoles « attractives », encore « soumises » (malgré les lois de décentralisation des années 1980 et 2000) à la République « seule législatrice et ordonnatrice » avant que de l’être aux lois terribles de la mondialisation et de sa gouvernance économique et si peu sociale.

 

 

 

22/07/2019

L'écologie municipale, pour commencer ?

Tandis que la sécheresse sévit en France métropolitaine, y compris dans un Ouest d’ordinaire mieux arrosé que le reste du pays, et que les cartes météorologiques sont rougies en fonction des températures caniculaires et des angoisses contemporaines, l’écologie reste négligée et cela malgré les discours officiels et la récupération par quelques parlementaires de la jeune Greta, nouvelle icône d’un système capitaliste qui n’a pas du tout envie, en fait, de faire des efforts, mais juste des investissements « verts » qui lui donnent bonne conscience et bons profits. Dans mes pérégrinations estivales, je constate que l’artificialisation des terres s’accélère après un bref ralentissement au milieu des années 2010, et les campagnes comme les littoraux se couvrent de bitume et de béton sans que les promoteurs et leurs soutiens, voire leurs clients, ne soient vraiment contredits : les 1.600 hectares sauvés (provisoirement ?) à Notre-Dame-des-Landes cachent une situation terrible et un recul (qui paraît inexorable) de la nature ou, du moins, des espaces dits naturels, herbacés ou boisés. Que cela soit le goudronnage de trottoirs à l’entrée des villages ou la coupe d’arbres, voire la déplantation de haies ; la construction de nouveaux lotissements qui se multiplient non loin des grandes villes ou l’installation de zones commerciales qui ruineront les derniers commerces locaux et indépendants de proximité ; le remplacement d’anciens campings populaires par des projets de résidences de luxe, hotellières ou seulement vacancières ; etc., la liste est longue et désespérante, et rien ne semble pouvoir arrêter le rouleau compresseur des destructions et des constructions inconsidérées et, sur le littoral ou en montagne, souvent destinées aux classes les plus aisées de notre société comme on peut le constater sur la Côte d’émeraude ou en Corse…

 

C’est une plainte que je pousse régulièrement, au risque de me répéter et d’apparaître comme un vieux radoteur impuissant, mais l’approche des élections municipales pourrait-elle permettre d’être mieux entendu, ou écouté ? Car chaque liste voudra, de façon plus ou moins opportuniste (et plutôt plus que moins, a priori), verdir son programme pour attirer les jeunes électeurs qui semblent désormais plus attentifs aux questions environnementales que leurs aînés (ce qui reste néanmoins à démontrer). L’écologie municipale est-elle une solution crédible et efficace ? Un lecteur de Jacques Ellul, qui croyait plus aux « petites révolutions locales » qu’à la grande promesse de la révolution générale, répondrait par l’affirmative. Après tout, pourquoi pas ? Des projets pour redonner vie à des zones humides, accueillir des ruches ou aménager des ensembles végétaux sur des immeubles ou entre les bâtiments, replanter des arbres ou organiser des jardins potagers bio en milieu urbain ou scolaire (par exemple), etc. : autant de projets et d’initiatives utiles et bienvenus ! Cela peut être aussi des contestations de projets immobiliers inadaptés aux enjeux actuels ou de destructions de milieux arborés ou de rangées de grands arbres, et la prochaine période électorale municipale pourrait redonner vie à nombre d’affirmations et d’oppositions environnementales, comme on le voit se préfigurer dans de nombreuses villes françaises, sous des couleurs qui pourront ne pas être seulement celles des « écologistes officiels », trop souvent plus politiciens que véritablement défenseurs d’une écologie enracinée et concrète.

 

Cet écologisme local, qui peut permettre de faire avancer l’écologie municipale en de nombreux endroits, mérite toute notre attention sans pour autant suffire, en lui-même, à notre réflexion et à une action plus globale et, disons-le sans avoir peur du mot, plus politique. Car c’est en étant politique (ce qui ne signifie pas forcément politicienne, loin de là) que l’écologie peut être la plus efficace et convaincante, et c’est en pensant un « écologisme intégral » que l’on pourra pratiquer et réussir l’écologie intégrale elle-même qui n’oublie rien de la nature, y compris humaine, et fonde la politique générale en se fondant en elle, disparaissant tout en irriguant et inspirant celle-ci, comme le thé infuse en se mêlant à l’eau chaude et en lui donnant son goût particulier…