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29/08/2019

Quand les manuels scolaires "oublient" 1791...

 

Les nouveaux manuels scolaires, désormais entre les mains des professeurs avant d’être entre celles des élèves de lycée dans quelques jours, sont toujours révélateurs des tendances idéologiques du moment comme de la plus ou moins grande implication du Pouvoir en place dans la formation des esprits et des intelligences, mais aussi des « tabous » de celui-ci. Evidemment, la période de la Révolution française, « matrice » de notre contemporanéité, attire l’œil des royalistes tout autant que celles des républicains et de la République elle-même, en tant que système idéologico-politique dominant et forme actuelle du Pouvoir en France. Or, alors que les programmes de Première (l’année d’étude de la Révolution dans les nouveaux programmes) y consacrent les premières heures d’étude de l’histoire, et qu’ils accordent une place un peu plus importante que les années précédentes aux question sociales (ouvrières comme paysannes) à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, il est frappant de constater que ce même thème est absent des cours sur la période des années 1789-99, et cela est, tout compte fait, dans la logique de l’Education nationale héritée des « Jules », Ferry et Michelet. Car la Révolution française, c’est aussi la « naissance du prolétariat », en tant que « situation sociale » et, en conséquence, de « classes », souvent considérées comme « dangereuses » au XIXe siècle par les pouvoirs politiques comme par les possédants qui vivaient largement de leur asservissement et exploitation.

 

S’il est quelques dates « révolutionnaires » évoquées dans les manuels, il en manque donc une, d’ailleurs « double » : celle de « 1791 ». Non que le départ malheureux de la famille royale soit oublié, ni les débuts pratiques de la première constitution écrite de la France sous la forme d’une monarchie constitutionnelle (éphémère), mais les deux actes fondateurs de la « grande question sociale en France » sont purement et simplement effacés, dans une sorte de « mémoricide social » qui pose tout de même quelques questions. Car le décret d’Allarde de mars 1791 et la loi Le Chapelier, votée en juin de la même année, sont les textes qui déconstruisent le modèle social français original fondé sur l’organisation corporative du royaume et de ses « métiers », modèle qui valorise le travail et sa qualité avant même le profit financier, à l’inverse du modèle anglosaxon libéral et « franklinien » qui ne compte le temps qu’en argent ; ce sont bien ces deux textes qui, par leur esprit et leur pratique, asservissent le travail comme les travailleurs (qu’ils soient simples ouvriers ou « maîtres ») aux seules nécessités du profit, sous l’argument de la « liberté du travail » qui n’est rien d’autre que la liberté de l’argent sur le travail et la mainmise presque totale du premier sur le second, au détriment des producteurs et de la qualité même de leurs production et produits. C’est la victoire d’un libéralisme qui ne sera jamais aussi total (mais pas forcément le plus efficace, en définitive, y compris pour ses objectifs financiers) qu’à cette période et durant une bonne partie du XIXe siècle, avant que, peu à peu et sous la pression des catholiques royalistes sociaux, des « syndicalistes » et des socialistes, il soit « tempéré » par quelques lois sociales et « conquis sociaux » (formule sans doute plus appropriée et plus exacte que celle d’acquis sociaux, aujourd’hui devenue presque péjorative pour une large part de l’opinion publique), qui ne sont, en définitive, que la récupération de ce qui a été perdu par le monde des producteurs en 1791…

 

La Révolution française a bien été le triomphe du libéralisme le plus sauvage et le moins encadré, et elle a désarmé les ouvriers au moment même où le processus d’industrialisation (déjà amorcé en France depuis le règne de Louis XV) aurait nécessité, au contraire, la prise en compte des nouvelles problématiques économiques et sociales posées par le décollage industriel rendu possible par la maîtrise des techniques énergétiques et l’abondance des ressources qui permettaient de les mettre en pratique, des cours d’eau et torrents au charbon bien présent dans le sous-sol du Nord français. « 1791 » est la date la plus « libérale » de l’histoire de France, jamais « égalée » dans le domaine économique et social depuis, et il n’est pas sûr que cela ait été une bonne chose, ne serait-ce qu’au regard de la suite…

 

Car, en détruisant les corporations de métiers (décret d’Allarde) et en interdisant toute association de producteurs dans leur branche d’activité (loi Le Chapelier) ainsi que toute grève et contestation de « la liberté du travail » (formule piégée, en fait, qui, sans citer le nouveau maître du travail, l’argent, en établit la tyrannie), les lois d’Allarde et Le Chapelier livrent ouvriers, artisans et métiers eux-mêmes, à la toute-puissance des financiers, et condamnent les salariés (et les « travailleurs libres ») à subir sans pouvoir les contester vraiment (par peur du chômage ou du renvoi) les conditions posées par les possesseurs des moyens d’investissement et de production : ainsi, comme le signalait Maurras à la suite des royalistes sociaux du XIXe siècle, la liberté du travail équivalait à la liberté de mourir de faim pour l’ouvrier s’il n’obéissait pas à la contrainte du détenteur des capitaux, de l’usine et de ces machines. Drôle de liberté, effectivement ! Terrible liberté en fait que seules la bonne volonté de quelques patrons « sociaux » et l’action législative permettront d’adoucir et, peu à peu, d’apprivoiser à défaut de la dominer…

 

L’on comprend mieux ainsi pourquoi l’Education nationale n’a guère envie que « 1791 » soit évoqué, elle qui a pour vocation, comme le rappelait Ferry et s’en moquait Pagnol, de « faire de bons petits républicains dociles », y compris sur le plan social et à l’heure où les (re)conquêtes sociales des XIXe et XXe siècles sont de plus en plus attaquées par une mondialisation libérale dont la République n’est, en définitive, que la dupe en s’efforçant d’en être la promotrice à travers ses multiples réformes « moins sociales »…

 

Mais il se trouvera bien, cette année et les suivantes, quelques professeurs d’histoire plus scrupuleux et peut-être moins oublieux (ou moins républicains) pour rappeler que la grande question sociale française qui agite notre pays après la Révolution française, et d’une certaine manière jusqu’à aujourd’hui, en est une des immédiates et terribles conséquences…

 

 

 

25/08/2019

Face à la tragédie amazonienne, que faire ?

 

La forêt amazonienne brûle un peu plus chaque année, comme les forêts d’Afrique ou d’Asie, mais aussi les forêts françaises, cet été touchées par des incendies qui, trop souvent, n’ont rien de bien naturel. C’est une tragédie mille fois répétée qui ne peut nous laisser indifférent car l’indifférence serait, là, de l’insouciance et une insulte au bien commun que les royalistes français prétendent défendre et pratiquer. Car un incendie de forêt est toujours une perte de biodiversité importante et la transformation d’un paysage vivant en un triste horizon noirci, au moins pour quelques temps. Bien sûr, il ne s’agit pas de méconnaître aussi que, dans sa grande complexité, la nature joue parfois du feu comme d’un moyen de se renouveler, comme le signale nombre de scientifiques spécialistes des milieux forestiers, ou d’ouvrir à d’autres plantes et animaux ces zones consumées. Mais, dans nos temps contemporains, les forêts du Brésil ou d’Afrique brûlent trop souvent pour des raisons qui n’ont rien d’écologique et souvent tout d’économique ou politique, au-delà des cas psychologiques de quelques pyromanes qui semblent plutôt se concentrer dans nos propres pays d’ancienne déforestation.

 

Comme le signale Alain Pavé dans un entretien publié par Ouest-France samedi 24 août, ce sont les activités agricoles et minières qui sont les « moteurs de cette déforestation » qui ravage l’Amazonie sans beaucoup d’égards pour la flore et la faune, et qui chasse de leurs territoires les tribus « vivant » de la forêt telle qu’elle est, et c’est bien l’actuel président brésilien, homme-lige des grands propriétaires, qui, par son attitude et ses propos, favorise et amplifie un phénomène à terme dangereux pour son propre pays et, au-delà, pour les équilibres environnementaux de la planète, cela même s’il n’est ni le seul responsable, ni le seul coupable de cette situation écologique malheureuse. Les incendies en Amazonie « ne sont probablement pas d’origine naturelle. Ils se déclenchent en périphérie de la forêt, là où se trouvent les grands propriétaires terriens, qui souhaitent agrandir leurs terrains pour l’agriculture et l’élevage. 

« (…) La situation est préoccupante. Le phénomène risque de continuer si on n’arrête pas les politiques de déforestation du président Bolsonaro. Avec lui, les propriétaires terriens ne sont plus inquiétés. » L’argument du président (démocratiquement élu, preuve supplémentaire que le système électoral démocratique n’est pas forcément le meilleur moyen d’éviter le pire…), c’est le « Développement », ici celui du Brésil, processus qui n’est rien d’autre, et cela depuis que les Etats-uniens Rostow et Truman (ce dernier en tant que président des Etats-Unis en 1945-53) l’ont défini et valorisé, que le moyen d’accéder à la société de consommation, qu’il serait bien possible, en définitive, de qualifier de « société de consumation » et, présentement, de façon quasi-littérale ! Mais c’est ce même Développement qui entraîne la destruction (et pas seulement par le feu mais aussi par des coupes massives de bois) des forêts d’Afrique et d’Asie, dans une sorte d’indifférence générale fort décourageante pour tous les amoureux de la Terre et de ses richesses, de ses beautés aujourd’hui en passe d’être massivement dévastées. La même indifférence n’a-t-elle, d’ailleurs, pas cours aussi dans notre pays quand l’on constate que se construisent encore tant de zones industrielles ou commerciales et de lotissements au détriment de zones dites « naturelles » ? Si les 1.600 hectares de bocage de Notre-Dame-des-Landes ont pu être sauvées (au moins pour un temps), que dire de ces 80.000 hectares de terres artificialisés chaque année en métropole française ?

 

Or, les forêts, et l’Amazonie en particulier et de par son immense superficie, sont nécessaires à la vie et à sa qualité sur terre, comme le rappelle Alain Pavé : « La diversité de la forêt est aussi essentielle pour la vie de nombreuses espèces. Le cacao, par exemple, est très cultivé en Côte d’Ivoire. Mais si on utilise les mêmes populations de cacaoyers pour les régénérer sur place, au bout d’un temps, la diversité génétique se perd. La production diminue et la sensibilité aux parasites augmente. Il faut régénérer le patrimoine génétique en allant chercher des souches sauvages dans l’Amazonie. ». D’autre part, la forêt amazonienne, sans être le poumon de la planète (c’est bien plutôt la mer, elle aussi fortement affectée par les activités humaines contemporaines et la démesure de la société de consommation et de croissance), joue un rôle important dans le maintien de certains mécanismes environnementaux nécessaires au cycle de l’eau et à sa pérennité sur notre planète, à l’heure où le stress hydrique menace de plus en plus, jusqu’à notre propre pays atteint par des périodes de plus en plus longues et préoccupantes de sécheresse. Le risque de la déforestation amazonienne, c’est aussi une forme de savanisation de la forêt, au risque d’entraîner une diminution trop forte des précipitations pourtant utiles et même vitales pour les activités humaines dans la région concernée.

 

Alors, que faire et, surtout, que peut faire la France face à cette situation amazonienne préoccupante, et qui ne concerne pas, d’ailleurs, que le seul Brésil, la Bolivie étant elle-même en proie à de gigantesques feux ? Les propos rudes du président Emmanuel Macron, au-delà de leur caractère incomplet et d’une photo d’incendies antidatée, ont au moins eu le mérite de faire bouger les choses, en particulier la menace d’une non-ratification du traité de libre-échange avec le Mercosur qui a incité les grandes entreprises brésiliennes du secteur agroindustriel à faire pression sur M. Bolsonaro pour qu’il soit plus « volontaire » dans la lutte contre les incendies dévastateurs. La France a raison de souligner qu’elle aussi est une « puissance amazonienne », grâce à la Guyane, mais encore faudrait-il qu’elle ne favorise pas dans le même temps la déforestation « minière » en accordant des autorisations d’exploitation à des compagnies aurifères pas toujours très scrupuleuses en matière d’environnement. Le meilleur moyen d’être efficace dans sa lutte contre la déforestation, c’est encore de relocaliser une partie importante de sa production d’aliments pour le bétail et de ne plus dépendre du soja (souvent OGM) produit au Brésil. Là encore, cet objectif ne peut être atteint que par la mise en place d’une véritable stratégie agricole de la France, y compris hors des mécanismes de la PAC et de ceux de la mondialisation, stratégie visant à rendre aussi à notre pays sa propre capacité d’autosuffisance alimentaire et de « redéploiement rural » (et paysan, dans ce cas précis) pour activer des circuits à la fois plus courts et plus « propres ». Cela ne se fera pas en un jour, mais c’est maintenant qu’il faut donner l’impulsion la plus forte, et seul l’Etat, s’il s’engage véritablement dans une stratégie de long terme (et pérenne), peut le faire : encore faut-il qu’il le veuille et qu’il prenne les moyens de le pouvoir, et il n’est pas du tout certain que la République actuelle, prise dans les rets de la mondialisation, en soit capable…

 

D’autres moyens d’agir, plus individualisés, existent, ne serait-ce qu’en contrôlant mieux l’activité de certaines multinationales (y compris françaises) qui « s’enrichissent en important du soja, du bœuf, du sucre ou du bois, auprès des défricheurs illégaux », comme le souligne Christelle Guibert, toujours dans Ouest-France : « Ainsi les actionnaires, les clients de la banque française BNP Paribas, pourraient demander des comptes à la direction sur ses relations avec les quatre géants qui importent le soja dans l’Union européenne : ADM, Louis-Dreyfus, Bunge et Cargill. (…) Les adhérents des grandes coopératives françaises présentes via des filiales au Brésil pourraient s’enquérir de la façon dont les maisons-mères engrangent des bénéfices dans un pays où les pesticides sont utilisés de façon affolante. » Le rôle de l’Etat pourrait consister, ici, à soutenir, voire promouvoir officiellement ses attitudes de responsabilisation des acteurs privés de l’économie, de l’agriculture comme du commerce. Cette stratégie de responsabilisation ne devrait pas hésiter à s’adresser aussi aux consommateurs que nous sommes, mais aussi à imposer ces quelques règles simples aux acteurs de la Distribution, souvent plus préoccupés de bénéfices immédiats que de santé publique ou de respect environnemental. Ainsi, « les amateurs de produits Nestlé, premier producteur mondial de l’alimentaire, pourraient freiner leur consommation s’ils jugent que les 250 millions de dollars d’investissement supplémentaires – annoncés par un discret communiqué mercredi, au plus fort des feux ! – contribuent encore à augmenter le réchauffement de la planète. » Là encore, l’Etat peut jouer un rôle moteur dans cette prise de conscience, éminemment politique et jouant sur le levier économique, qui, si elle se fait assez « convaincante », pourrait permettre à la forêt amazonienne de mieux « respirer » et survivre aux appétits des grands propriétaires et du secteur agroindustriel mondial…

 

En tout cas, la tragédie amazonienne nous oblige à repenser la France en tant que puissance médiatrice, capable de se faire entendre et, surtout, de proposer un modèle alternatif à la société de consommation et de croissance portée par la mondialisation libérale. Pour cela, la République semble bien moins assurée et rassurante que ne le serait une Monarchie royale enracinée, de par ses institutions et la continuité dynastique, dans le temps long nécessaire à toute écologie véritable et intégrale

 

22/08/2019

Et si l'on enseignait aussi l'histoire des "petites patries" au lycée ?

 

La rentrée qui se profile oblige à la préparation des nouveaux cours des nouveaux programmes de lycée, en histoire comme en géographie. Si l’on prend la période étudiée désormais en classe de Première, elle couvre le gros siècle qui va de 1789 à 1923, et ce n’est pas forcément une mauvaise idée au regard de ce dont il est porteur et, en partie, accoucheur : après tout, ne sommes-nous pas les héritiers, parfois infidèles et critiques, de cette période et de ses confrontations, idéologiques comme spirituelles, mais aussi économiques et sociales, voire environnementales ?

 

La lecture des programmes officiels et celle, conjointe, des manuels scolaires, est aussi fort révélatrice de l’idéologie dominante et des préoccupations de la République éducatrice, qui ne laisserait à personne d’autre le soin de choisir les intitulés de ces programmes destinés à s’appliquer, en bonne République « une et indivisible », à tous les coins du territoire métropolitain comme de l’Outre-Mer. Du coup, c’est une histoire qui oublie, « opportunément » et dans la droite ligne de la « jacobinisation » de la nation, les « petites patries », au risque d’échouer à l’enracinement des élèves (en particulier ceux venus d’ailleurs ou d’autres traditions d’origine étrangère) dans une France concrète et vivante. De plus, cette histoire nationale « globale » apparaît parfois peu accordée aux lieux particuliers où elle est enseignée, de la Bretagne à l’Alsace, de la Provence à l’Artois. Un collègue la définissait comme une « histoire parisienne » et, comme d’autres (et comme moi-même), s’en inquiétait, comme d’une source supplémentaire de déracinement et d’inculture.

 

Faut-il, pour autant, renoncer à cette formulation programmatique de l’histoire française ? Pas exactement, mais il n’est pas forcément inutile de l’irriguer, non seulement d’exemples, mais aussi de puissantes évocations locales, par exemple en combinaison ou en comparaison de l’histoire de la nation « centrale », et selon l’endroit où l’on enseigne et étudie : ainsi, en Bretagne, n’est-il pas inutile de rappeler ce que la province a espéré et perdu durant la Révolution française, et quelles furent ses réactions, parfois déçues ou insurrectionnelles, devant le triomphe de la Révolution et de sa fille préférée, la République. Mais, à bien lire les différents manuels disponibles (pas loin d’une dizaine…), rien du tout : pas un mot sur la Bretagne si ce n’est, au détour d’une carte, l’évocation schématisée d’une « révolte » dont, le plus souvent, on ne saura pas plus. Ainsi, la chouannerie, qui a laissé durant plus d’un siècle, un souvenir tenace aux Bretons, a disparu, et le terme même n’évoquera rien aux descendants de ceux qui l’ont incarnée, comme en une sorte d’amnésie organisée que, au regard des intentions des programmes, je ne m’interdis pas de nommer un « mémoricide paisible » et tout à fait officiel… Idem pour la « Vendée » qui, si elle apparaît bien sur les cartes des lieux de tension durant la Révolution et la Première République, n’est ni définie ni expliquée !

 

Bien sûr, le cas de la Révolution française semble le plus significatif, d’autant plus que l’esprit du programme est de valoriser la conception de la Nation telle qu’elle a été idéologiquement fondée par les révolutionnaires jacobins, et comme si l’Ancien Régime n’avait pas, par lui-même, développé une conception que l’on peut dire moins jacobine et moins centraliste, beaucoup plus plurielle et « fédérative », comme Maurras l’évoquera au début du XXe siècle. Mais les autres chapitres répercutent cette même absence des particularités enracinées, avec souvent les cartes comme seule illustration de la « nuance des choses », ce qui apparaît bien insuffisant. Ainsi, pour l’étude de la France rurale et de l’industrialisation du pays, ou pour celle de la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et alors que la question linguistique n’est abordée que fort marginalement dans le meilleur des cas (et quand elle est abordée…), et dans le cadre de « l’enracinement de la République », les langues régionales de France étant alors présentées comme un reste du monde ancien destiné à disparaître, à l’égal du « trône et de l’autel ».

 

Bien sûr, les professeurs d’histoire pourront, d’eux-mêmes, corriger cette « amnésie », mais le feront-ils tous, pressés par la nécessité d’aller vite (épreuves de Bac dès la classe de Première obligent, sous forme d’un contrôle continu) et de ne pas trop complexifier l’histoire de la période ? De plus, nombre d’entre eux ne connaissent pas l’histoire même du territoire sur lequel ils enseignent, ce qui constituent un obstacle important, mais pas rédhibitoire. Sans doute faudrait-il prévoir, en une heure hebdomadaire dédiée (faute de mieux), un enseignement des grands traits de l’histoire locale, communale et provinciale, ne serait-ce que pour donner quelques repères concrets aux jeunes qui y vivent et, parfois, à des parents qui ne connaissent pas non plus cette histoire. Mais, le mieux ne serait-il pas d’inciter les enseignants à intégrer, au sein de leurs cours généraux, des éléments de l’histoire (y compris populaire) locale, pour montrer aussi toute l’importance de l’histoire nationale sur la construction des héritages locaux (et inversement, aussi) et, parfois, la grande difficulté d’une synthèse harmonieuse entre les décisions de l’Etat central et les aspirations provinciales ou communales ? Ce ne sont là que quelques propositions, mais elles peuvent permettre un meilleur enracinement des jeunes générations sans, pour autant, les « figer » en un seul lieu car l’histoire (locale ou nationale, ou européenne et mondiale) ne doit pas être un simple « formatage » sans conscience, mais bien plutôt un appel à la curiosité comme un outil de la « fidélité créatrice », celle qui permet de voir plus loin et plus haut sans risquer le vertige de la démesure