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29/10/2023

Les aspects contemporains de la question sociale (2) : Vers une réponse royaliste ?

 

La rentrée sociale de cet automne 2023 paraît calme, bien calme… trop calme ? Il est vrai que le chaud printemps dernier pouvait laisser craindre (ou espérer, selon le camp considéré) une reprise des hostilités entre syndicats et gouvernement, et ce ne sont pas les déclarations martiales de certaines sections syndicales locales et nationales qui manquaient, comme si le volcan de la contestation de la réforme des retraites était toujours actif. Or, il est marquant de constater que le passage de l’âge de départ à la retraite semble désormais, sinon accepté par la majorité des travailleurs salariés, du moins reconnu comme une réalité malheureuse mais désormais installée. Peut-on dire que les manifestants et ceux qui ont vu leur projet de départ à la retraite retardé de quelques mois ou de quelques années sont désormais fatalistes ? Sans doute, mais ils n’en sont pas moins en colère contre ce gouvernement qui leur a imposé ce dont ils ne voulaient pas, et cela sans autre motivation, pour icelui, que quelques économies dérisoires au regard de l’immense dette publique de 3 050 milliards d’euros, véritable gouffre financier dont la France semble ne jamais devoir se sortir… Quand, de surcroît, ce même gouvernement annonce vouloir mettre la main sur quelques milliards engrangés par le régime de retraite complémentaire du privé, l’Agirc-Arrco, domine alors chez nombre de salariés du privé une impression, désagréable, d’injustice et un sentiment de spoliation : mais n’est-ce pas habituel depuis 1791 quand la Révolution, par le décret d’Allarde, a décidé de dissoudre les corporations, mettant dans le même temps la main sur leurs patrimoines respectifs ? Une opération déjà faite, quelques années plus tôt, par le libéral Turgot qui y voyait un moyen d’assurer la liberté d’entreprise et d’investissement en brisant les « barrières » corporatives, considérées comme obsolètes et contreproductives dans la logique capitaliste qui était celle du ministre, d’ailleurs bientôt désavoué par le roi Louis XVI. Il semble ainsi que l’Etat républicain, à court d’argent mais pas à court d’idées fiscales, cherche encore à financer son incurie et son assistanat par les excédents des autres, de ces organismes sur lesquels il n’a pas complétement la main car ceux-ci sont gérés paritairement par les organisations patronales et syndicales, d’une façon qu’il ne serait pas forcément inutile de répéter pour d’autres champs d’application…

 

Au-delà de cette question particulière qui concerne tout de même quelques millions de salariés, c’est la méthode qui interroge et qui peut légitimement choquer le salarié comme le citoyen : l’Etat, qui se veut Providence depuis la fin des années 1940, agit parfois comme un prédateur et non comme l’arbitre et l’incitateur qu’il devrait être en plus d’être le protecteur du Travail et des travailleurs dans leurs cadres socioprofessionnels et face aux abus propres à la mondialisation des espaces productifs. Cela peut expliquer le décalage de plus en plus grand entre le pays réel des producteurs et le pays légal des administrateurs, de cette bureau-technocratie jadis dénoncée par le royaliste Pierre Debray et qui s’impose au monde du Travail, souvent au détriment de celui-ci, condamné à subir la désindustrialisation autant qu’un réglementarisme tatillon et souvent inapproprié.

 

C’est d’ailleurs ce pays réel-là qui subit de plein fouet les effets de ce qui n’est pas qu’une crise passagère mais la poursuite d’une mondialisation économique qui paraît changer de cap et, en tout cas, de champ d’application privilégié, le basculement des pays du Nord (1) vers ceux, en pleine croissance, d’un Sud (2) aux aspects et aux puissances multiples et hétérogènes, s’opérant toujours sous nos yeux et, parfois, avec l’accord tacite des populations occidentales qui placent majoritairement le maintien de leur haut niveau de vie avant toute autre considération (3). Cela ne facilite guère, du coup, les stratégies de réindustrialisation ni les circuits courts, pourtant économiquement et écologiquement utiles et appropriés aux défis social et environnemental.

 

Du coup, si l’on dresse un tableau du champ économique et social français de ce début d’année scolaire, les motifs d’inquiétude et de tension ne manquent pas, mais ne semblent pas encore s’agréger en un bloc contestataire visible et crédible, ce qui ne signifie pas que cela ne peut se faire ou exister prochainement : les royalistes sociaux ont là un motif de réflexion mais, au-delà, d’action pour préparer, non un programme forcément réducteur, mais une alternative sociale qui, pour être vraiment efficace, doit s’ordonner au politique, et au « politique d’abord » en particulier.

 

L’incapacité des syndicats à bâtir des contestations victorieuses est sans doute liée à leur difficulté à relier leurs revendications, principalement réformistes ou légalistes, à des considérations plus politiques sur les stratégies d’Etat nécessaires pour maintenir et accroître les moyens (financiers comme industriels) de la nation française, de l’Etat lui-même et des acteurs économiques et sociaux enracinés de longue date ou simplement inscrits par quelques investissements et usines dans l’ensemble français. Ainsi, dénoncer le passage de l’âge de départ à la retraite à 64 ans sans penser d’abord les conditions politiques nécessaires pour empêcher ou nuancer cette mesure, puis le contexte à créer pour ouvrir une alternative à cette réforme « voulue d’ailleurs » (4), est forcément vain aujourd’hui : en limitant la protestation à la seule mesure « technique » du report de l’âge de départ à la retraite, les syndicats, pourtant approuvés par une large majorité de Français sur ce refus de la retraite à 64 ans, sont vite tombés dans une ornière dont il ne leur a pas été possible de se dégager. Le gouvernement, en définitive, a été plus menacé par les parlementaires opposés à la réforme (d’où l’usage répété de l’article 49-3, véritable « dôme de fer » du gouvernement) que par les cortèges de manifestants tenant la rue (5), parfois de manière violente ou incendiaire, ce qui, sans la visibilité d’une alternative crédible à la mesure gouvernementale, déconsidérait le mouvement protestataire pourtant légitime au plus grand profit du « gouvernement de l’ordre » de Mme Borne.

 

Les royalistes, malgré leurs forces réduites (en nombre, pas en énergie), doivent ainsi travailler à constituer un noyau dur éminemment politique (dans sa manière de penser, en particulier) qui puisse s’investir dans la réflexion et l’action sociales, par la revendication, la proposition et la formation (entre autres), et cela sous des formes diverses et appropriées au terrain considéré. Il s’agira au fil de cette rubrique, des réflexions et des compléments, mais aussi des débats et des critiques qu’elle pourra susciter dans les mois qui viennent, de préciser les aspects, tenants et aboutissants, d’un « Que faire ? » royaliste dans le combat social. Nous ne partons pas de zéro, loin de là : redécouvrir l’héritage des légitimistes sociaux du XIXe siècle, des maurrassiens valoisiens des années 1900-1920, et des corporatistes du XXe siècle, est aussi l’occasion de l’enrichir et de le valoriser intelligemment, selon la méthode de l’empirisme organisateur, pour aiguiser la pointe d’une Action française du XXIe siècle…

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Ce que l’on peut nommer Nord n’est pas exactement l’hémisphère nord de notre planète mais l’ensemble des pays anciennement industrialisés, désormais plus consommateurs que producteurs, et dominés, professionnellement parlant, par les activités du secteur tertiaire : commerces, services, administrations, etc. Certains réduisent ce Nord à l’Occident qui regrouperait les Etats-Unis et les pays d’Europe (principalement de l’ouest et du nord de ce continent mal défini), mais en lui adjoignant aussi le Japon et les « tigres asiatiques », de la Corée du sud à Taïwan, en passant par Singapour…

 

(2) : Le Sud évoque les pays nouvellement industrialisés, souvent en pleine expansion et en cours de rattrapage des pays du Nord fragilisés désormais par une mondialisation qu’ils avaient pourtant jadis créée et initiée. La Chine, l’Inde et le Brésil (mais aussi la Turquie ou le Vietnam) en sont quelques puissances marquantes et, en certains domaines, dominantes en attendant d’être, un jour peut-être, dominatrices.

 

(3) : En période d’inflation, mais pas seulement, les consommateurs choisissent de privilégier le maintien de leur pouvoir d’achat en réorientant nombre de leurs emplettes vers les magasins et les produits à bas coût, aggravant encore un peu plus la situation au détriment des entreprises françaises : par exemple dans l’alimentaire, un secteur qui souffre, c’est bien celui des productions bio et locales, considérées sous le seul angle de leur prix, plus élevé à la vente que les produits importés, souvent de qualité incertaine mais de prix plus bas à cause de leurs modes de production et d’exploitation des personnes comme des terres et des animaux… Sans oublier que les grandes structures multinationales de l’agroalimentaire, de par leur propre poids économique, peuvent se permettre une stratégie qui accroît les déséquilibres, par le simple jeu d’une concurrence faussée par le gigantisme de leurs productions et la variété de leurs marques et gammes, au dépens, toujours, des petites et moyennes entreprises et des modes d’agriculture traditionnels et enracinés.

 

(4) : C’est la Commission européenne qui, depuis janvier 2011 et sous l’influence de Mme Merkel alors chancelière d’Allemagne, a incité (de façon insistante) les Etats de l’Union européenne à reculer l’âge de départ à la retraite à 67 ans, ce que certains, au cœur de la crise de la zone euro dans les années 2010 ou candidats à y entrer, ont appliqué sans parfois beaucoup d’égards ni pour leur population active, ni pour les propres promesses antérieures : il est intéressant de noter que la Gauche, même dite « radicale », a effectivement relevé l’âge de la retraite au-delà de 65 ans, jusqu’à 67 ans en Grèce quand elle était dirigée par M. Tsipras, alors ami politique de… M. Mélenchon ! L’alibi évoqué par ces gouvernements était le risque d’être « chassé » de la zone euro, risque unanimement refusé par cette Gauche bien peu audacieuse et pas si sociale que ce qu’elle prétend être… Dans le même temps, c’est un gouvernement de Droite conservatrice qui, en Pologne en 2017, baissait l’âge de la retraite de 67 ans à 65 ans pour les hommes, 60 pour les femmes…

 

(5) : Dans ces cortèges contre la retraite à 64 ans, étaient représentés, de façons diverses, les royalistes sociaux et d’Action française : ainsi, à Mulhouse, une banderole d’AF était visible lors des premières manifestations ; mais, très vite, des syndicalistes « officiels » ont cherché à chasser ces manifestants royalistes, considérant sans doute que le combat social était réservé au seul côté senestre de l’échiquier politique… Cet ostracisme à l’égard des royalistes montre à l’envi les limites évidentes de certaines luttes sociales quand elles se trouvent monopolisées par les conformismes contemporains.

 

(6) : Mais de ce handicap apparent du petit nombre, il est possible d’en faire une force en se concentrant sur les secteurs ou les vecteurs les plus actifs du syndicalisme ou de la proposition citoyenne : après tout, n’était-ce pas la stratégie de Maurras quand il demandait aux royalistes de s’adresser, d’abord, aux Français actifs qui n’étaient pas le plus grand nombre mais qui incarnaient l’énergie utile au combat politique et la possibilité de victoires futures ?

 

 

 

 

 

 

10/04/2023

La Révolution française, cauchemar social pour les travailleurs ?

 

Me voici encore une fois à fouiller dans la malle aux écrits « anciens », dans le cadre de la réédition de quelques textes qui me semblent utiles pour saisir le combat royaliste social et le valoriser en cette période de crise politique et de mouvements de rue (à défaut d’être de lycée ou d’université, voire d’usine…) : j’ai pu constater qu’il y avait une vraie demande d’information (et de formation…) parmi nombre des contestataires de la réforme Borne-Macron des retraites et de sa mesure emblématique du report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, et il est bien dommage, tout compte fait, que la Gauche et ses extrêmes cherchent à monopoliser une lutte sociale qui, en définitive, pourrait bien ne pas leur appartenir… Voici donc un texte « royaliste social » initialement publié au printemps 2016, et qui me semble répondre à quelques interrogations historiques mais aussi contemporaines…

 

 

 

(…) Bien sûr, depuis quelques années, le Groupe d'Action Royaliste a publié bon nombre de textes, de brochures et de vidéos sur ce thème, mais c'est un travail de bénédictin qui attend celui qui voudra faire une synthèse complète des positions et des politiques monarchistes du XIXe au XXIe siècle qui se veulent sociales (1), et il ne faudra pas oublier, aussi, les réticences ou l'indifférence de certains de ceux-ci devant des avancées sociales qui, parfois, semblaient « socialistes »... Effectivement, s'il y aura bien un Mouvement Socialiste Monarchiste qui, entre 1944 et 1946, fera référence au « socialisme » de René de La Tour du Pin et vantera, furtivement, les expériences sociales des monarchies du Nord de l'Europe, il ne connaîtra qu'un succès éphémère et tout relatif, et sera largement incompris du public qu'il était censé attirer...

 

Et pourtant ! Si la question sociale ne naît pas avec la Révolution, loin s'en faut, ce sont des royalistes qui vont, dès la fin du XVIIIe siècle, dénoncer les conditions nouvelles faites au monde des artisans et ouvriers par le libéralisme triomphant à travers le décret d'Allarde et la loi Le Chapelier. Car la date de naissance « légale » de la condition de « prolétaire » en France est bien cette année 1791 avec ses deux textes aujourd'hui « oubliés » des manuels scolaires et qui, tout le XIXe siècle, permettront l'oppression en toute légalité et au nom de « la liberté du travail » (qui n'est pas vraiment la liberté des travailleurs...) des populations ouvrières de notre pays.

 

Étrangement, le philosophe maoïste Alain Badiou paraît (mais paraît seulement...) rejoindre les monarchistes sociaux dans leur critique d'un libéralisme triomphant à la fin du XVIIIe siècle, de ce « franklinisme » qui sacralise l'Argent à travers la fameuse formule « le temps c'est de l'argent » écrite et expliquée par celui qui a été reçu comme un véritable héros (héraut, plutôt, et d'abord des idées libérales) à Versailles par les élites du moment et particulièrement par la grande bourgeoisie. Ainsi, dans son dernier essai intitulé « Notre mal vient de plus loin », Badiou écrit, en cette année 2016, ce qu'un Maurras du début du XXe siècle n'aurait pas désavoué : « Depuis trente ans, ce à quoi l'on assiste, c'est au triomphe du capitalisme mondialisé.

« Ce triomphe, c'est d'abord, de façon particulièrement visible, le retour d'une sorte d'énergie primitive du capitalisme, ce qu'on a appelé d'un nom contestable le néolibéralisme, et qui est en fait la réapparition et l'efficacité retrouvée de l'idéologie constitutive du capitalisme depuis toujours, à savoir le libéralisme. Il n'est pas sûr que « néo » soit justifié. Je ne crois pas que ce qui se passe soit si « néo » que ça, quand on y regarde de près. En tout cas, le triomphe du capitalisme mondialisé, c'est une espèce d'énergie retrouvée, la capacité revenue et incontestée d'afficher, de façon maintenant publique et sans la moindre pudeur, si je puis dire, les caractéristiques générales de ce type très particulier d'organisation de la production, des échanges, et finalement des sociétés tout entières, et aussi sa prétention à être le seul chemin raisonnable pour le destin historique de l'humanité. Tout cela, qui a été inventé et formulé vers la fin du XVIIIe siècle en Angleterre et qui a dominé ensuite sans partage pendant des décennies, a été retrouvé avec une sorte de joie féroce par nos maîtres d'aujourd'hui. »

 

Maurras évoquait « le triomphe des idées anglaises et genevoises » pour qualifier la Révolution française et, comme Badiou, il ne faisait guère de distinction entre libéralisme économique et libéralisme politique, l'un permettant l'autre et réciproquement... J'aurai, quant à moi, tendance à déplacer un peu le curseur de l'autre côté de l'Atlantique, comme je le fais à travers ma critique de la philosophie « profitariste » de Benjamin Franklin.

 

Disons-le tout net : la France aurait pu éviter de tomber dans le travers d'un capitalisme que Maurras dénoncera comme « sans frein » quand il aurait pu être maîtrisé et, pourquoi pas, bénéfique s'il avait intégré les fortes notions de « mesure » et de partage en son sein, ce qui ne fût pas le cas, malheureusement.

 

Oui, il y aurait pu y avoir « une autre industrialisation », mais la Révolution a tout gâché et la République plus encore une fois débarrassée de la Monarchie et de ses structures fédératives et corporatives (ces deux dernières étant mises à mal et pratiquement à bas dès l'été 1789). Je m'explique : avant le grand tumulte de 1789, la France est la première puissance d'Europe (voire du monde ?) et elle maîtrise désormais les mers, au moins en partie, depuis ses victoires navales du début des années 1780 face à l'Angleterre, thalassocratie marchande en plein doute depuis sa défaite américaine. Elle est la première puissance industrielle et la première diplomatie mondiale, mais, alors que le pays est riche et apparaît tel aux yeux des étrangers, pays comme individus, l’État, lui, est pauvre et en butte aux pressions de plus en plus fortes des élites frondeuses, aristocratie parlementaire et bourgeoisie économique (même si le pluriel pourrait bien être employé pour cette dernière, plus protéiforme qu'on le croit généralement). Si l'on s'en tient aux aspirations de la noblesse libérale et financière et à celles de la bourgeoisie économique, elles sont simples : prendre le Pouvoir politique, au nom du Pouvoir économique, en arguant que ceux qui font prospérer les capitaux sont les plus aptes à l'exercice de l’État, ravalé (dans leur logique) à un simple rôle de gestionnaire et non plus d'arbitre ou de décideur politique. En somme, indexer le Pouvoir politique sur le seul Économique, au risque d'en oublier l'importance d'une politique sociale d'équilibre... Ce qui arriva dès que la Révolution prit les rênes du gouvernement au détriment de l'autorité royale elle-même, et qui provoqua l'explosion de la pauvreté en France dès le début des années 1790 et l'effondrement de l'économie française, bientôt aggravé par la guerre et la fin de la Marine française.

 

Ainsi, le XIXe siècle que, quelques années avant la Révolution, l'on annonçait « français », sera en définitive « anglais » et c'est le modèle capitaliste « sans frein » qui triompha, la France s'y étant « ralliée », en sa haute (et pas seulement) bourgeoisie et par les textes législatifs de 1791 (aggravés par Napoléon et son fameux « livret ouvrier » si défavorable aux travailleurs), puis par un « mimétisme nécessaire » pour ne pas être décrochée dans la compétition économique mondiale de l'après-Révolution...

 

J'en suis persuadé : si 1789 n'avait pas eu lieu tel qu'il a eu lieu, trahissant l'esprit même des états généraux et des cahiers de doléances voulus par le roi Louis XVI, et laissant l’Économique s'emparer du Politique, « 1791 » n'aurait pas été cette défaite du monde du travail et la France n'aurait pas perdu le combat civilisationnel face au « Time is money » anglo-saxon...

 

Est-il définitivement trop tard ? Un disciple de La Tour du Pin, ce penseur majeur du royalisme social et corporatiste, était persuadé du contraire et, crânement, il déclarait que « la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille (la Bourse) » tout en rappelant aussi le « Politique d'abord » (comme moyen et non comme fin) par la formule, simple mais efficace : « l'intendance suivra ! »... Mais c'était toujours la République et l'effort d'un moment n'a pas suffi et ne suffit pas si les institutions elles-mêmes ne l'enracinent pas dans la longue durée, celle qui permet de traverser les siècles et d'aider les générations qui se succèdent. La République n'est pas la Monarchie, tout simplement, même s'il lui arrive de l'imiter, dans un hommage involontaire du vice à la vertu...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Depuis la première publication de cette note sont parus deux livres qui comblent en grande partie le vide sur le XIXe et le début du XXe siècle : « Le catholicisme social, de la Restauration à la Première Guerre mondiale », de Léo Imbert, éditions Libres, 2017 ; « Actions et doctrines sociales des catholiques. 1830-1930 », de Daniel Moulinet, Cerf, 2021. D’autres ouvrages avaient précédé, comme ceux de Xavier Vallat, d’Antoine Murat et, entre autres, de Jean-Baptiste Duroselle. Mais rien n’existe vraiment sur les royalistes sociaux de la fin des années 1940 à nos jours…

 

Postface : Une nouvelle écriture de cette note me conduira sans doute à présenter aussi les idées des physiocrates (en prenant appui sur le dernier livre de Jean-Marc Daniel, « Redécouvrir les physiocrates », livre qui s’inscrit dans une perspective libérale et dont il me faudra préciser les limites, voire les erreurs de sens et de portée…) et les réformes de Turgot sous Louis XVI ainsi que celles de Choiseul qui les précédent dès 1763, et qui inaugurent un « cycle libéral » (encore contrarié sous la Monarchie d’Ancien Régime) dont l’apogée légale et pratique sera, en somme, les lois de 1791 et leur application au XIXe siècle.

 

 

 

 

18/03/2023

La question des retraites n'est pas soluble dans le 49.3.

 

Ces derniers jours ont été bien agités dans les villes de France, et les slogans des manifestants n’ont pas suffi à étancher la colère qui, sur les lieux de travail ou de convivialité, s’exprime de façon de plus en plus imagée et, en définitive, de moins en moins tranquille : autant dire que le 49.3 a jeté une immense bassine d’huile sur un feu qui ne demandait qu’à se transformer en incendie ! Est-ce de la maladresse de la part d’un président qui paraît de plus en plus absent à la France ou du cynisme, une façon de provoquer une opinion publique qui, malgré les manifestations syndicales des dernières semaines, tendait pourtant à se résigner à cette mesure impopulaire du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans ?

 

Il est étonnant de constater que ce président qui emploie souvent le vocabulaire de l’audace et du courage se réfugie, à la fois craintif et arrogant, derrière un article qui, tout constitutionnel et démocratique qu’il soit, n’en reste pas moins, dans le cas présent, comme un soufflet aux parlementaires, à ce pays légal (de l’Assemblée nationale mais aussi du Sénat) qui d’ordinaire se plie aux apparences de la dispute politique au sein des assemblées et sur les plateaux de télévision et qui, aujourd’hui, se trouve frustré par le Chef de l’Etat de son occupation principale : car, que reste-t-il aux parlementaires d’opposition, par exemple, si ce n’est la seule voie du courage suicidaire ? Si la motion de censure la plus réaliste (1), celle des centristes, réussissait à renverser le gouvernement d’une Madame Borne déjà condamnée au départ prochain, l’Assemblée nationale serait immédiatement dissoute et de nouvelles élections législatives, si l’on en croit les derniers sondages, ne changeraient pas fondamentalement les équilibres actuels, au risque de verser un peu plus dans une sorte de retour à feue la Quatrième République et, donc, à une ingouvernabilité qui serait la pire des politiques pour une France qui, en fait, a besoin d’une direction claire, affirmée et, surtout, volontaire et indépendante, en un mot : souveraine !

 

En fait, à moins d’une grande surprise (2), le gouvernement ne tombera pas, et la réforme des retraites de 2023, qui entrera alors en vigueur dès cette année, n’est que le prélude à celle de 2027 (déjà annoncée par quelques prétendants au siège élyséen et voulue par les instances européennes comme par les milieux financiers) destinée à aligner l’âge légal de départ à la retraite sur les recommandations de la Commission européenne (3), soit 67 ans…

 

Alors, que faire ? Il m’apparaît nécessaire de continuer à dénoncer un report désormais toujours plus loin de l’âge de départ à la retraite, particulièrement injuste pour les classes laborieuses (au sens fort du qualificatif) et populaires, ouvrières, paysannes et d’employés, sans négliger néanmoins que certains peuvent vouloir poursuivre leur profession au-delà de l’âge légal de départ à la retraite et qu’il faut aussi leur ouvrir cette possibilité : un peu de souplesse dans le système d’accès à la retraite est évidemment nécessaire, ce que la réforme Borne, mal ficelée et fort incomplète en plus de ne pas être socialement juste, n’évoque même pas, preuve de son caractère purement technocratique et financier… Mais il faut aller plus loin dans la réaction et rappeler qu’il ne pourra y avoir de pérennité du système de retraites par répartition que s’il s’accompagne d’autres formes d’épargne en prévision du temps de l’après-travail, qu’elles soient corporatives ou socio-professionnelles (cela existe déjà pour certains secteurs d’activité et professions, et parfois depuis fort longtemps), ou qu’elles soient constituées par une « épargne sur les bénéfices des entreprises », dont les formes peuvent varier selon le moment ou l’activité, et selon les profits réalisés eux-mêmes. De plus, il y a trois éléments qu’il ne faut pas négliger pour équilibrer le système de solidarité intergénérationnelle (qui, d’ailleurs, doit fonctionner dans les deux sens et sur des synergies entre générations, entre autres) : 1. Une politique démographique qu’il n’est pas abusif de qualifier de nataliste ; 2. Une politique de l’emploi destinée à garantir, autant que faire se peut, une continuité de celui-ci durant le temps professionnel, y compris pour les travailleurs âgés (je rappelle que ce qualificatif d’âge ne s’applique pas forcément de la même manière selon la profession et la charge de travail, mais aussi selon les forces physiques et la santé des personnes : un ouvrier du bâtiment vieillit plus vite qu’un professeur d’université, en général) ; 3. Une politique de création de valeur (de richesses, si l’on préfère)  qui peut être soutenue par une stratégie d’incitation et d’impulsion de l’Etat, et qui doit permettre aux entreprises, quelles que soient leur taille et leur puissance, de valoriser leur activité et d’exploiter intelligemment les atouts français (espaces ; potentialités énergétiques, agricoles ou industrielles ; savoir-faire et matière grise, etc.).

 

La République actuelle peut-elle mener cette politique sociale juste et nécessaire dont le pays et ses habitants ont besoin pour envisager l’avenir sans le poids trop lourd de l’inquiétude ? Au regard des blocages qu’elle semble se créer elle-même, il est logique de douter de ses capacités… A bien y regarder, cette crise sociale et désormais politique (mais ne l’a-t-elle pas toujours été, en fait ?) peut être l’occasion de réfléchir sur les institutions politiques elles-mêmes et leur rapport avec le monde du travail, rapport qui, pour être constructif et crédible, doit largement reposer sur une bonne compréhension de la justice sociale et sur la concertation permanente avec les corps sociaux productifs, partie prenante d’une économie dont ils sont aussi les acteurs incontournables…

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Quand j’écris que la motion de censure présentée par les centristes est la plus réaliste, cela ne signifie pas qu’elle soit la plus satisfaisante mais qu’elle est simplement en mesure de rassembler des voix de tous les bords de l’Assemblée sans être accusée de servir les intérêts des uns ou des autres et, donc, qu’ de mobiliser le maximum des voix possible et nécessaire pour arriver à ses fins, communes à des groupes politiques qui, d’ordinaire, se détestent et s’excommunient rageusement les uns les autres…

 

(2) : Qui sait ? Après tout, n’est-il pas bien connu que « le désespoir en politique est une sottise absolue » ?

 

(3) : Depuis janvier 2011, la Commission européenne recommande de retarder l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans, et certains pays ont déjà cédé à cette insistante demande, et cela même s’ils étaient dirigés par des partis de gauche, voire de gauche dite radicale : en Espagne, pour 2027 ; au Portugal, c’est 66 ans et 7 mois, mais avec une possibilité d’élévation prochaine en fonction de l’espérance de vie des retraités eux-mêmes ; en Italie, en Allemagne, en Belgique, c’est aussi officiellement 67 ans, à plus ou moins long terme…