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28/05/2012

Des plans sociaux à la monarchie.

La vague des plans sociaux post-présidentielles que j'évoquais dans mes conférences et sur ce blogue bien avant l'élection elle-même a commencé à dérouler ses annonces et ses effets, au point d'alarmer la presse parisienne, bien après la presse économique et celle des provinces, cette dernière plus réactive car plus directement au contact d'un « pays réel » des travailleurs qui n'est pas négligeable même s'il est moins valorisé par les médias que les classes moyennes issues du secteur tertiaire. Il faut bien avouer que le réveil, après le temps des promesses et des espérances (ces dernières qu'il ne faut jamais moquer, au risque de les voir se muer en monstres de désespérance dont on ne connaît jamais à l'avance le destin...), est rude ! A en croire Le Figaro de ce lundi, ce sont 45.000 emplois qui sont directement menacés pour les semaines à venir, que cela soit dans le secteur automobile, dans la métallurgie et la sidérurgie, dans l'agro-alimentaire, etc.

 

Dans son édition du vendredi 25 mai, Libération consacre plusieurs pages à ce qui risque vite de devenir un incendie social dévastateur si l'Etat (entre autres) n'y prête garde ou ne sait comment arrêter la contagion des plans sociaux. Nicolas Demorand, dans son éditorial, trouve les mots justes pour résumer une situation complexe et, à terme, explosive : tout son article serait à citer, qui oscille entre dégoût et colère, mais surtout qui, à défaut de donner quelque réponse institutionnelle qui soit, pose quelques bonnes questions et remarques...

 

« Ils existaient donc bien, ces plans sociaux mis sous le tapis le temps de la présidentielle. Notons juste le cynisme des entreprises concernées, effrayées à l'idée d'affronter la polémique publique en plein chaudron électoral. Reste aujourd'hui, pour les salariés sur le carreau, une immense souffrance. » Il faut bien dire que la souffrance ouvrière n'est pas ce qui empêche de dormir la plupart des dirigeants des grands groupes ou de ces économistes qui parlent de la « nécessaire adaptation à la mondialisation » sans voir le coût humain de celle-ci... Si tel était le cas, ils placeraient l'équité sociale et humaine au coeur de leurs discours, ce qui n'est guère leur habitude, malgré quelques efforts de... communication !

 

« Pour la gauche, nouvellement au pouvoir, [reste] un défi d'ampleur : sauver, dans l'urgence, ce et ceux qui peuvent l'être ; faire que chacun assume ses responsabilités, à commencer par les « grands » patrons qui le plus souvent échappent au sort qu'ils infligent à leurs salariés » : il est vrai qu'il est particulièrement choquant de voir quelques uns de ces grands entrepreneurs s'augmenter leur propre salaire au motif qu'il faudrait « rattraper » les rémunérations de leurs homologues anglo-saxons, au moment même où les salaires des fonctionnaires sont gelés pour deux ans et que les multinationales se livrent de plus en plus à un chantage sur leurs ouvriers en menaçant de délocaliser si les salariés n'acceptent pas une réduction de leur paye...

 

Pour arriver à sauver les emplois et à responsabiliser les patrons, entre autres, Nicolas Demorand souligne qu'il faut donc « un Etat stratège, inventif, capable de s'abstraire de l'actualité pour identifier les futurs gisements de richesse et planifier, au sens le plus fort du terme, les moyens de les conquérir. Longtemps la puissance publique  fut ainsi à l'initiative de ce qui déboucherait sur les fusées Ariane, les avions d'Airbus, les TGV, pour ne citer que les exemples les plus visibles. Avec, en amont, une vraie politique de recherche, fondamentale et appliquée » Oui, il faut bien cela pour sortir de l'ornière dans laquelle un libéralisme excessif a mis la France, au nom, parfois, de règles européennes de non-concurrence et du fantasme d'une « mondialisation heureuse » (sic !)... Il est intéressant de noter, au passage, que M. Demorand égratigne l'argument habituel des européistes sur les « réalisations européennes » en rappelant que les grands projets dont se targue l'Union européenne doivent d'avoir leur existence et leur réussite à la puissance publique, c'est-à-dire à l'Etat de notre pays !

 

Nicolas Demorand poursuit, dans une sorte de « révélation gaulliste » (certains diraient « coming out » en langue globale...) : « Et, en parallèle, un consensus qui considérait ces sujets comme relevant de la continuité de l'Etat et de son intérêt supérieur. Toute cette mécanique s'est profondément déréglée. Il faudra du temps pour la reconstruire. Or l'incapacité à se projeter dans le temps est aussi ce qui caractérise la politique moderne. » La politique moderne ? Peut-être, mais surtout le principe d'une République qui fait reposer la légitimité de sa magistrature suprême sur le jeu des partis et des politiciens, et de leur course quinquennale au pouvoir, cette « présidentielle permanente » qui empêche souvent de voir au-delà des prochaines échéances électorales... Oui, c'est bien la question du temps qui est centrale dans cette refondation d'un Etat stratège, efficace et décidé, voire, par moments si nécessaire, volontariste ! Un Etat qui peut penser en termes de générations, et non du seul calendrier électoral !

 

Encore un effort, M. Demorand, pour conclure ! Sans doute vous faudra-t-il du temps, à vous aussi, pour reconnaître que l'Etat que vous appelez de vos voeux porte ce nom, souvent tabou en France, de Monarchie... Mais si vous voulez que la question sociale ne soit plus, comme en ce moment, cette longue litanie d'ouvriers sacrifiés, il faudra bien vous y résoudre, et ne pas hésiter à le faire savoir...

 

29/04/2008

Travailleurs clandestins et éducation.

L’affaire des travailleurs clandestins qui demandent à être régularisés avec le soutien de leurs patrons est intéressante à plus d’un titre et montre également le cynisme d’un capitalisme sauvage qui revendique de faire les lois quand celles en place ne conviennent pas à ses intérêts.

 

Qu’il y ait des clandestins utilisés dans la restauration, le bâtiment ou l’agriculture n’est un secret pour personne, mais c’est surtout un scandale social : l’utilisation de ces travailleurs est le meilleur moyen qu’a trouvé un certain patronat pour ne pas augmenter les salaires comme le rappelle depuis déjà bon nombre d’années Jean-François Kahn. Ainsi, ces personnes qui sont rentrées illégalement sur notre territoire, souvent en espérant trouver « un avenir meilleur » que celui qui était le leur dans leur pays d’origine et intégrer une société de consommation dont les médias mondiaux se font les chantres, sont les jouets d’une « politique sociale » (ou, plus justement, « antisociale »…) qui les dépasse. Peut-on leur en vouloir d’espérer, parfois de façon illusoire ? Sans doute non, mais raisonner en termes seulement économiques est, en définitive, la pire des choses car elle fait de ce qui ne devrait être qu’un « moyen » une fin : ce renversement de perspective est le plus dangereux qui soit, autant sur le plan de la paix intérieure et extérieure que de l’environnement ou du social.

 

D’autre part, cette situation apparaît paradoxale au moment où une grande part de la population active est soit au chômage (environ 8 %), soit en emploi précaire, et qu’une partie des travailleurs de ce pays sont considérés comme « travailleurs pauvres » dont certains sont en situation de surendettement important ou de « mal-logement ». Mais il faut bien admettre que les travailleurs clandestins (qui appartiennent souvent aux catégories précitées) sont embauchés dans des secteurs peu attractifs ou aux conditions de travail pénibles, secteurs désertés par les Français « de souche » mais aussi par les « nouvelles populations françaises » qui s’entassent dans les « banlieues verticales » des métropoles et dont les plus jeunes refusent de faire ce que leurs aînés ont fait, dans une sorte de « révolte générationnelle » larvée mais bien réelle. J’ai pu aisément le constater lors de mes 9 années passées aux Mureaux où la plupart des élèves en difficulté du collège refusait toute orientation vers des filières professionnelles courtes et revendiquaient « le droit au lycée », c’est-à-dire « au bac », malgré des problèmes scolaires évidents ou des comportements peu compatibles avec l’apprentissage des connaissances… Ceux qui ont enseigné (ou enseignent encore) en ZEP comprendront aisément de quoi je parle.

 

Le drame est que l’éducation nationale, par ses blocages et ses préjugés, a largement participé à cette dévalorisation du travail manuel et n’a pas su jouer la carte de la pluralité des possibilités professionnelles, condamnant tous les jeunes, par sa logique de l’absurde et la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, au même modèle scolaire survalorisant un bac qui, en définitive, est devenu un « droit » et une « obligation » sans véritable valeur autre que celle que l’éducation nationale et les lycéens qui le passent lui prêtent : en paraphrasant un ancien ministre gaulliste de la Cinquième République, « le bac n’engage que ceux qui y croient »… Il faudra bien sortir un jour de ce piège mortifère pour les jeunes comme pour notre société.

 

On comprend mieux ainsi pourquoi tout, dans notre belle République « néolibérale », se conjugue pour exploiter des travailleurs venus d’ailleurs sans, parfois, connaître ni nos mœurs, ni nos codes (y compris celui « du travail », de moins en moins crédible et respecté…), tandis que nos compatriotes et les immigrés venus légalement en France se retrouvent parfois dans des situations sociales délicates et peu favorables à l’épanouissement personnel.

 

Que faire ? Régulariser en masse les travailleurs clandestins serait une erreur car cela signifierait que les lois en vigueur et le « code du travail » comptent pour rien et qu’il suffit d’être « de bonne foi » et « utile économiquement » (aux yeux du patronat) pour avoir le droit de devenir travailleur français, voire, en un deuxième temps, citoyen français. Une régularisation exceptionnelle pour quelques uns de ces travailleurs est envisageable mais doit s’accompagner d’une véritable politique éducative pour permettre à ces personnes de trouver leur place, légalement désormais, dans notre société : il ne serait pas choquant de leur imposer des cours de langue et d’histoire françaises, par exemple, pour leur permettre de mieux comprendre leur pays d’accueil et d’emploi, ainsi que leurs droits sociaux…

 

Mais, en même temps, il faut revoir notre système éducatif et l’accès au monde professionnel pour rendre plus attractif, pour nos jeunes, des métiers aujourd’hui (et souvent à tort) mal considérés. Cela implique de changer l’esprit même de l’enseignement et ne pas négliger de l’ouvrir plus sur le monde du travail.

 

D’autre part, il faudra bien évoquer une revalorisation, y compris salariale, de ces professions aujourd’hui « en manque de bras » : il n’est pas normal d’avoir, dans notre pays, environ UN MILLION d’emplois non pourvus…

 

Dernière chose (pour l’instant, ce qui ne veut pas dire que je n’ai rien à ajouter…) : il serait temps de repenser un véritable aménagement du territoire qui permette de penser ensemble emploi, qualité de la vie et société de sobriété… Encore une de mes marottes, diront certains… Il me faudra en reparler…