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08/05/2020

L'Action Française face à la question sociale. Partie 1 : La critique du libéralisme.

 

L’histoire du royalisme, souvent ignorée par les monarchistes eux-mêmes alors qu’ils devraient être hommes de mémoire, est pleine de malentendus, de bruits et de fureurs, mais elle est aussi passionnante et beaucoup plus riche qu’on pourrait le croire au regard des manuels d’histoire ou des articles de presse, souvent ricaneurs ou polémiques, qui lui consacrent quelques pages. Depuis quelques années, de nombreux colloques ont étudié l’Action française, accompagnés de publications universitaires ou érudites fort intéressantes, mais il reste encore de nombreux chantiers historiques à explorer sur cette école de pensée qui fut aussi (et surtout ?) une presse et un mouvement inscrits dans leur temps, avec toutes les pesanteurs de celui-ci et les risques d’incompréhension. Ces études, d’ailleurs, liées sans doute à l’esprit et aux inquiétudes de notre époque, pourraient être utilement complétées par celles sur les stratégies des princes de la Famille de France et sur les « royalismes provinciaux », parfois moins doctrinaires sans en être moins intéressants. A quand de grandes thèses sur les parlementaires royalistes d’avant 1940 ou sur la presse royaliste « hors-AF », comme La Gazette de France, dans laquelle écrivirent Maurras et Daudet, ou Le Soleil, fort peu maurrassienne ? La revue Lys Rouge, publiée il y a quelques années par la Nouvelle Action Royaliste, a ouvert quelques pistes de recherche qui mériteraient de ne pas être refermées avant d’avoir été complètement explorées…

 

 

J’ai été amené il y a peu à m’intéresser à nouveau au sujet de l’Action française et la question sociale, fort bien traité par Bertrand Renouvin pour l’AF d’avant 1944 et abordé par Zeev Sternhell mais aussi par François Huguenin en quelques pages lumineuses, qu’il faudrait toutes citer. C’est un sujet passionnant, et qui aborde un pan de l’histoire politique et sociale de notre pays trop souvent négligé ou phagocyté par une certaine Gauche persuadée d’être la seule légitime à parler des ouvriers ou des salariés, à tel point que nombre de penseurs ou d’électeurs de Droite considèrent toute évocation du « social » comme une revendication gauchiste ou communiste…

 

 

Contrairement à une idée reçue, l’Action Française n’a pas méconnu la question sociale, mais elle l’inscrit dans sa critique globale du libéralisme, et Maurras se réfère à Frédéric Le Play et, plus encore peut-être, au marquis de La Tour du Pin, véritable théoricien du corporatisme et de la décentralisation, en déclarant « Ce n’est pas La Tour du Pin qui est d’Action française mais l’Action française qui est de La Tour du Pin ». Au cours de l’histoire du mouvement royaliste, d’autres apports, au-delà des trois précédents cités, viendront enrichir la doctrine sociale de l’AF et, non pas seulement l’actualiser, mais bien plutôt la préciser et la contextualiser, comme le fera un temps Georges Valois, mais aussi Nel Ariès ou Firmin Bacconnier après lui, et Pierre Debray plus près de nous. Mais, pour l’AF, la question sociale n’est pas dissociable de la question politique, encore plus que du domaine économique.

 

La question sociale ne naît pas exactement au XIXe siècle mais bien plutôt dès les années de la Révolution française, voire même dès le milieu du XVIIIe siècle quand Louis XV accepte (avant de se raviser quelques années plus tard) la libéralisation du commerce des grains (lois de mai 1763 et de juillet 1764), véritable coup d’envoi du libéralisme économique en France dont Turgot sera le représentant le plus emblématique à la suite de Montesquieu. Les lois d’Allarde et Le Chapelier, votées par l’Assemblée constituante en mars et juin 1791, défont le modèle social corporatif français (par la suppression des corporations, l’interdiction de s’associer et de faire grève, etc.), laissant l’ouvrier démuni face au pouvoir patronal et financier. A partir de ce moment-là, les travailleurs se retrouvent, au nom de la « liberté du travail » (qui n’est que celle de celui qui a les moyens d’en donner et de le financer, et non celle du travailleur même), soumis à la loi d’airain du capitalisme et de sa loi de l’offre et de la demande dans laquelle il n’apparaît plus que comme une variable d’ajustement. Comme l’explique l’historien maurrassien Pierre Gaxotte, la réaction est légitime face à ce libéralisme inique, et « tout le syndicalisme contemporain est une insurrection contre la loi Le Chapelier » : effectivement, le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle constitueront une sorte de « rattrapage » social pour les salariés pour retrouver, d’une part une dignité déniée par l’exploitation des ouvriers par les puissances d’argent, et d’autre part des conditions de travail plus favorables à la bonne santé des salariés d’usine ou de mine. L’Action française condamne ce libéralisme esclavagiste et Maurras y consacrera quelques fortes pages lors des fusillades de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges ou lors de certaines grèves des années 1900, du temps de Clemenceau, prenant le parti des ouvriers et dénonçant la République antisociale : « La Révolution a supprimé les organisations ouvrières et confisqué leur patrimoine, c’est depuis lors que l’ouvrier souffre et se révolte. » Les ouvriers privés de reconnaissance, empêchés d’être propriétaires de leur métier et dépendants du bon-vouloir des patrons forment le prolétariat, pire encore que le précariat contemporain : « Situation sans analogie dans l’histoire. Le serf avait sa glèbe et l’esclave son maître. Le prolétaire ne possède pas sa personne, n’étant pas assuré du moyen de l’alimenter. Il est sans titre, sans état. Il est sauvage, il est nomade. » C’est cette « expropriation sociale », cette désaffiliation née des lois libérales de 1791, qui empêche les prolétaires de sortir de leur condition misérable et qui les pousse parfois à se révolter contre la société toute entière quand il leur faudrait concentrer leurs efforts et leurs attaques contre le système qui a favorisé cette situation indigne.

 

Dans un article paru dans La Revue universelle en 1937, l’essayiste Thierry Maulnier synthétisera en quelques paragraphes la pensée d’AF sur la question sociale, s’appuyant sur les textes écrits et revendiqués hautement par le théoricien de l’Action française : « Ceux qui connaissent tant soit peu l’histoire de la pensée maurrassienne savent qu’elle fut orientée dès ses débuts contre ce qu’elle considérait comme le principal adversaire (…) : le libéralisme. Or, le libéralisme a deux faces, l’une politique, l’autre économique. Ces deux faces, l’analyse maurrassienne ne pouvait les séparer. (…) Si le libre jeu des volontés individuelles ne produit pas naturellement, en politique, le bien de la cité, il n’y a aucune raison pour que le libre jeu des volontés individuelles produise davantage, en économie, le bien de la cité.

« Non seulement la critique maurrassienne de l’individualisme devait conduire son auteur à dénoncer les ravages de l’économie sociale individualiste ; mais encore elle devait le rapprocher dans une certaine mesure des critiques socialistes, par une haine commune de l’individualisme régnant. S’il est deux idées qui dominent la philosophie maurrassienne, c’est bien, d’une part, l’idée du bien public, conçu comme différent de la somme des intérêts particuliers, supérieur à ces intérêts qui doivent plier devant lui ; c’est bien, d’autre part, l’idée qu’une société où les individus sont livrés à eux-mêmes est une société barbare, qui tend naturellement à l’anarchie et à la tyrannie des plus forts. » En rappelant ces vérités simples, Maurras, dans la ligne des catholiques sociaux et des contre-révolutionnaires du XIXe siècle, réfute la doctrine de l’éclatement individualiste qui sera synthétisée par Mme Thatcher sous la formule terrible « La société n’existe pas »… La démocratie française, fondée sur les individus plutôt que sur les personnes intégrées et enracinées, forme en fait ce que Marcel de Corte baptisera du nom de « dissociété ».

 

 

(à suivre)

 

 

24/10/2018

Ce libéralisme sans frein qui menace pays et producteurs.

 

Le libéralisme mondialisé paraît aujourd'hui si dominateur que rien ne semble devoir l'ébranler, et la cinglante réplique de Margaret Thatcher aux partisans du keynésianisme, « There is no alternative », a désormais valeur d'idéologie officielle à la tête de l'Union européenne, si bien incarnée par la rigidité technocratique d'un Pierre Moscovici qui s'en prend aujourd'hui aux États espagnol et italien parce que ceux-ci, après des années d'austérité, souhaitent redistribuer plus justement (même si l'on peut discuter des aspects de cette redistribution) les fruits des efforts précédents : après tout, il n'est pas injuste de vouloir redonner un peu d'air à des populations « de base » sur lesquelles ont longtemps reposé les politiques de restriction budgétaires tandis que les grandes sociétés multinationales locales, elles, se sont avérées parfois fort généreuses avec leurs actionnaires... Mais la Commission européenne ne l'entend pas de cette oreille, arguant que les dettes publiques de ces deux États sont trop élevées pour se permettre de faire des « cadeaux » aux contribuables espagnols et italiens, et elle a même rejeté le budget de l'Italie ce mardi. La France pourrait bien, d'ailleurs, faire les frais de cette intransigeance européenne, au risque d'accentuer encore un mécontentement social et populaire qui ne se limite pas aux seuls retraités. La « promesse de l'Europe » semble bien s'être noyée dans les considérations comptables, celles-la mêmes que méprisait de Gaulle, non pour les nier mais pour les remettre à leur place qui ne doit pas être la première.

 

Le libéralisme actuel de la Commission européenne a, il y a quelques années et encore aujourd'hui, empêché les États de défendre efficacement leurs industries nationales, au nom des droits des consommateurs qui, en définitive, s'apparente plus à ce « devoir de consommation » qui s'impose en société de consommation au détriment, souvent, des producteurs comme de l'environnement. La mondialisation est souvent vantée comme le moyen d'avoir les prix les plus bas, au risque d'en oublier la justice sociale et l'intérêt national bien compris, ce que le royaliste social et corporatiste La Tour du Pin a, dès la fin XIXe siècle, dénoncé avec vigueur à travers articles et publications nombreux. Son monarchisme était « illibéral », non par idéologie mais par souci social, et il serait peut-être encore plus sévère avec un libéralisme contemporain qui, comme hier, veut absolument s'émanciper de toute contrainte et refuse toute notion de limites, au seul profit de l'égoïsme individuel et oublieux de toute réalité environnementale.

 

Bien avant que la mondialisation libérale soit devenue la « norme », La Tour du Pin avait discerné les risques de celle-ci pour les activités productives de notre pays et pour les conditions de travail comme de vie des exploités de ce système qui, en définitive, s'avère l'un des plus grands dangers pour l'équilibre des sociétés et la justice sociale, malheureusement si négligées désormais par les oligarques qui gouvernent l'Union européenne.

 

En quelques lignes, parues dans les années 1880, tout, ou presque, est dit et annoncé : « Le système de la liberté sans limites du capital a-t-il développé la production, comme on le prétend, aussi bien qu'il l'a avilie? Nullement. Il l'a laissée dépérir sur le sol national, en émigrant lui-même, là où il trouvait la main d’œuvre (...) à meilleur marché (...). Les conséquences du système lié à la multiplicité des voies de communication (...) seront de ne plus pourvoir le marché que par les produits des populations les plus misérables; le coolie chinois deviendra le meilleur ouvrier des deux mondes, parce qu'il n'aura d'autre besoin que ceux de la bête. Puis, comme l'ouvrier, l'ingénieur, l'agent commercial, le banquier lui-même seront pris au meilleur marché. (...) Voilà comment une décadence irrémédiable attend, dans l'ordre économique,la civilisation de l'Occident au bout de cette voie de la liberté du travail où elle s'est engagée avec la doctrine de ses philosophes pour flambeau, la science de ses économistes pour guide, et la puissance de ses capitalistes. »

 

Extrait du livre "Vers un ordre social chrétien", rédigé par René de La Tour du Pin, qui fût toute sa vie un ardent défenseur de la Cause monarchique sociale, et qui voyait loin, ce texte paraît aujourd'hui prémonitoire... Pour autant, il n'est pas un appel au fatalisme mais, au contraire, un appel à réagir en condamnant ce capitalisme libéral, règne d'une « fortune anonyme et vagabonde » : réagir, non par l'imposition d'un étatisme tout aussi, bien que de manière différente, dévastateur pour les libertés des producteurs ; réagir par la renaissance du politique qui doit imposer, de par sa présence tutélaire et de par son essence publique, le nécessaire esprit de « devoir social » aux forces économiques et financières de ce pays, et à celles qui prétendent y faire affaire...

 

 

06/01/2009

Révolution royaliste.

Contrairement à ce que l’on continue à lire dans la presse ou sur les forums de la Toile, Sarkozy ce n'est pas la monarchie, c'est bien la république ! Rappelez-vous les Thiers, Grévy, Ferry, etc. qui en furent les fondateurs (après 2 tentatives infructueuses et sanglantes) et qui n'eurent aucune attention pour la question sociale alors que des royalistes sociaux comme Albert de Mun ou René de La Tour du Pin (qui a inspiré de Gaulle pour la "participation") luttaient pour améliorer le sort des ouvriers alors surexploités au nom de cette fameuse « liberté du travail » qui n’était que celle du « renard libre dans le poulailler libre »...
En tenant ces propos, certains me traitent de « réactionnaire », confondant la réaction nécessaire à cette injustice sociale qui porte au pinacle des Tapie quand les ouvriers de Sandouville et d'ailleurs sont abandonnés à un bien triste sort social, avec une attitude qui serait « socialement régressive »... Erreur de perspective de ceux-là qui ne prennent pas assez le temps de me lire et de chercher à comprendre les fondements de ma pensée politique et institutionnelle.

De plus, si j’évoque une « révolution royaliste », politique et institutionnelle là encore, révolution « par le haut » (car c’est par la maîtrise de l’Etat que l’on peut le mieux agir, en utilisant le temps que permet la succession héréditaire qui libère la magistrature suprême de l’Etat des jeux de clientèles et des groupes de pression, nouvelles féodalités contemporaines), c’est parce que ce n'est pas qu'une simple réaction, ou une révolte, mais la volonté de fonder "autrement" le politique, sur les notions d'indépendance, de justice, de transmission. En tout cas, cette révolution, si elle peut sembler lointaine (en tant qu’ « instauration monarchique »), est d'abord et aussi, avant même d’advenir et d’agir en son espace étatique nécessaire, un "état d'esprit" contre le règne indécent de l'Argent.