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18/12/2007

Démocratie européenne.

La semaine dernière, dans une indifférence quasi-totale, a été signé le traité de Lisbonne, réactualisation, à peine modification, du traité constitutionnel européen refusé par référendum par les électeurs français et néerlandais. Cet événement, majeur et sans doute le plus important de l’année dans l’actualité institutionnelle de l’Union Européenne, aurait mérité une large couverture médiatique : et là, rien, à part quelques articles de presse en pages intérieures des quotidiens… Cette étrange occultation d’un fait majeur de la vie de l’UE m’interroge : pourquoi « l’Europe » se cache-t-elle de ceux-là mêmes qui, dans une démocratie (si j’en ai bien compris le principe…), fondent sa légitimité ? Pourquoi les citoyens sont-ils laissés à l’écart de cette construction européenne qui, jadis, était évoquée comme une véritable « révolution », la marche glorieuse vers un nouvel Eden terrestre de paix et de prospérité ?

Une répartie agacée du ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, à un député qui demandait l’autre jour la tenue d’un nouveau référendum populaire sur ce traité modificatif, a résonné étrangement, l’autre jour, à l’Assemblée nationale : « Il y a déjà eu un référendum : on a vu le résultat ! ». Quel terrible aveu ! Je ne suis pas certain que le ministre ait exactement pesé ses propos qui laissent supposer que la démocratie, tout compte fait, est trop sérieuse pour être laissée au peuple (tellement déraisonnable, n’est-ce pas ?), et que, si le peuple vote mal (on ne peut pas lui faire confiance !), il suffit de contourner celui-ci par une ratification « entre gens sérieux », c’est-à-dire les représentants politiques du corps électoral dans toute démocratie parlementaire. En somme, M. Kouchner, déçu par le peuple, s’en remet à « la sagesse » des députés et sénateurs, beaucoup moins versatiles que les électeurs et tellement plus « conscients » des enjeux : voici, pour cet ancien militant communiste, une belle interprétation de la théorie de « l’avant-garde consciente du prolétariat » qui n’a jamais été autre chose que la confiscation du pouvoir par ceux qui prétendaient parler au nom du peuple… Les fidèles de Charles Maurras y verront, eux, la confirmation de la césure, voire du divorce, entre « pays réel » et « pays légal ».

Personnellement, je ne suis pas un fanatique du référendum, même s’il peut parfois révéler de bonnes surprises. Mais je ne limite pas l’action du politique à la seule activité et décision électorales, et je ne suis pas de ceux qui mythifient le « vote démocratique » et en font la source de tout pouvoir, de toute légitimité. L’élection, le vote ne sont que des moyens, mais pas des fins en eux-mêmes : si je leur accorde une grande importance, voire même une certaine nécessité, en particulier à l’échelon politique local, communal, régional et même national, ou professionnel et syndical, je n’en fais pas un absolu, une « théocratie laïque » qui empêcherait tout autre type de médiation politique. Pragmatique, je suis prêt à accepter l’idée d’un référendum mais je ne me sens pas tenu par un résultat qui me semblerait aller à l’encontre des intérêts majeurs de notre pays : certains pourraient alors me rétorquer que j’adopte le même raisonnement que Bernard Kouchner mais ce n’est pas totalement exact car je n’ai pas l’ambition de me proclamer « démocrate » (ni « antidémocrate » d’ailleurs, ce qui me semble tout aussi vain et pose mal le problème) comme ceux qui nous gouvernent aujourd’hui et je ne revendique pas « le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais, si j’étais démocrate, je n’aurai pas le front de me passer du peuple ou de le mépriser avec le cynisme d’un Kouchner. Etant démophile, si je doute des qualités intrinsèques de la démocratie électorale (même référendaire), je n’épouse pas cette morgue qui consiste à penser pour le peuple (en lieu et place du peuple) ou cette naïveté qui amène à croire que sa pensée est forcément parole d’évangile : je préfère prendre les réalités comme elles sont, ce qui ne veut pas dire que je m’y abandonne mais que c’est à partir d’elles que j’agis, éventuellement pour les changer. J’ai déjà dit maintes fois que le Pouvoir qui n’écouterait que le peuple courrait à sa perte mais que le Pouvoir qui le négligerait n’aurait que le tombeau comme destin…

Dans la construction européenne, les peuples ont été mis à l’écart et, du coup, il est peu probable que ceux-ci sortent de cette « léthargie démocratique » qui se signale à chaque élection des représentants au Parlement européen par de forts taux d’abstention au contraire des référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas. La paranoïa d’un Kouchner et la discrétion des signataires du traité de Lisbonne (jusqu’à Gordon Brown, premier ministre britannique absent de la photo officielle…) ne sont que les symptômes inquiétants de la profonde fracture entre les citoyens et les oligarques qui sont censés les représenter et les diriger : cette « discrétion » est-elle l’annonce d’une forme de « cryptocratie » qui tenterait les eurocrates ? Après tout, les « pères fondateurs » Jean Monnet et Robert Schuman baignaient déjà dans cette étrange atmosphère que de Gaulle dénonçait en son temps par quelques haussements d’épaules révélateurs…

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