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09/02/2017

La République impuissante face aux féodalités économiques.

Pendant la campagne présidentielle, les plans sociaux (si mal nommés) continuent... Un fort intéressant article du Figaro (en ses pages économie) du lundi 30 janvier 2017, signé d'Ivan Letessier, aborde ce dossier peu traité jusqu'à présent dans la presse ni même dans les médias militants, plus intéressés par les affrontements politiciens et les affaires de M. Fillon que par les difficultés du Pays réel industriel : « Personne n'a relevé la provocation. Mardi (24 janvier), à trois mois du premier tour de la présidentielle (…), le leader français de l'habillement Vivarte a annoncé 702 suppressions de postes, et Whirlpool la fermeture de sa dernière usine de l'hexagone, qui emploie 290 salariés et fait travailler 250 intérimaires et 100 employés d'un sous-traitant. » Ce genre de plans sociaux paraissait jadis impossible à un tel moment électoral, surtout si les colères sociales menaçaient de se traduire en poussée « populiste » ou « gauchiste » : il ne fallait pas, pensait-on alors dans les milieux financiers, tenter le diable... L'ambiance a visiblement changé, pour le plus grand malheur des ouvriers qui n'auront même pas droit à ce sursis, à cette grâce (temporaire) électorale sur laquelle la République jouait aussi pour donner l'impression qu'elle avait encore du pouvoir sur les forces économiques de la mondialisation.

 

Ainsi, les fermetures d'usines semblent même s'accélérer, dans une grande indifférence et sans beaucoup d'éclats pour l'heure, et les manifestations des ouvriers n'ont même pas les honneurs des médias : l'abandon des travailleurs par la grande presse, la classe politique et la République de M. Hollande, est terrifiant, et je ne m'y habitue pas. M. Letessier l'explique ainsi : « En 2017, une digue a sauté. (…) Les annonces de restructuration en campagne prouvent aussi le divorce entre le monde de l'entreprise et le pouvoir politique, et un manque de respect croissant du premier envers le second. » Oui, vous avez bien lu : le monde de l'entreprise ne respecte plus le pouvoir politique, ce qui signifie que l’Économique s'émancipe de plus en plus du Politique en France et que les féodalités financières et industrielles se sentent assez fortes pour ne plus craindre l’État. Cela signale, à l'inverse, la faiblesse d'un État que l'on peut qualifier, comme le faisait le philosophe royaliste Pierre Boutang, de « Semble-État ». 

 

J'entends certains me dire : « jamais la Gauche ne laissera faire ! ». La courte mémoire peut excuser le propos de mes interlocuteurs, mais elle n'efface pas les réalités, de Mitterrand et la sidérurgie à Hollande et Arcelor-Mittal, en passant par le fatalisme de Lionel Jospin qui lui a coûté si cher près de l'électorat populaire. Mais la Droite n'a guère mieux fait depuis Giscard d'Estaing, malgré quelques exceptions, et le gouvernement Fillon n'a pas vraiment brillé en ce domaine, persuadé alors que la mondialisation était une « fatalité nécessaire » et qu'il fallait « moderniser » l'économie : l'on mesure le (mauvais) résultat social ! 

 

Si la tradition de la Gauche (mais de quoi parle-t-on exactement ? La réponse est plus complexe que le singulier...) paraissait accorder plus d'importance à la défense de l'emploi que celle de la Droite libérale (qui n'est pas toute la Droite, comme nous le rappellent Albert de Mun et le général de Gaulle), le dépérissement du Politique et la « nécessité d'être de son temps » (l'idéal de la feuille morte au fil de l'eau, pourrait-on ironiser), conjugués aux expériences (et aux défaites) gouvernementales récentes, semblent avoir eu raison d'elle : « Si la gauche est si discrète, c'est que ses cris d'orfraie seraient un aveu de son impuissance et de l'inefficacité de sa politique économique. Or, aucun des deux ex-ministres de François Hollande candidat à sa succession ne veut assumer le bilan du président. De plus, ils savent le poids des promesses intenables. 

 

« En 2012, le candidat Hollande avait assuré aux salariés d'Arcelor-Mittal qu'il empêcherait la fermeture des hauts fourneaux de Florange, et à ceux de l'usine Fralib, dont la fermeture était actée, qu'il forcerait Unilever à leur céder la marque Éléphant. En vain à chaque fois. » Ces déconvenues de M. Hollande sont-elles autre chose que les conséquences de l'absence d'une « puissance d’État » capable de s'imposer aux forces économiques ? 

 

C'est bien là que se joue la question des « plans sociaux », et la réponse est, d'abord, politique : un État qui veut est un État qui peut, mais encore faut-il qu'il y ait la volonté politique au sein de l’État et que l’État soit assuré d'une continuité et, mieux, d'une permanence en sa magistrature suprême et d'une indépendance par essence qui lui permette de s'imposer aux nouvelles féodalités financières et économiques

 

La République a laissé l’Économique s'imposer au détriment du Social et du Politique, et cela n'est pas sain. La Monarchie « à la française », active et sociale (l'un ne devant pas aller sans l'autre), est la condition de la mise au pas des féodalités, quelles qu'elles soient : c'est ce processus qui, jadis, a permis leur dépassement et la constitution, avec le soutien du roi, de Métiers et Franchises (ce que l'on nommera ensuite corporations et libertés) qui protégeaient les travailleurs dans leur emploi comme dans leur travail. L'expérience peut servir, en s'adaptant aux réalités nouvelles, mais sans se laisser forcément commander par elles.

 

La mondialisation ne doit pas être l'alibi de l'impuissance de l’État, et, s'il ne faut pas la négliger, il s'agit bien de « faire rentrer le fleuve dans son cours », c'est-à-dire la maîtriser, au bénéfice des nations et des travailleurs, tout en permettant la vie des entreprises mais aussi le rappel de leurs devoirs sociaux et environnementaux.

 

 

10/07/2012

Mondialisation et profit.

 

Nous étions quelques collègues d'histoire à déjeuner vendredi dernier et à évoquer l'actualité récente et, en particulier, les plans sociaux qui se succèdent, du site d'Aulnay-sous-Bois à celui de Rennes pour l'entreprise PSA par (triste) exemple, et qui risquent de laisser des milliers de travailleurs, ouvriers ou ingénieurs (entre autres), sur le carreau... Le Monde, dans un article récent, évoquait les 60.000 victimes à brève échéance de ces fameux plans sociaux, si mal nommés quand on y réfléchit bien...

 

Un de mes collègues, sans se prononcer sur la valeur même de la mondialisation en grande partie à l'origine de ces drames sociaux de fermetures d'usines françaises, y voyait une fatalité inéluctable, dans le sens de l'histoire économique, et contre laquelle, du coup, il était vain de lutter : tel n'était évidemment pas mon avis, et je me suis employé à lui démontrer qu'il n'était pas vain de se battre pour éviter une mondialisation qui ne profite qu'à quelques uns au détriment de beaucoup d'autres.

 

Entendons-nous bien sur le sens de mon propos : je ne confonds pas la mondialisation avec le simple mouvement d'internationalisation des relations humaines et d'échanges, ou avec la découverte de terres et de cultures différentes. La mondialisation, c'est beaucoup plus que cela, et sans doute de nature fort différente si certaines formes peuvent prêter à confusion : c'est bien plutôt un système et une idéologie qui s'appuient sur l'ouverture du monde pour le transformer en une seule entité globale, « fluide » et « immédiate », au risque d'en nier les spécificités particulières ou de les transformer en simples arguments industriels ou commerciaux. Dans cette mondialisation, l'Argent s'est rapidement imposé comme la seule référence, faisant des critères de productivité, rentabilité ou profitabilité les arguments majeurs et seuls « légitimes » (sic !) de l'activité économique des sociétés et des hommes... Le résultat est la recherche permanente du profit, souvent égoïste, au détriment des hommes et des sociétés priés de « s'adapter » aux nouvelles règles, celles-là mêmes qui refusent justement que les Etats puissent en édicter pour limiter la mondialisation et son extension à tous les domaines de la vie sociale, voire individuelle.

 

Là encore, une précision s'impose : je ne suis pas de ceux qui condamnent « le profit » par principe, mais je considère trois éléments : la manière dont il est créé, et ce qu'il en est fait, mais aussi s'il est mesuré ou s'il est déraisonnable au regard des réalités sociales du lieu et du moment. Si le profit passe par l'exploitation des uns pour le bonheur des autres, souvent beaucoup moins nombreux que les précédents, je ne peux l'accepter sans récriminer ; s'il n'est utilisé que pour la satisfaction de quelques uns et dans le rejet des autres ou leur misère, je ne peux l'accepter, au nom d'une justice sociale qui, à mon sens, doit primer pour garantir l'équilibre des sociétés humaines ; s'il est « l'hubris » (la démesure) et écrase les hommes comme il détruit l'environnement ou les héritages humains (traditions, au sens actif et parfois critique du terme...), il est condamnable, purement et simplement... A l'inverse, s'il se conjugue avec l'honnêteté, la juste valeur du travail accompli, la justice et le partage, avec l'amélioration de la condition humaine, sociale ou environnementale, il est utile et tout à fait légitime !

 

Contrairement à mon collègue, sans doute à la fois fataliste et trop optimiste sur les possibilités de la mondialisation à améliorer les choses, je pense qu'il faut réfléchir et agir sans hésiter à aller à contre-courant de ce qui se veut « le sens unique de l'histoire » : il ne faut pas oublier que, selon les époques, ce fameux sens de l'histoire a sacrément varié, entre le paradis scientiste et colonialiste des hommes du XIXe et le paradis socialiste promis par Marx et ses épigones du XXe, sans oublier cette « fin de l'histoire » (sic !) que nous annonçait triomphalement Francis Fukuyama au début des années 90 et qui a fait long feu depuis, perdue dans les gravats des tours du World Trade Center et dans les mausolées dévastés de Tombouctou...

 

La mondialisation n'est pas une fatalité car il n'y a pas un sens unique de l'histoire, il n'y a que l'histoire qui, elle aussi, ne sait pas toujours où elle va...

 

 

(à suivre : la mondialisation heureuse, un mythe ?)

 

28/05/2012

Des plans sociaux à la monarchie.

La vague des plans sociaux post-présidentielles que j'évoquais dans mes conférences et sur ce blogue bien avant l'élection elle-même a commencé à dérouler ses annonces et ses effets, au point d'alarmer la presse parisienne, bien après la presse économique et celle des provinces, cette dernière plus réactive car plus directement au contact d'un « pays réel » des travailleurs qui n'est pas négligeable même s'il est moins valorisé par les médias que les classes moyennes issues du secteur tertiaire. Il faut bien avouer que le réveil, après le temps des promesses et des espérances (ces dernières qu'il ne faut jamais moquer, au risque de les voir se muer en monstres de désespérance dont on ne connaît jamais à l'avance le destin...), est rude ! A en croire Le Figaro de ce lundi, ce sont 45.000 emplois qui sont directement menacés pour les semaines à venir, que cela soit dans le secteur automobile, dans la métallurgie et la sidérurgie, dans l'agro-alimentaire, etc.

 

Dans son édition du vendredi 25 mai, Libération consacre plusieurs pages à ce qui risque vite de devenir un incendie social dévastateur si l'Etat (entre autres) n'y prête garde ou ne sait comment arrêter la contagion des plans sociaux. Nicolas Demorand, dans son éditorial, trouve les mots justes pour résumer une situation complexe et, à terme, explosive : tout son article serait à citer, qui oscille entre dégoût et colère, mais surtout qui, à défaut de donner quelque réponse institutionnelle qui soit, pose quelques bonnes questions et remarques...

 

« Ils existaient donc bien, ces plans sociaux mis sous le tapis le temps de la présidentielle. Notons juste le cynisme des entreprises concernées, effrayées à l'idée d'affronter la polémique publique en plein chaudron électoral. Reste aujourd'hui, pour les salariés sur le carreau, une immense souffrance. » Il faut bien dire que la souffrance ouvrière n'est pas ce qui empêche de dormir la plupart des dirigeants des grands groupes ou de ces économistes qui parlent de la « nécessaire adaptation à la mondialisation » sans voir le coût humain de celle-ci... Si tel était le cas, ils placeraient l'équité sociale et humaine au coeur de leurs discours, ce qui n'est guère leur habitude, malgré quelques efforts de... communication !

 

« Pour la gauche, nouvellement au pouvoir, [reste] un défi d'ampleur : sauver, dans l'urgence, ce et ceux qui peuvent l'être ; faire que chacun assume ses responsabilités, à commencer par les « grands » patrons qui le plus souvent échappent au sort qu'ils infligent à leurs salariés » : il est vrai qu'il est particulièrement choquant de voir quelques uns de ces grands entrepreneurs s'augmenter leur propre salaire au motif qu'il faudrait « rattraper » les rémunérations de leurs homologues anglo-saxons, au moment même où les salaires des fonctionnaires sont gelés pour deux ans et que les multinationales se livrent de plus en plus à un chantage sur leurs ouvriers en menaçant de délocaliser si les salariés n'acceptent pas une réduction de leur paye...

 

Pour arriver à sauver les emplois et à responsabiliser les patrons, entre autres, Nicolas Demorand souligne qu'il faut donc « un Etat stratège, inventif, capable de s'abstraire de l'actualité pour identifier les futurs gisements de richesse et planifier, au sens le plus fort du terme, les moyens de les conquérir. Longtemps la puissance publique  fut ainsi à l'initiative de ce qui déboucherait sur les fusées Ariane, les avions d'Airbus, les TGV, pour ne citer que les exemples les plus visibles. Avec, en amont, une vraie politique de recherche, fondamentale et appliquée » Oui, il faut bien cela pour sortir de l'ornière dans laquelle un libéralisme excessif a mis la France, au nom, parfois, de règles européennes de non-concurrence et du fantasme d'une « mondialisation heureuse » (sic !)... Il est intéressant de noter, au passage, que M. Demorand égratigne l'argument habituel des européistes sur les « réalisations européennes » en rappelant que les grands projets dont se targue l'Union européenne doivent d'avoir leur existence et leur réussite à la puissance publique, c'est-à-dire à l'Etat de notre pays !

 

Nicolas Demorand poursuit, dans une sorte de « révélation gaulliste » (certains diraient « coming out » en langue globale...) : « Et, en parallèle, un consensus qui considérait ces sujets comme relevant de la continuité de l'Etat et de son intérêt supérieur. Toute cette mécanique s'est profondément déréglée. Il faudra du temps pour la reconstruire. Or l'incapacité à se projeter dans le temps est aussi ce qui caractérise la politique moderne. » La politique moderne ? Peut-être, mais surtout le principe d'une République qui fait reposer la légitimité de sa magistrature suprême sur le jeu des partis et des politiciens, et de leur course quinquennale au pouvoir, cette « présidentielle permanente » qui empêche souvent de voir au-delà des prochaines échéances électorales... Oui, c'est bien la question du temps qui est centrale dans cette refondation d'un Etat stratège, efficace et décidé, voire, par moments si nécessaire, volontariste ! Un Etat qui peut penser en termes de générations, et non du seul calendrier électoral !

 

Encore un effort, M. Demorand, pour conclure ! Sans doute vous faudra-t-il du temps, à vous aussi, pour reconnaître que l'Etat que vous appelez de vos voeux porte ce nom, souvent tabou en France, de Monarchie... Mais si vous voulez que la question sociale ne soit plus, comme en ce moment, cette longue litanie d'ouvriers sacrifiés, il faudra bien vous y résoudre, et ne pas hésiter à le faire savoir...