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18/06/2011

Un patriotisme économique de bon aloi.

La compagnie aérienne Air France doit annoncer cet été quels sont les types d’appareils qu’elle achète pour compléter et renouveler sa flotte de longs-courriers : or, selon des indiscrétions parvenues aux oreilles des ministres et hommes politiques français, la compagnie, désormais privée et associée avec la société KLM, porterait son choix sur l’entreprise états-unienne Boeing, pourtant rivale d’Airbus, entreprise européenne emblématique de la coopération industrielle entre Etats européens et née d’une initiative française.

 

Quelques députés français ont réagi en appelant l’Etat, actionnaire à 16 % d’Air France-KLM, à intervenir pour rappeler la compagnie aérienne à un peu plus de « patriotisme économique », formule qui, hier décriée quand M. de Villepin l’avait lancée sous son ministériat, trouve aujourd’hui un certain écho, signe des temps sans doute et de la recherche d’un sens à l’économie qui ne soit pas orienté que vers le profit et le libre échange obligatoire et sans contraintes… Il m’a frappé d’ailleurs que cette formule a été revendiquée haut et fort par les députés pétitionnaires et prononcée sans aucune retenue par des personnes se réclamant d’un parti libéral, au grand dam des milieux d’affaires depuis longtemps devenus cette « fortune anonyme et vagabonde » que dénonçait il y a un siècle le duc d’Orléans, roi putatif des Français.

 

En tout cas, cette démarche parlementaire est fort honorable, même si, d’une certaine manière, elle intervient bien (trop ?) tard : car, en acceptant depuis des décennies de brader son patrimoine industriel et de privatiser sans beaucoup de discernement ce qui était stratégiquement utile pour l’Etat français (et, donc, la société), les gouvernements successifs et leurs majorités respectives ont semblé accepter « la fatalité de l’économie » et renoncer à leurs capacités politiques d’intervention sur les décisions économiques et sociales des grandes entreprises pourtant « nationales ».

 

Cette affaire, néanmoins, sera un test important : si, demain, Air France n’en fait qu’à sa tête et suit sa seule logique commerciale en favorisant Boeing plutôt qu’Airbus (même dans le cadre d’un panachage qui laisserait quelques miettes à la société européenne), cette logique qui se dit de compétitivité et n’est, en définitive et le plus souvent, qu’une logique de profit au bénéfice d’actionnaires gourmands, il faudrait alors que l’Etat en tire les conséquences et, pourquoi pas, reprenne en main cette société, soit par le biais d’une participation actionnariale accrue soit par une nationalisation partielle (ou totale, d’ailleurs), au risque, certes, de s’attirer les foudres des instances de Bruxelles, irrémédiablement libérales… Mais, après tout, dans une période où notre pays souffre de désindustrialisation et de chômage, dans une sorte de langueur économique et en ce temps de désespérance sociale, l’Etat doit jouer son rôle de protecteur des citoyens et d’arbitre au-dessus des intérêts privés.

 

Je sais que le mot « nationalisation » fait peur aujourd’hui, certains y voyant la marque d’un étatisme dont les résultats dans l’histoire n’ont guère été probants. Mais il ne s’agit ici que d’une forme de « colbertisme » pragmatique et soucieux de relier à nouveau « social » et « économie », et plus exactement « souci social » (emploi et justice) et efficacité économique au profit du plus grand nombre de nos concitoyens. L’objectif est de favoriser la bonne marche du secteur industriel dans notre pays et d’éviter les délocalisations spéculatives, de maintenir des emplois ici et à des conditions sociales dignes au lieu de les voir partir vers des pays où ni les droits ni la dignité des travailleurs ne sont reconnus.

 

D’autre part, qu’y a-t-il de choquant à vouloir favoriser nos « plus proches » quand on sait que la solidarité nationale trouve ses moyens dans un certain partage et dans une redistribution partielle qui ne sont possibles que si nos compatriotes ont les moyens d’y subvenir en plus grand nombre possible ? Cela veut-il signifier que l’on oublie les autres ? Bien sûr que non, mais l’histoire économique montre que « déshabiller Paul » n’est pas forcément le meilleur moyen d’ « habiller les Pierre d’ailleurs »… Les emplois qui disparaissent en France se retrouvent en Asie (ou ailleurs) sous une forme socialement très dégradée, et ce n’est pas vraiment un progrès, me semble-t-il, car cela nie toute l’histoire des luttes sociales jadis (et encore aujourd'hui) nécessaires pour atteindre (ou retrouver) un niveau satisfaisant de qualité de travail comme de revenus.

 

Air France-KLM va-t-elle se rendre aux raisons des députés français, apparemment soutenus par l’Etat, mais bien isolés dans une Europe qui préfère les principes généraux du libre échange aux réalités économiques et aux nécessités sociales ? Il est frappant de constater le silence désapprobateur (à l’égard de la position française) de la Commission européenne et du Parlement européen dans cette affaire pourtant hautement symbolique…

 

 

 

14/06/2011

Le référendum slovène "oublié"...

 

Décidément, les référendums en Europe se suivent et se ressemblent de plus en plus, même si, étrangement, nos médias nationaux n’en parlent guère, préférant suivre le feuilleton DSK et les luttes intestines au Parti socialiste pour la présidentielle de 2012…

 

Ainsi, le dimanche 5 juin, les électeurs slovènes viennent-ils de rejeter massivement le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 63 à 65 ans et cela malgré les avertissements et demandes pressantes du FMI et de l’Union européenne, une fois de plus déboutés par le suffrage universel direct, comme en France et aux Pays-Bas en 2005, en Irlande quelques années plus tard, et, il y a quelques semaines, en Islande : peut-on y voir une insurrection légale et électorale des peuples contre les institutions financières et les oukases de l’Union ? Sans doute en grande partie, même s’il faut rester prudent en ce domaine.

 

Pour revenir à la Slovénie, pays qui appartient à la zone euro depuis janvier 2007, le rejet est massif (plus de 72 %) mais la participation dépasse juste les 41 %, preuve là encore d’un certain désenchantement à l’égard de la « voie électorale » et de sa possibilité, dans un monde de plus en plus dirigé par l’économique, de peser sur les décisions finales : ce sentiment de plus en plus répandu dans les populations est un élément d’explication crédible de la poussée abstentionniste mais aussi des montées en puissance des courants populistes ou extrémistes qui inquiètent sans pour l’instant peser vraiment sur le cours des décisions européennes et financières. Néanmoins, ce désenchantement n’est pas général, comme le montre la participation à plus de 57 % des électeurs italiens ces jours derniers pour voter « non » à trois projets gouvernementaux (nucléaire, immunité gouvernementale, privatisation du secteur de l’eau), et ceci à plus de 90 % des suffrages exprimés !

 

En tout cas, la Slovénie pourrait bientôt s’ajouter à la liste de plus en plus longue des pays obligés à une austérité drastique pour, là encore, « sauver l’euro » ! Mais, au regard des dégradations successives de la note des pays en difficulté par les agences de notation et des centaines de milliards engagés en vain jusqu’à ce jour, le sauvetage de l’euro-monnaie unique paraît de plus en plus problématique et de moins en moins certain…

 

 

 

13/06/2011

Les programmes de l'absurde...

 

Autant que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu être professeur d’histoire, même s’il m’est arrivé aussi, comme tous les enfants de mon époque, de rêver soigner les animaux… Il est vrai que j’ai de qui tenir, mes parents étant tous deux médiévistes et la bibliothèque familiale ma salle de jeux préférée ! Mes premiers livres, après les traditionnelles histoires d’écureuil et les albums animaliers, furent les « contes et légendes » de toutes les provinces de France, la « petite histoire de France illustrée » de Jacques Bainville et je plongeais, tous les dimanches, dans les pages de bandes dessinées historiques de Fripounet, revue que Mamé, ma grand-mère maternelle, m’achetait après la messe, à l’église Saint-Laurent de Rennes comme à celles de Lancieux et de Saint-Briac l’été. J’ai le souvenir d’y avoir appris l’histoire du roi Saint Louis et de sa mère Blanche de Castille, ou celle du jeune Bonaparte quand, dans le même temps, je regardais à la télévision les aventures du croisé Thibaud, toujours de blanc vêtu, et que je feuilletais certains soirs les collections reliées de « L’Illustration » des années 30-40…

 

Paradoxalement, je n’ai pas toujours aimé les cours d’histoire que j’avais au lycée, à part ceux, iconoclastes et exigeants, libres de parole comme d’esprit, de M. Boussard, professeur atypique, grognon et non-conformiste, et avec lequel j’ai eu aussi quelques mauvaises notes, à ma grande honte, mais sans doute parce qu’il ne notait pas que les connaissances mais aussi la mise en forme et en réflexion  de celles-ci : il n’était pas très populaire car redouté à cause de son caractère et, justement, de sa notation souvent défavorable… Mais nous étions quelques fidèles, dont mon camarade Olivier P., militant communiste avec lequel j’avais de grands débats passionnés et qui vantait la révolution à venir quand je clamais un anticommunisme virulent et le désir de l’Ordre français ! L’histoire était mon champ de bataille préféré car j’en connaissais toutes les arcanes et tous les pièges, tous les secrets (ou presque) et toutes les espérances, en particulier déçues…

 

J’ai pu réaliser mon rêve de devenir professeur d’histoire il y a vingt ans, après un parcours scolaire et universitaire un peu… chaotique, et j’en suis heureux ! J’aime l’histoire, et j’aime transmettre ce que j’en sais, parfois en m’écartant de la ligne des programmes officiels.

 

Or, ces fameux programmes sont de plus en plus agaçants, voire stupides : ainsi, le programme d’histoire de Première nouvelle version n’évoque plus que des thèmes sans grand respect de l’ordre chronologique, plaçant l’étude de la 2nde Guerre Mondiale avant l’étude des totalitarismes, c’est-à-dire Hiroshima avant Hitler, et j’écris cela sans caricaturer la réalité, il suffit pour s’en convaincre de feuilleter les nouveaux manuels prévus pour la rentrée prochaine ! Il me semble pourtant difficile d’évoquer le déclenchement de la guerre de 1939 sans expliquer le pacte, improbable la veille encore, entre l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, et en particulier sans explication de ce « retournement stratégique » entre deux régimes apparemment si idéologiquement différents… Compliqué aussi d’évoquer la particularité de l’extermination des Juifs durant cette guerre sans avoir d’abord expliqué l’antisémitisme du parti national-socialiste ! Tout comme il me semble absurde d’évoquer la mobilisation française de 1914-18 sans expliquer la « nationalisation » (parfois pédagogiquement brutale) opérée largement par l’école de la IIIe République et la « démocratisation » de la guerre permise par cette même école primaire obligatoire pour tous : ne dit-on que « Verdun, c’est la victoire de l’instituteur français » ? Même si cette appréciation mérite d’être discutée, elle doit être expliquée, et difficile de le faire logiquement avec ce programme qui place l’histoire de France (vue sous le seul angle de « la République ») du XIX-XXe siècles en fin d’année… Je doute que les élèves s’y retrouvent aisément, à moins d’avoir, dés le début de la Première, fait tracer quelques solides frises chronologiques de l’histoire de la France, de l’Europe et du monde depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours.

 

Il va falloir ruser l’an prochain pour appliquer ce programme « d’Absurdie » sans discréditer l’histoire en tant que matière scolaire ! Sans compter que le temps imparti pour chaque thème laisse peu de place à l’explication raisonnée et circonstanciée…

 

J’aime l’histoire mais ces programmes en sabotent la chronologie et la raison profonde : alors, il faudra sans doute passer outre certaines « recommandations » de l’Inspection pour continuer à la faire apprécier et aimer… En tout cas, que l’on ne compte pas sur moi pour renoncer à ma liberté de ton et de réflexion, même si le « sens général du programme » doit en souffrir ! Pas question de renoncer à inciter les élèves à la curiosité intellectuelle et historique (mais aussi géopolitique !) et à la remise en cause des idées dominantes quand celles-ci sont des leurres ou des faussetés !

 

J’aime l’histoire, ce n’est pas, donc, pour la prostituer, mais pour la faire découvrir et aimer par les autres ! Et tant pis si les programmes officiels doivent en souffrir un peu (ou beaucoup !)…