24/10/2018
Ce libéralisme sans frein qui menace pays et producteurs.
Le libéralisme mondialisé paraît aujourd'hui si dominateur que rien ne semble devoir l'ébranler, et la cinglante réplique de Margaret Thatcher aux partisans du keynésianisme, « There is no alternative », a désormais valeur d'idéologie officielle à la tête de l'Union européenne, si bien incarnée par la rigidité technocratique d'un Pierre Moscovici qui s'en prend aujourd'hui aux États espagnol et italien parce que ceux-ci, après des années d'austérité, souhaitent redistribuer plus justement (même si l'on peut discuter des aspects de cette redistribution) les fruits des efforts précédents : après tout, il n'est pas injuste de vouloir redonner un peu d'air à des populations « de base » sur lesquelles ont longtemps reposé les politiques de restriction budgétaires tandis que les grandes sociétés multinationales locales, elles, se sont avérées parfois fort généreuses avec leurs actionnaires... Mais la Commission européenne ne l'entend pas de cette oreille, arguant que les dettes publiques de ces deux États sont trop élevées pour se permettre de faire des « cadeaux » aux contribuables espagnols et italiens, et elle a même rejeté le budget de l'Italie ce mardi. La France pourrait bien, d'ailleurs, faire les frais de cette intransigeance européenne, au risque d'accentuer encore un mécontentement social et populaire qui ne se limite pas aux seuls retraités. La « promesse de l'Europe » semble bien s'être noyée dans les considérations comptables, celles-la mêmes que méprisait de Gaulle, non pour les nier mais pour les remettre à leur place qui ne doit pas être la première.
Le libéralisme actuel de la Commission européenne a, il y a quelques années et encore aujourd'hui, empêché les États de défendre efficacement leurs industries nationales, au nom des droits des consommateurs qui, en définitive, s'apparente plus à ce « devoir de consommation » qui s'impose en société de consommation au détriment, souvent, des producteurs comme de l'environnement. La mondialisation est souvent vantée comme le moyen d'avoir les prix les plus bas, au risque d'en oublier la justice sociale et l'intérêt national bien compris, ce que le royaliste social et corporatiste La Tour du Pin a, dès la fin XIXe siècle, dénoncé avec vigueur à travers articles et publications nombreux. Son monarchisme était « illibéral », non par idéologie mais par souci social, et il serait peut-être encore plus sévère avec un libéralisme contemporain qui, comme hier, veut absolument s'émanciper de toute contrainte et refuse toute notion de limites, au seul profit de l'égoïsme individuel et oublieux de toute réalité environnementale.
Bien avant que la mondialisation libérale soit devenue la « norme », La Tour du Pin avait discerné les risques de celle-ci pour les activités productives de notre pays et pour les conditions de travail comme de vie des exploités de ce système qui, en définitive, s'avère l'un des plus grands dangers pour l'équilibre des sociétés et la justice sociale, malheureusement si négligées désormais par les oligarques qui gouvernent l'Union européenne.
En quelques lignes, parues dans les années 1880, tout, ou presque, est dit et annoncé : « Le système de la liberté sans limites du capital a-t-il développé la production, comme on le prétend, aussi bien qu'il l'a avilie? Nullement. Il l'a laissée dépérir sur le sol national, en émigrant lui-même, là où il trouvait la main d’œuvre (...) à meilleur marché (...). Les conséquences du système lié à la multiplicité des voies de communication (...) seront de ne plus pourvoir le marché que par les produits des populations les plus misérables; le coolie chinois deviendra le meilleur ouvrier des deux mondes, parce qu'il n'aura d'autre besoin que ceux de la bête. Puis, comme l'ouvrier, l'ingénieur, l'agent commercial, le banquier lui-même seront pris au meilleur marché. (...) Voilà comment une décadence irrémédiable attend, dans l'ordre économique,la civilisation de l'Occident au bout de cette voie de la liberté du travail où elle s'est engagée avec la doctrine de ses philosophes pour flambeau, la science de ses économistes pour guide, et la puissance de ses capitalistes. »
Extrait du livre "Vers un ordre social chrétien", rédigé par René de La Tour du Pin, qui fût toute sa vie un ardent défenseur de la Cause monarchique sociale, et qui voyait loin, ce texte paraît aujourd'hui prémonitoire... Pour autant, il n'est pas un appel au fatalisme mais, au contraire, un appel à réagir en condamnant ce capitalisme libéral, règne d'une « fortune anonyme et vagabonde » : réagir, non par l'imposition d'un étatisme tout aussi, bien que de manière différente, dévastateur pour les libertés des producteurs ; réagir par la renaissance du politique qui doit imposer, de par sa présence tutélaire et de par son essence publique, le nécessaire esprit de « devoir social » aux forces économiques et financières de ce pays, et à celles qui prétendent y faire affaire...
17:31 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travailleurs, mondialisation, libéralisme, la tour du pin.
01/10/2018
Sommes-nous dans les années trente ?
Les vives polémiques sur les propos et les attitudes de l'actuel président, conjuguées avec les débats non moins vifs sur ce que l'on a le droit ou pas de dire, et qui a le droit, ou non, de s'exprimer, sont la manifestation de cette « dissociété » qui a pris l'avantage sur la communauté nationale (que certains voudraient résumer à un « vivre-ensemble » qui n'existe pas, ou plus) et sur l'agora intellectuelle que d'autres nommaient jadis « la république des lettres ». L'hystérisation contemporaine, qui se répand plus vite que du temps de l'imprimé grâce aux réseaux sociaux numériques, est parfois désespérante et elle nuit à la véritable discussion qui nécessite du temps et de la réflexion, ainsi qu'elle autorise la possibilité de se tromper ou d'être convaincu par d'autres arguments que les siens propres. Aujourd'hui, les délateurs, jadis félicités sur les assignats républicains des années 1790, sont les maîtres de jeux de plus en plus sombres et violents.
Quand, dans la lignée des inquiétudes « de gauche » médiatisées, quelques historiens et « Insoumis » évoquent les « funestes années trente », je pense pouvoir leur rétorquer quelques choses simples, et ouvrir, au sens noble du terme, la discussion sans préjugé :
- Ces fameuses années furent d'abord, avant de sombrer dans la tragédie, des temps de recherche et de débats intellectuels dont les revues de l'époque, qu'elles se nomment Réaction, Esprit, L'Ordre Nouveau ou La Revue du XXe siècle restent les preuves imprimées : les nouvelles pistes de la pensée antilibérale ; la critique de l'Argent et, pour certains, de la Technique ; la réflexion permanente sur les institutions et, au-delà, sur l'esprit du politique ; etc. Tout cela mérite le détour, et les partisans actuels de la décroissance y trouvent certaines de leurs références utiles à la compréhension du monde contemporain, de Georges Bernanos à Jacques Ellul, entre autres.
- La liberté d'expression y était, en France, plus reconnue que dans nombre de pays limitrophes, même si cela s'accompagnait d'une violence de ton et, parfois, d'action, et que la République n'aimait pas toujours la contradiction, au point de faire assassiner, en son nom propre ou par d'autres qu'elle, quelques opposants trop virulents, comme au soir d'émeute du 6 février 1934...
- Si les extrêmes ne sont guère recommandables, il n'y a néanmoins pas de « fascisme français » malgré les pâles copies de l'Italie mussolinienne chez les partisans du « Faisceau » (disparu dès 1927) de Georges Valois ou les « francistes » de Marcel Bucard, plus groupusculaires et mythomanes que vraiment actifs. Sans doute le traditionalisme moderne de Maurras, si critiqué et parfois fort critiquable par ailleurs, a-t-il empêché, et c'est tant mieux, l'éclosion d'un jacobinisme fasciste ou d'un totalitarisme hexagonal.
- Les problèmes contemporains, et le contexte général, sont-ils semblables à ceux d'hier ? C'est sans doute là qu'il y a, effectivement, le plus de similitudes avec les années trente : une ambiance délétère sur la scène internationale et une montée des exaspérations populaires dans nombre de pays, y compris en France, avec la rupture entre élites mondialisées et classes populaires et moyennes, entre les métropoles et les périphéries, en particulier rurales ; le retour de la question sociale, très souvent couplée à la nationale ; les « questions sociétales » qui ne sont que l'autre formulation de la crise de civilisation évoquée jadis par Thierry Maulnier, Emmanuel Mounier et Jean de Fabrègues, entre autres. Mais les réponses d'aujourd'hui sont-elles forcément celles d'hier ?
Sans doute peut-on constater que les « non-conformistes » des années trente (dont Maulnier et Fabrègues furent « les lys sauvages ») ont échoué à imposer leurs idées à la tête de l’État avant 1958, même si de Gaulle, en bon lecteur des « néo-maurrassiens » (sans en être lui-même, malgré une légende tenace véhiculée par les hommes de Monnet, et reprise par Mauriac), en reprendra ensuite les grandes lignes dans sa Constitution de la Cinquième République et dans sa tentative (avortée) de résolution de la question sociale : l'inachèvement du règne gaullien et ses limites bien réelles, en renvoyant les principales idées des revues « hors-système » aux catacombes, ont enterré presque (ce « presque »qui laisse encore un espoir, n'est-ce pas ?) définitivement les espérances de ceux qui les animaient. Si les royalistes peuvent en concevoir quelque amertume, cela ne doit pas être une excuse pour déserter le combat intellectuel et politique et, au-delà, civilisationnel... « L'espérance, c'est le désespoir surmonté », clamait Bernanos.
Alors, que les royalistes de bonne volonté s'engagent, pour que ces nouvelles ou fantasmées « années trente » d'aujourd'hui ne débouchent pas sur le pire comme en 40, mais sur le Roi, « possibilité du Bien commun effectif », tout simplement ! Ce serait bien, tout compte fait, « la revanche de Maulnier », ou celle d'un autre « M » célèbre et controversé...
20:30 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : années trente, non-conformistes, droite, espérance, bernanos.