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09/05/2022

Le 9 Mai, journée de "l'Europe", ou de sa caricature ?

 

Je me permets de republier (encore…) cette note rédigée il y a plus de quinze ans car elle me semble garder un certain intérêt, même si cette année, la commémoration du 9 mai est passée totalement inaperçue, si ce n’est le drapeau de l’Union européenne à nouveau déployé sous l’Arc de Triomphe et le discours de M. Macron devant les parlementaires de l’Union... J’en ai effacé quelques lignes, dans un souci de clarté et rajouté quelques autres pour réactualiser le propos.

 

 

 

Le 9 mai est, depuis quelques décennies, institué « journée de l’Europe » et c’est l’occasion d’une vaste promotion (certains diraient propagande…) pour les bienfaits de l’Union européenne, présentée comme seul et unique horizon glorieux des habitants du continent européen et parfois au-delà, puisque l’Union n’est pas, et ne se veut pas, une entité purement géographique ni même seulement « européenne » … Bien sûr, la guerre en Ukraine semble avoir redonné quelque écho à cette journée, mais cela semble, en fait, bien artificiel… et le départ en fanfare du Royaume-Uni, il y a quelques temps, n’a pas arrangé les choses.

 

 

Dix-sept ans après le rejet par les électeurs français et néerlandais de la Constitution européenne, pour des raisons d’ailleurs fort diverses et parfois contradictoires, les partisans de l’U.E. reprennent l’offensive (l’ont-ils jamais suspendue ?) et indiquent vouloir intégrer au plus vite les pays voisins de la Russie et, évidemment, l’Ukraine aujourd’hui en guerre, au risque de « gâcher le travail » et de préparer les désillusions et les aigreurs de demain.

 

 

Pour autant, que ce 9 mai soit l’occasion, dans les médias et au sein d’une Education nationale toute acquise à la cause « européenne » (européiste serait le terme le plus exact, en fait), de présenter l’Union européenne, son histoire et ses institutions, ses projets et ses perspectives, cela n’a rien en soi pour me choquer, bien au contraire : le savoir vaudra toujours mieux que l’ignorance ou le non-dit ! Mais, que cela soit juste une « opération séduction » sans véritable discussion, sans évocation des débats importants qui se posent en U.E. au-delà de la position à l’égard de la guerre en Ukraine (sujet qui n’est pas mineur, tout de même), sans esprit critique ni recul même par rapport à certains problèmes actuels (particulièrement sur les questions sociales), cela me semble fort malsain et s’apparente à la politique de la « République obligatoire » qu’a pratiquée la IIIe République à travers sa stratégie scolaire, si peu respectueuse des traditions et des libertés provinciales mais aussi de l’histoire française au point, parfois, de la travestir de façon ridicule.

 

 

En veut-on un exemple, pour ce qui est de l’histoire de la Construction européenne elle-même ? alors, prenons l’événement que, justement, l’on commémore ce 9 mai, la fameuse déclaration de Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, le 9 mai 1950 et annonçant la CECA  : elle fut préparée dans le plus grand secret, rédigée en fait dans ses grandes lignes par Jean Monnet ; les ministres français, pourtant collègues de Schuman, tout comme les diplomates du Quai d’Orsay, ne furent même pas prévenus de ce qu’elle contenait, mais, par contre, Schuman en informa … le chancelier fédéral d’Allemagne de l’Ouest (Konrad Adenauer) et les dirigeants états-uniens… Comme le signale Michel Clapié, auteur du manuel « Institutions européennes » (Champs Université ; Flammarion ; 2003), et à qui je dois d’avoir beaucoup appris sur la manière dont s’est construite et se construit toujours l’U.E. : « La gestation de cette Déclaration ne fut donc pas un « modèle de transparence démocratique » » …

 

 

D’autre part, il serait intéressant de relire cette fameuse déclaration qui annonce aussi la stratégie européiste vers ce que Schuman appelle la « Fédération européenne » : on comprend mieux alors pourquoi De Gaulle n’y est guère favorable et pourquoi Schuman, dès le retour du Général à la tête de l’Etat, rentre dans une opposition acharnée à l’homme du 18 juin 40, alors que ce dernier lui avait évité, à la Libération, « un procès que son attitude pendant le conflit [la seconde guerre mondiale] incitait certains à lui faire » (Michel Clapié, dans le livre cité plus haut, page 373). Effectivement, petit détail « amusant », Schuman fut membre du Gouvernement Pétain du 16 mai au 17 juillet 1940, et il a voté les « pleins pouvoirs » au Maréchal Pétain le 10 juillet… De plus, malgré sa foi chrétienne et son anti-nazisme avéré, il se refusera à rentrer dans la Résistance, préférant (mais après tout, pourquoi pas ?) une vie monastique pendant laquelle il prie pour la paix, en attendant des jours meilleurs… On peut néanmoins préférer la foi combattante d’un Honoré d’Estienne d’Orves, d’un Colonel Rémy ou d’un De Gaulle… En tout cas, que MM. Schuman et Monnet soient considérés comme les « pères de l’Europe » (sic), en dit long sur la conception de celle-ci, si peu indépendante des Etats-Unis et encore moins respectueuse des peuples ou des opinions publiques qui, pourtant, sont présentées d'ordinaire comme les bases de la démocratie électorale : le mépris des dirigeants européens (et de M. Sarkozy en particulier, en 2008) à l’égard de ce que leur avaient signifié les électeurs français et néerlandais au printemps 2005, en est l’éclatante et dévastatrice illustration et confirmation. Ce qui ne signifie pas, pour autant, que je sois un adorateur de la « volonté populaire » appliquée à tout, mais il faut tout de même reconnaître la force du sentiment démocratique dans le « pays réel », en particulier quand il s’agit de questions touchant directement à son « être » historique et civique…

 

 

Alors, je veux bien que l’on fête l’Union européenne le 9 mai ou un autre jour, mais cela ne doit pas empêcher de penser librement à l’Europe sans céder à la tentation de la propagande ou de la sacralisation… Et j’avoue que les déclarations de M. Macron de ce 9 mai 2022, quoi que l’on puisse penser du président réélu et de son idéologie, ont le mérite de poser quelques jalons pour la réflexion sur l’avenir de la Construction européenne et d’ouvrir quelques débats que le vieux royaliste que je suis aurait mauvaise grâce de refuser… Encore faudrait-il que, à Bruxelles comme à Berlin ou à Paris, la discussion ne soit pas un simulacre et qu’elle n’autorise pas l’Union à se croire tout permis, y compris contre l’avis des peuples eux-mêmes qui seraient alors les dindons d’une mauvaise farce à bannière étoilée…

 

 

 

 

 

17/12/2021

La France et l'Europe : le "Que faire ?" de Jacques Julliard. Partie 3 : La vaine Union européenne ?

 

La France et l’Europe ne sont pas les seules dimensions du monde, et le monde n’obéit pas à la France ni à l’Europe, ce qui n’est pas si mal, en définitive : les civilisations sont diverses dans l’espace comme dans le temps, et résumer le monde à un seul mode d’appréhension de celui-ci serait une négation de ce qu’il est, depuis que les hommes existent « en société » (ce qui est d’ailleurs la condition même de la vie humaine, hormis pour les Robinson Crusoé et les ermites qui, par le fait ou la volonté assumée, se retrouvent seuls à assumer les contraintes et les joies de la vie). Pour autant, ne pas être le monde ne doit pas signifier y être indifférent ou vouloir s’en isoler comme pour préserver une « pureté » originelle qui, en fait, n’a jamais existé depuis que les hommes et les générations se succèdent sur notre bonne vieille Terre et, pour ce qui nous concerne, sur l’espace français, fort variable dans le temps mais, au regard d’aujourd’hui, « ni fini ni finissable », comme le constatait Pierre Boutang. La France est vivante et, si elle peut être mortelle, elle n’est pas entrée en agonie même si sa santé peut paraître, parfois, vacillante : les grandes fièvres révolutionnaires et napoléoniennes qui faillirent l’emporter, mais aussi toutes ces douleurs hexagonales et ultramarines qui, de temps à autre, affectent voire handicapent le pays, ont aussi, paradoxalement, prouvé la solidité, la résilience, les capacités de sursaut de la France, quoiqu’il arrive. Cela n’empêche nullement qu’il faille veiller, autant que faire se peut, à sa bonne santé et aux conditions de sa prospérité. Sans négliger que, au regard de son histoire et de son ontologie propre, « la France ne peut être la France sans la grandeur », ainsi que l’a maintes fois souligné le général de Gaulle et qu’il a repris dans « L’Appel », confirmant par la plume ce qu’il pensait dans la vie et pour l’histoire…

 

Les propositions de M. Macron pour sa présidence de l’Union européenne sont-elles compatibles avec la vision d’une France forte et indépendante ? Il est possible d’en douter, ne serait-ce que parce « l’Europe » ne croit plus en elle-même, ni en la possibilité de peser, géopolitiquement, sur les destinées du monde, et qu’elle semble même un facteur d’affaiblissement des États politiques la constituant : « quand on attend l’Union européenne, on risque d’attendre longtemps… », peut-on dire avec une pointe d’ironie, et ce constat est partagé par M. Julliard, pour s’en affliger, d’ailleurs. Tout cela s’accompagne d’une forme de soumission à l’égard des États-Unis, qui se marque par les achats fréquents et parfois exclusifs par certains pays de l’UE de matériel militaire états-unien : la récente acquisition de 64 appareils chasseurs F-35 pour une somme de 8,4 milliards d’euros par la Finlande a d’ailleurs provoqué une réaction logique de la part de l’entreprise française Dassault Aviation qui « prend acte de la décision souveraine des autorités finlandaises ». Pour ajouter ensuite : « Une fois encore, nous constatons et regrettons une préférence américaine en Europe. » Que, dans cette ambiance particulière, le président Macron veuille relancer le « projet Union européenne », n’est pas condamnable, évidemment, mais semble faire preuve, en fait, d’une grande naïveté en un temps où il n’est plus possible de l’être… Il n’y aura pas d’Europe indépendante et souveraine dans le cadre de l’Union européenne actuelle, c’est un fait même si cela peut aussi être un regret !

 

Jacques Julliard en est-il conscient ? Ce n’est pas impossible, en définitive : son constat sur l’état de l’UE est absolument terrible pour celle-ci, quand il avance que, dans les faits, « on la sent plus encline à faire la police à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur, plus prompte à morigéner les Polonais et les Hongrois qu’à contenir les Turcs ou les Algériens. Faut-il rappeler que la Turquie d’Erdogan continue non seulement de faire partie de l’Otan, mais persiste à se porter candidate à l’Union européenne ? Une puissance digne de ce nom ne se laisserait pas ainsi ridiculiser ». Mais, que peut faire une UE prisonnière, concrètement, des choix de l’Otan qui se prennent, tout aussi concrètement, à Washington plutôt que dans les capitales européennes ? « L’américanotropisme » de la plupart des pays de l’UE, qui a survécu à la Guerre froide pourtant finie depuis 30 ans, est un obstacle, autant géopolitique que mental, à l’indépendance des nations européennes et à leur « Union » : or, à l’heure de la montée des périls, cette dépendance à une puissance extérieure à l’Europe, mentalement comme sentimentalement, (au sens historique du terme), met en danger la pérennité même des sociétés du Vieux continent et, par là-même, celle de la France. N’est-ce pas la compréhension de ce risque qui est, en somme, le début de la sagesse et l’occasion d’une nouvelle stratégie « nationale » plus encore qu’européenne ?

 

En fait, l’une (nationale) n’est pas incompatible avec l’autre (européenne), ce que semble créditer Jacques Julliard dans un long paragraphe titré « La nation est de retour », évoquant cette donne politique et géopolitique européenne qui ne peut, désormais, être négligée par les dirigeants de l’Union, qu’ils siègent à Bruxelles ou dans les 27 capitales des pays « intégrés » : « C’est désormais un fait acquis et irréversible : l’Europe de demain ne sera pas, comme avaient pu l’imaginer ses fondateurs, une fédération d’individus dépassant les nations qui la composent, mais, selon l’expression de Jacques Delors, une « fédération d’États-nations ». » La formule « fédération d’États-nations » peut, certes, prêter à confusion et il convient alors de préciser (et de nuancer ?) les choses en reprenant la citation de M. Delors lui-même, comme le fait M. Julliard : « Grâce au mélange qu’elle incarne entre la légitimité des peuples et celle des États, entre unité et diversité, entre dimension politique et territoriale, une fédération d’États-nations est le seul modèle vers lequel devrait tendre la grande Europe ». Le terme « fédération » est-il, d’ailleurs, le plus approprié ou le plus souhaitable ? Les monarchistes français proches de l’Action Française ou ceux de la Nouvelle Action Royaliste sont restés hostiles à toute avancée du fédéralisme européen, et cela pour des raisons qui, le temps de l’expérience aidant, paraissent aujourd’hui plus que judicieuses et que, désormais, M. Julliard n’est pas loin de rejoindre : « Il faut même aller plus loin et affirmer que, sans des nations solides et fières de leur identité, l’Europe elle-même ne serait que la masse molle et flasque vers laquelle elle tend aujourd’hui. » En somme, cela rejoint la fameuse intervention du général de Gaulle du printemps 1962 sur l’Europe : « Dante, Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l’Europe dans la mesure où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelques espéranto ou volapük intégrés… »

 

Mais la construction européenne contemporaine, déconnectée des peuples, est-elle capable de renouer avec les nations historiques et avec les cultures enracinées ? La récente polémique autour d’un livret « de travail » (sic) issu de la Commission européenne (plus exactement d’un membre de celle-ci, Mme Helena Dalli), livret qui proposait de remplacer « Noël » par « vacances » pour mieux « inclure » les populations ne se reconnaissant pas dans les cultures chrétiennes et européennes traditionnelles, tend à montrer le désordre des pensées à la tête même de cette « Europe » que, jadis, l’on qualifiait de « vaticane » parce que, entre autres, elle avait choisi comme emblème les douze étoiles de la Vierge Marie. Or, ne pas assumer ce que l’on est pour complaire à « l’étranger » est le meilleur moyen de s’attirer, non ses bonnes grâces mais bien plutôt son mépris : l’Union européenne, si elle entend rester « inclusive » (au sens ancien du terme, et non dans sa version anglo-saxonne « négationniste » des histoires et des « romans » nationaux) et, tout simplement, « survivre » (je ne parle pas de l’Europe en tant que continent et ensemble de civilisations communément reconnus par autrui et en son sein même par ses peuples partenaires ou adversaires), doit justement écarter toute tentation de se renier et être fière de ses particularités qui la distinguent des autres ensembles géopolitiques et civilisationnels : mais comme je l’ai dit plus haut, je doute que l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui conçue (en particulier idéologiquement parlant) soit le meilleur cadre pour faire ce qui, pourtant, lui serait nécessaire pour retrouver force et crédibilité !

 

Ce qui est certain, c’est que, Union européenne ou pas, la France doit rappeler ce qu’elle est, sans hostilité à l’égard de ses voisins mais sans faiblesse, et valoriser son « projet national » qui n’est rien d’autre que la condition de son existence, de sa liberté et de son épanouissement, et la condition, aussi, d’une « Europe des nations » qui, pour le coup, pourra regarder vers le haut et vers l’horizon, et non vers son seul nombril…

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

08/12/2021

La France et l'Europe : le "Que faire ?" de Jacques Julliard. Partie 2 : La fin de l'espérance européenne ?

 

L’Union européenne se signale aujourd’hui par une impuissance qui pourrait faire penser à son inexistence pure et simple, s’il n’y avait un drapeau, une monnaie unique et des discours qui font à peine frémir ce grand corps inerte : « L’Europe va-t-elle sortir de l’histoire ? », comme Jacques Julliard en évoque, crûment et de la manière la plus simple, la possibilité ? Le constat est dur, amer pour celui qui a été, un temps, un ardent partisan de cette construction européenne qui, désormais, s’apparente plutôt à une « déconstruction » de l’intérieur : « Pour la plupart de ses habitants, elle n’est plus une espérance, mais une vieille habitude. Si elle disparaissait dans la nuit, qui donc, en dehors de Bruxelles, s’en apercevrait au matin ? ». Je me souviens du printemps 1979, lors de la campagne pour la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct : de grandes affiches de Folon évoquaient l’envol de l’Europe mais, de façon assez prophétique, l’être qui s’envolait ainsi avait des bras-ailes beaucoup trop grands et ils ressemblait plutôt à un ptéranodon, ce reptile volant de la préhistoire d’une envergure de 9 mètres, immense planeur qui ne se risquait pas trop à s’aventurer sur la terre ferme car il était alors une proie facile pour de nombreux prédateurs… Visiblement, « l’espoir européen » s’est cassé la figure, et depuis très longtemps ! Autre souvenir, de la même époque : les partisans du Parti des Forces Nouvelles (classé à l’extrême-droite par les médias) avaient publié une belle affiche clamant « victoire pour l’Europe » illustrée de la statue de la Victoire de Samothrace : sans tête, donc… Là encore, difficile, quatre décennies après, de ne pas y voir un de ces intersignes chers à Léon Daudet !

 

Malgré tout, l’espérance était là, et cela même si les gaullistes et les royalistes (de l’Action Française comme de la Nouvelle Action Royaliste) apparaissaient beaucoup plus circonspects, voire franchement hostiles à ce que dénonçait avec force Pierre Pujo (directeur de l’hebdomadaire maurrassien Aspects de la France de 1966 à sa mort, en 2007) sous la formule « Europe supranationale ». Mais, cette opposition restait marginale et trop peu écoutée, et la liste chiraquienne aux élections européennes de 1979 n’obtint qu’un score de 16 % des suffrages exprimés quand le Parti Communiste, aussi peu favorable (mais pour des raisons bien différentes) à cette construction européenne « capitaliste », en obtint 4 de plus. Les partis « européistes », dont M. Julliard était un soutien à travers son vote socialiste de l’époque, parurent alors l’emporter, et l’abstention restait minoritaire alors, à 39 % quand elle atteint, quarante ans après, 50 % après avoir culminé à 60 % en 2009… Mais la « forfaiture démocratique » intervenue au début de la présidence de M. Sarkozy, c’est-à-dire l’approbation presque unanime par le Parlement français d’un traité constitutionnel que les électeurs avaient rejeté trois ans auparavant en 2005 à près de 55 %, a sans doute « tué » l’espérance européenne, à moins que cela ne soit « l’éclatement diplomatique » de 2003 quand la France n’a pu rallier la majorité des pays de l’Union européenne à sa position (partagée par l’Allemagne de M. Schröder et la Russie de M. Poutine) de refus de l’intervention états-unienne en Irak, intervention qui fut, l’on s’en souvient, le « succès » (sic !) que l’on sait… Dans la salle des professeurs de mon lycée, un de mes collègues, géographe émérite et bon connaisseur des relations internationales et de la Construction européenne, avoua à haute voix son désarroi et annonça alors la « mort de l’Union européenne » en tant qu’espérance et que potentielle puissance. Seule la France avait eu l’audace de prôner l’idée et l’intention d’une « Europe-puissance » que nombre des capitales de l’Union ne prirent même pas la peine de traduire dans leurs langues respectives… Le rêve d’une alternative européenne à l’hégémonie états-unienne s’évanouit alors, et les dernières déclarations du secrétaire général de l’Otan, M. Jens Stoltenberg, semblent le dissiper définitivement, en expliquant en octobre dernier que « toute tentative d’affaiblir le lien transatlantique en créant des structures alternatives (…) va non seulement affaiblir l’Otan, mais (…) va diviser l’Europe » et qu’il ne croyait pas (comprendre : ne souhaitait pas…) « aux efforts pour créer quelque chose en dehors du cadre de l’Otan, ou pour concurrencer ou dupliquer l’Otan ». En somme, les pays de l’Union européenne ne doivent ni espérer ni même penser à une Défense propre de l’UE par ses propres forces militaires locales, et doivent accepter « pour leur bien » cette entière vassalisation aux Etats-Unis, les soldats des pays d’Europe étant appelés à servir « l’ost » otanien sous suzeraineté de Washington… Cela aurait dû faire bondir ceux qui parlent de « l’Europe » à tout bout de champ comme de notre seul horizon institutionnel et géopolitique possible : mais rien ne vint, rien ne vient de leur part, comme d’habitude en fait !

 

Si, comme l’évoque M. Julliard, l’espérance a disparu au profit de l’habitude, alors le sort de l’Union européenne est scellé : rien ne se fait sans un minimum de passion, au-delà même de la raison nécessaire pour la canaliser et, sans sentiment à son égard, c’est bien l’indifférence qui, insidieusement, mine tout l’édifice institutionnel et, au-delà, les fondations mêmes, historiques, littéraires et sentimentales de l’Europe millénaire, non pas ensemble administratif mais terres (au pluriel) de civilisations et de cultures, d’esprits et d’âmes au sens fort du terme, cet ensemble dont les frontières restent parfois bien difficiles à cerner et à définir. Mais, l’Union européenne est-elle encore cette espérance européenne dont rêvait, hier, M. Julliard ? A le lire, il est possible d’en douter. En fait, l’Union européenne est effectivement devenue une habitude, mais elle n’apparaît pas (ou plus ?) comme une évidence « naturelle » : le départ du Royaume-Uni ; le refus persistant d’entrer dans l’Union, régulièrement rappelé par les opinions publiques de pays comme la Suisse et la Norvège ; l’absence d’une unité (d’une identité ?) discernable ou définissable… tout cela (et beaucoup d’autres éléments) illustre cette absence d’espérance, autant pour aujourd’hui que pour le lendemain. Autant les nations sont visibles, intelligibles et sensibles, autant « l’Europe de Bruxelles » (dont le portefeuille est à Francfort et le téléphone à Berlin) n’évoque rien au cœur des Européens et encore moins, politiquement parlant, aux yeux de ses partenaires, concurrents ou (et ?) adversaires. Julliard en fait, d’une certaine manière, le constat : « (…) Les Européens convaincus confessent, au vu de ce qu’elle fait, et surtout de ce qu’elle ne fait pas, qu’elle n’est pas vraiment digne des espoirs qu’on avait mis en elle et des sacrifices qu’on lui avait consentis ». Qui, aujourd’hui, serait prêt à « mourir pour l’Europe » ? Comme disait un slogan issu de Mai 68, « on n’est pas amoureux d’un taux de croissance », et pas plus d’un « ensemble de bureaux », quels que puissent être ses moquettes et son papier peint étoilé…

 

Le « désamour européen » est-il, au regard des réalités tristes et conformistes de cette Union sans grandeur et sans destin, une si mauvaise nouvelle que cela ? En fait, tout dépend évidemment de ce que l’on entend par « Europe », et si ce désamour ne s’applique qu’à la « superstructure de l’UE », à ce qu’il n’est pas incorrect de baptiser de la formule « Europe légale », c’est même une bonne nouvelle ! Que l’illusion européiste se dissipe enfin, au moins aux yeux de quelques « éveilleurs de conscience » comme M. Julliard, cela me sied. Pour autant, prenons garde de ne pas lâcher la proie pour l’ombre : une critique de l’Union européenne actuelle qui ne serait pas motivée et qui se contenterait d’être une simple manifestation de nihilisme « anti-européen » serait encore plus dangereuse pour l’avenir de nos nations et de ce que nous aimons.

 

 

 

(à suivre)